POURSUIVRE LA RÉFLEXION ENGAGÉE
I. UNE RÉFORME QUI NE PEUT ÊTRE APPLIQUÉE EN L'ÉTAT ET QUI IMPOSE, À MINIMA, UN REPORT
Le Gouvernement a transmis à vos rapporteurs spéciaux une simulation de la répartition de la CVAE 2016, telle qu'elle résulterait de l'application de l'article 51 de la loi de finances rectificative pour 2016. Ces simulations doivent être interprétées avec prudence, dans la mesure où elles s'appuient sur des données partielles : les entreprises mono-établissement ne déclarant pas leurs effectifs au sens de la CVAE, seule la valeur locative a été utilisée comme clé de répartition.
Il convient par ailleurs de signaler que la modification de la répartition du produit de CVAE entre les différents échelons 36 ( * ) est prise en compte dans les simulations : dans ce scénario, les départements perçoivent 23,5 % de la CVAE, contre 48,5 % jusqu'en 2017.
A. DES EFFETS MASSIFS REMETTANT EN CAUSE LES COMPENSATIONS DE LA RÉFORME DE LA TAXE PROFESSIONNELLE
1. Une nouvelle répartition, source potentielle de déstabilisation
Selon les simulations transmises par le Gouvernement, la « nouvelle » répartition de la CVAE conduirait à des transferts importants entre collectivités territoriales.
En ce qui concerne les régions, c'est l'Île-de-France qui serait la principale perdante à la réforme, mais aussi, dans des proportions similaires mais pour des montants moindres, la Martinique.
Le total des gains et des pertes enregistrés par les régions s'élèverait, en valeur absolue, à 355 millions d'euros, soit 4,2 % de la CVAE qu'elles perçoivent .
Répartition des régions en fonction de la perte ou du gain de CVAE
(en millions euros et en %)
Source : commission des finances du Sénat à partir des simulations transmises par la DGFiP
Résultats des simulations par région
(en millions d'euros)
CVAE simulée reversée en 2016 |
CVAE simulée en mode groupe |
Écart |
||
(en millions d'euros) |
(en %) |
|||
Île-de-France |
2 744,9 |
2 570,3 |
- 174,6 |
- 6,4 % |
Martinique |
26,8 |
25,2 |
- 1,7 |
- 6,3 % |
Guadeloupe |
25 |
24 |
- 1 |
- 4,1 % |
Corse |
27,6 |
27,2 |
- 0,4 |
- 1,4 % |
Provence-Alpes-Côte d'Azur |
542,8 |
548,8 |
6 |
1,1 % |
Guyane |
11,7 |
11,8 |
0,1 |
1,2 % |
Bourgogne-Franche-Comté |
282,2 |
285,8 |
3,6 |
1,3 % |
Aquitaine-Limousin-Poitou-Charente |
572,3 |
581,2 |
8,9 |
1,5 % |
Languedoc-Midi-Pyrénées |
568,4 |
577,3 |
8,9 |
1,6 % |
Bretagne |
319,7 |
324,9 |
5,2 |
1,6 % |
La Réunion |
53,8 |
54,9 |
1 |
1,9 % |
Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine |
597,8 |
618,2 |
20,4 |
3,4 % |
Auvergne-Rhône-Alpes |
1 013,3 |
1 049,5 |
36,3 |
3,6 % |
Pays de la Loire |
415,9 |
431,1 |
15,2 |
3,7 % |
Les-Hauts-de-France |
591,7 |
622,1 |
30,4 |
5,1 % |
Normandie |
358,2 |
377,1 |
18,9 |
5,3 % |
Centre-Val de Loire |
289,4 |
312,2 |
22,8 |
7,9 % |
Source : DGFiP
Les départements de la région francilienne seraient nettement perdants avec cette nouvelle répartition , en particulier les Hauts-de-Seine (- 36,5 millions d'euros, soit - 11,5 %) et Paris (- 33,6 millions d'euros, soit - 7,5 %).
C'est également le cas, dans des proportions proches, mais pour des sommes moindres, du Territoire de Belfort (- 0,8 million d'euros, soit - 9,8 %), de la Martinique (- 0,8 million d'euros, soit - 6,4 %), de la Guadeloupe (- 0,5 million d'euros, soit - 4,1 %), de la Haute-Corse (- 0,2 million d'euros, soit - 3,7 %) ou de Vaucluse (- 0,8 million d'euros soit - 3,1 %).
