E. AUDITION DE M. HENRI POUPART-LAFARGE, PRÉSIDENT-DIRECTEUR-GÉNÉRAL D'ALSTOM (15 février 2018)

M. Alain Chatillon , président . - Monsieur le président-directeur-général, nous sommes heureux de vous accueillir. Nous sommes inquiets de l'avenir du groupe français que vous présidez. Nous avons effectué plusieurs visites de vos sites et nous souhaitons obtenir des précisions sur la situation dans laquelle il se trouve, votre volonté de faire en sorte, avec l'appui du Gouvernement, de défendre sa pérennité et le maintien de ses emplois, dès lors que le marché français du ferroviaire est fort et que des commandes sont encore à venir.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Nous étions à Munich il y a deux jours, où nous avons rencontré un membre de la direction de Siemens, avec lequel nous avons eu un débat franc et ouvert sur les conditions de la fusion entre Siemens et Alstom.

Il nous a apporté certaines réponses ; d'autres, en raison de la loi européenne antitrust, seront abordées publiquement par la suite.

Nous avons également visité les sites de Belfort et d'Ornans, dont la qualité nous a vivement impressionnés. Nous y avons rencontré les syndicats, que nous avons trouvés préoccupés par l'avenir de l'entreprise et, surtout, par l'accord avec Siemens.

Nous pensons, comme vous, que l'effet de taille est crucial dans le contexte de la concurrence mondiale et de l'émergence de géants, et qu'il est donc nécessaire d'opérer des rapprochements afin d'entrer dans cette nouvelle ère de la mondialisation dans les meilleures dispositions.

La question qui se pose est la suivante : ne peut-on pas parvenir à la taille critique sans payer le prix de la perte de contrôle d'un fleuron industriel comme Alstom ? Nous craignons que cela soit en train de se passer avec l'absorption d'Alstom par Siemens. Pourquoi avoir choisi Siemens, que l'on nous a décrit comme un « ennemi irréductible » d'Alstom sur les marchés, plutôt qu'un autre groupe, comme Bombardier, par exemple ?

Comment a été négocié ce rapprochement ? De quelles informations disposait l'État, qui était un acteur important grâce au prêt des actions possédées par Bouygues, et comment est-il intervenu ? Nous avons entendu dire que ce rapprochement aurait été impossible si l'État était resté au capital, en raison de l'opposition de Siemens. Confirmez-vous cela ? Comment peut-on expliquer que les modalités d'évaluation des actifs des entités permettent à Siemens de ne pas débourser d'argent dans l'opération ?

Quels sont les résultats attendus de cette fusion, qui ressemble à une absorption, dès lors que l'actionnaire allemand détiendra plus de 50 % des actions de l'ensemble ? Siemens nous a confirmé que vous resteriez à la tête du groupe et que celui-ci serait coté à Paris. Toutefois, dans un groupe, ce qui fait la différence, c'est le conseil d'administration !

Vous aviez indiqué antérieurement que l'opération créerait des synergies à hauteur de 470 millions d'euros. Comment ce chiffre a-t-il été calculé et dans quels domaines se trouvent ces synergies ?

À Ornans, nous avons appris que trois sites du nouveau groupe fabriquaient des moteurs, un en Allemagne et deux en France. Comment éviter les doublons, voire les « triplons », qui pourraient menacer certains sites ?

Vous expliquez que l'opération générerait de forts taux de valeur ajoutée, en particulier dans la signalisation. Ne craignez-vous pas que, dans ces domaines, la redondance l'emporte sur la complémentarité ?

Vous avez apporté des garanties pour quatre ans en matière d'emploi et de maintien de l'activité en France, mais leur consistance suscite des craintes compte tenu du tableau de commande d'Alstom et au vu du sous-investissement décrit par les syndicats dans les sites de Belfort et Ornans, au regard de sites similaires en Allemagne.

