N° 358
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017
Enregistré à la Présidence du Sénat le 1 er février 2017 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des finances (1) sur les Archives nationales ,
Par MM. Vincent ÉBLÉ et André GATTOLIN,
Sénateurs
(1) Cette commission est composée de : Mme Michèle André , présidente ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Yvon Collin, Vincent Delahaye, Mmes Fabienne Keller, Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. André Gattolin, Charles Guené, Francis Delattre, Georges Patient, Richard Yung , vice-présidents ; MM. Michel Berson, Philippe Dallier, Dominique de Legge, François Marc , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, François Baroin, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Jean-Claude Boulard, Michel Bouvard, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Carcenac, Jacques Chiron, Serge Dassault, Bernard Delcros, Éric Doligé, Philippe Dominati, Vincent Éblé, Thierry Foucaud, Jacques Genest, Didier Guillaume, Alain Houpert, Jean-François Husson, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Marc Laménie, Nuihau Laurey, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Hervé Marseille, François Patriat, Daniel Raoul, Claude Raynal, Jean-Claude Requier, Maurice Vincent, Jean Pierre Vogel . |
LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX
Mesdames, Messieurs,
Le 18 décembre 2015, la commission des finances du Sénat a demandé à la Cour des comptes de réaliser une enquête portant sur les archives nationales.
Cette enquête est intervenue près de dix ans après la création en 2007 des trois services à compétence nationale (SCN) des archives nationales : celui des archives nationales proprement dites (AN), celui des archives nationales du monde du travail (ANMT) et celui des archives nationales d'outre-mer (ANOM). Ces trois services se répartissent sur cinq sites (Pierrefitte-sur-Seine, Fontainebleau et Paris pour les AN, Aix-en-Provence pour les ANOM et Roubaix pour les ANMT).
Le sujet a revêtu une actualité accrue avec la décision de fermeture du site de Fontainebleau , annoncée par la ministre de la culture et de la communication lors du comité technique ministériel du 28 juin 2016 et qui devrait intervenir dans un délai de quatre ans.
Pour donner suite à la remise de l'enquête par la Cour des comptes, la commission des finances du Sénat a organisé, le 1 er février 2017 , une audition réunissant des représentants de la Cour des comptes et des principales parties prenantes : le ministère de la culture et de la communication, le service à compétence nationale des archives nationales mais aussi les archivistes et les usagers du service public des archives.
Ont ainsi été entendus Françoise Banat-Berger, directrice des Archives nationales, Pierre-Frédéric Brau, président de l'association des archivistes français, Hervé Lemoine, directeur, chargé des archives au sein de la direction générale des patrimoines du ministère de la culture et de la communication, Sophie Moati, présidente de la troisième chambre de la Cour des comptes et Gilles Morin, président de l'association des usagers du service public des Archives nationales (AUSPAN).
1. Une organisation complexe et des défaillances qui appellent une réforme rapide de la gouvernance des archives nationales
L'enquête de la Cour des comptes commandée par la commission des finances du Sénat intervient près de dix ans après la réforme de 2007 , qui visait à donner une autonomie de gestion aux centres des Archives nationales par rapport à la direction des Archives de France, qui devait être recentrée sur ses missions non opérationnelles de conception et de contrôle.
Ont ainsi été créés le 1 er janvier 2007 trois services à compétence nationale (SCN) des archives nationales : le service des archives nationales proprement dites (AN), qui est, de loin, celui dont le budget est le plus important, le service des archives nationales du monde du travail (ANMT) et celui des archives nationales d'outre-mer (ANOM). Ces trois services à compétence nationale se répartissent sur cinq sites : Pierrefitte-sur-Seine, Fontainebleau et Paris pour les AN, Aix-en-Provence pour les ANOM et Roubaix pour les ANMT. S'ajoute aux SCN le centre national du microfilm et de la numérisation (CNMN) , situé à Espeyran et resté un service de la direction des archives en raison de sa taille réduite.
Budget (hors crédits de titre 2) des trois
services
à compétence nationale des archives en
2015
(en millions d'euros et en %)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les données présentées par la Cour des comptes
Les Archives nationales, les Archives nationales d'outre-mer et les Archives nationales du monde du travail font partie du réseau des Archives de France , organisé et coordonné par le service interministériel des archives de France (SIAF), lui-même placé sous l'autorité du directeur général des patrimoines du ministère de la culture et de la communication.
