CONTRIBUTIONS DES GROUPES POLITIQUES
CONTRIBUTION DU GROUPE COMMUNISTE, RÉPUBLICAIN, CITOYEN ET ÉCOLOGISTE
1. Sur le constat :
Nous partageons le constat développé dans la première partie de ce rapport sur l'effondrement de notre tissu industriel et le refus du spectre d'une France sans usines. Toutefois, nous pensons que c'est avant tout le choix opéré par les gouvernements successifs d'un Etat en retrait, d'un Etat modeste, en lieu et place de l'Etat stratège qui est à l'origine de ce déclin.
L'Etat a abandonné les politiques industrielles verticales au profit d'un rôle de régulateur. Or il est essentiel, vu la crise que traverse notre industrie, de promouvoir l'intervention de l'Etat dans la sphère économique et en particulier dans la sphère industrielle. Certains secteurs, par leur importance stratégique, ne peuvent être laissés à des opérateurs privés, tant l'industrie peut avoir un impact structurant pour notre territoire.
Depuis qu'on a abandonné ce modèle d'interventionnisme direct de l'État, « on ne sait plus à quel saint se vouer » ! Et, il n'y a que Bruno Le Maire, le ministre de l'économie, pour dire que la cession des chantiers de l'Atlantique à l'italien Fincantieri, le démantèlement jusqu'au dernier morceau de l'ancienne Compagnie générale d'électricité et la cession d'Alstom à Siemens constituent des « progrès majeurs » . 186 ( * )
Comment peut-on parler de progrès majeur quand, dans le même temps, notre appareil de production est incapable de répondre à la demande. Nous n'avons pas seulement assisté à un recul de notre tissu industriel mais également à la destruction pure et simple des outils de production et des compétences.
L'industrie ne peut se passer de l'État, elle s'est construite avec son soutien. Partout, dans les pays émergents comme aux Etats-Unis, l'interventionnisme public est actif. Il faudrait le dire avec force, ce que ne fait malheureusement pas ce rapport : contrairement à un mythe libéral, nulle part il n'y a d'industrie dynamique sans politique industrielle volontariste.
C'est pourquoi il faut promouvoir un interventionnisme assumé afin de conforter des secteurs qui sont notre puissance, comme les transports, l'agroalimentaire, l'énergie - la liste n'est pas exhaustive. A cet égard, il semble que la tendance soit loin d'être inversée, puisque le vote du projet de loi dit « Pacte ferroviaire » met à mal la filière industrielle ferroviaire.
Pire, les travaux de la mission d'information s'inscrivent non en rupture, mais dans l'accompagnement de politiques qui n'ont en rien enrayé le déclin de notre industrie. Ainsi, de rapports en débats, les constats et les remèdes sont les mêmes tant le cadre de réflexion semble indépassable.
2. Sur les propositions :
Nous partageons la nécessité de renforcer l'État actionnaire (propositions 30 à 34) mais nous ne pensons pas que la cession d'actifs serve la politique industrielle ni que l'intervention de l'Etat « doive s'effectuer avec parcimonie tant au regard de la situation contrainte des finances publiques que des règles de l'Union européenne en matière d'aide d'Etat ». 187 ( * )
La cession des actifs de l'Etat ne répond malheureusement qu'à une injonction comptable que nous récusons. La règle des 3 % de déficit et la soumission aux agences de notations sont en contradiction frontale avec la notion d'Etat souverain. Le Pacte de stabilité et de croissance bloque durablement une part de cette croissance en considérant tout investissement significatif dédié à la préparation de l'avenir - recherche et enseignement supérieur, soutien à un secteur en particulier, investissement massif - comme une simple dépense publique et soumise à ce titre aux règles de l'austérité.
De même, l'externalisation des compétences de l'État vers Bpifrance n'est qu'un renoncement de plus, un pas supplémentaires vers le démembrement de l'Etat actionnaire.
Lorsqu'on aborde la question de la BPI, qui au final sélectionne les projets selon une logique de pure rentabilité, on oublie trop souvent que certains investissements ne sont pas rentables directement : ils échappent à la logique du marché. C'est le cas de l'enseignement supérieur et de la recherche fondamentale : ils sont « hors marché », ils ne génèrent pas directement de valeur ajoutée, mais ce sont les piliers nécessaires a` une économie de la connaissance.
