D. INVESTIR ENCORE DAVANTAGE LES INSTANCES EUROPÉENNES ET INTERNATIONALES DE NORMALISATION

Alors que, depuis quelques années, 90 % des nouvelles normes publiées dans la collection française ont une origine européenne ou internationale, le bon positionnement des acteurs français de la normalisation dans ces instances de normalisation est un enjeu essentiel. L'Union de normalisation de la mécanique (UNM) a fait valoir à votre rapporteur que les acteurs français avaient développé une « tactique » à l'international à deux niveaux, dont le fonctionnement a fait ses preuves :

- une participation active du comité membre français aux instances de gouvernance des organismes européen (CEN/Cenelec) et international (ISO/IEC) ;

- l'existence de délégations françaises désignées spécifiquement pour les réunions des comités techniques européens et internationaux, qui ont préparé avant les réunions les positions françaises découlant de la stratégie établie par les commissions de normalisation nationale.

Grâce à elle, la position actuelle de la France dans les instances européennes et internationales de normalisation est forte, mais notre pays doit rester vigilant car elle est susceptible d'être remise en cause par l'irruption de nouveaux acteurs.

1. Une position importante dans les instances européennes et internationales de normalisation

L'AFNOR, membre français des organisations européennes et internationales de normalisation, publie chaque année depuis 2006 un baromètre de la position française dans la normalisation internationale. Il en ressort que la France occupe une position importante dans diverses instances internationales.

a) Une présence française dans des fonctions clé

Selon les acteurs de la normalisation, l'influence d'un pays au sein des organisations internationales (comme l'ISO et l'IEC) ou européennes (comme le CEN et le Cenelec) se mesure essentiellement aux places occupées par des experts représentant les intérêts français dans les instances de travail propres à chaque organisation.

(1) Les organisations internationales

À L'ISO, la France - via l'AFNOR - se place troisième ou quatrième - selon les méthodes de calcul retenues - en termes de détention de secrétariats de comités techniques ou de sous-comités, ainsi que d'animation de groupes de travail. Avec 68 secrétariats et 258 groupes de travail, elle détient 10 % des comités et sous-comités de l'organisation .

Si elle fait jeu à peu près égal avec le Royaume-Uni, elle est néanmoins largement distancée par les États-Unis et l'Allemagne.

Source : AFNOR (NB : - TC : comités techniques - SC : sous-comités).

À l'IEC , où un même membre ne peut cumuler la présidence et le secrétariat d'un même comité ou sous-comité, la position de la France est encore plus favorable. Elle y détient en effet 14 % des secrétariats (en deuxième position derrière l'Allemagne) et 12 % des présidences (derrière l'Allemagne et les États-Unis).

Source : AFNOR (NB : - TC : comités techniques - SC : sous-comités).

(2) Les organisations européennes

Au CEN , la présence de la France est forte, puisqu'elle détient 21 % des secrétariats des comités et sous-comités ainsi que 19 % des responsabilités des groupes de travail .

Toutefois, elle est notoirement moindre que l'Allemagne, pour laquelle les chiffres atteignent respectivement 30 % et 35 %.

Sources : AFNOR. (NB : - TC : comités techniques - SC : sous-comités).

Cette présence est néanmoins renforcée depuis qu'en juin 2015, la présidence du CEN a été confiée à M. Vincent Laflèche, président du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et jusqu'alors président d'un des CoS français.

Au Cenelec , la France se place en troisième position, derrière l'Allemagne et le Royaume-Uni, avec 18 % des secrétariats des comités et task forces .

b) Les initiatives françaises

C'est également en proposant des initiatives de normalisation nouvelles que la France peut exercer son influence dans la sphère européenne ou internationale.

La France soumet ainsi régulièrement de nouvelles propositions de travaux, qui peuvent aboutir à la constitution de sous-comités ou de groupes de travail dont elle peut alors légitimement solliciter la présidence ou le secrétariat. Ainsi, en 2015, la France a proposé la création et obtenu la présidence de deux nouveaux sous-comités à l'ISO : l'un sur les équipements et installations sur le gaz naturel liquéfié (GNL) (ISO/TC 67 SC 9), l'autre sur la vape - c'est-à-dire la cigarette électronique - et les produits de la vape (ISO/TC 126 SC 3) au sein du comité technique sur le tabac.

