C. DES PROPOSITIONS POUR AMÉLIORER LA MISE EN oeUVRE DU DIALOGUE SOCIAL PRÉALABLE AUX RÉFORMES DU CODE DU TRAVAIL

La mission d'information considère que la promotion du dialogue social au niveau national pour concevoir des réformes portant sur le code du travail, telle que prévue à l'article L. 1 du code du travail, est complémentaire de la dynamique visant à développer les accords collectifs dans les entreprises , et qui a connu une nette accélération avec la loi « Travail ».

Si le bilan de l'article L. 1 du code du travail est globalement positif et plaide pour son maintien sans modification 302 ( * ) , il convient néanmoins d' améliorer la mise en oeuvre du dialogue social au niveau national de la part du Gouvernement, du Parlement et des partenaires sociaux.

La mission d'information est convaincue que le dialogue social au niveau national pourrait être renforcé à droit constant , à travers une modernisation du rôle des différents acteurs. Une telle évolution ne peut toutefois garantir à elle-seule le succès et la pertinence d'une réforme, indépendamment de son contenu.

À travers ses propositions, la mission d'information souhaite raffermir les liens entre démocratie sociale et démocratie représentative , car « la démocratie politique ne sera pas viable si elle ne s'épanouit pas en démocratie sociale » , tandis que « la démocratie sociale ne serait ni réelle ni stable si elle ne se fondait pas sur une démocratie politique » 303 ( * ) .

1. Élaborer une feuille de route sociale pour la durée du quinquennat et faire davantage oeuvre de pédagogie
a) Une feuille de route sociale

L'article L. 3 du code du travail, très rarement mentionné lors des auditions de la mission d'information, oblige le Gouvernement à présenter chaque année devant la Commission nationale de la négociation collective (CNNC) ses orientations pour l'année à venir dans les domaines des relations individuelles et collectives du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle, ainsi que le calendrier envisagé pour leur mise en oeuvre. Il doit également remettre au Parlement un rapport faisant état de toutes les procédures de concertation et de consultation mises en oeuvre pendant l'année écoulée en application des articles L. 1 et L. 2.

Or, selon les informations communiquées à la mission d'information par la direction générale du travail, si le Gouvernement présente bien ses orientations devant la CNNC, l'exercice reste très formel et ne suscite pas de réel engouement de la part des partenaires sociaux. En outre, le rapport annuel du Gouvernement au Parlement n'a jamais été produit depuis 2007.

Lors de son audition par la mission d'information, M. Jean-Denis Combrexelle a rappelé que la loi « Larcher » avait effectivement prévu un « calendrier de négociation, sur des thèmes déterminés, sur lequel les partenaires sociaux et le gouvernement devaient se mettre d'accord à l'avance » mais que « cet élément qui, aux yeux de l'auteur de la loi, était essentiel à son équilibre a été, hélas, un peu oublié » 304 ( * ) .

Entre 2012 et 2015, le Gouvernement a organisé quatre « conférences sociales » réunissant les partenaires sociaux, représentatifs ou non, pour fixer l'agenda social de l'année 305 ( * ) .

L'organisation de ces conférences n'a pas été garantie d'une année sur l'autre. Beaucoup de syndicats ont d'ailleurs regretté leur caractère formel et ponctuel et seuls quelques sujets ont été suivis de manière pluriannuelle. La dernière conférence sociale organisée en octobre 2015 n'a pas abordé la question de la refondation du code du travail, qui était pourtant la raison d'être du projet de loi « Travail », tandis que la CGT a refusé d'y participer.

