B. DES ENJEUX DE COMPÉTITIVITÉ ET DE SOUVERAINETÉ

1. Un instrument d'influence dans un environnement fortement concurrentiel
a) Une forte concurrence des systèmes nationaux de normalisation

Chaque État dispose de son propre modèle de normalisation qui produit ses propres normes ou peut susciter, au niveau international ou européen, l'ouverture de travaux sur la mise en place de nouvelles normes, en mettant en avant ses propres solutions techniques .

DE NOMBREUX ORGANISMES NATIONAUX DE NORMALISATION

De nombreux États ont opté pour des systèmes de normalisation nationaux centralisés , avec un organisme unique en charge d'assurer l'élaboration des normes au niveau national ainsi que la participation aux travaux européens ou internationaux de normalisation. Tel est le cas notamment de l'Allemagne et du Royaume-Uni, et plus récemment, de la Chine.

Créée en 1901, la British Standards Institution (BSI) est reconnue comme l'organisme national de normalisation du Royaume-Uni et, à ce titre, représente son pays dans les organisations internationales et européennes de normalisation. La BSI est une organisation sans but lucratif ne distribuant pas de profit et offrant des services au plan mondial dans les domaines afférents à la normalisation, l'évaluation des systèmes, la certification des produits, la formation et les services de conseils.

Le Deutsches Institut für Normung (DIN) est l'organisme national de normalisation pour l'Allemagne. Organisme privé ayant le statut d'organisation à but non lucratif, il rassemble des membres issus de l'industrie, des organisations professionnelles, des autorités publiques et des organismes de recherche. Il est financé principalement par la vente de ses normes, et plus marginalement par des financements privés et publics, ainsi que par les droits d'entrée de ses membres. Le DIN élabore des normes au niveau national, et représente les intérêts allemands dans les organismes internationaux et européens de normalisation (ISO et CEN).

Créée par le Conseil d'État chinois en 2001, la Standardization Administration of China (SAC) est chargée de la supervision et la coordination d'ensemble des activités de normalisation en Chine. Au niveau national, elle élabore et procède à la révision et à la modernisation des normes appliquées en Chine. Au niveau international, elle représente le pays au sein de l'ISO, de l'IEC et d'autres organisations internationales et régionales de normalisation, où elle organise la coopération internationale et l'échange de projets sur la normalisation.

D'autres pays ont opté pour un système plus décentralisé de normalisation , comme c'est le cas aux États-Unis. Ceux-ci disposent en effet de grands instituts de normalisation et certification privés qui font autorité dans certains secteurs d'activité : l' American Society for Testing and Materials (ASTM), l' American Petroleum Institute (API), l' American Society of Mechanical Engineers (ASME) ou l' Institute of Electrical and Electronics Engineers (IEEE), sur lesquels l'American National Standards Institute (ANSI) assure une coordination relative.

Ces différents acteurs nationaux se livrent à une véritable course pour être à même de proposer avant d'autres l'ouverture de travaux dans les organismes européens ou internationaux de normalisation dans certains domaines.

Lors de son audition, Mme Ludivine Coly-Dufourt, directrice de l'Association Léo Lagrange pour la défense des consommateurs (ALLDC), a notamment mis en exergue la concurrence entre l'Australie et le Canada pour la mise en place de travaux de normalisation portant sur l'économie collaborative.

L'activisme des acteurs allemands a par ailleurs souvent été évoqué devant votre rapporteur. Ainsi, le Bureau de normalisation du gaz a mis en exergue, dans sa contribution écrite, l'initiative récente et très structurée de l'Allemagne pour normaliser tous les domaines du stockage d'énergie. En outre, il a été indiqué que les acteurs allemands avaient lancé plusieurs initiatives afin de définir des normes d'assurance pour les véhicules autonomes. Ce faisant, ils se mettent en mesure d'influencer les conditions de mise en jeu de la responsabilité en cas d'accident, alors même qu'il n'existe à ce jour aucune législation ou réglementation harmonisée sur ce point au plan européen ou mondial. Or, les normes qui seront par la suite adoptées pourront, le cas échéant, fournir une base à de prochaines réglementations au plan européen ou international, qui pourraient conforter les choix allemands.

De même, dans sa contribution écrite, le Bureau de normalisation du pétrole a mis en avant la problématique de la normalisation des matériels d'exploration ou de production du pétrole et de la place majeure occupée par l'American Petroleum Institute (API), instance de normalisation américaine, dont les membres sont en grande majorité des compagnies américaines . Or, en France, le monde parapétrolier et gazier regroupe des centaines d'entreprises qui n'ont pas toutes les moyens de suivre les travaux de l'API. Il existait jusqu'en 2012 une coopération entre l'API et l'ISO assurant la reprise sous normes EN/ISO des normes API. Toutefois, ce mécanisme n'a aujourd'hui plus cours, de telle sorte que les normes ne sont aujourd'hui plus alignées et que les entreprises intéressées par ces normes sont poussées à envoyer leurs experts dans les groupes de travail API. La contrainte pour les entreprises non américaines et en particulier les PME et TPE devient importante.

Cette situation fournit un exemple de concurrence directe d'un système privé américain avec l'ISO qui montre l'importance pour tous les acteurs du monde économique mais aussi pour les autorités de prendre pleinement conscience des enjeux et de promouvoir la reconnaissance de la normalisation internationale ISO et la participation à ses travaux.

Un système d'influences nationales multiples détermine donc, in fine , la norme volontaire qui sera définie au niveau européen ou international.

b) La stratégie « hégémonique » des organismes européens et internationaux de normalisation

L'influence des acteurs nationaux au sein des instances européennes ou internationales de normalisation est d'autant plus cruciale compte tenu de l'essor de l'activité de normalisation supranationale .