L'organisation des archives nationales est donc d'une grande complexité , d'autant plus que doivent être ajoutés aux trois SCN précités des services ministériels dérogatoires , comme celui du ministère de la défense, des affaires étrangères ou encore des finances.
Cette complexité administrative ne facilite pas l'appréhension et le suivi budgétaire des montants consacrés aux archives nationales : si le budget alloué aux archives nationales, aux ANOM et aux ANMT s'élève à environ 38 millions d'euros , il faut noter que ce chiffre est incomplet dans la mesure où il ne prend pas en compte le coût du service interministériel des archives de France (SIAF) ni celui des services d'archives dans les ministères versants.
Le suivi des crédits alloués aux archives nationales est rendu encore plus malaisé par le fait que les dépenses de personnel (environ 27 millions d'euros) sont prises en charge par le programme 224 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », qui regroupe les moyens de l'administration centrale du ministère, tandis que les crédits de fonctionnement et d'investissement (environ 11 millions d'euros) sont portés par l'action 4 du programme 175 « Patrimoines ». Le fait que les crédits de titre 2 ne soient pas distincts de ceux du ministère s'explique par le statut de service à compétence nationale , qui ne dote aucun des services des archives de la personnalité morale ni d'outils de gestion financiers distincts de ceux du ministère.
S'ajoutent à ces difficultés d'organisation des défaillances réelles dans la gouvernance des trois SCN, en particulier concernant les deux services spécialisés situés à Aix-en-Provence et à Roubaix . Alors que la collecte, la conservation et la communication des archives font partie des premières missions régaliennes de l'État, force est de constater que les archives sont aujourd'hui un des parents pauvres des politiques culturelles .
En témoigne notamment l'absence de cadrage et de stratégie qui a longtemps marqué le service des archives nationales et continue de peser sur les deux plus petits services (ANOM et ANMT) : les AN n'ont été dotées d'un projet scientifique, culturel et éducatif (PSCE) qu'à partir de 2012 - ce qui signifie qu'elles ont fonctionné sans projet finalisé pendant cinq ans, de 2007 à 2012 - et aucun projet scientifique n'a encore été établi pour les ANOM et les ANMT .
De façon générale, les autorités de tutelle - c'est-à-dire le ministère de la culture et de la communication - n'ont pas suffisamment défini le périmètre d'action des trois services, leurs missions, les résultats attendus et les outils pour en rendre compte - contrairement à ce que prévoit la circulaire du Premier ministre du 9 mai 1997 relative aux règles d'organisation des administrations centrales et des services à compétence nationale et de délégation de signature des ministres. À titre d'exemple, seule la directrice actuelle des archives nationales a reçu, en 2014, une lettre de mission lui assignant des objectifs : dans les deux SCN spécialisés des ANOM et des ANMT, aucun des directeurs passés ou actuels n'a été destinataire d'un tel document. La gestion des postes de direction dans ces deux SCN a été lacunaire et de longues vacances de poste sont à déplorer : les ANMT ont fonctionné sans directeur de décembre 2011 à septembre 2012, de même que les ANOM entre septembre 2013 et février 2014.
L'absence de cadrage par les autorités de tutelle n'est pas sans conséquences concrètes sur le fonctionnement des services .
D'une part, des arriérés de classement sont constatés dans les trois SCN, même quand les fonds sont clos comme pour les ANOM : en d'autres termes, une partie importante des archives conservées n'est pas répertoriée ni classée , ce qui rend leur recherche et leur communication au public quasiment impossible. Ainsi, certains fonds n'ont pas encore été déballés depuis leur rapatriement d'Algérie en 1962, voire d'Indochine dans les années 1950. Non seulement les archives ne sont pas toutes classées, mais ni les ANOM, ni les ANMT ne disposent d'une estimation fiable des stocks d'archives qui doivent encore être traités . Aux AN, les arriérés de tri et de classement sont évalués à environ 10 % des fonds conservés, soit 35 kilomètres linéaires.