C'est pourquoi la mission d'information invite le Gouvernement à présenter devant le Parlement une feuille de route des réformes sociales applicable pendant le quinquennat et qui pourrait comprendre :

- un calendrier indicatif et non contraignant des réformes sociales à réaliser, ou du moins un ordre indiquant celles qui sont prioritaires ;

- les réformes qui ne relèvent pas de l'article L. 1 compte tenu de leur urgence et de la situation économique et sociale ;

- les réformes relevant de l'article L. 1, en indiquant approximativement pour chacune d'elles le délai au-delà duquel le Gouvernement compte légiférer sans accord des partenaires sociaux ;

- les réformes ne relevant pas de l'article L. 1 compte tenu du périmètre du champ d'application de cet article et de la jurisprudence du Conseil d'État, mais qui feront l'objet d'une information, d'une consultation ou d'une négociation ;

- le cas échéant, et à titre recognitif, les éléments de « l'agenda social autonome » fixé par les partenaires sociaux (voir infra ) ;

- si possible, les modalités d'établissement des diagnostics partagés et du suivi des réformes engagées.

L'objectif de cette feuille de route étant de moins légiférer pour mieux légiférer, elle fixerait les réformes à mener afin de donner aux partenaires sociaux un cadre global de négociation pendant cinq ans, évitant ainsi une approche à court terme pour chaque réforme. Elle serait actualisée chaque année, pour tenir compte des nouvelles orientations du Gouvernement et des éventuelles observations de la Commission européenne, et pourrait faire l'objet d'une information à la Commission nationale de la négociation collective (CNNC) avant sa présentation devant le Parlement.

Elle mettrait en oeuvre le principe de loyauté des négociations avec les partenaires sociaux, crucial selon MM. Morel et Martinot, en incitant le Gouvernement à leur annoncer en amont ses engagements sur une réforme donnée (reprise partielle ou totale envisagée pour un accord, calendrier pour négocier...).

L'établissement d'une telle feuille de route, déclinaison dans le domaine social du discours de politique générale du Gouvernement, rencontre d'ailleurs l'assentiment de la plupart des représentants des partenaires sociaux entendus par la mission d'information, M. Pierre Burban, secrétaire général de l'Union des entreprises de proximité (U2P), jugeant même cette proposition « idéale » pour organiser le dialogue social au niveau national 306 ( * ) .

Cette feuille de route aurait également comme avantage indirect de dissuader le Gouvernement d'intégrer à un même projet de loi plusieurs réformes, et de tirer ainsi les enseignements de l'élaboration de la loi « Travail », au cours de laquelle la réforme du licenciement économique et le barème des indemnités en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse ont été ajoutés très tardivement, alors que l'objet initial de la loi portait essentiellement sur la négociation collective. M. Jacques Barthélémy et M. Gilbert Cette plaident à cet égard depuis de nombreuses années pour des réformes sociales centrées sur des sujets précis qui évitent « d'agiter des chiffons rouges », risque aggravé si ces propositions ne sont pas adossées à un ANI 307 ( * ) .

Cette proposition s'inspire de trois recommandations formulées en 2006 par M. Dominique-Jean Chertier dans son rapport précité « Pour une modernisation du dialogue social » du 31 mars 2006 308 ( * ) .

Proposition n° 8 : Inviter le Gouvernement à présenter une feuille de route sociale couvrant le quinquennat, qui présenterait ses priorités, éventuellement un calendrier indicatif et les modalités d'association des partenaires sociaux, y compris les modalités de recours à l'article L. 1 du code du travail.

b) Des efforts de pédagogie indispensables pour expliquer les réformes sociales

La mission d'information approuve les préconisations du rapport Combrexelle 309 ( * ) visant à créer une culture du dialogue social en France à travers la diffusion d'une « dynamique de la négociation ». Dans un pays marqué par les luttes sociales et les antagonismes, il est nécessaire de valoriser les vertus d'un dialogue social apaisé, qui ne doit pas cependant être synonyme de renonciation des partenaires sociaux à leurs convictions.

La première proposition du rapport, souvent passée sous silence dans les débats publics, est pourtant capitale : il convient d'élaborer une « pédagogie de la négociation collective démontrant son caractère rationnel et nécessaire dans un contexte concurrentiel et de crise économique ». Dans un monde économique en constante évolution, le dialogue social est l'un des leviers d'adaptation des entreprises. Comme l'a constaté la mission d'information lors de son déplacement au Danemark, c'est même dès l'école que la culture du dialogue, du compromis et de l'écoute réciproque, par le développement de travaux en équipe, doit être développée afin de faciliter ensuite la conduite du changement en entreprises.