Lors de son audition, Mme Anne Penneau, professeur de droit privé à l'Université de Paris 13, a ainsi indiqué que l'ISO avait lancé une « stratégie hégémonique » visant à investir tous les domaines du normatif . La communication de la Commission européenne en la matière du 1 er juin 2011 33 ( * ) , conforte cette orientation au niveau européen. Cette stratégie est d'ailleurs renforcée par l'absence de concurrence entre les organismes supranationaux de normalisation. Un accord conclu à Vienne en 1991 entre l'ISO et le CEN est venu limiter les risques de concurrence entre les normes supranationales en prévoyant un mécanisme de dessaisissement d'un des deux organismes lorsque ceux-ci travaillent sur de mêmes sujets.

L'ACCORD DE VIENNE ENTRE L'ISO ET LE CEN

Cet accord reconnaît la primauté des normes ISO sur les normes issues du CEN, conformément aux règles fixées par l'Organisation mondiale du commerce, tout en reconnaissant les besoins de normalisation au niveau européen, notamment dans la réalisation du marché unique au sein de l'Union européenne. À cette fin, il met en place un système d'information et de notification réciproques ouvrant, notamment, la possibilité d'une approbation réciproque de documents établis dans l'un ou l'autre organisme .

Pour ses concepteurs, ce système permet d'accroître la transparence globale des travaux de normalisation, en permettant aux acteurs des différents organismes, le cas échéant, d'exercer une influence sur l'élaboration des normes concernées, d'éviter des normes concurrentes et des travaux de réflexion parallèles inutiles et, enfin, de réduire les délais d'élaboration des normes.

Son poids dans la normalisation est d'autant plus important que les normes développées au niveau supranational peuvent ensuite être reprises dans les législations nationales ou européennes . C'est même, d'ailleurs, une obligation s'agissant des normes élaborées par le CEN et le Cenelec.

En effet, selon le Guide CEN/Cenelec n° 1 relatif au statut des normes européennes :

- l'adoption d'une norme européenne impose aux membres nationaux du CEN ou du Cenelec de reprendre celle-ci dans leur collection nationale et de supprimer toute norme nationale contraire dans un délai déterminé ;

- les membres nationaux du CEN ou du Cenelec ne peuvent publier de nouvelles normes nationales ou des normes nationales révisées qui méconnaitraient une norme européenne publiée ou en cours d'élaboration. Toutefois, certaines dérogations à cette obligation peuvent être accordées à titre exceptionnel par le CEN ou le Cenelec. Cette règle est, en application de l'article 3 du règlement (UE) n° 1025/2012 du 25 octobre 2012 relatif à la normalisation européenne, une obligation juridique s'agissant des normes harmonisées définies par les organismes européens de normalisation à la demande de l'Union européenne.

Or, compte tenu des modalités d'adoption des normes à l'ISO comme au CEN, 34 ( * ) Coop BN a indiqué à votre rapporteur qu' il est quasiment impossible d'empêcher un projet de norme d'arriver jusqu'au bout du processus. Ainsi, le rapport de la mission d'évaluation du Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique estime qu'au niveau du CEN, près de 99 % des normes relevant du secteur du bâtiment sont adoptés, en partie en raison du comportement de certains États membres qui acceptent ou s'abstiennent systématiquement lors des votes sur les normes. 35 ( * )

C'est donc dès l'inscription d'un nouveau sujet de normalisation que les membres nationaux des organismes européens ou internationaux de normalisation doivent se positionner pour éviter la création d'une norme inutile, voire dangereuse, pour les acteurs économiques de certains pays. Et cette mobilisation doit être efficace.

Pour ce faire, il faut, d'une part, fédérer les acteurs au sein de chaque système national de normalisation pour arrêter une position commune claire, seule susceptible de peser dans les travaux d'élaboration de ces normes. De l'avis de la plupart de personnes entendues, les acteurs français sont souvent moins soudés à cet égard que d'autres, à commencer par les Allemands, ce qui est regrettable.

D'autre part, isolément, chaque acteur national n'est pas en état de peser suffisamment sur les travaux de normalisation à l'international, sauf dans un secteur où il est historiquement fort, comme c'est le cas des États-Unis, par exemple, en matière de technologies liées à Internet. Le système de vote retenu à l'ISO - avec une seule voix attribuée à l'organisme représentant un pays quel que soit son poids économique ou démographique - rend les stratégies purement individuelles vouées à l'échec.

Cette situation explique en partie le fait que l'ISO poursuive ses travaux d'élaboration de normes alors même que ceux-ci sont contestés dans leur principe par un certain nombre de pays. Tel est le cas, en particulier, de l'élaboration de la norme ISO 45001 relative à la santé et la sécurité au travail. La France, aux côtés d'autres pays et de l'Organisation internationale du travail (OIT), a manifesté son opposition à ce projet, engagé en 2013. Or, malgré deux rejets successifs en 2014 et 2016 par les États participants, il a été décidé, lors d'une réunion de l'ISO à Toronto en juin 2016, que cette norme serait à nouveau présentée en vue d'une publication au second semestre 2017.

À cette difficulté structurelle majeure s'ajoute également la réduction des délais d'élaboration des normes dans les organes européens et internationaux. Le Bureau de normalisation de la construction métallique a ainsi souligné auprès de votre rapporteur que « les évolutions récentes au niveau européen et international, en termes de réduction des délais de traduction et de vote, posent des difficultés nouvelles pour consulter les parties prenantes ou intéressées dans un délai suffisant et organiser la recherche du consensus au niveau national. »

c) Un instrument d'influence à développer

L'État ne peut se désintéresser de la normalisation dans certains secteurs jugés stratégiques, car les travaux de normalisation peuvent conduire à favoriser ou à entraver certains choix économiques nationaux, voire des politiques publiques nationales.

