CONCLUSION

Après analyse des ouvertures et annulations de crédits proposées par le présent projet de décret d'avance, il apparaît que sa conformité à la loi organique est établie : les plafonds d'ouvertures et d'annulations ne sont pas dépassés, l'équilibre budgétaire défini par la loi de finances initiale n'est pas modifié et l'urgence est avérée au regard tant de la nécessité de l'ouverture des crédits que de leur caractère imprévu pour l'actuel Gouvernement, qui ne saurait être tenu responsable des biais de construction du projet de loi de finances pour 2017.

Les conditions de régularité organiques du projet de décret d'avance

Source : commission des finances du Sénat

La commission des finances du Sénat a donc rendu un avis favorable , fondé sur la régularité du projet de décret au regard de la loi organique, malgré de fortes réserves sur certaines annulations, en particulier celles portant sur la mission « Défense » , au sujet desquelles les précisions apportées par le Gouvernement en réponse au questionnaire du rapporteur général ne sont pas apparues à la hauteur des enjeux.

Cependant, le montant exceptionnel des ouvertures prévues par ce décret d'avance - qui constitue une preuve supplémentaire de l'absence de cohérence et de crédibilité du budget 2017, qui avait conduit le Sénat à refuser de l'examiner - doit alerter quant aux risques liés, pour le Parlement, à un usage intensif des outils réglementaires en matière budgétaire.

Le ministre de l'action et des comptes public Gérald Darmanin a indiqué en séance, à l'occasion du projet de loi de règlement et d'approbation des comptes pour 2016 et du débat d'orientation des finances publiques pour 2018, que le nouveau Gouvernement ne recourrait plus aux décrets d'avance ni à la méthode du « rabot » , consistant à tenter de maîtriser les dépenses par des annulations généralisées d'un faible montant et non par une politique de réforme structurelle et de redéfinition du périmètre d'action de l'État.

La commission des finances sera particulièrement attentive à ce que cet engagement soit respecté .

EXAMEN EN COMMISSION

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - La commission des finances a reçu mardi dernier un projet de décret d'avance portant ouverture et annulation de crédits à hauteur de 2,8 milliards d'euros en autorisations d'engagement et de 3 milliards d'euros en crédits de paiement. Conformément à l'article 13 de la loi organique relative aux lois de finances, nous devons faire connaître notre avis au Premier ministre dans un délai de sept jours à compter de la notification du projet de décret.

Le recours au décret d'avance constitue une exception au principe de l'autorisation parlementaire des crédits. La loi organique relative aux lois de finances définit quatre conditions de validité du recours au décret d'avance : les annulations doivent être au moins égales aux ouvertures, pour ne pas affecter l'équilibre budgétaire défini par la dernière loi de finances ; les montants de crédits ouverts ne doivent pas dépasser 1 % des crédits prévus en loi de finances initiale et les crédits annulés ne peuvent être supérieurs à 1,5 % des crédits ouverts par les lois de finances afférentes à l'année en cours.

Ces critères, mathématiques, sont respectés.

Celui de l'urgence, lui, est plus qualitatif. Je rejoins la Cour des comptes pour dire que l'urgence cumule nécessité d'ouvrir des crédits et imprévisibilité des besoins, ce qui exige un examen détaillé des ouvertures.

Ce décret d'avance est d'une ampleur inédite : jamais, depuis 2006, on a ouvert autant de crédits par ce moyen.

M. Claude Raynal . - Nous y voilà !

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Il faut dire que le Gouvernement hérite d'une situation difficile.

Les ouvertures prévues visent à financer huit types de dépenses : 1,5 milliard d'euros vont à la recapitalisation de la holding Areva ; 640 millions d'euros des ouvertures, concernent les Opex des armées ; l'allocation pour demandeur d'asile exige près de 220 millions d'euros supplémentaires ; le plan d'urgence pour l'emploi requiert l'ouverture de 260 millions d'euros également. Autres ouvertures que la commission des finances est habituée à examiner en décret d'avance : 122 millions d'euros au titre de l'hébergement d'urgence, environ 100 millions d'euros pour la lutte contre les crises sanitaires agricoles et 63 millions d'euros pour les dépenses du service civique. Enfin, 160 millions d'euros sont prévus au titre de l'acquisition d'un immeuble par l'Insee.

La plupart de ces ouvertures sont liées à des sous-budgétisations que nous avions déjà identifiées en loi de finances initiale. Il est donc difficile d'affirmer que les dépenses sont imprévisibles.

