Ouverture du colloque par Gérard Larcher, président du Sénat
Madame la présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, chère Chantal Jouanno,
Mes chères collègues sénatrices, mes chers collègues sénateurs,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs,
Dans trois jours, s'ouvre à Paris un rendez-vous annuel majeur : le Salon international de l'agriculture, dont la thématique est cette année « L'agriculture : une passion, des ambitions ».
Une passion pour l'agriculture et des ambitions, c'est résolument un thème qui caractérisait l'action de Xavier Beulin 1 ( * ) auquel je veux rendre hommage à cet instant. Je l'avais rencontré, il y a moins de dix jours, dans mon bureau du Sénat. Il a été un grand syndicaliste agricole et a porté avec conviction une vision forte et ambitieuse pour l'agriculture française. C'est à Christiane Lambert, qui vient d'être désignée pour assurer la présidence par intérim de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), que je pense aussi. Elle devient la première femme à exercer cette fonction. (Applaudissements.)
Une passion pour l'agriculture et des ambitions, c'est au fond le fil directeur de l'action de tous nos agriculteurs. Je le mesure à chacun de mes déplacements dans des exploitations, quelle que soit la filière de production. Mes origines personnelles et professionnelles ne m'éloignent pas beaucoup de l'élevage, notamment normand, et aujourd'hui des céréales, sur le chemin de Péguy, dans la petite Beauce entre Rambouillet et Chartres.
La passion pour la terre, la passion pour l'élevage, la passion tout simplement pour de beaux et bons produits, la passion pour le territoire sont nécessaires pour exercer un métier aussi difficile que celui d'agriculteur. Surtout quand les temps sont durs, comme ils ont pu l'être ces dernières années dans l'élevage, que ce soit dans la filière viande ou dans la filière lait, l'an dernier dans la filière céréalière et en ce moment même à nouveau dans le Sud-Ouest, avec la filière canard ravagée par la grippe aviaire.
Les ambitions, elles sont évidemment multiples lorsque l'on constate la diversité de nos structures et de nos productions agricoles. Notre pays a la chance d'avoir une agriculture diverse. Je pense qu'il peut et qu'il doit couvrir tous les segments du marché en s'appuyant sur des modèles de production à la fois différents et complémentaires. Notre agriculture, notre filière agroalimentaire sont essentielles au développement économique de nos territoires ruraux, de métropole et d'Outre-mer, ne l'oublions pas. Nous aurons demain, à l'initiative de la délégation à l'Outre-mer du Sénat, une grande réunion sur l'Océan Indien et nous voyons bien que la filière agricole y occupe une place particulière.
Rappelons-nous que l'agriculture et la filière agroalimentaire sont l'un des postes principaux d'excédents de notre balance commerciale, derrière l'aéronautique. Nous avons trop souvent tendance à l'oublier. Cet atout majeur pour la France, nous le devons aux générations d'agriculteurs et d'agricultrices qui se sont succédé et qui ont fait de la France une grande puissance agricole, capable de nourrir sa population, d'exporter et d'être une référence mondiale.
Je voudrais vous remercier, madame la présidente, et vous aussi, mes chères collègues de la délégation aux droits des femmes, d'avoir ainsi pris l'initiative de ce colloque qui met en exergue le rôle des agricultrices. Longtemps, les femmes travaillant dans les exploitations agricoles - très nombreuses - ont été regardées comme des « femmes d'agriculteurs » et non comme des agricultrices à part entière. Les statuts juridiques les ignoraient ou les considéraient uniquement comme des aidants familiaux. Quant aux formes d'exploitation, elles ne leur étaient guère favorables puisqu'un GAEC (Groupement agricole d'exploitation en commun) ne pouvait pas être constitué uniquement entre deux conjoints. Il a fallu attendre 1985 et la création des EARL (Entreprise agricole à responsabilité limitée), puis la loi d'orientation agricole de 1999 2 ( * ) , qui créait le statut de conjoint collaborateur, pour que les choses évoluent vraiment et que les agricultrices deviennent enfin « visibles juridiquement ».