D'autre part, l'organisation et le fonctionnement administratif des services ne sont pas satisfaisants : la gestion des ressources humaines et la gestion financière paraissent perfectibles. Aucun budget formalisé n'est élaboré et le service des archives nationales, dont le budget est pourtant conséquent, ne produit aucun compte-rendu de la gestion budgétaire annuelle. Les AN reconnaissent ainsi que leurs documents budgétaires et financiers sont « très nombreux, hétérogènes, parcellaires et difficiles à dater ». Aucun des trois SCN ne se voit notifier un plafond d'emploi officiel et les procédures de recrutement sont longues et rigides.
En outre, le dialogue social est extrêmement tendu sur plusieurs sites : pas moins de quatre missions d'inspection ou d'audits externes se sont succédé aux ANMT entre 2001 et 2016 et, aux ANOM, la Cour des comptes indique que « la visite réalisée sur place a permis de constater une situation dégradée depuis mars 2015 ». De même, à Fontainebleau, les échanges entre la direction des archives nationales et les syndicats paraissent marqués par des crispations récurrentes , comme votre rapporteur spécial Vincent Éblé a d'ailleurs pu le constater à l'occasion de sa visite du site lors de laquelle un groupe de représentants syndicaux est venu à l'impromptu au cours d'une réunion avec la direction pour lui remettre un rapport.
Enfin, la réforme entreprise en 2007 n'a pas permis de rapprocher les trois services à compétence nationale les uns des autres : des disparités importantes subsistent, en matière de conservation mais aussi de communication des archives - par exemple, les horaires des salles de lecture varient beaucoup d'un service à un autre. Les autorités de tutelle n'ont donc pas non plus réussi à coordonner l'action des trois SCN, qui font face à des problématiques similaires mais ne mutualisent pas leurs projets : chaque SCN dispose, par exemple, de son propre outil de classement des archives.
Il est clair que la réforme de 2007 ayant conduit à la création de trois services à compétence nationale (ou SCN) est inaboutie , principalement en raison du manque de cadrage des SCN par le ministère de la culture et de la communication.
Les problèmes identifiés par la Cour des comptes, dont certains sont relativement graves, doivent recevoir une réponse rapide et à la hauteur des enjeux de la part du ministère de la culture et de la communication . La création d'un établissement public administratif, proposée par la Cour des comptes, constitue une piste intéressante dans la mesure où elle contribuerait à professionnaliser la gestion des services et mettrait le ministère dans les conditions de mieux exercer ses missions de pilotage stratégique et de contrôle avec, en particulier, la fixation d'un plafond d'emploi, l'envoi systématique d'une lettre de mission et d'objectifs ou l'élaboration d'un budget formalisé.
La création d'un établissement public administratif doit avoir pour seul but d'améliorer la gestion des trois SCN et de faciliter leur coordination afin que le service rendu aux usagers du service public des archives nationales soit aussi bon que possible. Il ne s'agit aucunement de procéder, sous couvert de réorganisation administrative, à des coupes budgétaires qui fragiliseraient encore davantage des services qui rencontrent déjà des difficultés importantes. Par ailleurs, l e maintien des ANMT sur le site de Roubaix et des ANOM sur le site d'Aix-en-Provence est souhaitable : il n'est donc absolument pas question d'envisager une centralisation « physique » des sites , mais seulement un regroupement administratif.
2. Pour éviter une nouvelle impasse immobilière, les conséquences de la fermeture du site de Fontainebleau doivent être tirées au plus vite
Les problématiques immobilières constituent un enjeu central pour les Archives nationales : se posent à la fois des questions relatives à la taille des bâtiments, c'est-à-dire au volume d'archives qu'ils peuvent accueillir, et des questions liées à la qualité du bâti et aux conditions de conservation des documents conservés.
Les versements d'archives majoritairement non dématérialisées vont rester importants dans les années à venir en raison des arriérés à résorber et du délai entre la production d'archives et leur transfert aux AN.
Or se profile le risque d'une nouvelle impasse immobilière, pour deux raisons principales.