Cependant, le Gouvernement ne peut pas être tenu responsable des biais de construction du dernier projet de loi de finances et les dépenses que le décret d'avance vise à financer sont nécessaires, c'est incontestable.

J'évoquerai rapidement les annulations de crédits permettant de gager les ouvertures. Ces annulations portent sur la quasi-totalité des missions et des ministères à l'exception des outre-mer. En crédits de paiement, les ministères les plus touchés sont l'intérieur, les affaires étrangères et la défense. Ces annulations prennent un relief particulier alors que nous avons appris ce matin la démission du chef d'état-major des armées.

Les annulations sur les missions régaliennes sont importantes, mais pas insoutenables. À ce stade de l'année, il est difficile de porter un jugement définitif. C'est surtout l'ampleur et la répartition du schéma de fin de gestion, en novembre, qui permettra de savoir si les choix faits par le Gouvernement sont restés mesurés et raisonnables.

Il faut noter que le Gouvernement a fait le choix de n'annuler aucun crédit sur la mission « Crédits non répartis », ce qui lui laisse quelques marges de manoeuvre pour la fin de l'année.

Contrairement aux précédents décrets d'avance que nous avons examinés, les annulations ne sont pas artificielles ni de pure forme.

Comme d'habitude, une partie importante des annulations porte sur des crédits gelés : environ quatre cinquièmes des crédits annulés étaient mis en réserve.

Un décret d'annulation nous a également été transmis ; nous n'avons pas à nous prononcer dessus, bien que les annulations participent de l'économie générale du schéma d'ouvertures et de « coupes » prévues par le Gouvernement. La proportion des crédits annulés varie entre les missions ; au total, elles ne représentent que 0,5 % des autorisations d'engagement et 0,2 % des crédits de paiement du budget général.

Pour conclure, les dépenses sont toutes urgentes au sens où les crédits seront nécessaires avant le dépôt et l'examen du projet de loi de finances rectificative de fin de gestion. La plupart des ouvertures n'étaient pas imprévisibles dans l'absolu, mais si l'on veut être objectif, on ne peut pas tenir rigueur à ce Gouvernement des choix faits dans le projet de loi de finances pour 2017.

Le choix des dépenses sur lesquelles portent les annulations peut prêter à discussion.

Ce décret d'avance conforte en tous cas ce que la majorité sénatoriale n'a cessé de dire : le budget 2017 était entaché de biais de construction extrêmement importants.

Je vous propose de rendre un avis favorable sur ce projet de décret d'avance, avec de très fortes réserves sur les annulations de crédits touchant le ministère des armées.

M. Dominique de Legge . - Laissez-moi vous dire notre incompréhension la plus totale concernant la politique de défense du Président de la République. Les choses avaient pourtant plutôt bien démarré. Le Président de la République remonte les Champs-Élysées sur un command car , il rend visite aux soldats blessés à l'hôpital de Percy, son premier déplacement se fait sur une Opex, et le 14-Juillet est un très bel hommage rendu aux militaires.

Mais avec les arbitrages budgétaires affectant la défense, nous n'y comprenons plus rien. On ne peut pas se moquer des militaires, faire de beaux discours, montrer de belles images - et prendre des décisions contraires.

Le budget de la défense, c'est environ 10 % du budget général. Or l'effort demandé à la défense représente 20 % de l'effort total. Cela signifie que, clairement, la défense n'est pas une priorité, et que le Président de la République renie sa promesse de tendre vers un budget de la défense porté à 2 % du PIB.

On ouvre 643 millions pour les Opex : là encore, on se moque de nous ! Tout le monde sait bien que le surcoût des Opex est plus proche 1,2 milliard d'euros que d'un milliard. Avec cette avance, 200 millions d'euros manquent encore. Une fois de plus, ce sera le ministère des armées qui devra les trouver.

Le ministre de l'action et des comptes publics ne m'a pas répondu sur les 2,7 milliards d'euros de crédits gelés - je crains donc que ces crédits ne soient pas dégelés et le ministère des armées sera amputé de 10 % environ de ses moyens.

J'en conclus donc que, malgré ce décret d'avance, le budget des armées sera non seulement insuffisant mais aussi insincère. C'est une faute politique grave.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général. - L'avis de la commission des finances est très détaillé pour ce qui concerne la mission « Défense ».

Je précise que, à la réception de chaque décret d'avance, j'adresse instantanément un questionnaire très détaillé au Gouvernement.