En France, les syndicats s'opposent unanimement à cette opération. Ce n'est pas le cas en Allemagne, où IG Metall a signé un accord avec Siemens. Doit-on y voir un indice que le nouveau groupe favorisera l'Allemagne plutôt que la France ? En France, avec ses douze sites, Alstom est un facteur d'équilibre dans des bassins d'emplois qui souffriraient en cas de fermeture.

M. Henri Poupart-Lafargue, président-directeur général d'Alstom . -Je vous avais rencontré dans un format différent le 11 octobre dernier.

Deux axes principaux permettent d'expliquer les raisons pour lesquelles nous avons mené cette fusion. Le premier a trait à la croissance très importante des marchés de notre secteur à travers le monde, dont Alstom a bénéficié. Son chiffre d'affaires est ainsi passé de 5 milliards à 8 milliards d'euros dans les cinq dernières années, avec des succès obtenus en Australie, en Amérique latine ou en Afrique. Cela a d'abord bénéficié aux sites français.

Cette croissance s'accompagne d'une demande de plus en plus forte de production locale et d'accompagnement local en ingénierie et en gestion de projets de la part des États et des régions. En Australie, ce sont même les États fédérés qui le demandent.

Nous devons donc atteindre une taille critique permettant une telle couverture mondiale grâce à un réseau de sites à travers le monde. C'est une course de vitesse dans laquelle nous sommes bien partis, comme Siemens ou le groupe chinois CRRC depuis 2014. Cette course désignera les deux ou trois grands acteurs globaux, qui seront Siemens-Alstom, CRRC et Bombardier ou Hitachi. Les autres resteront des acteurs régionaux. Ainsi, certains groupes japonais quittent aujourd'hui les États-Unis, alors qu'Hitachi a choisi d'être un acteur global. C'est ce groupe, par exemple, qui produit la signalisation des TGV en France.

Dans cette course à la globalisation, Siemens apporte cet effet de taille tout en étant complémentaire de nos implantations. Il est plus fort que nous en Chine, en Turquie, mais moins que nous en Inde, par exemple. Nous ne sommes en concurrence directe que sur 10 à 15 % des appels d'offres, soit moins qu'avec Bombardier.

Le deuxième axe est lié à l'avenir des transports. Nous sommes à la veille d'une révolution dans la mobilité. Les besoins non couverts sont énormes alors que, dans les grandes villes matures, les vitesses moyennes baissent. Nos déplacements continuent à émettre de plus en plus de CO 2 et, en ce qui concerne le diesel, des particules. Dans dix ans, le diesel nous posera peut-être le même problème que l'amiante aujourd'hui !

Personne ne peut prévoir la solution qui émergera. Dans le domaine de l'énergie, celle-ci a été globalement trouvée, les black-out sont rares et le renouvelable permet de résoudre de nombreux problèmes. Dans le domaine du transport, nous ne savons pas encore.

Nous savons seulement que la solution sera électrique, pour des raisons environnementales, soit de bout en bout, soit avec une solution intermédiaire, comme l'hydrogène. Nous travaillons d'ailleurs sur l'autoroute électrique. La solution sera également partagée, parce que c'est le seul moyen d'optimiser des infrastructures extrêmement chères et sous-utilisées.

Comment gérer ces nouvelles mobilités ? Grâce à quelle technologie numérique ? Avec quels types de véhicules ? Les axes principaux resteront ferroviaires, parce que c'est le mode le plus efficace en matière de capacités, d'énergie et d'emplacement au sol. Pour le reste, on ne sait pas.

Siemens nous est apparu comme le meilleur partenaire parce qu'il dispose d'une technologie numérique très importante. Bombardier est, par exemple, beaucoup moins avancé dans ce domaine. Selon nos analyses internes, Siemens nous est toujours apparu comme la meilleure option, à condition que cette alliance comprenne la partie numérique. Or il s'agit de la pépite du groupe, qui n'était pas sur la table dans le passé.