D'une part, si la construction du site de Pierrefitte-sur-Seine constitue - à l'exception du surdimensionnement des salles de lectures - une indéniable réussite fonctionnelle, que votre rapporteur spécial Vincent Éblé a pu apprécier lors de sa visite sur place, le besoin de stockage a été significativement sous-estimé ce qui crée d'ores et déjà des difficultés en matière de versement. Le centre construit peut accueillir 320 kilomètres linéaires d'archives , ce qui correspondait selon le ministère de la culture au moment de la construction, à un horizon de trente ans de collecte d'archives à partir de 2000 . Ces prévisions étaient particulièrement optimistes dans la mesure où elles reposaient sur des hypothèses très basses concernant les arriérés de collecte dans les administrations versantes d'une part et l'effet d'appel à l'ouverture du nouveau centre d'autre part (qui a été revu à la baisse de 70 % au cours des études préalables). Or la mise en service du centre de Pierrefitte-sur-Seine en 2013 a donné lieu à un rattrapage avec des versements d'archives publiques supérieurs aux prévisions : 14,5 kilomètres linéaires ont été versés en 2013 et 19 kilomètres linéaires en 2014. Le flux annuel de versement d'archives, estimé à 4,3 kilomètres linéaires par an, a lui aussi été sous-estimé.
D'autre part, les problèmes qui ont affecté le site de Fontainebleau à partir de 2014 ont fait peser des tensions accrues sur les capacités de stockage du site de Pierrefitte-sur-Seine qui va voir sa durée de vie considérablement réduite au regard de la décision de la ministre de la culture et de la communication, annoncée lors du comité technique ministériel du 28 juin 2016, de fermer le site de Fontainebleau . Les archives actuellement conservées sur le site seront en effet transférées vers Pierrefitte-sur-Seine, tandis que le département de l'archivage électronique et des archives audiovisuelles, actuellement sur le site de Fontainebleau, rejoindra le site de Paris. La fermeture devrait intervenir dans un délai de quatre ans : une période de plusieurs années est en effet nécessaire pour préparer le transfert des 90 kilomètres linéaires d'archives conservées actuellement à Fontainebleau et pour équiper les magasins actuellement sans rayonnages sur le site de Pierrefitte : 104 kilomètres linéaires supplémentaires seront ainsi disponibles. En effet, lors de la construction du nouveau centre, l'équipement de 54 magasins de stockage avait été différé afin de limiter l'augmentation du coût des travaux. Il était initialement prévu une dizaine d'année après la livraison du bâtiment, soit à partir de 2022, mais devra intervenir beaucoup plus tôt que prévu pour faire face au déménagement des archives actuellement conservées à Fontainebleau. Une convention de mandat a été conclue en 2016 à ce titre entre l'État et l'opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture (Oppic) . Le coût de l'équipement du « différé » est estimé à 14,05 millions d'euros.
Ainsi, les versements aux archives nationales ont dû être rationnés dès l'année 2015 , au cours de laquelle seulement 8,4 kilomètres linéaires d'archives ont été collectés. Ils seront plafonnés à 5,5 kilomètres linéaires en 2016 et à 5 kilomètres linéaires les années suivantes. La limitation des versements quelques années à peine après l'ouverture du nouveau centre témoigne de la nécessité de prendre rapidement des décisions permettant de renforcer les capacités de stockage des archives nationales .
La fermeture du site de Fontainebleau était inévitable au regard des multiples problèmes de sécurité et de salubrité qui se sont fait jour ces dernières années : la présence d'amiante dans certains des bâtiments, l'instabilité des sols et une inondation importante ont conduit à interdire l'accès du site au public. Les personnels eux-mêmes ne peuvent plus accéder à la plupart des bâtiments et un bâtiment provisoire a dû être installé. Vos rapporteurs spéciaux considèrent donc que le maintien du site de Fontainebleau ne constitue pas une solution réaliste face aux difficultés immobilières rencontrées par les archives nationales . Bien au contraire, le déménagement des archives actuellement conservées à Fontainebleau vers le site de Pierrefitte-sur-Seine permettra de les rendre de nouveau accessibles au public qui voudrait les consulter tout en offrant de meilleures conditions de travail au personnel des archives nationales.