Dans son rapport à la ministre du commerce extérieur, alors notre collègue Nicole Bricq, Mme Claude Revel résumait ainsi, en décembre 2012, les enjeux géopolitiques de la normalisation : « La norme/règle internationale est un des points d'application majeurs de l'intelligence économique et stratégique. Il est de plus en plus difficile de séparer le `technique' du politique, les choix techniques étant non seulement souvent issus de la volonté d'ouvrir des marchés ou d'en fermer aux concurrents, mais aussi reflétant des choix politiques voire idéologiques, en tout cas de société de ceux qui les promeuvent . » 36 ( * ) Lors de son audition par votre rapporteur, M. Stéphane Dupré La Tour, président du Comité de coordination et de pilotage de la normalisation (CCPN), a quant à lui évoqué une « diplomatie technique » entre experts de plusieurs pays qui représentent autant d'intérêts stratégiques.

Le « marché » de la normalisation est en effet un enjeu d'influence considérable, les choix techniques opérés pouvant avoir des retombées économiques majeures pour certains secteurs, de nature à valoriser durablement ou, au contraire, condamner à court terme certaines options techniques adoptées par les entreprises françaises .

L'exemple récent le plus emblématique est celui de la normalisation des prises de recharge pour véhicules électriques qui a vu la technologie allemande préférée au niveau européen au détriment de la technologie française, alors même que cette technologie avait été utilisée depuis plusieurs années pour équiper les bornes dans l'hexagone.

L'ENJEU DE LA NORME NF EN 62196-2/A12 OCTOBRE 2014

« Fiches, socles de prise de courant, prises mobiles et socles de connecteurs de véhicule électriques - Charge conductive des véhicules électriques - Partie 2 : exigences dimensionnelles de compatibilité et d'interchangeabilité pour les appareils à broches et alvéoles pour courant alternatif »

Au milieu des années 2000, les industriels français, allemands et japonais ont, chacun de leur côté, développé leur propre technologie pour les prises des bornes de recharge de véhicules électriques.

Cependant, dans le but d'assurer l'interopérabilité des systèmes de recharge sur l'ensemble du territoire européen, la Commission européenne a donné mandat, en 2010, aux organismes européens de normalisation (CEN-Cenelec et ETSI) pour élaborer une norme européenne. Le plan retenu par la Commission européenne était d'équiper, à l'horizon 2020, jusqu'à 8 millions de bornes de recharge dans les États membres de l'Union européenne, dont 969 000 en France (dont 10 % accessibles au public), avec comme exigence la possibilité pour tout véhicule électrique de pouvoir se brancher, dans les mêmes conditions d'utilisation, sur les bornes de tout pays européen.

Les tenants du modèle allemand dit de « type 2 » et ceux du modèle français dit de « type 3 » se sont donc affrontés au sein des organismes européens de normalisation pour faire chacun reconnaître la pertinence de leur propre technologie. Il semble cependant que les acteurs français se soient montrés moins efficaces dans les négociations pour que leur modèle soit retenu dans le cadre de l'élaboration de la norme unique européenne, en concentrant notamment leur approche technique sur la présence d'un obturateur destiné à prévenir les contacts accidentels avec les utilisateurs.

Au final, la norme allemande de « type 2 » a, sous réserve d'ajustements mineurs, été consacrée au niveau européen par le renvoi, dans la directive 2014/94/UE du 22 octobre 2014 sur le déploiement d'une infrastructure pour carburants alternatifs à la norme EN 62196-2. Ce choix a donc réduit à néant les investissements consacrés par les acteurs français (Schneider Electric, Legrand et Renault) au développement et à la production de leurs prises et impliquant par ailleurs le changement des prises déjà installées sur les bornes en France, pour un montant de plusieurs dizaines de millions d'euros.

De l'aveu des acteurs concernés, cette situation illustre un manque de stratégie collective des industriels français, qui ne se sont pas donné les moyens de convaincre les instances de normalisation européenne de l'avantage technologique de leur démarche.

La mobilisation des acteurs peut pourtant être à même de modifier l'orientation de certains projets dans un sens qui n'handicape pas les intérêts économiques de notre pays .

M. Frédéric Henry, directeur du Bureau de normalisation du bois et de l'ameublement (BNBA), a par exemple évoqué au cours des auditions l'élaboration de la norme sur les panneaux à base de bois destinés à la construction - devenue la norme NF EN 13986+A1 de mai 2015 - dont le projet initial imposait des caractéristiques techniques qui favorisaient les essences allemandes et avaient un effet d'éviction sur les bois français. La réaction des représentants français a permis d'élargir les critères et d'éviter une normalisation défavorable à ce secteur d'activités national.

2. Assurer la synergie de la stratégie française de normalisation avec son environnement

Les acteurs du système de normalisation définissent depuis quelques années des stratégies pluriannuelles. La première, définie pour la période 2011-2015, était essentiellement orientée sur l'efficacité du système français de normalisation. Elle était nécessaire, afin notamment d'assurer la bonne mise en place des instances prévues par le décret du 16 juin 2009.

Stratégie française de normalisation 2016-2018

Thématiques transversales

Thématiques spécifiques

Transition énergétique

Silver économie

Économie circulaire

Économie numérique

Économie collaborative & économie du partage

Villes durables et intelligentes

Usine du Futur

Services

Nanotechnologies

Contribution à une alimentation sûre, saine et durable

Drones

Textiles techniques et nouveaux

matériaux intelligents

Médecine du futur

Pour la période 2016-2018, l'optique retenue a été de dégager des thématiques de travail à favoriser, en identifiant des domaines d'exercice prioritaires de la normalisation. La stratégie française de normalisation décline ainsi huit thématiques transversales et cinq thèmes spécifiques sur lesquels doit porter l'effort de normalisation.

De leur côté, chacun des CoS élabore une stratégie annuelle qui décline et approfondit, dans son secteur de compétence, les axes stratégiques nationaux.

Lors des auditions, certains intervenants ont regretté que certaines stratégies restent encore trop imprécises pour être suffisamment opérationnelles. Toutefois, ainsi que l'a fait remarquer M. Stéphane Dupré La Tour, la définition d'orientations trop précises peut se heurter au besoin des entreprises participantes au processus de normalisation de conserver une certaine discrétion sur leurs propres stratégies industrielles et commerciales. Aussi, les orientations arrêtées s'efforcent-elles de favoriser certains domaines d'intervention de manière suffisamment précise pour fédérer les acteurs de la normalisation, tout en préservant d'éventuels secrets des affaires.