Vous nous dites « ennemis irréductibles », mais tout dépend du contexte. Dans le football, quand vous jouez pour l'OM, votre ennemi juré est le PSG, jusqu'à ce que vous soyez transféré et deveniez Parisien...

Nous sommes parfois en compétition, mais nous travaillons également ensemble, en coopération, et cela se passe bien. Nous travaillons d'ailleurs souvent avec Bombardier, et nos activités sont d'ailleurs beaucoup plus redondantes qu'avec Siemens. La solution que nous avons choisie était donc de loin la meilleure.

S'agissant du rôle de l'État et des actions de Bouygues, il est vrai que la transaction que nous proposons est unique et peut être vue sous différents angles.

D'une part, Siemens Mobility est racheté par Alstom. Les employés allemands de Siemens sont d'ailleurs également inquiets, parce que le siège social de la nouvelle entité est à Paris, que j'en serai le dirigeant et que les décisions opérationnelles seront prises à Paris. Siemens Mobility est en train d'être séparé du reste du groupe Siemens, physiquement, informatiquement et légalement. Il se passerait exactement la même chose si Siemens Mobility était vendu à un groupe qui ne garderait aucune attache avec le groupe Siemens.

D'autre part, à l'inverse, le groupe Siemens sera l'actionnaire de contrôle d'Alstom, via le conseil d'administration. Celui-ci, toutefois, ne prend pas de décisions opérationnelles, mais seulement de grandes décisions stratégiques. Si un arbitrage était nécessaire entre le site d'Ornans, par exemple, et un site allemand, la responsabilité en reviendrait à la direction du groupe, qui est en charge de la convergence des produits.

Reste, néanmoins, la question du contrôle. Cet équilibre est-il, en soi, une mauvaise chose ? Siemens est un grand groupe européen, qui s'inscrit dans la durée, avec une tradition industrielle et technologique très forte. Selon moi l'avoir comme actionnaire n'est pas une mauvaise idée.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Ne pensez-vous pas que l'on aurait pu parvenir à un équilibre parfait ?

M. Henri Poupart-Lafargue. - Les données de départ ne le permettaient pas. Aurait-il été préférable de trouver un équilibre actionnarial différent et de placer le siège social à Munich ? Même en me plaçant dans un point de vue franco-français, je n'en suis pas certain.

Il y a une vingtaine d'années, quand j'ai commencé chez GEC Alsthom, c'était un groupe franco-anglais. GEC et Alcatel ont vendu leur participation et la localisation du siège a joué un rôle très important pour faire d'Alstom un groupe français dans l'imaginaire collectif.

Nous sommes deux entités de même taille. Nous sommes cotés en bourse, Siemens Mobility est détenu à 100 % par Siemens. Siemens apporte son activité dans le panier, qui est un peu plus rentable que la nôtre, et en mélangeant nos deux activités, il se retrouve naturellement avec 50 % des parts. De même, Bouygues, qui possédait 30 % d'Alstom, obtiendra naturellement 14 % du nouveau groupe.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Le dirigeant de Siemens que nous avons rencontré nous a dit qu'il lui semblait normal de retrouver au conseil d'administration le même équilibre qu'entre les deux chiffres d'affaires des entités : 8 milliards d'euros pour Siemens Mobility, 7 milliards d'euros pour Alstom.

M. Henri Poupart-Lafargue. - C'est un sujet plus symbolique qu'autre chose. En effet, Siemens est légèrement plus profitable, et obtient donc la majorité au conseil d'administration. Un équilibre parfait, avec chacun 50 %, n'était pas possible. Siemens contrôle l'assemblée générale de l'entreprise, et donc son conseil d'administration. Sauf à trouver un acheteur pour 50 % de l'ensemble, il était impossible de trouver un autre schéma. Nous faisions ainsi, ou nous ne faisions rien.