Mais la réussite du transfert nécessite que l'extension sur la réserve foncière annoncée par la ministre soit lancée très rapidement , ce qui implique de sécuriser son financement. En effet, la ministre de la culture et de la communication a fait état, concernant le site de Pierrefitte, outre l'équipement des magasins « différés » d'ici à 2018, d'un projet d'extension sur la réserve foncière prévue à cet effet sur ce site : un nouveau bâtiment serait construit, permettant de renforcer les capacités de stockage d'au moins 148 kilomètres linéaires supplémentaires, ce qui correspond à la capacité du site de Fontainebleau. La première tranche des travaux devrait être réalisée en 2023.
Le coût de l'extension immobilière à Pierrefitte-sur-Seine serait significatif : il est estimé à 75,3 millions d'euros (77,2 millions d'euros en cas de construction d'un restaurant administratif). Au regard des contraintes budgétaires qui pèsent sur le ministère de la culture et de la communication et des nombreux autres projets immobiliers prévus dans le champ culturel, la construction d'un nouveau bâtiment permettant d'éviter la saturation précoce des archives nationales doit être clairement affirmée comme une des priorités du ministère .
3. Un projet immobilier ambitieux concernant le « quadrilatère Rohan-Soubise » à Paris, qui doit demeurer un site archivistique
La Cour des comptes appelle à une clarification du devenir à long terme du site historique de Paris et propose de transférer les archives conservées à Paris sur le site de Pierrefitte : il s'agit de « réexaminer la décision prise de conserver des fonds d'archives à Paris et d'envisager de les transférer dans des locaux modernes plus adaptés , dans la perspective de l'extension du bâtiment de Pierrefitte-sur-Seine ».
Un tel transfert ne paraît pas opportun et vos rapporteurs spéciaux considèrent au contraire qu'il faut affirmer la dimension archivistique du site parisien , pour des raisons tout à la fois patrimoniales, pratiques et financières.
D'un point de vue patrimonial, l'hôtel de Soubise a accueilli des archives depuis le début du XIX e siècle et l'histoire du site est liée à celle de la constitution des archives nationales - le site de Paris héberge d'ailleurs le musée des Archives nationales. Pour accroître leurs capacités de stockage, les archives nationales se sont étendues aux hôtels contigus jusqu'à occuper presque tout le quadrilatère formé par les rues des Archives, des Franc-Bourgeois, des Quatre-Fils et Vieille-du-Temple. Des travaux importants ont été réalisés depuis le milieu du XIX e siècle afin d'adapter le site du « quadrilatère » ou de le densifier par l'édification de bâtiments supplémentaires.
D'un point de vue pratique, un tel transfert créerait plus de problèmes qu'il n'en règlerait : outre le recul en termes d'accessibilité des archives, conservées aujourd'hui dans un lieu central d'accès facile aux historiens et aux chercheurs, il faut également avoir en tête que, la construction d'une extension sur le site de Pierrefitte-sur-Seine étant d'ores et déjà nécessaire au regard de la fermeture du site de Fontainebleau, un transfert des archives conservées à Paris vers Pierrefitte contribuerait à accélérer la saturation du site de Pierrefitte .
Enfin, d'un point de vue financier, un tel transfert ne créerait pas d'économies immédiates, ni même certaines : le transfert d'archives anciennes et fragiles aurait un coût, de même que l'équipement voire la construction de magasins supplémentaires à Pierrefitte - et ce d'autant plus que le projet « CAMUS » a déjà été engagé sur le site de Paris, pour un montant total de près de 30 millions d'euros .
Le projet « CAMUS », vise à pérenniser la présence des archives nationales sur le site de Rohan-Soubise tout en permettant l'accueil d'autres administrations. Validé en mai 2016 par le Conseil de l'immobilier de l'État et le secrétariat d'État au budget et aux comptes publics, ce projet immobilier vise à regrouper les agents de l'administration centrale du ministère de la culture et de la communication sur les sites de Valois et des Bons-Enfants, mais aussi sur une partie du quadrilatère parisien des Archives nationales. Celui-ci dispose en effet d'espaces libres dans la mesure où une partie des collections a été déménagée vers le site de Pierrefitte-sur-Seine. Il s'agit donc de densifier le quadrilatère Rohan-Soubise pour installer dans les locaux non utilisés par les AN des agents de l'administration centrale du ministère (316 postes de travail devraient être créés), accueillir 140 agents d'un opérateur du ministère et créer un restaurant administratif. Une convention d'études préalables signée avec l'opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture (Oppic) devrait permettre d'établir en 2017 un schéma immobilier d'investissement pour les Archives nationales, qui prenne en compte les remises à niveau des espaces de conservation, mais également des espaces de travail et des bureaux, et les travaux au titre des monuments historiques. Bien que la gestion du site doive être confiée aux archives nationales , le financement de cette opération immobilière relèvera du secrétariat général du ministère de la culture et de la communication : les crédits mobilisés ne grèveront donc ni le budget du service interministériel des archives de France (SIAF), ni celui des AN. Le coût global est évalué à 28,4 millions d'euros , dont environ 14 millions d'euros au titre de l'installation proprement dite des services du ministère et 14,5 millions d'euros en lien avec les travaux de clos et couvert des monuments historiques.