Sur ce point, votre rapporteur estime que les orientations retenues qui, à l'inverse de celles dégagées par la Commission européenne ou l'ISO 37 ( * ) , portent davantage sur la substance des travaux que sur le système de normalisation lui-même, permettent effectivement de lancer des chantiers de normalisation à court terme.

Cependant, afin que les choix stratégiques opérés puissent assurer une promotion efficace des travaux de normalisation français, votre rapporteur souligne l'importance que ces orientations soient définies :

- en pleine concertation avec l'État et les collectivités territoriales afin qu'elles soient effectivement coordonnées avec les choix de politique publique opérés . De ce point de vue, il importe donc que les représentants de l'État au CCPN indiquent clairement les chantiers qui apparaissent prioritaires pour les pouvoirs publics. Et, dans l'hypothèse où serait institué un mécanisme de mandats, les objets de ces mandats devraient être pleinement intégrés à cette stratégie 38 ( * ) ;

- en prenant en considération les travaux en cours ou projetés au niveau européen ou international . Ainsi, la stratégie française pourra d'autant mieux influer sur les futures normes élaborées au niveau du CEN/Cenelec ou de l'ISO, que les acteurs français auront pu anticiper certaines problématiques ou divers choix technologiques au cours de leurs travaux sous l'égide des bureaux de normalisation et d'AFNOR.

Recommandation n° 2 : Définir les orientations stratégiques de la normalisation française en pleine concertation avec l'État et les collectivités territoriales, en prenant mieux en considération les travaux en cours ou projetés au niveau européen ou international.

3. Favoriser la conduite des politiques publiques par des actions de normalisation à la demande de l'État ou des collectivités territoriales

L'une des critiques majeures qui peut être formulée à l'égard du fonctionnement actuel du système de normalisation tient à ce que les orientations définies par ses acteurs sont parfois décorrélées des politiques publiques définies par l'État ou les collectivités territoriales. Les processus de normalisation et de réglementation cheminent alors parallèlement, sans interactions suffisantes, dans des domaines où leur action conjuguée favoriserait pourtant une meilleure conduite des politiques publiques.

Il est donc essentiel que l'État se comporte en véritable stratège pour orienter l'activité de normalisation afin qu'elle assure une complémentarité efficace avec l'activité juridique de la puissance publique - l'édiction de lois ou règlements - et son action opérationnelle, notamment financière . Or, sur ce point, votre rapporteur regrette que l'État n'ait pas toujours suffisamment conscience du fait que le système de normalisation peut être un outil efficace de mise en oeuvre ou de consolidation de certaines politiques publiques. Deux voies peuvent être retenues pour assurer la mise en oeuvre de cette stratégie.

a) Développer les incitations à travailler sur des domaines spécifiques faisant l'objet de politiques publiques

La première voie serait que le Gouvernement sollicite directement, plus qu'aujourd'hui, le système français de normalisation en l'incitant à réfléchir à des actions de normalisation dans les domaines jugés stratégiques pour les pouvoirs publics.

Ce type de démarche a certes déjà été entrepris. Ainsi, lors de son audition, M. Stéphane Dupré La Tour a rappelé l'initiative du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, alors M. Emmanuel Macron, d'inciter les acteurs du système français de normalisation à orienter leurs travaux vers des domaines de normalisation en lien avec le projet « Industrie du futur ».

Le projet « Industrie du futur »

Lancé le 14 avril 2015 par le président de la République, alors M. François Hollande, le projet « Industrie du Futur » a pour objectif d'amener les entreprises à moderniser leur outil industriel et à transformer leur modèle économique - et plus particulièrement, leurs modèles d'affaires, leurs organisations, leurs modes de conception et de commercialisation - en prenant en compte les perspectives offertes par le numérique.

Il s'organise autour de cinq axes :

- le développement de l'offre technologique , en accompagnant les projets structurants des entreprises sur les marchés où la France peut acquérir d'ici trois à cinq ans un leadership européen, voire mondial : fabrication additive comme les imprimantes 3D, les objets connectés ou la réalité augmentée ;

- un accompagnement des entreprises sous la forme de diagnostics au profit des PME et ETI industrielles par les régions avec l'appui de l'Alliance pour l'Industrie du Futur ainsi que d'un accompagnement financier comportant des mesures exceptionnelles de soutien aux entreprises qui investiront dans la modernisation de leurs capacités de production : 2,5 milliards d'euros d'avantage fiscal pour les entreprises investissant dans leur outil productif sur douze mois et 2,1 milliards d'euros de prêts de développement supplémentaires distribués par Bpifrance aux PME et ETI sur deux ans ;

- la formation des salariés , afin d'assurer leur montée en compétence compte tenu du recours accru du numérique et de la robotisation dans l'usine, qui implique une transformation de certains emplois industriels ;

- le renforcement de la coopération européenne et internationale , eu égard aux autres projets de même nature conduits par d'autres pays, à commencer par l'Allemagne qui a développé la plateforme « Industrie 4.0 » ;

- la promotion de l'Industrie du futur afin de mobiliser les acteurs et faire connaître les savoir-faire français.

Le ministre de l'économie a en effet expressément confié, en juillet 2016, au directeur général de l'AFNOR « une mission de coordination des travaux de normalisation en matière d'Industrie du futur pour renforcer la position de la France dans les instances internationales et pour promouvoir des solutions françaises et européennes, notamment sur le numérique, sur les systèmes robotisés à usage collaboratif et sur la fabrication additive ». Pour ce faire, il a demandé la mise en place d'une structure de coordination spécifique avec l'ensemble des acteurs du système français de normalisation et le développement des échanges avec les organismes de normalisation des autres pays européens, notamment le Deutsches Institut für Normung (DIN). C'est sur cette base que l'AFNOR a engagé des travaux, en lien avec la direction générale des entreprises et l'Alliance pour l'industrie du futur, association régie par la loi de 1901 qui rassemble des organisations professionnelles, des acteurs scientifiques et académiques, des entreprises et de collectivités territoriales, notamment les régions, pour assurer, en particulier, le déploiement du projet Industrie du Futur.