C'est également le cas des secteurs industriels émergents, où l'investissement public peut amorcer le décollage. C'est aussi le cas de certains investissements industriels, dont la rentabilité financière est insuffisante mais qui sont porteurs d'externalités positives importantes : c'est le cas en matière ferroviaire où les prochaines lignes à construire auront une « une rentabilité' décroissante » tout en désenclavant les territoires.
Il en est de même de l'économie de la révolution verte : ce tournant industriel ne se fera sans investissement massif, voire capitalistique de l'Etat, tant les volumes d'investissement et l'horizon de rentabilité' dépassent les capacités et les attentes des seuls acteurs de marche'.
Que dire enfin de la fameuse révolution numérique : qui sinon l'Etat peut prétendre concurrencer les GAFAM et redonner un sens à la souveraineté numérique ? Comment accepter que l'ensemble de nos données soient aujourd'hui stockées et gérées par des serveurs étrangers.
De même, comme cela est exposé dans les propositions 35 à 38, il est nécessaire de protéger notre industrie de comportements prédateurs étrangers, mais les propositions ne vont pas assez loin !
Ce constat a été fait dans le cas d'Alstom et l'actualité ferroviaire nous insiste à encore plus de vigilance. Que dire par exemple du rachat d'Ansaldo - le champion ferroviaire italien - par Hitachi, permettant au groupe japonais de disposer en Europe d'une véritable tête de pont tant sur le marché du matériel roulant que sur celui de la signalisation. Le savoir-faire français de l'ancienne Compagnie des Signaux, rachetée il y a plus de quinze ans par Ansaldo et qui équipe toutes les grandes lignes du réseau ferré national, vient de filer ainsi en Asie, sans garantie sur la protection des droits industriels. Mais ce ne sont malheureusement là que quelques exemples emblématiques.
C'est toute la culture administrative des agents de l'Etat qu'il faut renforcer afin de préserver au mieux nos intérêts stratégiques. Or, aujourd'hui, il semble que notre appareil d'État se plie avec zèle aux règles communautaires. Les élites ne croient plus au patriotisme industriel et n'imaginent pas un patriotisme européen. Pour les grands groupes industriels français -- notamment ceux du CAC 40 --, l'Europe n'est plus qu'un marché comme un autre. Certains se vendent au plus offrant ou passent sous la coupe des fonds d'investissement anglo-saxons.
Quant à la nécessité d'une politique industrielle européenne, mainte fois répétée, celle-ci reste un voeu pieux tant la politique de concurrence prime toute autre considération. N'est-ce pas cette politique qui a empêché l'émergence de champions européens du numérique ? N'est-ce pas cette politique qui empêche les aides d'État, pourtant essentielles en cas de crise structurelle d'un secteur économique ?
Enfin sur les outils de financement, les propositions du rapport ne sont que la reprise de recettes qui n'ont pas montré leur pertinence par le passé.
Ainsi les voies du renouveau ne sont qu'une série de recettes éculées : renforcement des exonérations de cotisations salariales, pérennisation du CIR et modérations salariales, pour utiliser les euphémismes de ce rapport. De plus le discours du coût du travail a largement été démonté par de nombreuses recherches ; pourtant, encore une fois comme depuis de nombreuses années, une des préconisations du rapport est une baisse de charges sur les salaires intermédiaires.
L'argument de l'écart de coût du travail entre l'industrie française et ses principaux partenaires ne suffit pas à expliquer pourquoi la France est le pays européen qui s'est le plus désindustrialisé depuis 10 ans.
Ce qu'il manque à la France, c'est de l'investissement productif, de l'investissement en innovation et de l'investissement en capital humain. Or, r éduire le coût du travail, c'est seulement augmenter le profit de l'entreprise et mettre à mal la protection sociale. Cela ne veut pas dire qu'elle sera plus compétitive.
Ainsi ce rapport, s'il y contient quelques pistes intéressantes, maintient les discours qui ont mené notre pays à la situation industrielle actuelle. Nous pensons au contraire que l'emploi, le pouvoir d'achat, la croissance, le développement de notre industrie ne sont pas les résultats des lois « naturelles » du marché, mais des objectifs à atteindre. Pour ce faire, l'État doit être organisateur, aménageur, entrepreneur.
* 186 E. Cohen, Quatre regards pour une nouvelle politique industrielle , Le Monde, 25 janvier 2018.
* 187 Rapport, page 192.