En outre, l'examen de la loi « Travail » a été émaillé par de nombreuses polémiques dont certaines étaient fondées sur des informations erronées, tandis qu'une pétition en ligne d'opposition au texte a rencontré un très grand succès.

C'est pourquoi le professeur Paul-Henri Antonmattéi, lors de son audition par la mission d'information 310 ( * ) , a plaidé pour que les membres du Gouvernement expliquent davantage le sens et la philosophie des réformes sociales envisagées , souvent complexes et techniques y compris pour les spécialistes, en amont et en aval de leurs examens parlementaires, à travers des participations dans les médias, à des colloques et à diverses rencontres avec les acteurs du monde du travail.

Dans le même sens, M. Jean-Denis Combrexelle a regretté lors de son audition que « l'accompagnement pédagogique des lois » soit « limité », alors qu'il faudrait pouvoir expliquer le contenu de la loi « Travail » « aux citoyens qui ne sont ni juristes ni syndicalistes, sans jeter de doute sur l'impartialité de cette information » et concurrencer ainsi des « réseaux sociaux qui véhiculent des discours schématiques et réducteurs » 311 ( * ) .

Certes, les services de communication du Gouvernement ne sont pas restés inactifs, à travers la diffusion le 20 février 2016 d'un « vrai-faux » sur la loi « Travail » et le lancement cinq jours plus tard d'un compte officiel Twitter portant spécifiquement sur cette loi. En outre, le site du ministère du travail héberge actuellement une page intitulée « Quelles sont les principales mesures de la loi Travail ? » Tout ceci reste toutefois très à la marge et ne constitue pas le travail d'explication préalable ou parallèle à toute réforme.

Une nouvelle stratégie doit donc être mise en place par le Gouvernement pour accompagner, expliquer et diffuser les réformes sociales en se fondant sur des informations objectives et impartiales. Un site internet pourrait être consacré aux enjeux d'une réforme avant son examen au Parlement, puis être actualisé lors de la publication de la loi. À travers l'utilisation de graphiques, de schémas et d'exemples concrets simplifiés, il s'adresserait aussi bien aux citoyens qu'aux journalistes, et comprendrait divers liens pour approfondir les sujets techniques. Un « forum citoyen » pourrait être adossé à ce site, permettant aux citoyens de poser des questions et de leur apporter des réponses, comme l'a proposé M. Jean-Denis Combrexelle lors de son audition.

La mission d'information souhaite aussi que les salariés et les employeurs soient mieux i nformés sur les règles de la représentativité des partenaires sociaux , car si cette réforme date en partie de 2008 et constitue un élément central de leur légitimité, elle demeure encore très mal connue.

De fait, lors des élections professionnelles, peu de salariés savent que leurs choix déterminent indirectement les organisations syndicales habilitées à négocier des accords nationaux interprofessionnels.

Compte tenu des responsabilités confiées aux partenaires sociaux représentatifs au niveau national lors de l'élaboration des réformes portant sur le code du travail, il paraîtrait légitime d'informer les salariés sur la portée de leurs votes lors des élections en entreprise.

Le ministère du travail pourrait ainsi élaborer une notice d'information , distribuée aux salariés lors des élections professionnelles ou affichée sur leurs lieux de travail, sur les conséquences de leurs votes dans le choix des syndicats amenés à négocier au niveau national et interprofessionnel.

Une notice d'information pourrait également être envoyée aux chefs d'entreprise pour leur rappeler les enjeux attachés à leur adhésion à une organisation patronale, dans le prolongement du portail d'information de la représentativité patronale mis en place par le Gouvernement.