Votre rapporteur estime que la normalisation a toute sa place dans le projet « Industrie du futur », notamment dans son volet visant au développement de l'offre technologique, puisque, par sa nature même, la normalisation assure la diffusion des dernières technologies ou des savoir-faire jugés les plus pertinents par les parties prenantes de l'économie .

Il regrette cependant que cette initiative gouvernementale reste exceptionnelle, alors que l'application des politiques publiques et des stratégies décidées par les autorités publiques ne peut que s'enrichir d'un volet « normalisation » de nature à en favoriser la mise en oeuvre opérationnelle. Dans ces conditions, il estime que l'État devrait plus souvent fournir des orientations à l'activité de normalisation afin qu'elle soit le complément utile des grands chantiers économiques lancés par les autorités politiques. C'est notamment le cas en ce qui concerne la transition écologique, dont la mise en oeuvre pourrait être facilitée par la normalisation en définissant, par exemple, des solutions en termes de métrologie ou des solutions de production moins génératrices de gaz à effets de serre.

Dans son rapport, Mme Lydie Évrard, alors déléguée interministérielle aux normes, préconisait la création d'un Conseil d'orientation de la politique de normalisation, instance de concertation présidée par le ministre chargé de l'industrie et dont le vice-président serait un représentant des acteurs économiques, afin de définir les orientations de la politique nationale. 39 ( * ) La création d'un nouvel organe n'est sans doute pas la seule solution mais il est important, en tout état de cause, que l'État exerce son rôle de stratège en pleine concertation avec les acteurs de l'économie .

La même recommandation, du reste, s'applique aux collectivités territoriales elles-mêmes , en particulier par le biais de leurs organisations représentatives (association des régions de France, association des départements de France, association des maires de France...), pour ce qui concerne l'exercice de leurs propres compétences. Pour ce faire, ces organisations devraient davantage tirer parti du comité de concertation « Normalisation et collectivités territoriales », créé par l'AFNOR en son sein, pour formaliser des demandes d'engagement de chantiers de normalisation dans les domaines qu'elles jugent prioritaires.

Recommandation n° 3 : Favoriser le rôle de l'État et des collectivités territoriales comme « stratèges » en orientant l'activité de normalisation afin qu'elle investisse les domaines jugés prioritaires pour les politiques publiques.

b) Envisager l'introduction d'un mécanisme de « mandat » inspiré de celui prévu par le droit de l'Union européenne

Les orientations susceptibles d'être données par le Gouvernement à l'AFNOR, pour utiles qu'elles soient, ne reposent à ce jour sur aucun mécanisme juridique exprès. Elles restent, en outre, d'une grande généralité, laissant aux acteurs du système de normalisation une très forte autonomie dans les techniques à explorer.

La question peut donc se poser de savoir, lorsque l'État perçoit la nécessité du développement d'une norme technique spécifique à l'appui de la réglementation qu'il a édicté, s'il peut être pertinent de lui donner la faculté de solliciter expressément la définition d'une norme par le système français de normalisation .

Cela se rapprocherait ainsi de la technique des « mandats » utilisée par la Commission européenne .

LES « MANDATS » DONNÉS PAR LA COMMISSION EUROPÉENNE AUX ORGANISMES EUROPÉENS DE NORMALISATION

En application de l'article 10 du règlement (UE) n° 1025/2012 du 25 octobre 2012 relatif à la normalisation européenne, la Commission européenne, dans les limites des compétences fixées par les traités européens, peut demander à une ou plusieurs organisations européennes de normalisation (c'est-à-dire le CEN, le Cenelec et l'ETSI) d'élaborer une norme européenne ou une publication en matière de normalisation européenne dans un délai déterminé, le cas échéant avec un financement spécifique de l'Union européenne. L'organisation européenne de normalisation concernée reste toutefois libre de ne pas accepter la demande qui lui est faite . 40 ( * )

Les normes établies dans ce cadre doivent être axées sur le marché, tenir compte de l'intérêt général et des objectifs de politique énoncés dans la demande de la Commission et reposer sur un consensus. La Commission détermine les critères de fond que le document demandé doit respecter et fixe une échéance en vue de son adoption. En coopération avec les organisations européennes de normalisation, elle évalue ensuite la conformité des documents élaborés par les organisations européennes de normalisation avec sa demande initiale. Lorsqu'elle estime que la norme harmonisée répond aux exigences qu'elle vise à couvrir et qui sont définies dans la législation correspondante, elle publie une référence à cette norme harmonisée au Journal officiel de l'Union européenne .

Sur ce fondement, la Commission européenne a par exemple récemment « commandé » des normes pour la mise en oeuvre :

- de la directive 2014/30/UE du 26 février 2014 relative à l'harmonisation des législations des États membres concernant la compatibilité électromagnétique , qui établit une présomption de conformité aux exigences essentielles qu'elle énonce pour les équipements conformes à des normes harmonisées ou à des parties de normes harmonisées dont les références ont été publiées au Journal officiel de l'Union européenne. La Commission a donc sollicité en novembre 2016 (mandat n° 552) du CEN, du Cenelec et de l'ETSI, l'élaboration des normes de référence en matière de compatibilité électromagnétique pour les mettre à disposition du public en avril 2017 ;

- de la directive (UE) 2016/2102 du 26 octobre 2016 relative à l'accessibilité des sites Internet et des applications mobiles des organismes du secteur public . La Commission a demandé en avril 2017 (mandat n° 554) au CEN, au Cenelec, et à l'ETSI d'élaborer, dans un délai de dix-huit mois à compter de la publication de cette directive, une norme devant servir à établir la présomption de conformité du contenu des sites Internet du secteur public en l'absence de normes harmonisées, et du contenu des applications mobiles du secteur public en l'absence de normes harmonisées et de spécifications techniques. Ce mandat fait suite au mandat n° 376, par lequel la Commission avait confié aux mêmes organismes la tâche d'élaborer une norme européenne définissant les exigences fonctionnelles en matière d'accessibilité applicables aux produits et services relevant des technologies de l'information et de la communication, qui pourraient être utilisées dans les marchés publics ainsi qu'à d'autres fins, telles que la passation de marchés dans le secteur privé, ou pour étayer d'autres politiques et législations, et qui a donné lieu à l'adoption de la norme EN 301 549 en février 2014, révisée en 2015.

