C. REFAIRE DE L'UNION EUROPÉENNE LE PROJET PARTAGÉ DES CITOYENS EUROPÉENS

Le constat des nouveaux rapports de force mondiaux entre les États continents tels que les États-Unis, la Chine ou la Russie pourrait justifier à lui seul une refondation allant dans le sens de l'approfondissement de l'Union européenne. Toutefois celle-ci ne sera possible que si les hommes et les femmes qui la composent désirent partager un destin commun . Ce « vouloir vivre ensemble » , entre nous et vis-à-vis du monde, constitue bien l'enjeu de la citoyenneté européenne. Au-delà des jalons déjà posés, il nous semble possible de contribuer encore au raffermissement de cette citoyenneté européenne (1) en particulier, en faisant en sorte que l'Europe apparaisse effectivement comme une opportunité pour le plus grand nombre (2).

1. Promouvoir la citoyenneté européenne
a) Une construction sui generis aujourd'hui consacrée par les traités
(1) La citoyenneté européenne, une reconnaissance relativement récente

Présente dans l'esprit des pères fondateurs dès les années 1950, l'idée contemporaine de citoyenneté européenne prit concrètement forme au milieu des années 1970, parallèlement aux réflexions sur la mise en place d'une coopération politique. L'élection en 1979 du Parlement européen au suffrage universel apparut ainsi comme l'expression d'une citoyenneté européenne, nécessitant au-delà de l'élection, le raffermissement des liens entre l'Europe et les citoyens des Etats membres. C'est ainsi que le Conseil européen de Fontainebleau en 1984 décida de la mise en place d'un comité ad hoc en vue de la mise en place « d'une Europe des citoyens ».

À cette période, des réalisations telles que l'accord de Schengen en 1985, le lancement du programme Erasmus en 1987 ou la perspective du « grand marché » pour le fin 1992 ont contribué à populariser l'idée de l'émergence d'une citoyenneté européenne .

En 1992, le traité de Maastricht institua juridiquement la citoyenneté européenne et lui ouvrit des perspectives prometteuses par la création de la monnaie unique ainsi que des deuxième et troisième piliers de l'Union, intervenant dans des domaines traditionnellement régaliens. Ce processus sera poursuivi, traité après traité, à mesure de l'avancement du processus de construction européenne.

(2) Des droits spécifiques prévus par les traités

Outre qu'ils bénéficient du principe de non-discrimination 21 ( * ) , les citoyens européens voient leurs droits énumérés à l'article 20 du TFUE et par la Charte des droits fondamentaux de l'Union (Chapitre V, «Citoyenneté») 22 ( * ) .

Les principaux droits constitutifs de la citoyenneté européenne

ï Le droit de se déplacer et de résider librement , à certaines conditions, sur le territoire des États membres;

ï Le droit de bénéficier de la protection des autorités diplomatiques et consulaires d'un autre État membre , lorsque le citoyen se trouve sur le territoire d'un pays tiers dans lequel son État membre n'est pas représenté.

ï Le droit de voter et d'être éligible aux élections du Parlement européen et aux élections municipales dans l'État membre de résidence ;

ï Le droit d'' adresser des pétitions au Parlement européen, de saisir le Médiateur européen, de s'adresser aux institutions et aux organes de l'Union et de recevoir une réponse dans l'une des langues officielles de celle-ci.

ï Le droit de proposer des initiatives législatives . (dites initiatives citoyennes)

Bien que constituée des deux éléments traditionnels qui définissent la citoyenneté démocratique (des droits fondamentaux et des droits de participation politique), la citoyenneté européenne présente néanmoins deux particularités notables :

- d'une part, malgré la formule contenue dans l'article 20§2 du TFUE 23 ( * ) , la citoyenneté européenne n'impose pas jusqu'à présent de devoirs aux citoyens de l'Union.

- d'autre part, elle est réservée aux nationaux des États membres et n'est donc pas ouverte aux résidents extracommunautaires. Au final, son mode d'attribution reste donc national car la définition de la nationalité relève de la compétence des États membres.

b) Les actions menées en faveur d'une citoyenneté mieux connue et plus concrète

Il revient à la Commission européenne 24 ( * ) de présenter tous les trois ans, un rapport sur la citoyenneté européenne et de proposer des actions visant à la rendre plus effective. C'est ainsi que le troisième rapport de la Commission, rendu en janvier 2017 25 ( * ) fait le point sur l'état d'avancement des 12 actions annoncées en 2013 et destinées à « améliorer la vie des citoyens de l'UE et à supprimer les obstacles qui les empêchent de jouir des droits que leur confère l'UE ».