2. Mieux articuler la démocratie représentative avec la démocratie sociale
a) Encourager le Parlement à s'impliquer en amont des documents d'orientation

Lorsqu'un accord national interprofessionnel est conclu puis transcrit dans un projet de loi, son examen parlementaire apparaît aux yeux de certains comme une formalité. C'est pourquoi il pourrait être souhaitable d' impliquer davantage le Parlement en amont de l'élaboration du document d'orientation.

Les parlementaires pourraient ainsi veiller à ce que le document d'orientation ne vise que les « principes fondamentaux » du droit du travail et du droit syndical, conformément à l'article 34 de la Constitution. Il s'agit en effet d'éviter des « lettres d'orientation ministérielles » trop précises et directives imposées aux négociateurs, comme l'a rappelé M. Jean-François Pilliard lors de son audition 312 ( * ) .

A minima , la commission des affaires sociales de l'assemblée pourrait entendre, dans le cadre d'une audition , le ministre du travail et, si besoin, les partenaires sociaux, postérieurement à la publication du projet de document d'orientation 313 ( * ) . Le Gouvernement prendrait alors l'engagement politique d'accorder au Parlement un délai raisonnable pour prendre connaissance du texte, par exemple entre deux semaines et un mois. Le président de la commission des affaires sociales, ou le rapporteur pour avis de la mission budgétaire « travail et emploi », voire un parlementaire désigné par la commission (un « rapporteur par anticipation » du futur projet de loi) pourrait ainsi jouer un rôle essentiel pendant ces auditions. À leur issue, une communication pourrait être prononcée en commission, publiée sur le site de l'assemblée concernée, afin de faire connaître la position de la commission au Gouvernement.

Une autre option pourrait être la production d'un rapport d'information , même si les délais pourraient s'avérer trop restreints.

Une dernière option, plus ambitieuse, pourrait être d'inviter le Parlement à faire usage du droit de résolution prévu à l'article 34-1 de la Constitution pour présenter le point de vue des parlementaires sur le projet de document d'orientation (ce droit s'inspirant de celui applicable aux sujets européens 314 ( * ) ).

Pour mémoire, en vertu de l'article 1 er de la loi organique du 15 avril 2009 315 ( * ) , une proposition de résolution, qui n'est soumise à aucun formalisme particulier, peut être déposée par un ou plusieurs parlementaires sur le bureau de l'assemblée concernée.

Le Gouvernement doit être immédiatement informé d'une proposition de résolution et il peut s'opposer à son inscription à l'ordre du jour s'il estime qu'elle remettrait en cause sa responsabilité ou qu'elle contiendrait des injonctions à son égard 316 ( * ) .

Une proposition de résolution ne peut être inscrite à l'ordre du jour d'une assemblée moins de six jours francs après son dépôt. Elle n'est jamais renvoyée en commission. L'assemblée examine et vote sur le texte de la proposition de résolution initiale, ou rectifiée par son auteur à condition que cette rectification intervienne avant son inscription à l'ordre du jour. Aucun amendement n'est recevable sur les propositions de résolution.

Un débat en séance publique sur une proposition de résolution portant sur un projet de document d'orientation, en présence du ministre du travail, conférerait davantage de solennité aux recommandations du Parlement.

Chaque assemblée parlementaire pourrait décider librement si elle souhaite peser ou non dans l'élaboration du document d'orientation, et de la forme que prendra cette participation.

En outre, la mission d'information considère qu'une éventuelle implication du Parlement dans l'élaboration du document d'orientation est conditionnée, par construction, à la publication préalable d'un projet du Gouvernement dans des délais raisonnables.

Cette implication n'est pas de nature à perturber le déroulement de la négociation puisque les grandes lignes du document d'orientation devraient par ailleurs être présentées par le Gouvernement dans sa feuille de route sociale quinquennale , actualisée chaque année.

Enfin, une fois la négociation entamée par les partenaires sociaux, il serait utile que le Parlement soit informé de son évolution.