Selon votre rapporteur, il conviendrait donc d'envisager une modification du décret du 16 juin 2009 afin d'ouvrir une telle possibilité en déterminant notamment la qualité du mandant (Premier ministre, par décret, ou tel ou tel ministre, en fonction de ses compétences, par voie d'arrêté) qui solliciterait l'AFNOR, en sa qualité de « chef opérateur » du système français de normalisation et, le cas échéant, les modalités de participation financière de l'État pour l'exécution de tels mandats.

Il insiste néanmoins pour que la définition du mandat intervienne en concertation avec les acteurs économiques intéressés, afin d'éviter qu'il ne soit établi que par des juristes sans considération suffisante des contraintes techniques qui peuvent s'imposer. Cela serait de nature à prévenir un travers, relevé lors des auditions par M. Valéry Laurent, directeur du BNTEC, rencontré dans les travaux de la Commission européenne.

Recommandation n° 4 : Envisager l'introduction d'un mécanisme de « mandat », établi après concertation avec les acteurs économiques intéressés, confié par le Gouvernement au système français de normalisation.

4. Investir fortement les domaines « stratégiques » de la normalisation

Depuis une vingtaine d'années, le champ de la normalisation s'est ouvert à de nouveaux secteurs de l'économie liés en particulier au développement du secteur des services et à celui du numérique. Or, ces domaines ont la particularité d'avoir un caractère « transversal » remettant en cause le schéma traditionnel de la normalisation, défini par secteurs d'activité - relevant pour l'essentiel de l'industrie - relativement cloisonnés.

Afin de favoriser la compétitivité de notre économie, il est essentiel que les travaux de normalisation français investissent fortement ces domaines , que l'initiative résulte des acteurs eux-mêmes ou soit suscitée par les pouvoirs publics. Trois ont été souvent évoqués au cours des auditions.

a) Les services

Les normes applicables aux activités de service se sont considérablement développées au cours des vingt dernières années. Elles se répartissent entre normes de « management de la qualité » et normes de « service ».

La norme de management de la qualité porte sur la performance de l'organisation, et non sur le service produit. La plus connue, parce qu'elle est adoptée par un nombre grandissant d'entreprises ou d'organisations, est sans doute la norme ISO 9001 « Management de la qualité ». La norme de services porte, elle, sur le service produit sans s'intéresser à l'organisation. Pour autant, l'objectif poursuivi dans les deux approches reste identique : la confiance et la satisfaction du client. Et, à ce titre, elles entretiennent un rapport de complémentarité pour la pleine réalisation de cet objectif, qui ne peut être atteint que par une maîtrise des processus et des organisations ainsi qu'une maîtrise du service fourni.

À l'évidence, le développement des normes dans le domaine des services résulte de la volonté de nombreuses parties intéressées.

En France, le comité stratégique « Management et services » a élaboré en février 2015 un « livre blanc » qui fait du développement de la normalisation en matière de services un objectif stratégique pour les prochaines années . Constatant qu'« à ce jour, dans les secteurs des services, la normalisation a répondu principalement à des enjeux de structuration de marchés, de commercialisation de prestations et de performance des organisations », il souligne que « l'internationalisation et l'industrialisation des services, les impacts croissants des technologies et du numérique ainsi que les attentes nouvelles des consommateurs et leurs nouveaux modes de consommation sont des tendances identifiées qui créent de nouveaux enjeux pour la normalisation ». Il propose ainsi d'initier ou d'accompagner, selon le cas, le développement de la normalisation dans ce domaine.

Cette « demande » de normes en matière de services a été relayée au cours des auditions par M. Etienne Defrance, représentant de l'Association Force-ouvrière consommateurs (AFOC), qui a relevé que les services restaient le « parent pauvre de la normalisation » et qu'afin de renforcer la qualité de ceux-ci pour les consommateurs, l'activité de normalisation devait se développer davantage en ce domaine.

Au niveau européen et international, le développement de la normalisation dans le secteur des services est également un objectif poursuivi tant par le CEN - notamment sous l'impulsion de la Commission européenne - que par l'ISO.

Cependant, ainsi que l'ont relevé plusieurs personnes entendues par votre rapporteur, les normes développées dans les services sont de plus en plus de véritables normes « sociétales ».

En particulier, l'activité de normalisation a investi depuis une vingtaine d'années le domaine des ressources humaines . Tel est le cas, par exemple, des normes de management des ressources humaines 41 ( * ) ou de celles qui interviennent sur les questions de sécurité ou de santé au travail. Est notamment en préparation une norme ISO 45 001 relative aux systèmes de management de la santé et de la sécurité au travail dont l'objet est d'établir « un cadre de référence pour l'amélioration de la sécurité des travailleurs, la réduction des risques sur le lieu de travail et la création de conditions de travail meilleures et plus sûres dans le monde entier ».

Ces normes posent question dans leur principe dans la mesure, notamment, où elles viennent préempter certains domaines qui relèvent en principe du jeu d'autres acteurs plus légitimes à les traiter. L'exemple en a été donné par la norme NF X50 juin 1993 (annulée en 2009) « Excellence commerciale - Emplois commerciaux - Méthode et identification » définissant, en réalité, une classification par niveaux, grades et échelons qui relève au premier chef de la convention collective, comme l'a rappelé à votre rapporteur M. Gambelli, intervenant au titre de la CPME.