Cet aspect est important, car, dans le même temps, des comités ou sous-comités ainsi que des groupes de travail sont dissous, ou mis en sommeil du fait de l'absence de nécessité de poursuivre des travaux de normalisation dans leurs domaines d'intervention. Ce sont donc, potentiellement, autant de facteurs d'influence qui peuvent être perdus.

S'agissant spécifiquement de l'activité de normalisation européenne en lien avec des normes européennes harmonisées, votre rapporteur partage la position exprimée par nos collègues membres de la commission des affaires européennes, auteurs du rapport d'information sur la simplification du droit européen, sur la nécessité d'une implication forte des représentants de l'administration française au moment de la définition des mandats donnés par la Commission européenne aux organes européens de normalisation. 59 ( * )

Il convient donc notamment d'assurer une présence efficace au sein de l'Administrative Cooperation Group (AdCO) créé auprès de la Commission européenne.

2. Une position à défendre face au poids grandissant de certains pays
a) Résister à la poussée de certains pays

L'AFNOR, bien que relevant un certain tassement des positions françaises au cours des dernières années, semble se satisfaire de cette situation en relevant, dans son dernier Baromètre , que « le léger repli de sa position et la place croissante du Japon et de la Chine ne doivent pas faire oublier que l'influence française à l'ISO dépasse celle qui serait attendue au regard de son PIB . » Votre rapporteur estime néanmoins que, si la position de la France dans les instances de normalisation est incontestablement bonne, les stratégies de certains acteurs risquent de mettre à mal ce satisfecit .

La France doit en effet faire face à des acteurs nationaux qui ont pris les moyens de peser encore davantage sur les processus d'élaboration .

À cet égard, en Europe, l'Allemagne domine de longue date les processus de normalisation. Les personnes entendues par votre rapporteur estiment que cela résulte en partie d'une réelle appropriation par les acteurs économiques et les fédérations professionnelles des ressorts de la normalisation. Cette situation découlerait d'une tradition bien ancrée depuis Bismark avec, notamment, d'une part, une réglementation peu développée au profit de règles professionnelles établies par des corps intermédiaires bien plus importants qu'en France et, d'autre part, des sociétés savantes très proches de l'industrie et dont les découvertes font l'objet de mises en application.

Les stratégies nationales qui font de la normalisation un instrument de politique commerciale se sont en outre fortement développées au cours des dernières décennies . Celle de la Chine est sans doute la plus exemplaire, mais d'autres États européens sont en pointe sur le sujet.

En Chine, la politique de normalisation est largement aux mains de l'État, qui la gère directement et en définit les orientations. De fait, la normalisation figurait dans le 12 ème plan quinquennal chinois (2011-2016) comme un instrument essentiel de sa politique industrielle. Dans son rapport au ministre du commerce extérieur, Mme Claude Revel, relevait ainsi que sur les 1,2 million de normes existant dans le monde, 200 000 étaient en Chine. Or, celle-ci a construit une stratégie de montée en puissance dans les organismes internationaux de normalisation. En 2016, elle assurait ainsi déjà 72 secrétariats de commission, alors qu'elle n'en avait aucun en 2004, ce qui la place désormais au même niveau que des acteurs historiques comme la France et le Royaume-Uni, avec 9,2 % des secrétariats des comités techniques et des sous-comités de l'ISO.

Ce dernier, quant à lui, développe une politique d'influence moins centrée sur la détention de présidences ou de secrétariats de comités. Il assure une présence opérationnelle importante dans les groupes de travail (responsabilités britanniques dans 12 % des groupes de travail à l'ISO et 16 % de ceux du CEN), en se concentrant sur les secrétariats de comités techniques responsables de l'élaboration de normes à fortes retombées médiatiques et commerciales , tel le comité responsable de l'élaboration de la norme ISO 9001 (comité technique sur le management de la qualité - ISO/TC 176 SC 2).

Source : AFNOR. (NB : - TC : comités techniques - SC : sous-comités).

À ce jour, la forte poussée de la Chine - de même que l'intérêt renouvelé du Japon pour les travaux de normalisation - n'a pas eu d'impact trop important sur la position de la France. Mais l'on ne saurait être certain qu'il en aille toujours de même dans les prochaines années.