Pour l'État, il aurait été inutile de posséder 5 % ou 10 %. Nous sommes très proches de l'État, comme acheteur et comme régulateur. Tant que des acteurs privés n'achèteront pas de métro, nous serons par définition proches des acheteurs publics ! Selon les termes de la transaction, il a toujours été clair que l'État n'interviendrait pas.

On peut jouer avec les hypothèses et se demander si Siemens aurait accepté que l'État impose d'avoir 5 % de l'ensemble. Dès le départ, la proposition de Siemens n'intégrait pas la participation de l'État, et celui-ci ne semblait pas considérer que c'était un point essentiel. L'équilibre de la gouvernance prévoit que l'opérationnel s'opère à Saint-Ouen, et que le contrôle soit Allemand.

M. Alain Chatillon , président . - Quelle est la structure du groupe Siemens, juridiquement ? Est-ce une fondation ?

M. Henri Poupart-Lafargue. - C'est une structure légale allemande parfaitement classique, cotée à la bourse allemande. Ils mettront en place des holdings entre le groupe Siemens et les 50 % qu'ils posséderont dans Alstom SA, comme ils le font pour une entreprise d'énergie éolienne en Espagne. Gérer des participations dans des groupes autonomes n'est pas pour lui une activité nouvelle.

M. Alain Chatillon , président . - Ma question concernait en réalité l'aspect fiscal. Les fondations bénéficient d'importants avantages fiscaux.

Sait-on ce que veut faire Bouygues aujourd'hui ?

M. Henri Poupart-Lafargue. - Bouygues s'est engagé à rester jusqu'à l'assemblée générale d'Alstom qui entérinera l'opération. Cela ne signifie pas pour autant que ses actions seront en vente le lendemain.

M. Alain Chatillon , président . - La date d'option de rachat des actions Bouygues par l'État a-t-elle bien été dépassée ?

M. Henri Poupart-Lafargue. - Tout à fait, elle était fixée en octobre dernier.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Soyons clairs, nous voyons positivement cet accord, mais nous nous interrogeons sur les conditions dans lesquelles il est intervenu. Nous sommes habitués au groupe Airbus, dans lequel les États sont présents sans que cela pose problème. Siemens est un vrai groupe industriel.

Nous sommes inquiets quand nous voyons ce qui se passe aujourd'hui dans la branche énergie d'Alstom, avec les dernières déclarations du nouveau PDG de General Electric. À Munich, nous avons vu combien les Länder sont liés à leur économie. Le PIB de la Bavière est plus important que celui des Pays-Bas, cela représente une puissance considérable. Nous ne nous demandons donc pas pourquoi vous avez choisi Siemens, mais pourquoi vous n'avez pas réalisé une sorte d'EADS du ferroviaire.

M. Henri Poupart-Lafargue. - Ce sont deux situations très différentes, dans la mesure où Siemens Mobility n'était pas un groupe indépendant. Il y a deux types de fusions. Quand deux groupes indépendants se marient, il s'ouvre un débat de personnes pour savoir qui sera le patron et où sera le centre de gravité. Dans notre cas, Siemens Mobility est une division du groupe Siemens, qui l'apporte à Alstom. Nous ne disposons pas d'un actionnaire français du même ordre et la situation est asymétrique, avec, d'un côté, une division d'un grand groupe et de l'autre, le groupe Alstom dans son entier. Le choix de faire autrement ne s'est donc pas présenté, et il n'existe pas de schéma alternatif qui le permette, car le seul actionnaire est Siemens !

Siemens a accepté un équilibre original, avec un actionnaire de contrôle, et le management opérationnel confié au groupe qui était déjà en place. Il n'a pas imposé l'entrée d'un certain nombre de ses hommes dans le comité exécutif, le siège social se trouve à Saint-Ouen, le groupe est coté à Paris. La seule question de personne qui s'est posée, c'est la mienne !

EADS est un très bon exemple, mais la question des nationalités se pose constamment et partout. J'espère que nous connaîtrons plus de sérénité, parce que chez nous, c'est clair : l'opérationnel est entièrement géré par la direction.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - L'État vous a-t-il suivi durant ces négociations ?

