IV. QUELLES SOLUTIONS ENVISAGEABLES ?
Compte tenu de l'état fragmenté de la société libyenne, de l'absence de structures étatiques solides et non disputées, du rôle des milices armées, et de l'immobilisme des acteurs plus prompts au statu quo dans un contexte de confusion d'intérêts particuliers contradictoires avec l'intérêt général, la voie est extrêmement étroite pour progresser vers la réconciliation politique.
Aujourd'hui la confusion est extrême. Les alliances sont volatiles et les interférences avec d'autres enjeux impliquant des puissances étrangères (lutte contre le terrorisme international, régulation des flux migratoires, influences idéologiques ou religieuses concurrentes dans le monde arabo-musulman) ne permettent guère au processus de réconciliation mené par le RSSGNU d'avancer.
A. POURSUIVRE AVEC OPINIÂTRETÉ ET PERSÉVÉRANCE LE PROCESSUS ENGAGÉ PAR LE RSSGNU
C'est pourtant la seule voie possible, sauf à admettre la prévalence d'un rapport de forces qui ne pourra émerger, s'il émerge, qu'au prix d'une guerre civile.
À la différence de la Tunisie ou de l'Egypte qui ont connu des changements de régimes à l'issue de révolutions dans le contexte des printemps arabes et des retours de balanciers plus ou moins accentués, conduisant à l'éviction des Frères musulmans en Egypte et à une participation d'Ennahdha au gouvernement de coalition en Tunisie, la Libye n'a pas été en mesure de conserver une unité institutionnelle et le conflit politique, à l'issue de la guerre civile qui a conduit à la destitution de Kadhafi, s'est mué en une sorte de « guerre froide » territorialisée entre l'Est et l'Ouest, à multiples facettes et à fronts instables , compte tenu de l'immensité du territoire et de la fragilité des alliances tribales.
Sans culture de l'État au sens des standards classiques, l'application des schémas traditionnels est très difficile dans ce pays où les allégeances tribale ou clanique restent prédominantes et le clientélisme , un mode de régulation . Dans la longue interview donnée au journal Le Monde en date du 16 juin, l'anthropologue Maurice Godelier s'appuyait sur l'exemple libyen pour montrer la fragilité des États issus de la décolonisation. « La Libye n'avait jamais été un pays avant la colonisation : c'était un espace où vivaient au moins trente grandes tribus dont certaines étaient arabes, d'autres berbères, d'autres arabo-berbères, d'autres toubous. Comment fondre cette diversité complexe dans un État-nation à l'occidentale ? »
C'est ce que le nouveau RSSGNU a bien compris qui a inclus dans sa feuille de route un élargissement du cercle des parties prenantes à d'autres forces vives, et à d'autres réseaux de solidarités, comme les municipalités, ou à travers le processus de grandes conférences nationales, pour essayer de contourner les obstacles et sortir de l'enlisement progressif de l'accord de Skhirat.
Il faut donc prendre le temps d'écouter et de comprendre l'âme profonde de ce peuple pour le faire émerger au-dessus des intérêts particuliers immédiats . Mission particulièrement difficile qui s'apparente à de la médiation plus qu'à de la négociation - au demeurant les grandes institutions médiatrices dans les conflits internes sont présentes et agissantes sur le terrain - et qui est rendue complexe par la multiplicité des parties prenantes, tout rapprochement entre deux parties pouvant dénouer les médiations conclues avec des parties tierces et sans la capacité d'imposer ou de forcer une solution en l'absence de forces déployées - la MANUL est une mission d'appui, elle n'est ni une opération de maintien de la paix, ni une mission de stabilisation.
Ce processus requiert de la patience stratégique.