B. LA DSNA EST-ELLE SUFFISAMMENT RÉGULÉE ?

La direction des services de la navigation aérienne (DSNA) n'est pas un organisme doté d'une personnalité morale propre .

Elle est une administration centrale de l'État et fait partie des trois directions qui composent la direction générale de l'aviation civile (DGAC) , avec la direction du transport aérien (DTA) et la direction de la sécurité de l'aviation civile (DSAC) .

Cette situation est loin d'aller de soi lorsqu'on compare la DSNA aux autres prestataires de services de la navigation aérienne européens. Elle soulève en outre de sérieuses difficultés sur le plan de la régulation et de la certification de ses activités .

1. La surveillance de la direction des services de la navigation aérienne (DSNA) est assurée par deux autres directions de la direction générale de l'aviation civile (DGAC)
a) La direction du transport aérien (DTA) joue le rôle de régulateur de la DSNA

Les règlements d'exécution sur la performance (UE 390/2013) et sur les redevances (UE 391/2013) des services de la navigation aérienne adoptés dans le cadre du Ciel unique européen prévoient que les prestataires de services de la navigation aérienne (PSNA) des États membres font chacun l'objet d'une régulation rigoureuse de la part de leur autorité nationale de surveillance (ANS) , sous l'autorité de la Commission européenne 27 ( * ) .

Cette mission de régulation consiste en particulier à participer à l'élaboration des plans de performance puis à contrôler leur mise en oeuvre par les PSNA ainsi que la façon dont sont déterminées les redevances de navigation aérienne , notamment au moyen d'inspections .

Le décret n° 2011-1964 du 23 décembre 2011 prévoit que la direction du transport aérien (DTA) , qui appartient, comme la DSNA, à la DGAC, est son autorité nationale de surveillance .

Lors de son audition, le directeur du transport aérien (DTA) a présenté à votre rapporteur spécial la nature exacte de ce rôle de régulateur .

Celui-ci commence en amont, puisque c'est la DTA qui contribue au nom de la France aux discussions relatives à la détermination des objectifs de performance au niveau de l'Union européenne et du FABEC .

Elle est étroitement associée à l'élaboration du plan de performance de la DSNA et s'assure, à travers de multiples consultations et réunions, que celle-ci fournit toutes les informations nécessaires aux compagnies aériennes et que lesdites informations correspondent à leurs attentes ainsi qu'aux exigences de la réglementation européenne.

La DTA est ensuite le principal interlocuteur de la Commission européenne lorsque celle-ci effectue l'évaluation du plan de performance qui lui a été adressé par la DSNA et veille à ce que la DSNA consente à réaliser des efforts supplémentaires , lorsque ceux-ci apparaissent envisageables et sont réclamés par la Commission européenne.

Lors de la phase d'application du plan de performance, la DTA s'assure que la DSNA informe suffisamment les compagnies aériennes sur les tarifs des redevances , que ceux-ci sont correctement construits à partir des coûts unitaires de la navigation aérienne et que le plan de performance est correctement appliqué .

À cette fin, elle adresse périodiquement des rapports à la Commission européenne , après avoir vérifié les données, notamment financières transmises par la DSNA (vérifications des méthodes d'élaboration des coûts, des comptes annuels, etc.).

L'article 4 du règlement (CE) n° 549/2004 prévoit que les autorités nationales de surveillance (ANS) doivent être indépendantes des prestataires de services de la navigation aérienne (PSNA) , au moins au niveau fonctionnel , et disposer des ressources et des capacités nécessaires pour effectuer les tâches qui leur sont assignées .

La Cour des comptes européenne, dans son rapport précité, se montre particulièrement sévère avec le système de régulation français , cité, avec l'Espagne et la Hongrie, parmi les cas « le manque de ressources humaines et/ou financières adéquates ou l a séparation purement fonctionnelle mais pas hiérarchique et financière à l'égard des PSNA limite la capacité des ANS à s'acquitter de leur mission ».

Elle constate ainsi « qu'en France, l'ANS et le PSNA doivent faire rapport au même directeur général et partagent des ressources financières provenant d'un budget commun financé essentiellement par les mêmes redevances de navigation que l'ANS est chargée de surveiller en vertu de la réglementation ».