M. Henri Poupart-Lafargue. - Oui, depuis le premier jour du Gouvernement.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Selon l'accord, déséquilibré, entre Siemens et Alstom, c'est le conseil d'administration qui tranchera en cas de problème sur le capital.

M. Henri Poupart-Lafargue. - C'est une question d'actionnariat. Aujourd'hui, Alstom est sous le contrôle de Bouygues, qui dispose de 30 % des actions. Si Bouygues voulait me renvoyer, il le pourrait, puisque le rôle principal d'un conseil d'administration, c'est le choix du dirigeant. Or personne n'a posé ce genre de questions pour Bouygues. Devrions-nous considérer que Siemens est un mauvais actionnaire ?

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Non, nous souhaitons seulement qu'il soit à égalité.

M. Henri Poupart-Lafargue. - À égalité avec qui ?

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Avec vous !

M. Henri Poupart-Lafargue. - Mais je suis manager, je ne suis pas actionnaire ! Il me semble qu'il y a un débat sous-jacent ici. Si, à la place de Siemens, il s'agissait de Schneider, vous ne poseriez pas cette question. Siemens est un groupe allemand. Cela le conduira-t-il à prendre des décisions biaisées sur l'outil industriel ? Je ne le pense pas, parce que les gens sont plus rationnels qu'on ne le pense. L'outil industriel est tiré par les compétences, la qualité des personnes et le marché local. Nous avons racheté Fiat Ferroviaria, et le site italien s'en porte bien. Il en va de même en Espagne.

Je ne pense pas une seconde que les décisions de Siemens seront guidées par le fait qu'il est allemand plutôt que français. À l'inverse, il me semble courageux qu'il abandonne les décisions quotidiennes, par exemple sur l'attribution des marchés aux usines, à la direction opérationnelle du groupe à Paris.

Vous voyez la situation en termes de « partie allemande » et de « partie française », mais si Siemens garde le contrôle, il a confié à la « partie française » la gestion quotidienne. C'est courageux ! D'ailleurs, l'inquiétude est plus importante dans les sites allemands de Siemens que dans les sites français d'Alstom.

Mme Fabienne Keller . - J'ai trois questions. La première : comment se porte Alstom France, en termes de carnet de commandes ? Nous sommes deux ans avant la fusion, il faut que l'entreprise se porte bien d'ici là. Vous connaissez mon attachement en particulier au site de Reichshoffen, qui produit maintenant des trains régionaux. C'est un bout d'industrie comme nous n'en avons plus tellement en France. Ce site a en outre une grande importance pour l'emploi, pour le lycée professionnel, etc.

Pouvez-vous nous parler de l'ambiance qui règne dans vos relations avec Siemens, de manière plus qualitative ? Ressentez-vous de la confiance ?

Enfin, nous sommes tous en contact avec les syndicats qui sont très inquiets parce qu'ils disposent de très peu d'informations. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

M. Fabien Gay . - Nous avions déjà échangé, mais le débat d'aujourd'hui est différent. Vous nous aviez alors parlé de mariage entre égaux, et vous n'employez pas ces termes aujourd'hui. Martial Bourquin a parlé d'une « absorption », vous aviez réfuté le terme précédemment, mais vous ne l'avez pas fait aujourd'hui. Discutons-en ! Je vois une évolution dans votre discours, alors que certains journaux parlent même d'une donation d'Alstom à Siemens.

J'étais à Munich, nous avons beaucoup échangé et rencontré de nombreux acteurs. Nous ne sommes pas opposés aux coopérations entre les entreprises, alors que vous connaissez ma sensibilité communiste. Nous nous demandions s'il n'aurait pas été mieux de fonder un EADS du ferroviaire, vous y avez répondu. On aurait pu envisager également de fonder un groupement d'intérêt économique, un GIE, dans lequel chaque groupe garderait ses entités. Qu'en pensez-vous ?