Ce projet devrait permettre d'améliorer les conditions de conservation des archives conservées à Paris tout en préservant la dimension patrimoniale et historique du bâtiment et en participant de la rationalisation des implantations du ministère de la culture et de la communication.
C'est pourquoi le transfert des archives conservées à Paris vers le site de Pierrefitte-sur-Seine ne paraît opportun ni à court, ni à moyen terme . Dépouiller le quadrilatère Rohan-Soubise de ses archives briserait une continuité historique sans apporter d'avantages pratiques significatifs.
4. Une attractivité très faible des archives nationales en matière de ressources humaines : ouvrir les négociations salariales et revoir l'organisation et le temps de travail
La gestion des ressources humaines semble médiocre, ce qui s'explique par un contexte difficile : outre l'absence de règlement intérieur et de plafond d'emplois formalisés, les archives nationales font face à des problèmes d'attractivité qui entraînent une rotation importante des effectifs . En outre, les procédures de recrutement manquent de fluidité, en particulier en cas de recrutement externe (autres ministères et fonction publique territoriale) : en 2015, le délai entre la dernière publication de vacance du poste et la prise de fonction de l'intéressé a été en moyenne de huit mois, avec un minimum de 5 mois et demi et un maximum de plus de treize mois. Ces délais s'expliquent par la réticence du ministère de la culture et de la communication à autoriser des recrutements susceptibles d'avoir un impact sur sa masse salariale globale.
Les temps de travail paraissent très favorables et peu contrôlés . En effet, le nombre d'heures dues est de 1 547 heures pour l'ensemble des agents (à l'exception des agents de direction) et de 1 533 ou 1 526 heures pour les agents bénéficiant de repos compensateurs supplémentaires (accordés aux personnels « qui subissent une pénibilité particulière de fait de leurs tâches qui supposent en permanence un contact avec le public et une manutention de charges »). Le temps de travail minimum dans la fonction publique est pourtant censé être de 1 607 heures par an.
En outre, les AN font face à des problèmes spécifiques liés au corps des agents d'accueil, de surveillance et de magasinage : un nombre croissant d'agents sont dits « non portants » car ils souffrent de troubles musculo-squelettiques, ce qui créé un sous-effectif dans les fonctions de magasinier.
La rémunération des agents comprend des avantages en nature (bons d'achat) sans fondement juridique et sans que cet octroi ne fasse l'objet des déclarations fiscales et sociales requises.
Il est nécessaire de normaliser rapidement tant le temps de travail que les modalités de rémunération des agents .
Cependant, il faut aussi noter qu'au total, la rémunération des agents des archives nationales (en dehors des conservateurs du patrimoine) paraît moins avantageuse que celle des fonctionnaires travaillant en administration centrale - ce qui explique d'ailleurs pour partie les difficultés de recrutement auxquelles sont confrontés les trois services à compétence nationale des archives.
Il serait donc opportun d'engager une réflexion globale sur le statut, la rémunération et l'organisation du travail des agents des archives , afin d'aligner à la fois leur temps de travail et leur traitement sur ceux des agents du ministère. Cette réflexion pourrait utilement se doubler d'un questionnement sur le nombre de postes d'encadrement et de direction , qui paraît encore aujourd'hui particulièrement important dans les trois services des archives nationales.