Proposition n° 9 : Encourager le Parlement à s'exprimer sur un projet de document d'orientation, dans un délai raisonnable, afin de faire connaître sa position plus en amont, par exemple sous la forme d'une résolution.

b) Faire un bilan des protocoles parlementaires qui déclinent les principes de l'article L. 1 aux propositions de loi

Les protocoles déclinant au niveau des assemblées parlementaires et des propositions de loi les principes issus de l'article L. 1 du code du travail n'ont pas fait l'objet d'un bilan , pourtant prévu pour la fin de l'année 2011.

Au vu des éléments dont dispose la mission d'information, la lettre et l'esprit des protocoles semblent avoir été respectés par les assemblées parlementaires. Les situations dans lesquelles les protocoles n'ont pas été appliqués aux propositions de loi sont cohérentes avec l'interprétation restrictive de l'article L. 1 retenue par le Conseil d'État (voir supra ).

Une réflexion pourrait être menée sur la base juridique de ces protocoles, le Sénat ayant fait le choix d'une décision de son Bureau, alors que l'Assemblée nationale s'est appuyée sur la Conférence des présidents.

Enfin, l'actualisation des protocoles parlementaires pourrait être l'occasion de réfléchir à l'articulation de cette concertation avec la consultation des citoyens que la mission d'information souhaiterait voir généralisée.

3. Renforcer le rôle des partenaires sociaux
a) Inviter les partenaires sociaux à améliorer la pratique de la négociation nationale interprofessionnelle

M. Jean-Denis Combrexelle, lors de son audition 317 ( * ) par la mission d'information, a déploré la persistance d'une « véritable liturgie de la négociation » sociale au niveau national, caractérisée par des séances de travail de nuit et de nombreuses interruptions, ni efficace ni attractive auprès des « nouvelles générations ». M. Jean-François Pilliard a d'ailleurs souligné devant la mission d'information 318 ( * ) que « la confrontation des points de vue est source de progrès si elle est respectueuse et porte une volonté de construire ». Lors de son audition 319 ( * ) , Mme Marylise Léon, secrétaire nationale en charge de l'évolution des règles du dialogue social de la CFDT, a indiqué que les acteurs sociaux devaient « absolument travailler sur la méthode de négociation » et « se questionner » « sur la façon dont on construit un accord et dont on évalue ce qu'il produit ».

La mission d'information appelle par conséquent les partenaires sociaux à conclure un accord de méthode « à froid » pour définir les modalités du dialogue social au niveau national et interprofessionnel. Une négociation avait été prévue sur ce sujet après l'échec en 2015 de la négociation sur la modernisation des institutions représentatives du personnel mais elle n'a pas abouti. Cet accord de méthode déterminerait notamment les sujets inscrits à leur agenda social autonome, les modalités d'établissement du diagnostic partagé, les cas de recours à des experts, les règles de rédaction des versions provisoires des accords, l'organisation et le lieu des réunions, les moyens pour communiquer sur l'avancée de la négociation ou encore les modalités de suivi des accords et des positions communes.

L'accord conclu par les partenaires sociaux sur l'assurance chômage le 28 mars 2017 illustre, selon M. Alexandre Saubot, chef de file du MEDEF, le succès de la méthode du diagnostic partagé, qui a été proposée par l'organisation patronale fin 2016 pour surmonter l'échec de la précédente négociation 320 ( * ) .

La loi « Travail » a d'ailleurs consacré l'existence des accords de méthode dans le code du travail, lesquels ont pour objet de « permettre à la négociation de s'accomplir dans des conditions de loyauté et de confiance mutuelle entre les parties » (art. L. 2222-3-1 du code du travail) 321 ( * ) .

Certes, le Gouvernement devra remettre au Parlement avant la fin de l'année 2017 un rapport sur les voies et moyens de revaloriser le dialogue social et d'améliorer le cadre et la méthode de la négociation interprofessionnelle 322 ( * ) . Mais la mission d'information considère que les partenaires sociaux sont les plus légitimes pour conclure un tel accord de méthode, qui ne relève ni de la compétence du législateur, ni du pouvoir réglementaire.