La direction de Siemens nous dit que la fusion vous permettra d'être plus forts pour affronter la concurrence mondiale, en particulier CRRC. Ce raisonnement est pourtant contesté par certains économistes, qui relèvent qu'en fusionnant deux entreprises moyennes, on ne fait pas forcément un ogre, mais on laisse plus de place sur le marché.

Nous avons besoin de comprendre le vrai projet industriel qui est derrière cette fusion. Quels choix seront faits ? Privilégiera-t-on le TGV ou l'ICE ? Ces synergies, évaluées entre 380 à 470 millions d'euros, comprennent-elles des suppressions de postes ou de sites ? Les Bavarois nous l'ont dit : si trois sites font la même chose ; il faudra en privilégier un.

Enfin, la relation entre les syndicats français et la direction n'est pas comparable à la cogestion à l'allemande. Si IG Metall a signé, c'est qu'il a obtenu des garanties sur l'emploi. C'est cela qui nous alerte.

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont . - Nous avons entendu vos arguments, mais aussi ceux des représentants syndicaux, dont le discours unanime, de la CGT à la CGC, en passant par FO et la CFDT, indique à quel point ils sont inquiets. Comment entendez-vous prendre en compte leurs inquiétudes légitimes et y répondre ?

Mme Michèle Vullien . - Je suis attaché à Villeurbanne et à son site, qui fonctionne plutôt bien. Alstom est un beau fleuron, je suis membre d'un syndicat de transports publics et nous travaillons beaucoup avec vous. Les collectivités territoriales sont les donneurs d'ordres de ces marchés, nous sommes donc bien ensemble.

Vous parvenez à une taille importante, mais est-ce que Bombardier n'est pas en train de mijoter quelque chose avec CRRC ?

Mme Viviane Artigalas . - Je voudrais souligner l'importance de l'industrie dans les Hautes-Pyrénées. Pourtant, nous perdons régulièrement des emplois industriels. Ainsi, Vallourec a vendu certaines de ses activités à un groupe américain, mais le site de Tarbes n'a pas été repris, ce qui a suscité une grande émotion. Il est d'autant plus important qu'Alstom maintienne ses activités d'ingénierie et de production à Tarbes, qui pourraient même se développer.

Vous êtes en charge de la gestion opérationnelle, et donc de la stratégie industrielle. Celle-ci permettra-t-elle de maintenir à long terme, et pas seulement sur quatre ans, les sites et les emplois en France ?

M. Frédéric Marchand . - Comparaison n'est pas raison, mais une autre fusion récente vient à l'esprit, dont on parle moins, alors qu'elle engage autant de capitaux : Essilor et Luxottica. J'étais à Petite-Forêt quand vous êtes venu avec M. Bruno Le Maire annoncer la fusion, et nous avons bien senti la volonté des collaborateurs du groupe d'aller plus loin. M. Le Maire avait pris l'engagement de mettre en place un comité conjoint, où il siégerait avec son homologue allemand, afin de s'assurer que les clauses sociales contenues dans l'accord de fusion seraient respectées. Je ne doute pas que cela sera le cas, mais je souhaite savoir où en est ce processus. L'objectif est de répondre aux inquiétudes relayées par les syndicats concernant le niveau de commandes et l'emploi.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Nous sommes allés voir deux sites, nous en visiterons d'autres.

M. Henri Poupart-Lafargue. - Vous y serez bienvenus. Par coïncidence, il y en a un par région.

Revenons sur Alstom en France. La collaboration à l'intérieur des filières et avec les pouvoirs publics, notamment locaux, est très importante pour notre industrie. Il me semble que nous entretenons d'excellentes relations avec les différents acteurs locaux. Cette collaboration touche l'innovation et les centres de compétence - à Tarbes, pour la traction, à Villeurbanne, pour l'électronique - et l'articulation de la commande publique.