Comme le relève très justement le Baromètre international 2016 de l'AFNOR, trois leviers doivent être utilisés pour maintenir, voire améliorer, l'influence française dans les organisations internationales et européennes de normalisation :

- amener de nouveaux sujets et domaines d'activité ;

- reprendre des comités et des sous-comités dont le secrétariat est vacant ;

- et ne pas renoncer à des responsabilités occupées dans les comités ou sous-comités.

Ces leviers ne peuvent être réellement actionnés que par une forte mobilisation des acteurs de la normalisation et une vision stratégique. Elles existent.

Le cas de la normalisation des poussettes pour enfants a ainsi notamment été évoqué lors des auditions. Les acteurs Chinois ont en effet demandé la mise en place de normes internationales en ce domaine, qui pouvaient être moins favorables que les solutions techniques développées par certaines entreprises françaises. Les participants français ont ainsi pu militer en faveur de la création d'un comité technique spécifique, dont ils ont pris la présidence.

Ce type d'action doit néanmoins encore se développer. Ainsi, face à la récente initiative allemande relative à la normalisation dans les domaines du stockage d'énergie, le Bureau de normalisation du gaz a appelé au plus grand développement, en France, de plans d'action similaires, sous-tendus par une véritable vision stratégique.

En outre, votre rapporteur ne peut que saluer la volonté, qui s'est dégagée en 2013 au CCPN, de présenter un membre français à la présidence du CEN , couronnée de succès avec l'accession à ce poste de M. Vincent Laflèche.

Recommandation n° 27 : Développer une stratégie plus active de positionnement des acteurs français en vue d'occuper des postes de responsabilité dans les instances des organisations européennes et internationales de normalisation.

b) La nécessaire défense de la langue française dans le processus de normalisation

Dans les processus de normalisation comme ailleurs, la langue française est un indéniable vecteur d'influence . Depuis ses débuts, la normalisation internationale comme européenne reconnaissent le français comme l'une de leurs langues officielles 60 ( * ) . Outre une certaine tradition, l'existence du français comme langue officielle - bien que la langue de travail y soit exclusivement l'anglais - est souvent appréciée d'autres pays, non seulement francophones, mais également en Asie ou en Amérique du sud, car elle permet de mieux préciser la formulation des normes, y compris en langue anglaise.

Pour autant, le multilinguisme - voire la nécessité même, posée par le décret de 2009, de disposer d'une version française de la norme avant son homologation - a dans les faits peu de soutien tant l'exigence de traduction des normes qu'il implique est perçue par beaucoup d'acteurs comme un frein à l'adoption rapide des documents de normalisation et nécessite l'intervention d'experts linguistes dont l'existence même peut faire défaut . Selon M. Stéphane Dupré La Tour, président du CCPN, la France serait d'ailleurs aujourd'hui l'un des très rares États à chercher à préserver le multilinguisme au sein des organismes internationaux de normalisation.

Outre la question incontournable de la nécessité de préserver le statut du Français comme langue officielle de la normalisation technique, la pleine disponibilité en langue française d'une norme susceptible d'être appliquée en France est aussi un enjeu pour les entreprises que celles-ci apprécient différemment au regard de leur activité, de leur taille et de leurs marchés.

Les entreprises importantes ou habituées aux marchés internationaux semblent pouvoir se satisfaire d'une absence de traduction française dans certaines hypothèses. La position du Bureau de normalisation du pétrole sur cette question en est une illustration. Celui-ci estime en effet que ni lui ni les commissions de normalisation qu'il anime ne peuvent garantir la validité de la traduction de certaines normes touchant le matériel utilisé en particulier dans les opérations offshore . Il sollicite donc un assouplissement de l'obligation de traduction en introduisant une dérogation bien encadrée qui contribuerait, selon lui, à améliorer l'efficacité du système de production de normes volontaires.

En revanche, d'autres entreprises, plus petites ou seulement tournées vers le marché intérieur français, voient dans l'exigence de traduction française de la norme un élément essentiel pour leur complet accès à l'information. Le BNTEC estime ainsi que la traduction des normes en langue française est essentielle, notamment dans des secteurs économiques où prédominent les petites et moyennes entreprises. Il en va ainsi, en particulier, du secteur du bâtiment.