Les partenaires sociaux doivent par ailleurs réfléchir aux moyens d'assurer une bonne articulation entre la base des adhérents et leurs directions lors de l'attribution des mandats aux négociateurs avant l'ouverture d'une négociation nationale interprofessionnelle et avant sa conclusion.

Enfin, la mission d'information a constaté que de nombreuses personnes plaident pour la création par les partenaires sociaux d'une commission paritaire permanente au niveau national et interprofessionnel , à l'instar de la CFTC 323 ( * ) , du professeur Paul-Henri Antonmattéi ou encore du rapport précité de la mission d'information de l'Assemblée nationale de juin 2016 sur le paritarisme 324 ( * ) . La mission d'information considère que cette proposition s'inscrit dans la logique d'institutionnalisation du dialogue social à l'oeuvre dans les entreprises (à travers la création du comité d'entreprise en 1945) et dans les branches professionnelles (par l'entremise des commissions paritaires de branches rendues obligatoires par la loi « Travail » 325 ( * ) ) et qu'elle pourrait probablement faciliter la conduite des négociations au niveau national. Elle considère néanmoins qu'une telle innovation n'est pas urgente , qu'elle n'est pas soutenue par tous les syndicats 326 ( * ) et qu'elle devrait s'accompagner d'une rationalisation et d'une suppression d'instances concurrentes afin d'éviter un empilement de structures inefficace et coûteux. À cet égard, la mission d'information serait plutôt favorable à une rénovation de la Commission nationale de la négociation collective, dont la place était centrale dans la loi du 31 janvier 2007, plutôt qu'à la création d'une nouvelle structure.

Proposition n° 10 : Inciter les partenaires sociaux représentatifs à conclure un accord de méthode « à froid » pour définir les modalités du dialogue social au niveau national et interprofessionnel, afin de faciliter les négociations portant sur des réformes sociales.

b) À terme, des mesures pourraient être envisagées pour moderniser le dialogue social

La réflexion de la mission d'information sur l'articulation entre la démocratie sociale et la démocratie représentative l'a conduite à se pencher sur les moyens de renforcer le rôle des partenaires sociaux , même si cette question n'a pas été abordée en tant que telle pendant ses auditions.

Tout d'abord, la mission d'information rappelle son attachement aux règles de représentativité des partenaires sociaux , patiemment élaborées depuis 2008, qui ont permis de bâtir une forme de démocratie représentative dans le champ du social, et de légitimer ainsi l'action des élus du personnel et des délégués syndicaux, comme l'a souligné M. Yves Struillou, directeur général du travail, lors de son audition.

Toutefois, si la représentativité des syndicats de salariés repose en vertu de la loi sur les résultats des élections professionnelles et non de leurs nombres d'adhérents, la question de leur légitimité est régulièrement contestée. Il est dès lors essentiel de réfléchir aux moyens de resserrer les liens qui unissent les syndicats aux salariés. L'exemple danois montre que le rôle des partenaires sociaux est d'autant plus fort qu'ils s'appuient sur un grand nombre d'adhérents.

Plusieurs pistes mériteraient probablement d'être creusées à ce titre.

Dans un souci de pragmatisme, la mission d'information propose d' expérimenter pendant deux ou trois ans le développement du chèque syndical dans les entreprises volontaires ou dans une branche volontaire. Inauguré en 1990 chez Axa, le chèque syndical ou « bon de financement syndical », vise à renforcer le dialogue social en permettant au salarié de soutenir directement l'organisation syndicale de son choix grâce à un chèque financée par l'entreprise 327 ( * ) . La mission d'information serait favorable à une expérimentation dans laquelle les sommes versées par l'employeur pour financer ce dispositif seraient déduites à due proportion de la contribution de l'entreprise au fonds de financement du dialogue social , qui est actuellement égale à 0,016 % de la masse salariale. Cette expérimentation aurait le mérite de montrer si le chèque syndical renforce effectivement l'image positive des syndicats auprès des salariés.