Nous avons aujourd'hui quelques difficultés de charge, qui alimentent l'anxiété. Celles-ci ne sont pas liées aux faits que le marché français ne serait pas bon, ou que nous échouerions à l'export, mais au fait que Bombardier est en situation de surcharge et de sous-capacité, depuis que 80 % des trains régionaux lui ont été commandés plutôt qu'à Alstom. On voit bien que l'impact de la commande publique, qui découle ici de décisions prises il y a une dizaine d'années, est très important.

Où en sommes-nous ? Les sites de Belfort et de La Rochelle se consacrent au TGV et sont dépendants du projet de TGV du futur, dont nous discutons de manière très adulte avec la SNCF. Nous nous sommes mis d'accord sur les objectifs, les coûts, l'innovation et sur le train lui-même. La commande dépendra de la visibilité qu'aura la SNCF sur le schéma global, nous attendons d'ailleurs le rapport de M. Spinetta à ce sujet d'un instant à l'autre. Je suis plutôt confiant. Ces sites auront peut-être des creux, mais si nous disposons d'une certaine visibilité à long terme, la situation deviendra plus favorable.

Les sites dits « composants » comme Villeurbanne, Tarbes, ou Saint-Ouen, résonnent des succès d'Alstom dans le monde ; les sites dits « intégrateurs » comme Reichshoffen, Belfort, Valenciennes ou La Rochelle vivent plutôt au rythme du marché français et de l'export sur financement français. Le site de Valenciennes est faible aujourd'hui, mais sera très fort demain, après la jointure entre le RER A et le RER E. Il est aujourd'hui très orienté vers l'ingénierie et moins vers la fabrication, mais celle-ci va considérablement monter en puissance.

À Reichshoffen, la situation est compliquée en raison de la question des commandes de trains régionaux. Nous nous battons à l'export : en Algérie, et nous venons de gagner à Dakar. Nous devons également réfléchir à la manière d'équilibrer les différents sites, afin que ceux qui connaissent une surcharge puissent transférer la charge vers d'autres.

Reichshoffen, lui, est spécialisé dans les trains régionaux mais nous pourrions aussi y faire des trains urbains. La grande spécialisation de Reichshoffen, c'est le calcul de caisses et la simulation du comportement en fonctionnement des trains. Si l'avenir du site n'est aucunement en cause, il nous faut pérenniser sa charge, ce qui se fait plus automatiquement à Valenciennes, Belfort ou La Rochelle. Notre avenir en France, sur le long terme, dépend très fortement de la collaboration avec la filière et avec les pouvoirs publics - que nous ne considérons pas simplement comme des donneurs d'ordre, mais aussi comme des partenaires à part entière.

La fusion avec Siemens est à hauts risques. Ma première crainte est celle d'une désorganisation de l'entreprise. Je m'efforcerai donc avant tout de bien faire fonctionner ensemble les deux entités pour s'assurer que nos clients ne pâtissent pas de la fusion. Les syndicats ont parlé de tensions entre Roland Busch et moi-même. Ce dernier est pourtant une personne agréable et directe, et nous n'avons aucun différend sur la vision ni sur l'objectif. Certes, l'équilibre n'est pas facile à trouver en termes de gouvernance, mais la frustration des syndicats est assez paradoxale. En France, ils sont unanimes à dénoncer un manque d'information de la part de Siemens. Ce manque s'explique d'abord par la loi européenne en matière de concurrence, qui est pour tous une frustration quotidienne : nous ne pouvons pas avoir beaucoup de contacts avec Siemens France, et l'alchimie humaine a donc plus de mal à prendre. Nous ne pouvons pas non plus nous échanger des informations confidentielles car, jusqu'au dernier jour, nous sommes concurrents. Les représentants de Siemens qui ont rencontré nos syndicats français ne viennent pas de Siemens mobilité. Aussi ont-ils botté en touche face aux questions des syndicats. D'où une certaine incompréhension. Actionnaire, Roland Busch ne pouvait leur apporter les assurances qu'ils réclamaient sur la stratégie industrielle. La presse a donc eu tendance à présenter Alstom comme le camp des gentils et Siemens comme celui des moins gentils. En fait, nous avons un rôle plus facile, puisque c'est nous qui allons être aux commandes ! Futur patron de l'ensemble, je peux, à défaut d'indications précises sur tel ou tel site, parler du processus, de la culture qu'on va insuffler... Je m'étonne comme vous que les syndicats français soient moins positifs aujourd'hui qu'au début.