Le bilan de ces actions fait apparaître deux constats :

- en premier lieu, la Commission a effectivement agi (entre autres par des initiatives législatives) pour répondre aux engagements pris en 2013, ce qui mérite d'être salué ;

- en second lieu, si l'on excepte le lancement le 7 décembre 2016, du corps européen de solidarité 26 ( * ) ; force est de constater que les mesures et actions évoquées portent pour la plupart sur la mise en oeuvre des droits actuels des citoyens 27 ( * ) en améliorant leur information et celles des administrations nationales. Il s'agit aussi de régler des problèmes rencontrés au quotidien, par exemple par les transfrontaliers ou lors d'achats en ligne.

La protection consulaire des citoyens de l'Union européenne dans des Etats tiers est un bon exemple concret d'exercice de cette citoyenneté 28 ( * ) . On peut s'en féliciter mais aussi constater que les conditions de remboursement actuellement prévues entre les Etats membres ne vont pas jusqu'à une prise en charge réellement mutualisée au sein de l'Union européenne.

c) Toucher plus directement les citoyens européens

Les actions ainsi prises par la Commission pour régler des questions pratiques et en faveur de l'information des citoyens sont utiles. Rappelons en effet que si en 2016, 87% des citoyens européens sont conscients de leur statut 29 ( * ) , ils ne sont encore que 47% à savoir ce que cela implique et seuls 40% affirment être bien informés sur leurs droits 30 ( * ) .

Il nous semble toutefois que des initiatives pourraient aussi être prises, s'adressant plus directement aux coeurs des citoyens européens . Les propositions que nous formulons en ce sens s'inscrivent dans le prolongement des travaux menés par le Sénat ces dernières années 31 ( * ) .

Le premier ordre de proposition pourrait porter sur des symboles d'appartenance forts. Pourrait ainsi être créée une carte d'identité européenne dont chaque citoyen, qui dispose par ailleurs d'une carte d'identité nationale, pourrait se prévaloir.

En outre, dans le prolongement de l'association de plus en plus fréquente du drapeau européen et des drapeaux nationaux, il serait souhaitable d'encourager dans les États membres l'exécution de l'hymne européen après toute exécution de l'hymne national .

Conformément à la résolution européenne adoptée par le Sénat le 9 octobre 2013, la seconde proposition concerne la création d'une chaîne de radio, « Radio France Europe » . Elle serait spécialement dédiée à l'Europe et plus précisément à une meilleure connaissance mutuelle, ainsi qu'à une plus grande intimité entre les peuples européens et non plus seulement (ce qui existe déjà) à l'information sur l'actualité des institutions européennes. L'objectif serait la création à terme de ce type de radio dans chacun des pays de l'Union, en bénéficiant notamment des financements de la Commission européenne dédiés à ce genre d'initiatives au titre du programme d'action pour la citoyenneté 32 ( * ) . Les moyens offerts par les nouvelles technologies, et en particulier Internet, doivent également être utilisés en ce sens : une chaine dédiée à l'Union européenne sur une plateforme vidéo en ligne pourrait ainsi être mise en place.

2. Remobiliser la jeunesse autour de l'ambition européenne : quel nouvel Erasmus ?
a) Capitaliser le succès trentenaire d'Erasmus

Le programme Erasmus est l'un des succès incontestés de l'Union européenne. Créé en 1987 sous l'impulsion de Jacques Delors, alors président de la Commission européenne, il a permis en 30 ans à plus de 3 millions d'étudiants d'aller suivre une partie de leurs études dans une université d'un autre État membre . Au-delà de son objet premier - universitaire et professionnel- Erasmus a aussi représenté un véritable phénomène de société constitutif de la citoyenneté européenne. À titre anecdotique, le chiffre d'un million d'enfants issus de « couples Erasmus 33 ( * ) » est souvent cité.

La célébration du trentième anniversaire de ce programme a été l'occasion d'afficher une ambition renouvelée. L'objectif est de s'adresser 4 millions d'Européens, dont 500 000 Français, d'ici à 2020.

b) Aller plus loin

Bien que le programme Erasmus, 34 ( * ) soit déjà ouvert aux apprentis, ces derniers ne représentent toujours qu'une très faible part des bénéficiaires et leurs séjours sont de courte durée : moins d'un mois en moyenne, contre six mois pour les étudiants universitaires.