Le total des gains et des pertes enregistrés par les départements s'élèverait, en valeur absolue, à 174 millions d'euros, soit 4,5 % de la CVAE qu'ils perçoivent .
Répartition des départements en fonction de la perte ou du gain de CVAE
(en euros et en %)
Source : commission des finances du Sénat à partir des simulations transmises par la DGFiP
C'est surtout pour le bloc communal que les conséquences de la nouvelle répartition pourraient s'avérer particulièrement importantes. En effet, le total des gains et des pertes enregistrés par les communes et EPCI s'élèverait, en valeur absolue, à 274 millions d'euros, soit 6,5 % de la CVAE qui leur est attribuée 37 ( * ) .
Effets de la réforme pour les EPCI
Gagnants |
Perdants |
|||||||||
moins de 5 % |
de 5 % à 10 % |
de 10 % à 15 % |
de 15 % à 20 % |
plus de 20 % |
moins de 5 % |
de 5 % à 10 % |
de 10 % à 15 % |
de 15 % à 20 % |
plus de 20 % |
|
Nombre |
648 |
221 |
117 |
62 |
178 |
585 |
144 |
51 |
25 |
36 |
Moyenne (en milliers d'euros) |
39,5 |
117,8 |
124,2 |
119,8 |
282,8 |
- 29,6 |
- 713,6 |
- 82,6 |
- 85,7 |
- 105,5 |
Médiane (en milliers d'euros) |
4 |
27,8 |
28,8 |
30 |
94,1 |
- 2,3 |
- 14,3 |
- 28,9 |
- 30,2 |
- 34,1 |
Source : rapport du Gouvernement sur la mise en oeuvre de la CVAE groupe
Les baisses les plus fortes de CVAE (en montant et en proportion) seraient également enregistrées en région parisienne.
Détail des dix plus importantes pertes résultant de la réforme
CVAE de référence (2014) |
CVAE groupe (2014) |
Écart |
||
(en millions d'euros) |
(en %) |
|||
PARIS |
434,15 |
406,99 |
- 27,17 |
- 6,26 % |
CA Seine-Défense |
89,34 |
77,05 |
- 12,29 |
- 13,76 % |
CA Grand Paris Seine Ouest |
79,12 |
69,27 |
- 9,85 |
- 12,45 % |
CA Mont Valérien |
56,98 |
50,66 |
- 6,32 |
- 11,10 % |
CA Est Ensemble |
27,19 |
21,03 |
- 6,16 |
- 22,64 % |
CC de Châtillon - Montrouge |
14,49 |
9,62 |
- 4,87 |
- 33,62 % |
LEVALLOIS-PERRE |
20,89 |
16,25 |
- 4,64 |
- 22,20 % |
CLICHY |
11,02 |
8,05 |
- 2,97 |
- 26,93 % |
CA Plaine Commune |
40,69 |
38,24 |
- 2,45 |
- 6,02 % |
CHEVILLY LARUE |
6,46 |
4,70 |
- 1,76 |
- 27,18 % |
Source : commission des finances du Sénat à partir des données transmises par la DGFiP
Selon le rapport du Gouvernement, pour les entreprises industrielles, la CVAE répartie en 2016 passerait de 5,596 à 6,204 milliards d'euros, « soit des transferts à hauteur de 600 millions d'euros sans pouvoir assurer que cette CVAE est transférée sur des territoires industriels, dès lors que l'appréciation du caractère industriel de l'entreprise peut être uniquement dû à un seul de ses établissements. Symétriquement, la CVAE répartie au titre des entreprises « non industrielles » diminue de 600 millions d'euros . »
Néanmoins, cette nouvelle répartition semble être plus favorable à des EPCI marqués par un important tissu industriel , comme le montre le tableau ci-dessous.