À l'instar de la Cour des comptes européenne, votre rapporteur spécial est pour le moins circonspect quant aux garanties d'indépendance qu'offre la direction du transport aérien (DTA) , dans l'organisation actuelle de la DGAC, pour opérer une régulation sérieuse de la DSNA .

b) La direction de la sécurité de l'aviation civile (DSAC) certifie les procédures de la DSNA

La direction de la sécurité de l'aviation civile (DSAC) , troisième grande direction de la DGAC, est chargée de certifier et de surveiller l'ensemble des acteurs du transport aérien pour assurer un niveau de sécurité maximal pour l'aviation civile .

À ce titre, elle assure la certification des compagnies aériennes, des aéroports, des ateliers de maintenance aéronautique mais également de la DSNA .

La DSNA est certifiée pour deux types d'activités : les prestations de services de la navigation aérienne proprement dites, pour lesquelles elle est dotée d'un certificat européen obtenu en 2005 et renouvelé en décembre 2016 pour une durée illimitée , mais également en tant qu'organisme de formation des contrôleurs aériens .

La DSAC doit surveiller la DSNA sur toutes les questions relatives à la sécurité et analyser sa conformité aux exigences des règlements (UE) 1034/2011, 1035/2011 et 2015/340 28 ( * ) .

Pour mener à bien ce travail de certification, la DSAC établit à cette fin un plan d'action de surveillance continue sur la base duquel elle mène des audits qui doivent lui permettre de couvrir toutes les activités de la DSNA sur une période de deux ans. Elle est en outre informée de tous « les évènements de sécurité » qui affectent la DSNA .

Sur le volet de la formation, la DSAC certifie la formation initiale des contrôleurs aériens à l'ENAC , leur formation continue et leur délivre leurs licences valables trois ans sans lesquelles ils ne peuvent exercer leur métier.

Elle consacre à cette mission de surveillance de la DSNA 25 équivalents temps plein (ETP) , ce qui représente 5 % environ de ses effectifs .

À l'instar de la régulation de la DSNA assurée par la DTA, sa certification par la DSAC fait régulièrement l'objet de critiques de la part des autorités européennes , qui souhaiteraient qu'une véritable séparation structurelle entre les deux entités soient mise en place , alors qu'elle n'est que fonctionnelle aujourd'hui.

Du reste, de tous les pays de l'Union européenne, seuls l'Irlande et Chypre n'ont comme la France qu'une simple séparation fonctionnelle entre leur PSNA et son certificateur , tous les autres ayant mis en place une séparation structurelle.

Lors de son audition par votre rapporteur spécial, le directeur de la DSAC a tenté de défendre cette séparation fonctionnelle , qui existe depuis 2005 et a été renforcée récemment pour offrir davantage de garde-fous, tels que des ressources financières et humaines clairement identifiées, des règles d'autonomie vis-à-vis de la DSNA rappelées par voie d'instruction ministérielle, etc.

Il a également fait valoir les avantages d'un tel modèle, et en particulier le fait que la connaissance intime de la DSNA par la DSAC , favorisée par les échanges réguliers de personnels, permettait de mieux appréhender les enjeux du contrôle aérien .

Il n'en demeure pas moins que les apparences ne sont guère en faveur de la DSAC , son processus de certification de la DSNA donnant le sentiment de s'opérer dans un certain entre soi au sein de la maison commune qu'est la DGAC .

c) Renforcer l'indépendance de la régulation et de la certification de la DSNA

Votre rapporteur spécial sait combien la DGAC est attachée à son unité . Elle la défend du reste avec pugnacité au niveau européen.

Alors que la Commission européenne avait proposé une stricte séparation juridique entre les prestataires de services de la navigation aérienne et leurs autorités de surveillance dans le cadre du paquet Ciel unique 2+, la DGAC est parvenue à faire en sorte que soit réaffirmé le droit d'organiser les services de navigation aérienne dans le cadre d'une séparation fonctionnelle et non juridique par rapport aux autorités de surveillance , en contrepartie de garanties supplémentaires d'indépendance desdites autorités.

Votre rapporteur spécial a conscience qu'une direction forte et puissante constitue un atout pour porter la voix de la France dans les instances aéronautiques internationales et permet de réguler les crises par un pilotage resserré de l'ensemble des éléments de la chaîne que constitue l'aviation civile.

Le statu quo lui paraît cependant difficilement tenable et le modèle actuel de moins en moins facile à défendre , si l'on veut vraiment s'inscrire dans le système de performance et de sécurité de la navigation aérienne que l'Union européenne cherche à mettre en place dans le cadre du Ciel unique européenne et demander des efforts somme toute légitimes à la DSNA.

