B. DES MOYENS À CONFORTER, DES MISSIONS À RESPECTER
Plusieurs difficultés demeurent néanmoins, dont certaines sont propres aux UHSA, tandis que d'autres sont le reflet des difficultés de notre système pénitentiaire dans son ensemble :
Les UHSA sont par nature des structures particulièrement coûteuses, ainsi que l'a relevé la Cour des comptes dans son rapport de 2011 sur le plan psychiatrie et santé mentale 2 ( * ) . Outre l'investissement immobilier très lourd (le programme d'investissement s'élevant à plus de 135 millions d'euros pour la construction de la première tranche des UHSA), puisqu'il s'agit de construire à neuf un service hospitalier et une enceinte de prison, les frais de personnel sont difficiles à assumer (près de 7 millions d'euros de frais de fonctionnement annuel par établissement imputés à l'assurance maladie pour la partie hospitalière), particulièrement du côté de l'administration pénitentiaire, qui a vu le nombre de gardiens diminuer dans le cadre de la RGPP.
De plus, les moyens de l'administration pénitentiaire sont très variables localement. Dans certaines régions, l'administration pénitentiaire a eu recours, pour les transports de détenus qu'elle doit assurer, à des contrats de partenariat public-privé qui s'avèrent très insatisfaisants. Les représentants de l'administration ont insisté sur ce point à Lyon : malgré un coût important, il n'y a pas suffisamment de chauffeurs et de véhicules pour assurer le transport des détenus de toute une région vers et depuis l'UHSA.
Surtout la population des UHSA est par nature difficile. Elle est composée d'une majorité de criminels condamnés pour des crimes de sang. La nécessité pour les personnels soignants d'appeler en renfort les gardiens de prison varie fortement d'un établissement à l'autre, mais à Toulouse notamment le rapport annuel de l'UHSA constate depuis deux ans une augmentation de l'insécurité au sein des unités de soins.
Plus largement, les critiques adressées aux UHSA rejoignent celles qui sont adressées à notre système pénitentiaire en général et plus spécifiquement à l'incarcération des personnes atteintes de troubles mentaux. C'est sur un fond de polémique que les UHSA ont été créées, polémique nourrie par une déclaration du Président de la République de l'époque qui avait parlé d'« hôpital-prison ». On a pu craindre que ces unités serviraient à cautionner l'enfermement des personnes malades dans une optique de protection de la société peu compatible avec le respect des droits individuels. L'équipe médicale de l'UHSA du Vinatier a ainsi expliqué à vos rapporteurs le long travail de discussion en son sein et auprès des autres psychiatres pour fonder et expliquer leur projet thérapeutique.
L'équipe accueille certains patients qui viennent d'être incarcérés et qui sont en attente que la justice statue sur leur responsabilité pénale. Le but n'est pas de permettre de les garder en prison mais de poser le diagnostic le plus exact et de mettre en place le plus rapidement possible la prise en charge. De même, pour les personnes condamnées, il ne s'agit pas de permettre leur maintien en prison, mais bien de leur apporter les soins qu'elles nécessitent dans les meilleures conditions. Nous nous sommes néanmoins interrogées lors de notre visite sur le fait de savoir si parfois, quand l'équipe n'a pas mis en place une prise en charge séquencée destinée à accompagner la progression des malades, ceux-ci ne se trouvent pas soumis à une « camisole chimique » qui rend leur état compatible avec le retour en prison « ordinaire ».
De fait, plusieurs types de patients pris en charge au sein des UHSA amènent les équipes à s'interroger sur la meilleure démarche à suivre et sur la cohérence d'ensemble du système. Leur présence en prison apparaît effectivement comme contestable. Il y a ceux qui sont trop malades pour que l'incarcération ait un véritable sens pour eux, mais qui ont été reconnus responsables de leurs actes. Ceux-là tendent à occuper durablement les lits des structures où ils sont transférés. À Toulouse, on nous a indiqué que l'unité venait de transférer vers une unité pour malades dangereux, afin de lui faire subir un traitement par électroconvulsivothérapie, un patient qui se trouvait au sein de l'UHSA depuis son ouverture, soit depuis cinq ans. Ces durées d'hospitalisation hors norme se reproduisent pour quelques cas dans chaque UHSA. Ils imposent de prendre avec circonspection les statistiques relatives à la durée moyenne d'hospitalisation, mais surtout ils nous conduisent à nous interroger sur le sens qu'il y a à mettre en prison, plutôt que directement à l'hôpital, quelqu'un qui a besoin à l'évidence de soins lourds.