En outre, la mission d'information est favorable à un renforcement de la formation des élus du personnel et des délégués syndicaux et à une meilleure valorisation de leurs mandats. Certes, les salariés appelés à exercer des fonctions syndicales peuvent déjà bénéficier d'un congé de formation économique, sociale et syndicale, qui ne peut dépasser douze jours dans l'année 328 ( * ) (sauf exception 329 ( * ) ), tandis que la loi du 17 août 2015 a prévu une certification fondée sur les compétences acquises par les délégués syndicaux et les élus du personnel dans leurs fonctions représentatives 330 ( * ) . Toutefois, ces différentes mesures se révèlent insuffisantes selon un grand nombre de personnes entendues. C'est pourquoi la mission d'information soutient la proposition du rapport du Conseil économique, social et environnemental du 7 juin 2016, qui encourage les employeurs « à développer des actions de formation et de certification à l'intention des représentants du personnel afin de valoriser les compétences acquises pendant l'exercice du mandat » 331 ( * ) .

L'attractivité des mandats de représentants du personnel pourrait être renforcée à travers la création d'une instance unique de représentation reprenant l'ensemble des attributions des comités d'entreprise, des délégués du personnel et du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Sauf accord d'entreprise majoritaire contraire, une telle instance serait créée dans toute entreprise, quelle que soit sa taille, et permettrait aux élus du personnel d'exercer simultanément les mandats afférents aux institutions ainsi regroupés et de suivre les formations correspondantes, dont la durée pourrait être relevée après accord des partenaires sociaux au niveau national. Ce sont ces représentants du personnel, mieux formés et dont l'engagement devrait être davantage valorisé, qui auront ensuite vocation à occuper des responsabilités éminentes dans les branches et lors des négociations nationales interprofessionnelles. En tout état de cause, les missions et prérogatives des instances désormais regroupées devraient être préservées dans cette nouvelle enceinte de représentation.

Enfin, il serait probablement utile que la restructuration des branches professionnelles s'accompagne d'une rationalisation de l'organisation des partenaires sociaux . Parmi les 687 branches professionnelles que comptait notre pays en 2012, pratiquement les trois quarts comptaient moins de 15 000 salariés 332 ( * ) . En outre, 241 branches, soit un tiers d'entre elles, n'ont pas déposé d'accords depuis plus de dix ans, dont 212 relèvent d'un niveau régional ou local. C'est pourquoi l'article 25 de la loi « Travail » a fixé comme objectif de disposer de deux cents branches professionnelles avant août 2019, grâce à la rénovation des dispositifs mis à disposition du ministre du travail pour restructurer les branches professionnelles. Les partenaires sociaux doivent prendre une part active à cette restructuration des branches professionnelles et repenser leurs propres organisations et leurs maillages sectoriels.


* 302 La constitutionnalisation de l'article L. 1 du code du travail, un temps défendue par le Gouvernement dans un projet de loi constitutionnelle déposé le 14 mars 2013, ne suscite pas l'adhésion des personnes entendues par la mission d'information.

* 303 Léon Blum, « L'oeuvre de Léon Blum », Mémoires, La prison et le procès, A l'échelle humaine, Albin Michel, 1955, p. 472.

* 304 Audition du 25 janvier 2017. Cf. le compte rendu : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20170123/mi_democratie.html .

* 305 La première s'est tenue les 9 et 10 juillet 2012, la deuxième les 20 et 21 juin 2013, la troisième les 7 et 8 juillet 2014 et la dernière le 19 octobre 2015.

* 306 Audition du 1 er mars 2017. Cf. le compte rendu : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20170227/mi_democratie.html#toc2 .

* 307 Jacques Barthélémy, Gilbert Cette, « Réformer le droit du travail », Odile Jacob, 2015, p. 39.