Visibles, elles l'étaient sur le terrain, dans les exploitations, depuis longtemps. Elles l'étaient en particulier pendant les guerres, au cours desquelles elles ont joué, comme dans d'autres segments de l'économie, un rôle essentiel. Le gouvernement savait alors se tourner vers elles. Je pense à l'appel lancé, le 2 août 1914, par le président du Conseil René Viviani aux femmes françaises pour leur demander de « maintenir l'activité des campagnes, de terminer les récoltes de l'année et de préparer celles de l'année prochaine ». Le président du Conseil ajoutait qu'elles ne pourraient pas « rendre à la patrie un plus grand service ». C'est d'ailleurs ce service qui a été honoré l'an dernier à Verdun par la création d'un monument en l'honneur des femmes du monde rural pendant la guerre.
Visibles, ces femmes l'étaient également sur le plan de l'engagement dans la société, notamment au travers de la branche féminine de la Jeunesse agricole catholique (JAC), qui a joué un rôle très important dans l'évolution du monde agricole. Cette branche fut créée en 1933, bien avant que le droit n'accorde à ces femmes une véritable place et qu'elle leur octroie le droit de vote ; il faudra attendre le général de Gaulle pour cela.
Les femmes ont ainsi joué un rôle essentiel dans l'histoire de notre développement agricole. Mais plus que du passé, c'est de l'avenir que je voudrais maintenant vous parler, car les agricultrices portent une part importante du développement de notre agriculture.
Aujourd'hui, elles représentent plus du quart des chefs d'exploitation et des co-exploitants. Dans les jeunes générations, elles sont souvent un peu plus diplômées que les hommes. Elles représentent la moitié des effectifs de l'enseignement agricole, même si on constate toujours des disparités entre filières. Les femmes sont certes un peu moins présentes en production animale, à l'exception de la filière cheval et du segment des petits animaux. C'est une caractéristique que l'on retrouve d'ailleurs dans la filière vétérinaire.
Les femmes paraissent avoir une sensibilité spécifique. Selon des études menées par le ministère de l'Agriculture - je salue ma consoeur qui représente ici ce ministère 3 ( * ) , elles montrent une appétence plus grande pour les nouvelles demandes de la société, qu'il s'agisse de la filière bio ou de la vente directe. Elles sont également en pointe pour développer des projets d'agrotourisme et permettre ainsi de promouvoir le monde agricole et de diversifier les sources de revenus des exploitants agricoles, ce qui conforte la résilience des exploitations.
Être agricultrice en 2017, ce n'est plus simplement être dépositaire d'un héritage, plus ou moins voulu, plus ou moins subi. C'est être actrice à part entière du développement de notre filière agricole et agroalimentaire. C'est être porteuse d'innovations pour nos territoires ruraux.
Cette réalité, elle me paraît encore insuffisamment mise en valeur, voire mal appréciée par les autres acteurs qui contribuent à ce développement. Je pense notamment aux conseillers des chambres d'agriculture ou aux banquiers, qui ne considèrent peut-être pas toujours de la même manière, face à un projet, un homme ou une femme. C'est une réalité que nous nous sommes permis de contrôler il y a peu.
Ce témoignage, je l'ai entendu l'an dernier de la part d'une jeune agricultrice à Rémalard-en-Perche, dans l'Orne. Belle-fille du gérant de l'exploitation, elle s'est lancée avec conviction dans l'élevage de porcs, diversifiant les productions de l'exploitation. Des commentaires sceptiques, elle en a entendus ! Son témoignage sur ce point était éclairant. Mais elle a réussi ! Je dois vous dire que lorsque je l'ai rencontrée, c'était à une période où le prix du porc avoisinait un euro. Au moment où le Sénat travaillait à une proposition de loi en faveur de la compétitivité de l'agriculture, elle nous a beaucoup impressionnés par son imagination et par son talent. Dans ce même département, c'est également une femme qui préside avec dynamisme la Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles (FDSEA).