A l'UHSA de l'hôpital Paul Guiraud, le cas de jeunes pour lesquels le passage à l'acte est le premier signe de leur pathologie mentale et ceux incarcérés pour un acte délictuel et dont on découvre à cette occasion qu'ils souffrent d'une pathologie mentale lourde ont été soulignés. Ce phénomène est parfois amplifié pour les jeunes migrants. Pour eux, se pose la question de l'articulation des soins dans et hors prison.
Parmi les patients atteints de pathologies mentales, plusieurs supportent mal l'incarcération en milieu ordinaire où ils sont victimes de violences du fait de leur inadaptation. La tentation peut donc être de garder ces malades en hospitalisation pour les protéger. Ici encore, la question de l'adaptation des moyens aux fins doit être posée.
Un dernier type de patients doit également être mentionné : ceux dont la pathologie, notamment dépressive, se chronicise du fait de la prison.
Or les magistrats ont tendance à prévoir une incarcération en UHSA pour s'assurer qu'une personne sera soignée. De même l'administration pénitentiaire a parfois tendance à psychiatriser tous les comportements difficiles. Les équipes du Vinatier nous ont ainsi indiqué qu'après avoir tenté d'orienter vers l'UHSA les délinquants sexuels, il a été envisagé de leur faire prendre en charge la radicalisation.
Par ailleurs, le nombre de détenus pour lesquels des consultations doivent être organisées dans les centres hospitaliers spécialisés en psychiatrie reste très élevé, ce qui indique que les UHSA ne suffisent pas à répondre aux besoins. L'UHSA de l'Hôpital Paul Guiraud est ainsi notoirement insuffisante avec ses soixante places pour répondre aux besoins des 13 000 détenus d'Ile-de-France. Le manque de places entraine des difficultés dans l'organisation des soins. La contrôleure générale des lieux de privation de liberté a ainsi dénoncé lors de son audition le fait que des mineurs soient pris en charge avec des majeurs au sein des unités, d'autant qu'elles ne disposent pas de personnels spécialisés pour les prendre en charge.
La première vague de construction des UHSA s'est avérée particulièrement lente et la deuxième vague n'a pas été engagée. En effet, le programme aurait dû s'étaler entre 2009 et 2012, mais sur les neuf unités de la première tranche, qui comporte 440 lits, trois unités ont ouvert entre 2010 et 2012, quatre en 2013 et une en 2016 ; celle de Marseille vient seulement d'ouvrir. La deuxième vague devrait apporter 300 places supplémentaires et voir notamment la création de trois établissements dans les outre-mer.
Faut-il l'engager ? Oui, sous certaines conditions :
- poursuivre le travail de coordination entre les UHSA pour permettre d'identifier leurs problèmes communs et de définir les meilleures pratiques.
- prévoir de présenter les missions et le fonctionnement des UHSA aux magistrats dès leur formation et organiser des contacts plus fréquents entre eux et les équipes des UHSA afin qu'ils en connaissent le rôle exact.
Première tranche de construction des UHSA
Région |
Localisation |
Capacité |
Date prévue et date effective de mise en service |
Ile de France |
Paul Guiraud (Villejuif) |
60 |
Novembre 2012 Avril 2013 |
Auvergne - Rhône-Alpes |
CH Le Vinatier (Bron) |
60 |
Juin 2009 Mai 2010 |
Hauts-de-France |
CH Seclin |
60 |
Septembre 2012 Juin 2013 |
PACA |
CH Edouard Toulouse (Marseille) |
60 |
Juillet 2012 Juin 2017 |
Centre-Val-de-Loire |
CH Georges Daumezon (Orléans-Fleury les Aubray)- |
40 |
Mars 2012 Septembre 2013 |
Grand-Est |
Centre psycho-thérapeutique de Nancy-Laxou (Laxou) |
40 |
Novembre 2011 Mars 2012 |
Occitanie |
CH Gérard Marchand (Toulouse) |
40 |
Septembre 2011 Janvier 2012 |
Nouvelle-Aquitaine |
CHS Cadillac (Cadillac sur Garonne) |
40 |
Septembre 2012 Juillet 2016 |
Bretagne |
CH Guillaume Régnier (Rennes) |
40 |
Juin 2012 Septembre 2013 |
* 2 Cour des comptes, « L'organisation des soins psychiatriques : les effets du plan "psychiatrie et santé mentale" - décembre 2011 ».