B. DES MOYENS JURIDIQUES RENFORCÉS
1. Les outils juridiques
Au fil des textes récents, les moyens juridiques ont été renforcés.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 (art. L. 8271-8-1 du code du travail et L. 243-7-5 du code de la sécurité sociale) a permis aux organismes de recouvrement de procéder à des redressements sur le fondement de procès-verbaux établis par des services verbalisateurs partenaires. Les procès-verbaux de travail dissimulé sont souvent rédigés par l'inspection du travail, la gendarmerie ou la police. Plus de 1 200 actions ont été réalisées à ce titre par les Urssaf en 2016, ce qui correspond à 17,2 millions d'euros et 3 % des redressements notifiés.
Depuis la loi de financement pour 2013 (art. L. 242-1-2 du code de la sécurité sociale), le redressement peut être notifié sur la base de rémunérations évaluées forfaitairement. Le calcul est effectué sur une base correspondant à 25 % du plafond annuel de la sécurité sociale par salarié. En 2016, le redressement forfaitaire a été utilisé dans 2 774 situations, avec 34 millions d'euros de cotisations redressées.
La loi de financement pour 2015 a instauré un droit de communication non-nominatif au profit des organismes sociaux, dont la mise en oeuvre sera effective à compter du 1 er juillet 2017, suite à la parution du décret d'application 2 ( * ) .
2. L'évolution des sanctions
a) Le bilan mitigé des sanctions pénales
Le code du travail assortit l'interdiction du travail dissimulé de sanctions pénales et, le cas échéant, de peines complémentaires.
Ces sanctions sont de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. Elles sont doublées en cas de récidive légale.
Elles sont portées à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende si les infractions concernent un mineur soumis à l'obligation de scolarité ou une personne vulnérable et à 10 ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende si elles sont commises en bande organisée.
Les peines complémentaires encourues par les personnes physiques (art. L. 8224-3) sont les suivantes :
1° L'interdiction, suivant les modalités prévues par l'article 131-27 du code pénal, soit d'exercer une fonction publique ou d'exercer l'activité professionnelle ou sociale dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise, soit d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, d'administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale. Ces interdictions d'exercice peuvent être prononcées cumulativement ;
2° L'exclusion des marchés publics pour une durée de cinq ans au plus ;
3° La peine de confiscation dans les conditions et selon les modalités prévues à l'article 131-21 du code pénal ;
4° L'affichage ou la diffusion de la décision prononcée, dans les conditions prévues à l'article 131-35 du code pénal. Lorsqu'une amende est prononcée, la juridiction peut ordonner que cette diffusion soit opérée, pour une durée maximale de deux ans, par les services du ministre chargé du travail sur un site internet dédié, dans des conditions prévues par décret en Conseil d'État pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés ;
5° L'interdiction, suivant les modalités prévues par l'article 131-26 du code pénal, des droits civiques, civils et de famille.
Les étrangers sont passibles d'une interdiction du territoire français pour une durée de cinq ans.
Les personnes morales reconnues responsables des infractions pénales encourent en outre :
- L'amende, dont le taux maximum est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques.
- Certaines des peines mentionnées à l'article 131-39 du code pénal :
1° La dissolution, lorsque la personne morale a été créée ou, lorsqu'il s'agit d'un crime ou d'un délit puni, en ce qui concerne les personnes physiques, d'une peine d'emprisonnement supérieure ou égale à trois ans, détournée de son objet pour commettre les faits incriminés ;
2° L'interdiction, à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus, d'exercer directement ou indirectement une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales ;
3° Le placement, pour une durée de cinq ans au plus, sous surveillance judiciaire ;
4° La fermeture définitive ou pour une durée de cinq ans au plus des établissements ou de l'un ou de plusieurs des établissements de l'entreprise ayant servi à commettre les faits incriminés ;
5° L'exclusion des marchés publics à titre définitif ou pour une durée de cinq ans au plus ;
8° La peine de confiscation, dans les conditions et selon les modalités prévues à l'article 131-21 ;
9° L'affichage de la décision prononcée ou la diffusion de celle-ci soit par la presse écrite, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique ;
12° L'interdiction, pour une durée de cinq ans au plus de percevoir toute aide publique attribuée par l'État, les collectivités territoriales, leurs établissements ou leurs groupements ainsi que toute aide financière versée par une personne privée chargée d'une mission de service public.
Pour l'année 2015, 11 500 dossiers de travail dissimulé ont été transmis à la justice pénale. 2 500 (22 %) n'ont pas pu donner lieu à traitement pénal.
7 % des 9 000 affaires restantes ont donné lieu à un classement sans suite. La réponse apportée aux autres affaires se répartit entre 64,5 % de procédure alternative aux poursuites (rappels à la loi dans près de la moitié des cas, composition pénale dans un tiers des cas) et 35,5 % de poursuites.
Nombre de condamnations définitives pour travail dissimulé en 2015
Infractions ayant donné lieu à condamnations |
Condamnations infractions uniques |
peines d'emprisonnement |
dont ferme |
dont peines avec sursis |
Amendes |
Peines
|
Dispenses de peine |
Mesures et sanctions éducatives |
|
Exercice d'un travail dissimulé |
5 105 |
2 791 |
552 |
105 |
447 |
1 992 |
198 |
49 |
- |
Recours à du travail dissimulé |
253 |
144 |
18 |
2 |
16 |
117 |
5 |
4 |
- |
Absence de
|
1 038 |
56 |
- |
- |
- |
53 |
- |
3 |
- |
Total |
6 396 |
2 991 |
570 |
107 |
463 |
2 162 |
203 |
56 |
- |
Source : Ministère de la justice
Les sanctions prononcées sont très majoritairement des sanctions financières.