Les GIE sont très complexes à gérer ; mieux vaut une unité actionnariale claire. Airbus a d'ailleurs été fusionné - et reste très compliqué à gérer. Nous souhaitons développer le dialogue social et le dialogue industriel. La limite est fixée par les normes européennes. Le processus syndical se termine officiellement aujourd'hui. L'opinion exprimée sera négative mais je ne considère pas que c'est la fin de l'histoire : cette opération prendra plus d'un an et j'espère qu'au fur et à mesure, nous serons capables d'apporter les réponses réclamées. C'est à la direction d'Alstom de le faire : Roland Busch n'est pas en charge de la mobilité.

Le partenariat entre Bombardier et CRRC pose des questions stratégiques, c'est vrai. Les économistes se demandent s'il faut conclure l'opération avant ou après. Peut-être que Bombardier discute avec CCRC : je n'en sais rien. Nous avons aussi exploré cette option. Comme nous sommes partis avec Siemens, Bombardier se retrouve seul sur le dancing floor ... Bien sûr, un rapprochement entre Siemens et Alstom est moins complexe qu'avec Hitachi ou CRRC.

Le fait d'être proche du site de Crespin est un point positif. Mais si nous nous étions mariés avec Bombardier, la probabilité que l'Union européenne nous demande de vendre un des sites français était très forte car nous aurions acquis une sorte de monopole en France. Du coup, l'alliance avec Bombardier aurait été plus complexe à gérer pour notre outil industriel.

Le fait que nous ne puissions pas exporter des trains en Chine est un point très négatif. De même, il n'est possible ni pour Alstom ni pour Siemens d'exporter de la signalisation au Japon. Le marché japonais est fermé, le marché chinois est fermé...

M. Alain Chatillon , président . - Et l'Europe est très ouverte !

M. Henri Poupart-Lafarge . - Il y a des asymétries, mais je suis pour l'ouverture.

Mme Fabienne Keller . - Et les fournisseurs européens ?

M. Henri Poupart-Lafarge . - Il existe un Buy European Act , qui permettrait aux donneurs d'ordre d'imposer un minimum de 50 % de production dans l'Union européenne. Mais il n'est jamais utilisé. L'Agence japonaise de coopération internationale (JICA) est devenue de plus en plus restrictive et favorise désormais les exportations à partir du Japon. Les instruments de financement sont indispensables ; en France, ils fonctionnent. Cela fait partie de l'écosystème de la filière ferroviaire. Nous avons besoin de références en France, car la France est le lieu où nous lançons nos nouveaux produits. Si la RATP n'achète pas Aptis, celui-ci aura beaucoup de mal à survivre. La filière ferroviaire est une filière industrielle qui comporte des prolongements jusqu'aux opérateurs, jusqu'aux pouvoirs publics.

M. Alain Chatillon , président . - Merci.

M. Martial Bourquin , rapporteur . - Nous avons peu abordé la sous-traitance. Quel sera l'impact de la fusion sur celle-ci en France ?

M. Henri Poupart-Lafarge . - Nous vous transmettrons des documents qui montrent comment nous accompagnons les sous-traitants français chez nous et à l'étranger.

M. Alain Chatillon , président . - Nous vous souhaitons d'être nommé président à vie pour que vous puissiez tenir tous les engagements que vous avez pris !

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