L'AFNOR a, sur ce point, tenté de rapprocher les positions, son conseil d'administration adoptant, le 20 mars 2017, une délibération prévoyant la possibilité de faire figurer - de manière transitoire - dans la collection française de normes volontaires des normes en langue anglaise dépourvues de traduction en langue française, en introduisant dans les règles de fonctionnement de la normalisation française les concepts de « consultation ouverte publiquement » et de « prépublication ». Ainsi, une prépublication en langue anglaise serait désormais possible, une traduction française devant toujours être établie pour le bon déroulement de l'enquête publique, préalable indispensable à l'homologation. Le délégué interministériel aux normes ne s'est pas opposé à cette décision de l'AFNOR, alors que certains acteurs ont fait valoir auprès de votre rapporteur qu'elle est de nature à remettre gravement en cause la mission assignée au délégué par le décret du 16 juin 2009 de veiller « à l'emploi de la langue française ».

Votre rapporteur estime que la rapidité de la mise à disposition des normes d'origine européenne dans la collection française est effectivement importante, car elle permet une meilleure réactivité des entreprises notamment sur des marchés étrangers soumis à ces normes. Cependant, le principe d'une traduction préalable en langue française doit rester incontournable au regard des exigences d'accès et d'intelligibilité à des textes qui, s'ils ne sont que d'application volontaire, ont néanmoins en pratique pour effet de conditionner fortement l'action des entreprises françaises.

La solution médiane retenue par le conseil d'administration de l'AFNOR a le mérite de tenter d'opérer une conciliation des différents intérêts en présence, sans remettre en cause in fine l'exigence d'une traduction en langue française des normes européennes ou internationales. Elle présente toutefois l'inconvénient d'être assez peu lisible en pratique et est ressentie comme une source d'inégalités entre acteurs économiques.

Le coeur du problème semble résider, en réalité, dans les délais de traduction des normes de langue anglaise en Français qui, en tenant compte de la phase de validation des projets de traduction, peut s'étendre sur une durée d'un à trois mois.

Votre rapporteur juge cette situation regrettable, car de tels délais apparaissent particulièrement longs dans la vie des affaires. Il estime néanmoins qu'elle pourrait être réglée selon d'autres modalités qu'une atteinte aussi importante au principe de traduction en langue française, car ce sont, en définitive, d'abord les moyens matériels et financiers de la traduction des normes qui sont en jeu et qui, à ce stade, semblent insuffisants .

Selon les informations communiquées à votre rapporteur, les coûts de traduction ont représenté en 2016, pour la seule AFNOR, 2,3 millions d'euros, dont 51 % pour assurer le paiement de prestataires sous-traitants. Cette somme n'inclut cependant pas les coûts « cachés » de relecture et de validation des traductions par les personnes référentes dans les commissions de normalisation concernées, ces activités étant menées bénévolement, sans rémunération ni défraiement, en plus de leur activité professionnelle.

Cette question renvoie donc, à nouveau, à celle du financement de l'activité de normalisation, dans toutes ses dimensions, et plus particulièrement de son financement public. 61 ( * ) Celui-ci doit être suffisant pour que la traduction des normes d'origine européenne ou internationale soit faite de manière efficace et la plus rapide possible.

Il n'en demeure pas moins qu'une réflexion doit être engagée sur le bilan coût/bénéfice d'une traduction intégrale en langue française de normes qui présentent une technicité très importante (par exemple, dans le domaine informatique, des lignes de codes) ou qui s'inscrive dans un domaine dans lequel le langage technique utilisé est uniquement anglophone.

Recommandation n° 28 : Prendre réellement en considération, pour déterminer le niveau du financement public de l'activité de normalisation, les frais et contraintes matérielles découlant de la traduction en langue française des normes européennes ou internationales afin d'assurer l'accès aux normes par tous les acteurs et leur complète intelligibilité.

_______________


* 59 Rapport n° 387 (2016-2017), précité, p. 31.

* 60 Au même titre que l'anglais et le russe, s'agissant de l'ISO et de l'IEC ; avec l'anglais et l'allemand dans le cadre du CEN/Cenelec.

* 61 Voir supra, p. 93.

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