À ma question portant sur la nature des 850 millions d'euros de crédits annulés sur la mission « Défense », on m'a répondu que cette décision n'aurait pas d'impact sur le l'engagement pluriannuel des programmes d'équipement, qu'elle limitait seulement la capacité des paiements, et conduirait le ministère à revoir sa programmation annuelle, sans précision. Cette réponse est un verbiage technocratique qui permet... de ne pas répondre. Quels achats seront concrètement reportés : des gilets pare-balle, des équipements pour l'opération Sentinelle ? On ne le saura qu'avec le schéma de fin de gestion.

Je propose donc d'ajouter à l'avis de la commission des finances sur ce projet de décret, un alinéa soulignant le caractère insuffisant de l'information apportée par le Gouvernement au Parlement sur les annulations portant sur le budget des armées.

M. Vincent Delahaye . - Je partage la plupart des observations du rapporteur général. Le Gouvernement avait annoncé 4,5 milliards d'euros d'économies. J'avais compris que les 3 milliards d'euros d'annulation de crédits entraient dans cette somme.

Le Gouvernement nous expliquait également que certaines annulations toucheraient la politique des emplois aidés. Or on apprend que 13 000 seront créés.

Tout cela donne une impression de flou, confirmée par la réponse de l'administration aux questions du rapporteur général. J'espère vraiment que les nouveaux ministres ne vont pas se laisser prendre en main par Bercy. Le flou artistique n'est pas possible quand il s'agit de finances !

L'ouverture de 3 milliards d'euros de crédits se fait au profit d'Areva, c'était une urgence, mais aussi des Opex, comme d'habitude sous-budgétisées.

Je suis très surpris de l'écart entre ce que dit le Gouvernement et ce qu'il nous présente aujourd'hui - en particulier, je ne retrouve pas les 4,5 milliards d'euros annoncés. Qui plus est, l'absence de réponse du Gouvernement est tout simplement vexante.

J'exprime donc moi aussi de très fortes réserves sur le décret d'avance, même si nous ne pouvons que l'accepter.

M. Claude Raynal . - Permettez-moi de regretter, en tant que citoyen, la démission du chef d'état-major des armées. C'est le symptôme d'une crise entre le Président de la République et les armées que nous souhaitons ne pas revoir.

Dominique de Legge connaît parfaitement cette mission. Je ne me permettrai pas de faire de commentaires particuliers. Je dirai seulement qu'il y a un non-dit, quand on parle d'Opex, qui veut que la part restant à financer, en fin d'exercice, fasse l'objet d'un effort interministériel. Il ne faut pas toujours utiliser le terme de « sous-budgétisation » : il s'agit en l'espèce d'un effort de solidarité de la part de tous les ministères. Il est clair que ces annulations font une victime : le budget de la défense.

Quant à l'ampleur inédite des ouvertures de crédits dont vous parlez, Monsieur le rapporteur général, elle m'amuse. On se croirait sur Facebook ! Vous avez le don de présenter des graphiques toujours frappants : la sphère représentant le décret dont nous parlons est toute rouge !

M. Michel Canevet . - Eh oui, c'est un boulet !

M. Claude Raynal . - Or, sans la recapitalisation d'Areva, la boule se dégonfle et descend sous la moyenne !

M. Philippe Dallier . - Mais nous savions que cela allait arriver !

M. Claude Raynal . - Ce décret d'avance est donc d'une ampleur tout à fait classique, hors Areva. Il n'est d'ailleurs pas sûr que le gouvernement précédent, s'il avait été reconduit, aurait traité ainsi ce problème.

M. Jacques Chiron . - Cela fait dix ans qu'on en parle !

M. Claude Raynal . - Certes, mais savait-on le montant exact de la recapitalisation nécessaire lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2017 ? J'en doute. Il y avait d'autres moyens pour arriver au même résultat. La Caisse des dépôts et consignations aurait pu, par exemple, porter des actions d'Areva pendant un certain temps.

La vérité est que le Gouvernement a voulu charger le gouvernement précédent, en organisant une forme de purge. C'est la même chose au plan local : chaque fois qu'un nouveau maire est élu, il charge l'équipe précédente de tous les maux et fait passer les dossiers les plus lourds dès le début de son mandat.

Le rapporteur général s'est permis une incise pour justifier le refus de la commission d'examiner le budget 2017. La vérité, c'est que vous ne vouliez pas proposer de budget alternatif alors que la primaire de la droite et du centre battait son plein ! Vous aviez alors des visions budgétaires totalement différentes. Alors, de grâce, ne refaisons pas l'histoire !