Dans son programme de travail pour 2017, la Commission européenne s'est engagée à oeuvrer en faveur d'un renforcement de la mobilité des apprentis. Cette intention a été concrétisée par l'annonce en décembre dernier, de l'initiative « Erasmus Pro » , visant à permettre à 50 000 apprentis de bénéficier d'une mobilité longue - 6 à 12 mois - dans un autre État membre d'ici 2020. La création du label Erasmus Pro devrait permettre de renforcer la communication autour des possibilités offertes par l'Union européenne aux apprentis et de sensibiliser les acteurs concernés : les centres de formation, les entreprises, mais aussi les jeunes et leurs familles.

Nous souhaitons que cette initiative devienne pour les apprentis ce qu'Erasmus représente aujourd'hui pour les étudiants . L'enjeu est réel pour la citoyenneté européenne. En effet le sentiment selon lequel cette dernière est une opportunité est davantage répandu chez les étudiants diplômés de l'enseignement supérieur que chez les autres jeunes, à l'image des clivages que l'on observe plus généralement dans nos sociétés quant à l'adhésion au projet européen.

En conséquence, nous en appelons:

- à ce que l'objectif de 50 000 jeunes soit rehaussé afin d'atteindre un véritable effet de « masse critique », comparable à celui de l'Erasmus étudiant.

- à ce que le dispositif ne soit pas concentré de fait sur les seuls alternants suivants des études supérieures mais s'adresse à tous les niveaux de formation.

Un des moyens d'atteindre ces objectifs serait sans doute d'apporter une attention particulière aux jeunes transfrontaliers, qui pourraient constituer un vivier privilégié.

Il est par ailleurs indispensable que la jeunesse maîtrise au moins une à deux langues utilisées au sein de l'Union européenne, en dehors de la langue maternelle. Il convient par ailleurs de rappeler que le français est une des deux langues officielles de l'Union européenne et doit être plus utilisé dans les publications de l'Union.

Recommandations pour les citoyens européens

- Instituer une carte d'identité européenne dont chaque citoyen, qui dispose par ailleurs d'une carte d'identité nationale, pourrait se prévaloir ;

- Encourager dans les États membres l'exécution de l'hymne européen après toute exécution de l'hymne national ;

- Créer une chaîne de radio, « Radio France Europe », et une chaîne sur une plateforme vidéo en ligne. Elles favoriseraient une meilleure connaissance mutuelle des peuples de l'Union ;

- Créer les conditions d'un succès du nouveau programme Erasmus Pro, en commençant par les transfrontaliers, au-delà des annonces de la Commission.


* 21 Posé par les articles 18 et 19 du TFUE

* 22 Il est prévu par le traité que l'Union établisse ces droits à travers divers actes législatifs.

* 23 Les citoyens de l'Union jouissent des droits et sont soumis aux devoirs prévus par les traités (...)

* 24 Par l'article 25 du TFUE

* 25 http://www.europedirectplr.fr/wp-content/uploads/Citizenship_FR.pdf

* 26 Le corps européen de solidarité a pour mission d'offrir aux jeunes âgés de 18 à 30 ans la possibilité de participer à un large éventail d'activités, afin d'aider des personnes confrontées à des situations difficiles dans l'UE.

* 27 En matière pénale, commerciale, sociale ou de participation politique.

* 28 Directive (UE) 2015/637 du Conseil du 20 avril 2015 établissant les mesures de coordination et de coopération nécessaires pour faciliter la protection consulaire des citoyens de l'Union non représentés dans des pays tiers et abrogeant la décision 95/553/CE.

* 29 Chiffre le plus haut jamais atteint, cité d'après le rapport de la Commission cité plus haut.

* 30 La forte progression de ces deux derniers chiffres (en moyenne +14% depuis 2007) donnés par l'Eurobaromètre est très encourageante pour l'action menée par la Commission.

* 31 En particulier du rapport d'information n° 407 (2013-2014) de M. Pierre Bernard-Reymond, fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 26 février 2014.

* 32 Action n° 12 (3) : Explorer les voies pour renforcer et pour élargir l'espace public européen.

* 33 Chiffre rappelé récemment par la ministre française de l'éducation nationale à l'occasion d'une manifestation pour le trentième anniversaire du programme.

* 34 Plus précisément, ils bénéficient du programme de mobilité intégrée dénommé Erasmus Plus.

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