De plus, lorsque ces normes sont adoptées dans le cadre international de l'ISO, elles peuvent donner naissance à des standards minimum, parfois éloignés de ceux exigés par la réglementation.

Certes, le principe de primauté de la réglementation sur la normalisation implique que ces standards ne pourront être appliqués tels quels et pour eux-mêmes, dans certains États. Néanmoins, ils pourront alors donner lieu à une activité de certification - ou pour les normes qui prévoient exceptionnellement l'absence de certification 42 ( * ) , à des mesures d'évaluation proches d'une certification - censée garantir le respect de prescription d'un niveau de « protection » ou d'exigences inférieur aux prescriptions légales , réglementaires ou conventionnelles.

Ainsi que l'a souligné lors de son audition Mme Anne Penneau, professeur de droit privé à l'Université de Paris 13, les référentiels relatifs à l'organisation des entreprises sont en effet très laconiques et mentionnent des lignes directrices plus que des prescriptions, la dernière version du projet de norme ISO 45 001, rendue publique le 19 mai 2017, en fournissant l'illustration la plus récente. À l'instar des normes ISO 9001 et 26 000, la fonction prescriptive de la norme en est, en réalité, absente.

C'est ce qui explique l'opposition exprimée par le groupe permanent du Conseil d'orientation des conditions de travail (COCT) 43 ( * ) au développement de la normalisation dans les domaines transversaux. Dans un avis du 3 novembre 2016, ce dernier estimait que, dans le domaine de la sécurité et de la santé au travail, la normalisation constituait un facteur de complexité supplémentaire quant aux règles applicables et un phénomène qui soulève un « important problème démocratique ». Il relevait en particulier que « la certification induite par certaines normes ne saurait emporter d'assurance quant au respect du droit sur le fond. Il existe peu de garanties de mise en oeuvre effective des principes prévus par la norme, et évidemment moins que dans le cas d'une réglementation soumise au contrôle de l'administration et du juge . »

Votre rapporteur ne peut que partager ces critiques , tout en constatant que l'essor, au niveau international, de ce type de normes peut difficilement être arrêté . C'est pourquoi les acteurs français doivent prendre toute leur place dans le processus d'élaboration de ces normes - quel qu'en soit le niveau - afin de peser suffisamment pour, le cas échéant, faire écarter les solutions qui seraient contraires à nos lois et règlements ou aux engagements pris par les partenaires sociaux investis par l'État du pouvoir d'édicter certaines règles, voire qui méconnaîtraient les valeurs de notre République.

b) Les nouvelles technologies de l'information et de la communication

À mesure que se développent les technologies de l'information et de la communication (TIC), l'activité de normalisation dans ces domaines revêt un rôle de plus en plus fondamental. Au cours des cinq dernières années, des normes internationales sur des questions fondamentales des TIC ont ainsi vu le jour.

La normalisation dans le domaine du numérique

De nombreuses normes ont d'ores et déjà été adoptées, dans les domaines de :

- la terminologie et des principes : norme ISO/IEC 29100 « Privacy framework » de 2011 ;

- les lignes directrices pour mener des études d'impact sur la vie privée : norme (ISO/IEC 29134) « Privacy Impact Assessment » de 2017 ;

- la maturité dans les processus : norme ISO/IEC 29190 « Privacy capability assessment model » de 2015 ;

- les bonnes pratiques génériques pour la protection de la vie privée : norme ISO/IEC 29151 « Code of practice for personally identifiable information protection » de 2017 ;

- les bonnes pratiques de protection de la vie privée spécifiques au « cloud computing » : norme ISO/IEC 27018 « Code of practice for protection of personally identifiable information (PII) in public clouds » de 2014 ;

- les techniques de cryptographie : norme ISO/IEC 29191 « Requirements for partially anonymous, partially unlinkable authentication » de 2012 ; et norme ISO/IEC 18370 « Blind digital signatures » de 2016 ;

- les techniques d'anonymisation : norme ISO/IEC 20889 « Privacy enhancing data de-identification techniques » de 2017.

D'autres normes sont en cours d'élaboration pour définir les méthodologies et les bonnes pratiques de protection des données personnelles, outils essentiels pour accompagner les évolutions technologiques dans des domaines parfois sensibles comme l'Internet des objets, l'exploitation des données massives, ou le cloud computing .

De nouveaux sujets de normes sont également à l'étude pour établir des guides en matière d'information et de consentement des personnes concernées par un traitement de données à caractère personnel, de prise en compte du respect de la vie privée dans le développement des applications mobiles ou des cités intelligentes ( smart cities ). Pour l'avenir, l'une des priorités des autorités de contrôle européennes serait d'établir une norme d'exigences afin de réaliser des certifications de systèmes de management intégrant la protection de la vie privée.

De fait, il existe des enjeux technologiques majeurs dans les prochaines années.

C'est le cas des normes relatives aux technologies embarquées dans les véhicules autonomes, auxquelles commencent à réfléchir les organismes de normalisation. Ces mêmes enjeux se retrouvent également, de façon connexe, dans le développement des voitures électriques . Ainsi que l'a souligné M. Stéphane Dupré La Tour, le raccordement des voitures électriques aux bornes de recharge peut aussi permettre des échanges de données et d'informations entre les éléments électroniques embarqués dans les véhicules et le réseau qui alimente les bornes de rechargement ; ces nouvelles potentialités donnent actuellement lieu à des batailles technologiques entre plusieurs acteurs de la normalisation, des projets de normes ayant été présentés par plusieurs pays (France, Pays-Bas, Allemagne, Chine, États-Unis).

L'enjeu du numérique est d'autant plus stratégique qu'il a des ramifications dans des domaines essentiels de la souveraineté des États et des libertés publiques . Il met notamment en cause les capacités de surveillance et de contrôle des autorités civiles et militaires ou, plus généralement, la protection des données numériques des individus.