M. Éric Doligé . - Lorsqu'une commission entend le chef d'État-major des armées, ce dernier ne doit apparemment pas répondre à ses questions. Lorsque le rapporteur général du Sénat pose des questions à l'administration sur les annulations de crédits de la mission « Défense », il n'a pas de réponse. J'en conclus que le Parlement n'est probablement pas autorisé à s'intéresser de près au budget des armées !

Entre la recapitalisation d'Areva et les sous-budgétisations, ce sont 3 milliards d'euros qu'il faut trouver. Étrangement, dans le même temps, la même somme est exigée des collectivités territoriales, qui devront trouver non plus 10 milliards d'euros, mais 13 milliards d'euros. Il est facile de demander aux collectivités territoriales des efforts toujours plus importants. Mais ne serait-ce pas pour compenser la dérive du budget l'État ?

M. Maurice Vincent . - Le choix de recapitaliser l'ensemble de la filière nucléaire a été partagé par tous ou presque. C'est un choix qui nous coûte 7,5 milliards d'euros, Areva et EDF compris. Il est dû à la déconfiture du secteur, qui s'est produite avant 2012, ainsi que je l'ai indiqué dans mon rapport spécial.

Ce choix est industriel, technologique, environnemental et même diplomatique. Cette dépense ne peut pas surprendre. Pour des raisons techniques, il fallait la faire maintenant, pour bien séparer cette recapitalisation de la somme déboursée pour Areva SA. Sur ce point, on ne peut rien reprocher au Gouvernement, ni à l'ancien d'ailleurs. La construction des surgénérateurs aura probablement aussi un coût supplémentaire. Mais là encore, c'est un choix assumé par tous.

Sur la mission « Défense », le qualificatif d'« insincère » me paraît dangereux. Le Premier président de la Cour des comptes a évoqué des « éléments d'insincérité » dans le budget 2017 ; s'ils suffisent pour dire que le budget est insincère, alors tous les budgets le sont depuis 2009, en tout cas pour ce qui concerne les Opex !

Enfin, je crois que ce serait faire un procès d'intention au Gouvernement que de fonder un jugement définitif sur la seule l'annulation de 850 millions d'euros de crédits de la défense : l'objectif demeure bien d'atteindre les 2 % du PIB en 2025. Les réponses données à vos questions peuvent apparaître techniques voire dilatoires, Monsieur le rapporteur général, mais le décalage dans le temps de la dépense de 850 millions d'euros ne préjuge pas du niveau atteint en 2025.

M. Michel Canevet . - Je trouve certains commentaires bien durs : n'oublions pas que le Gouvernement hérite d'une situation difficile, qui lui impose de trouver des crédits en toute urgence. Les 850 millions d'euros annulés concernent les équipements des forces armées et portent sur des crédits déjà mis en réserve. L'importance de maintenir les opérations de nos troupes à l'extérieur prévaut.

C'est donc un décret d'avance d'une ampleur modeste si on enlève Areva, au regard en tout cas de l'audit de la Cour des comptes. À cette aune, je n'imaginais pas un effort budgétaire qui ne touche pas également les ministères régaliens.

Nous remarquons néanmoins, dans le budget relatif à la direction de l'action du Gouvernement, que sur une somme de 115 millions d'euros prévue pour le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, 100 millions d'euros n'ont été ni engagés ni dépensés l'année dernière. Il est donc urgent que le Gouvernement trouve des solutions pour utiliser mieux les crédits votés.

M. Francis Delattre , président . - Sur Areva, le procédé semble un peu rapide, mais enfin, s'il faut le faire...

Je suis sensible aux propos du rapporteur général et du rapporteur spécial de la mission « Défense » sur les annulations de crédits.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Je vous propose que nous insérions un alinéa déplorant l'absence d'information transmise sur l'impact précis des annulations sur le programme d'équipement des armées.

Le Président de la République veut revaloriser les fonctions de contrôle du Parlement. Cela commence par la diffusion d'une information de qualité à la commission des finances, et cela passe par le fait que les gestionnaires de programmes s'exprimant à huis clos n'aient pas à regretter de l'avoir fait.

Je vous propose donc d'émettre un avis favorable à ce projet de décret d'avance, donc, avec beaucoup de réserves sur les annulations frappant le budget de la défense.

La commission a donné acte de sa communication au rapporteur général et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information ; elle a adopté l'avis favorable sur le projet de décret d'avance.

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