5. Consolider le réseau d'archives interministériel en généralisant les missions d'archives
Les archives constituent une mission essentiellement interministérielle dans la mesure où la collecte des archives de l'État suppose une collaboration pérenne et fructueuse entre le ministère de la culture et de la communication et les ministères versants . Pourtant, des instances de pilotage interministériel réelles n'existent que depuis 2013, avec la recréation d'un comité interministériel des archives de France en 2012 (d'abord créé en 2002, celui-ci ne s'était jamais réuni) et la Cour des comptes considère que le contrôle scientifique et technique sur les archives des ministères versants est assuré de manière incomplète par la direction des archives de France (depuis remplacée par le Service interministériel des archives de France ou SIAF).
En outre, les « missions des archives », antennes du ministère de la culture dans les ministères versants , ont vu leur nombre réduit et ont été remplacées dans plusieurs ministères par des services d'archives financés intégralement par les ministères . Outre la Présidence de la République, les services du Premier ministre et le ministère de la culture et de la communication lui-même, seuls trois ministères sont encore dotés d'une mission : celui de l'environnement, celui de l'intérieur et celui des affaires sociales. À l'inverse, les ministères de l'agriculture, de l'éducation nationale, de la justice et des finances ont choisi de recourir à des services ministériels qu'ils financent en totalité et qui sont dirigés par des agents de ces ministères ou des conservateurs détachés auprès d'eux.
Il semble que c'est le modèle de la mission qui doit prédominer, dans la mesure où il assure la meilleure garantie de conservation des archives . En effet, le conservateur à la tête de la mission étant nommé par le ministère de la culture et de la communication, il est plus indépendant que ne saurait l'être un agent du ministère, ce qui présente un intérêt en matière d'archives sensibles comme celles des cabinets ministériels, par exemple. En outre, les services ministériels d'archives sont plus exposés aux contraintes budgétaires ou plus simplement à un désengagement du ministère conduisant par exemple à déménager le service, l'éloignant ainsi des services producteurs d'archives.
La généralisation du modèle des missions doit s'accompagner d'un renforcement du dialogue entre les missions et le service interministériel des archives de France et elle ne doit pas signifier un désengagement des ministères versants : si le ministère de la culture et de la communication assure la conservation des archives et le contrôle scientifique archivistique, il est essentiel que les ministères versants prennent leurs responsabilités en matière de collecte , en particulier au stade des archives intermédiaires - lorsque celles-ci ne sont pas encore définitives, donc pas encore versées. En outre, le modèle de la mission doit être adapté aux spécificités ministérielles afin de garantir une certaine souplesse aux ministères versants.
6. Le projet « VITAM » et la mise en place d'un portail d'archives public « France Archives » : des avancées à conforter
Les projets interministériels connaissent des degrés variables d'avancement et de publicité : outre des travaux techniques, comme l'élaboration d'un référentiel général de gestion des archives en octobre 2013 ou la publication d'un cadre méthodologique pour l'évaluation, la sélection et l'échantillonnage des archives publiques en juillet 2014, les deux projets les plus importants portent sur la création d'outils numériques.
D'une part, le grand programme d'archivage électronique VITAM , dont le financement par le programme d'investissement d'avenir relève de la débudgétisation, constitue le socle de projets ministériels d'adaptation plus ou moins ambitieux : projet Garde v2/ARCHIPEL du ministère de la défense (budget de 10 millions d'euros sur la période 2015-2019), projet SAPHIR du ministère des affaires étrangères (budget de 2,8 millions d'euros sur la même période) et projet ADAMANT du ministère de la culture (budget de 7,7 millions d'euros).
D'autre part, la mise en place du portail d'archives public « France Archives » , dont une première version devait être mise en ligne durant le mois de février 2017, doit être saluée : elle devrait permettre aux archives publiques de peser face à la concurrence privée en matière d'archives et de mettre en valeur la complémentarité des fonds . En effet, les archives nationales, éclatées dans une multiplicité de structures différentes, ne gèrent pas la totalité des archives de l'État : ce sont les services départementaux des archives qui assurent la conservation des archives des services d'État déconcentrés. Au total, les archives nationales ne gèrent la collecte, la conservation et la communication que de 16 % des archives de l'État .
Il est essentiel que les archives nationales tissent des partenariats avec l'ensemble des acteurs des archives en France afin de respecter l'article L. 311-9 du code des relations entre le public et l'administration selon lequel l'accès gratuit aux archives est un droit .