Détail des dix plus importants gains (en montant) résultant de la réforme
CVAE de référence (2014) |
CVAE groupe (2014) |
Écart |
||
(en millions d'euros) |
(en %) |
|||
CA de la Région Nazairienne et de l'Estuaire |
10,30 |
12,40 |
2,10 |
20,37 % |
CA Orléans Val de Loire |
25,03 |
27,07 |
2,03 |
8,12 % |
CC Val d'Amboise |
1,36 |
3,32 |
1,96 |
144,03 % |
CC de la Hague |
3,46 |
5,21 |
1,75 |
50,74 % |
CA Rouen-Elbeuf-Austreberthe |
33,29 |
34,86 |
1,57 |
4,70 % |
CA Seine-Eure |
8,87 |
10,41 |
1,53 |
17,30 % |
CA du Grand Rodez |
4,32 |
5,81 |
1,49 |
34,49 % |
CC des Pays d'Oise et d'Halatt |
1,73 |
3,12 |
1,38 |
79,97 % |
CU de Lyon |
132,31 |
133,69 |
1,38 |
1,04 % |
CU de Dunkerque Grand Littoral |
13,88 |
15,18 |
1,30 |
9,39 % |
CA Reims Métropole |
15,95 |
17,16 |
1,21 |
7,57 % |
Source : commission des finances du Sénat à partir des données transmises par la DGFiP
Il convient à ce titre de souligner que le produit de la CVAE intervient dans le calcul des potentiels fiscal et financier des communes, des EPCI, des départements, dans le potentiel financier agrégé utilisé pour la répartition du fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC), et a donc des conséquences sur la répartition de tous les fonds et dotations de péréquation.
Enfin, en agrégeant l'ensemble des recettes des collectivités territoriales (bloc communal, départements et région) pour chaque région, on ne constate pas, dans le scénario étudié, une nette convergence entre le poids de la région dans le PIB et la part de CVAE qui est perçue sur son territoire .
Si le scénario proposé permet de réduire l'écart le plus significatif (pour l'Île-de-France) entre le poids dans le PIB et la part de CVAE perçue sur son territoire, au total, par rapport à la répartition actuelle, il renforce les écarts entre le poids de la région dans le PIB d'une part, et dans l'attribution des recettes de CVAE d'autre part.
Comparaison de l'écart entre la part du PIB (2014) et la part de CVAE (2014) perçue sur le territoire de chaque région
(en %)
Source : commission des finances du Sénat à partir des données transmises par la DGFiP
2. Une correction justifiée du fonds national de garantie individuelle des ressources ?
Enfin, si elle était mise en oeuvre, la réforme de la répartition de la CVAE inscrite dans la loi de finances rectificative pour 2016 devrait sans doute conduire à une remise à plat plus générale des dispositifs qui ont accompagné la réforme de la taxe professionnelle, et en particulier du fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR).
En effet, le FNGIR a été créé à la suite de la réforme de la taxe professionnelle, afin de garantir une compensation, à l'euro près, des effets de la réforme pour chaque collectivité territoriale. Financé par les collectivités territoriales « gagnantes » de la réforme, il compense les pertes enregistrées par les collectivités « perdantes » de la réforme. Son montant, qui résulte de la différence entre les recettes perçues avant et après la réforme de la taxe professionnelle, a été calculé pour chaque collectivité une fois pour toutes 38 ( * ) .
L'entrée en vigueur d'une nouvelle répartition de la CVAE qui aurait des conséquences importantes sur le produit perçu par les collectivités territoriales pourrait justifier une correction du FNGIR : il s'agirait de conserver la logique du FNGIR mais d'ajouter aux montants actuels, ceux permettant de compenser les effets de la nouvelle répartition.
La modification de la territorialisation de la CVAE proposée par la loi de finances rectificative conduit nécessairement à s'interroger sur la pérennité de l'équilibre trouvé lors la réforme de la taxe professionnelle. Il convient par conséquent de mesurer précisément les effets d'une telle réforme pour pouvoir, le cas échéant, adapter les dispositifs introduits à cette occasion.
* 36 En application de l'article 89 de la loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016.
* 37 En raison de l'absence de transmission, par le Gouvernement, de simulations récentes et détaillées des effets de la réforme pour le bloc communal, il s'agit de la CVAE millésime 2014 (et non 2016, comme pour les régions et départements).
* 38 Des ajustements et la correction d'erreurs ont été prévus jusqu'en 2013.