On compte peu de femmes à la présidence des fédérations syndicales départementales ou des chambres d'agriculture. Trois chambres seulement sont aujourd'hui présidées par des femmes : en Mayenne 4 ( * ) , en Lozère et dans la Drôme.
(Des voix s'élèvent dans la salle pour indiquer qu'une femme préside également la Chambre d'agriculture des Côtes-d'Armor.)
Les Bretons nous étonneront toujours, Madame Gatel 5 ( * ) ...
Dans les Yvelines, la directrice de la chambre d'agriculture est une femme, maire, fille d'agriculteurs. Je lui ai remis la Légion d'honneur la semaine dernière.
Deux femmes seulement ont été en charge du ministère de l'agriculture dans l'histoire récente de la V e République : Édith Cresson, puis Christine Lagarde, brièvement, avant qu'elle rejoigne le ministère des Finances. Je crois que la délégation sénatoriale aux droits des femmes souhaite montrer que l'agriculture n'est pas un « métier d'homme ». Elle a pour ambition de témoigner que les femmes y ont toute leur place, madame la présidente, et que notre pays a besoin de leur passion, de leurs talents, de leurs ambitions.
Oui, ici, au Sénat, pas simplement parce que nous serions héritiers de l'« assemblée du seigle et de la châtaigne », nous sommes confiants et nous croyons dans l'avenir de notre agriculture. Nous en débattons souvent avec passion, et toujours avec ambition. Nous pouvons bien sûr compter sur nos collègues issus du monde agricole - ce sont aujourd'hui plutôt des hommes - pour animer ces débats, mais les sénatrices qui représentent désormais 27 % de notre assemblée y contribuent de manière importante.
À titre d'exemple, je citerai une discussion législative récente en mentionnant quelques noms qui ont animé notre hémicycle. C'était un débat sur le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Nous parlions des néonicotinoïdes. Au palmarès des prises de parole, nous avons entendu les sénatrices Sophie Primas, Nicole Bonnefoy, Laurence Cohen, Marie-Christine Blandin, vous, madame la présidente, chère Chantal Jouanno, et d'autres encore. Auparavant, nous avions aussi pu bénéficier de l'expérience de notre ancienne collègue Jacqueline Panis, qui a siégé au Sénat de 2007 à 2011 et que je remercie de sa présence aujourd'hui.
Je crois que ces exemples susciteront des vocations, car je sais que le thème de l'engagement politique des agricultrices sera abordé tout à l'heure. Je vous souhaite un après-midi d'échanges passionnés (peut-être un peu moins passionnés que sur les néonicotinoïdes au Sénat...), mais dans tous les cas, je sais que l'on peut tout dire ici et que la courtoisie des propos n'empêche pas d'exprimer des convictions fortes. Le Sénat est très heureux de vous accueillir.
Je vais malheureusement devoir vous quitter. Je vous souhaite un après-midi très vivant ! (Applaudissements.)
* 1 Xavier Beulin (1958-2017), président de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles) de 2010 à son décès le 19 février 2017.
* 2 Loi n° 99-574 du 9 juillet 1999 d'orientation agricole.
* 3 Françoise Liébert, docteure vétérinaire, Haute Fonctionnaire en charge de l'Égalité des droits femmes-hommes au ministère de l'Agriculture, de l'Agroalimentaire et de la Forêt.
* 4 Florence Desillière, présidente de la Chambre d'agriculture de la Mayenne de 2013 à 2016, a démissionné après son élection au Conseil régional des Pays de la Loire, où elle est vice-présidente de la commission Agriculture, agroalimentaire, forêt, pêche et mer.
* 5 Françoise Gatel, sénateur d'Ille-et-Vilaine depuis septembre 2014, membre du groupe UDI-UC et de la commission des Affaires sociales, maire de Châteaugiron et présidente de la communauté de communes du Pays de Châteaugiron.