De fait, il souscrit au diagnostic de la Cour des comptes européenne .

Il le compléterait en outre en ajoutant que les mobilités de carrière à la DGAC conduisent les mêmes personnes à faire des allers-retours entre la DTA, la DSNA et la DSAC , passant du rôle du régulé à celui de régulateur ou de certificateur, ce qui, à tout le moins sur le plan des apparences, n'offre pas toutes les garanties d'indépendance et d'impartialité qu'il est permis d'exiger .

Les chartes de déontologie apparaissent en effet comme des barrières bien fragiles contre les risques d'autocensure ou de complaisance que de telles mutations peuvent provoquer.

Il estime donc qu'il faut considérablement renforcer la séparation fonctionnelle entre les directions de la DGAC et que différents scénarios doivent être étudiés pour qu'une séparation structurelle puisse à terme être envisagée .

C'est là la condition sine qua non pour que la DSNA soit véritablement contrôlée et challengée , tant du point de vue économique que de son efficacité pure.

Recommandation n° 4 : renforcer considérablement à court terme la séparation fonctionnelle entre les différentes directions de la direction générale de l'aviation civile (DGAC) et étudier des scénarios de séparation structurelle à moyen/long terme pour que la régulation de la direction des services de la navigation aérienne (DSNA) par la direction du transport aérien (DTA) et sa certification par la direction de la sécurité de l'aviation civile (DSAC) offrent davantage de garanties d'indépendance.

2. Le statut juridique de la DSNA constitue de plus en plus une exception en Europe

Lors de l'audition à Bruxelles des responsables d'Eurocontrol, votre rapporteur spécial a été sensibilisé à la diversité des statuts juridiques des prestataires de services de la navigation aérienne (PSNA) en Europe et en Amérique du Nord.

Il a ainsi pu mesurer combien le fait qu'un PSNA soit par construction un monopole naturel n'entraînait pas partout une organisation identique .

Curieusement, le seul grand pays dont le PSNA est une administration d'État comme en France est les États-Unis avec la Federal aviation administration (FAA), qui est une agence gouvernementale placée sous la tutelle du département des transports.

La Deutsche Flugsicherung (DFS) allemande et l' Enaire espagnole sont toutes les deux des sociétés de droit privée dont les capitaux sont détenus à 100 % par l'État .

La National air traffic services (NTAS) britannique est également une société de droit privé , mais détenue seulement à 49 % par l'État , des investisseurs privés détenant 51 % de son capital.

Quant à l' Ente nazionale assistenza al volo ( ENAV) italienne, elle est une société de droit privée cotée en bourse dont l'État détient 53,4 % du capital , les capitaux privés représentant 46,6 % du capital.

Dernier modèle, particulièrement original, celui de Navcanada au Canada, qui est une organisation à but non lucratif .

Au total, il apparait clairement, au terme de cette brève énumération, que la DSNA est probablement , de tous les grands PSNA, celui qui est le moins indépendant de l'État et dont l'autonomie administrative et financière est la plus faible .

Le fait qu'elle ne possède pas la personnalité morale, pas même sous la forme d'un établissement public industriel et commercial (EPIC), ni, a fortiori, d'actionnaires privés, fait qu'elle est naturellement scrutée par beaucoup moins d'observateurs que ne l'est par exemple l'ENAV italienne .

Votre rapporteur spécial considère que l'hypothèse d'une transformation du statut juridique de la DSNA, si elle n'est pas à ce stade une priorité , contrairement à l'obligation de mener à bien dans les meilleurs délais ses programmes de modernisation technique (cf. infra ), se pose avec évidence : le statut actuel contribue de toute évidence à l'inefficacité globale du système.

La question s'imposera probablement à l'avenir , tant le « modèle français » apparait de plus en plus en décalage avec celui, plus performant , de nos partenaires européens.


* 27 L'article 17 du règlement d'exécution (UE) n° 391/2013 prévoit que la Commission européenne est également chargée d'évaluer les taux unitaires des redevances de la navigation aérienne au regard des dispositions sur les systèmes de performance et de tarification.

* 28 Le règlement 1035/2011 exige notamment la mise en place d'un système de management de la sécurité, dont la mise en place et le fonctionnement sont vérifiés par la DSAC.

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