Ainsi, lors de son audition, M. Jean-Baptiste Carpentier, commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économiques, a mis en exergue les enjeux de souveraineté essentiels s'attachant à l'activité de normalisation internationale, conduite sous l'égide de l'ISO, dans le domaine numérique, notamment en ce qui concerne la protection des données numériques, le chiffrement ou les techniques d'interception.

c) L'agriculture et l'alimentation

Les questions alimentaires et agricoles prennent une place majeure à l'international. Traditionnellement forte dans la production agricole et l'industrie alimentaire, la France doit saisir pleinement l'opportunité que fournit la normalisation au niveau européen et international.

À l'heure où les pays émergents (à commencer par le Brésil et la Chine), forts de leur puissance démographique et de leurs vastes surfaces agricoles, sont des acteurs de plus en plus incontournables, il est essentiel que la France investisse fortement - dans le cadre de son propre système de normalisation comme à l'international ou au niveau européen - les questions du développement de la production agricole , de la qualité et de la sécurité de l'alimentation , et de la meilleure prise en compte des enjeux environnementaux et de développement durable . En outre, la normalisation est un enjeu en soi face à la croissance exponentielle des normes totalement privées mentionnées notamment par les distributeurs d'envergure nationale, européenne voire internationale dans les cahiers des charges qu'ils imposent à leurs fournisseurs.

Certes, la France est très active au sein de l'ISO (où elle a la responsabilité notamment du comité technique TC 34 « Produits alimentaires ») et du CEN (elle y assure en particulier le secrétariat du comité technique TC 194 « Ustensiles en contact avec les denrées alimentaires »). Elle a aussi développé ses propres normes, notamment, très récemment, la norme NF V 01-015 « Traçabilité et sécurité des aliments - Management et hygiène - Évaluation du niveau d'hygiène en restauration commerciale », publiée en 2016.

Les chantiers restent néanmoins immenses , qu'il s'agisse de développer des normes de management des entreprises agricoles ainsi que des chartes de productions agricoles, de dégager des pratiques dans le domaine émergent et prometteur des biostimulants, de la valorisation de la biomasse d'origine agricole ou forestière, des spécifications de qualité pour plusieurs catégories d'aliments ou de la mise en place de normes de responsabilité sociale et environnementale spécifiques pour le secteur agricole et agroalimentaire.

Or, dans son rapport au ministre du commerce extérieur, Mme Claude Revel regrettait que tant la France que l'Union européenne ne soient pas assez « présentes et actives pour faire face aux menées concurrentielles importantes de certains États, au premier rang desquels les États-Unis et leurs alliés, et certains BRICS . » 44 ( * ) Notre pays, en s'appuyant sur ses alliés européens, ne doit donc pas se laisser imposer des normes mais doit au contraire davantage encore être une force d'impulsion pour mener une politique de normalisation favorable à notre culture de pays agricole et à l'excellence de notre production agroalimentaire.

Cette normalisation menée à l'ISO et au CEN doit en outre intervenir en concertation avec les autres initiatives qui concourent à définir des recommandations internationales en la matière. Il en va ainsi, notamment, du Codex Alimentarius 45 ( * ) et de l'Office international de la santé animale (OIE). 46 ( * )

Ces trois domaines de normalisation apparaissent stratégiques, mais d'autres, comme la transition énergétique notamment, doivent être également fortement investis par les acteurs français.

Recommandation n° 5 : Investir fortement les domaines les plus stratégiques de la normalisation, notamment les services, les nouvelles technologies de l'information et de la communication, l'agriculture et l'alimentation.


* 33 Intitulée : Une vision stratégique pour les normes européennes : aller de l'avant pour améliorer et accélérer la croissance durable de l'économie européenne à l'horizon 2020, COM(2011) 311 final.

* 34 Voir supra, pp. 25 et 29.

* 35 Rapport de la mission de réflexion sur la normalisation appliquée au secteur du bâtiment, CSCEE, 12 juillet 2016.

* 36 Développer une influence normative internationale stratégique pour la France , rapport remis le 28 décembre 2012.

* 37 Voir, en ce sens, la Stratégie de l'ISO 2016-2020 .

* 38 Voir infra, p. 68.

* 39 Rapport précité, p. 58.

* 40 Par exemple, en janvier 2015, la Commission a invité les trois organismes européens de normalisation à élaborer des normes européennes sur certains aspects de l'utilisation rationnelle des matériaux, à l'appui de la mise en oeuvre de la directive 2009/125/CE du 21 octobre 2009 établissant un cadre pour la fixation d'exigences en matière d'écoconception applicables aux produits liés à l'énergie. Cette demande n'a pas abouti en raison des rejets exprimés par le CEN et le Cenelec et de l'abstention de l'ETSI.

* 41 Par exemple, les normes ISO/TC 206, notamment ISO 30407 :2016 « Management des ressources humaines - Coût par recrutement », ISO 30408 :2016 « Management des ressources humaines - Lignes directrices sur la gouvernance humaine », ISO 30409 :2016 « Management des ressources humaines - Gestion prévisionnelle de la main d'oeuvre ».

* 42 C'est le cas de la norme ISO 26000:2010 « Lignes directrices relatives à la responsabilité sociétale ».

* 43 Composé des organisations syndicales (CGT, CFDT, CGT-FO, CFTC, CFE-CGC) et patronales (MEDEF, CGPME, UPA, UNAPL, FNSEA) représentatives au niveau national interprofessionnel, de l'État (ministère chargé du travail - DGT- et ministère chargé de l'agriculture-SAFSL-) et de la CNAMTS (direction des risques professionnels).

* 44 Rapport précité, pp. 54-55.

* 45 Créé en 1963 par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et l'Organisation des Nations-Unis pour l'agriculture et l'alimentation (FAO), le Codex Alimentarius définit des normes alimentaires, des lignes directrices et des codes d'usages internationaux.

* 46 L'Office international des épizooties a été créée en 1924 afin de combattre les maladies animales au niveau mondial. En mai 2003, il est devenu l'Organisation mondiale de la santé animale, tout en conservant son acronyme historique OIE.

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