Leur montant apparaît relativement limité. Alors que le quantum de peine s'élève à 45 000 euros, le montant moyen des amendes est de 1 435 euros pour l'exécution de travail dissimulé et de 1 689 euros pour le recours au travail dissimulé. Au total, les peines d'amende prononcées sont très inférieures au montant des majorations prononcées par les organismes de recouvrement.
La durée moyenne des peines d'emprisonnement, prononcées dans les cas les plus graves est de quatre à cinq mois.
b) Les sanctions financières
Aux termes de l'article L. 133-4-2 du code de la sécurité sociale, le constat d'une infraction de travail dissimulé s'accompagne du remboursement des réductions et annulations de cotisations et contributions sociales. 2 294 annulations sont intervenues en 2016, pour un montant de 42,9 millions d'euros.
L'article L. 243-7-7 du code de la sécurité sociale prévoit, quant à lui, une majoration de redressement de 25 % en cas de constat d'infraction de travail dissimulé, qui peut être portée à 40 % dans certains cas. Pour 2016, le montant de ces majorations, appliquées à 4 505 reprises, s'est élevé à 102 millions d'euros, soit 19 % du montant total des redressements.
3. La responsabilité des donneurs d'ordre, un exemple de la nécessité de sécuriser les procédures ?
L'article L. 8228-2 du code du travail prévoit que le donneur d'ordre qui ne procède pas aux vérifications nécessaires en matière de travail dissimulé est tenu solidairement responsable avec son sous-traitant ayant fait l'objet d'un procès-verbal de travail dissimulé du paiement des impôts et cotisations sociales dues à l'administration fiscale et aux organismes de protection sociale.
Pour une prestation supérieure à 5 000 euros, l'entreprise donneuse d'ordre doit demander tous les six mois au sous-traitant auquel il a recours de produire une attestation de déclarations sociales émanant de l'Urssaf, dite « attestation de vigilance ». À défaut, elle sera solidaire de ses dettes fiscales et sociales.
En 2016, la solidarité financière des donneurs d'ordre a été engagée à 486 reprises, pour un montant de 13,8 millions d'euros.
3,5 millions d'euros de redressements sont liés à des annulations d'exonérations suite à un constat de travail dissimulé à l'encontre de donneurs d'ordre.
Il s'agit donc d'un outil efficace de recouvrement et du principal sujet 3 ( * ) de préoccupations des entreprises qui gèrent par ailleurs leur risque en matière de travail dissimulé.
a) Une procédure fragilisée par la jurisprudence
Le texte actuel prévoit une procédure simple : à l'occasion du contrôle du sous-traitant, l'Urssaf dresse procès-verbal, constate ensuite l'impossibilité de payer puis met en oeuvre la solidarité financière.
La Cour de cassation jugeait jusqu'à présent de façon constante que si le sous-traitant ne contestait pas « le montant des cotisations éludées, tel qu'il avait été fixé à la suite du contrôle », aucune contestation n'était possible pour le donneur d'ordre.
Saisi par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel 4 ( * ) n'a admis la constitutionnalité de ce dispositif que pour autant que le donneur d'ordre « puisse contester la régularité de la procédure, le bien-fondé et l'exigibilité des impôts, taxes et cotisations obligatoires ainsi que des pénalités et majorations y afférentes au paiement solidaire desquels il est tenu ».
Il y a un risque sur cette procédure, articulée avec la possibilité d'exploiter les procès-verbaux établis par les administrations partenaires : c'est l'Urssaf qui est partie à la procédure devant le tribunal des affaires de sécurité sociale alors qu'elle n'a pas forcément participé au contrôle à l'origine du procès-verbal.
Avec l'obligation de produire devant le Tass des éléments qui concernent une procédure avec un tiers, il y a un risque de faire tomber la solidarité financière. Les éléments nécessaires devraient donc être transmis par les administrations partenaires à l'appui des procès-verbaux.
b) Un exemple de la nécessité de formaliser les procédures
En matière de sécurité sociale, la procédure de contrôle, robuste et stabilisée, relève actuellement du domaine règlementaire.
Dans la mesure où il emprunte de façon croissante aux formes et aux sanctions définies en matière fiscale, il semble nécessaire de remonter au niveau législatif certaines règles procédurales relatives au contrôle et au redressement, comme la garantie du contradictoire.
Le Conseil constitutionnel a en effet estimé, au commentaire de sa décision précitée, que les exigences de l'article 16 de la déclaration de 1789, sur la garantie des droits « ne sont pas réservées à des procédures juridictionnelles ».
* 2 Décret n°2017-859 du 9 mai 2017 relatif aux conditions d'exercice du droit de communication mentionné au cinquième alinéa de l'article L. 114-19 du code de la sécurité sociale.
* 3 Voir Les Échos sociétés Travail dissimulé : comment éviter les sanctions, 18 février 2016.
* 4 CC, décision 2015-479 QPC, 31 juillet 2015.