* 308 Soucieux de construire un agenda partagé de réforme, connu de tous les acteurs, ce dernier proposait « d'élaborer de manière concertée un programme pluriannuel de réformes prévoyant les modes d'association des partenaires sociaux et acteurs de la société civile » (action n° 1) et d'« actualiser chaque année cet agenda partagé, en lien avec le programme national de réformes présenté par la France au niveau européen » (action n° 2).

* 309 « La négociation collective, le travail et l'emploi » de M. Jean-Denis Combrexelle, rapport au Premier ministre, septembre 2015, p. 51.

* 310 Audition du 29 mars 2017.

* 311 Audition du 25 janvier 2017. Cf. le compte rendu : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20170123/mi_democratie.html .

* 312 Audition du 11 janvier 2017. Cf. le compte rendu : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20170109/mi_democratie.html .

* 313 Pour mémoire, le gouvernement n'a jamais publié à ce jour de projet de document d'orientation.

* 314 En application de l'article 88-4 de la Constitution, le Gouvernement doit soumettre à l'Assemblée nationale et au Sénat, dès leur transmission au Conseil de l'Union européenne, les projets d'actes législatifs européens et les autres projets ou propositions d'actes de l'Union européenne. Selon des modalités fixées par le règlement de chaque assemblée, des résolutions européennes peuvent alors être adoptées, le cas échéant en dehors des sessions, sur ces projets ou propositions, ainsi que sur tout document émanant d'une institution de l'Union européenne.

* 315 Loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.

* 316 Cf. les articles 2 à 6 de la loi organique précitée du 15 avril 2009, précisés aux articles 50 bis à 50 quater du Règlement du Sénat et à l'article 136 du Règlement de l'Assemblée nationale.

* 317 Audition du 25 janvier 2017. Cf. le compte rendu : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20170123/mi_democratie.html .

* 318 Audition du 11 janvier 2017. Cf. le compte rendu : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20170109/mi_democratie.html .

* 319 Audition du 1 er mars 2017. Cf. le compte rendu : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20170227/mi_democratie.html#toc2 .

* 320 « L'accord sur l'assurance chômage est ?exemplaire? » (Alexandre Saubot, MEDEF) », AEF, Dépêche n° 559725, 30 mars 2017.

* 321 Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, art. 16.

* 322 Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, art. 15.

* 323 Lors de son audition, M. Pierre Jardon, secrétaire confédéral de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), a plaidé pour la création d'un « comité paritaire permanent du dialogue social », qui aurait notamment pour mission d'organiser les discussions, les concertations et les négociations du ressort des partenaires sociaux et de bâtir un agenda partagé de réformes.

* 324 Rapport d'information sur le paritarisme, « Quel paritarisme demain ? De la réparation du risque à la construction des parcours », de M. Arnaud Richard, président et M. Jean-Marc Germain, rapporteur, déposé le 8 juin 2016, p. 17. Le rapport propose en effet la création d'un Haut conseil de la négociation collective et du paritarisme, qui « serait le lieu des négociations interprofessionnelles sur saisine de l'État, du Parlement ou auto-saisine ».

* 325 Art. L. 2232-9 du code du travail, inséré par l'article 24 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

* 326 Par exemple, le représentant de la CFE-CGC, M. Gilles Lecuelle, a fait part de ses réserves importantes sur cette proposition devant la mission d'information, estimant qu'il faudrait commencer par « consolider la multitude de travaux qui sont réalisés ». Cf. le compte rendu : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20170227/mi_democratie.html .

* 327 Le chèque syndical est également utilisé dans l'entreprise Scor et dans le groupe Casino.

* 328 Art. L. 2145-1 du code du travail.

* 329 Art. L. 2145-7 du même code. La durée totale de ces congés ne peut excéder dix-huit jours pour les animateurs des stages et sessions.

* 330 Loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, art. 5.

* 331 « Le développement de la culture du dialogue social en France », Luc Bérille et Jean-François Pilliard, Avis du Conseil économique, social et environnemental, 7 juin 2016, recommandation n° 32, p. 68.

* 332 Étude d'impact du projet de loi « Travail », p. 172.

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