C. UN NOUVEAU RISQUE PÉNAL POUR LES TIERS COLLECTEURS EN RAISON DE LA TRANSMISSION DE DONNÉES FISCALES
Les risques juridiques pesant sur les tiers collecteurs seraient d'autant plus importants que le projet gouvernemental institue des sanctions en cas de violation du secret des données fiscales transmises par l'administration fiscale - soit le taux du prélèvement à la source.
En effet, conformément à l' article L. 288 A du livre des procédures fiscales (LPF) qu'il est également proposé de créer, l'administration fiscale transmettrait aux tiers collecteurs le taux du prélèvement à appliquer aux revenus versés « sur la base du numéro d'inscription au répertoire national d'identification des personnes physiques [NIR] 89 ( * ) et des éléments d'état civil communiqués par les débiteurs », le cas échéant par le biais de la déclaration sociale nominative (DSN) (voir supra ). Afin de garantir la confidentialité de ces données, il est précisé que l'obligation de secret professionnel , qui s'applique à « toutes les personnes appelées à l'occasion de leurs fonctions ou attributions à intervenir dans l'assiette, le contrôle, le recouvrement ou le contentieux des impôts, droits, taxes et redevances » en vertu de l'article L. 103 du LPF, s'étend à celles-ci ( alinéas 241 à 244 ). L'obligation de secret professionnel trouverait donc à s'appliquer non seulement aux agents de l'administration fiscale, mais aussi aux tiers collecteurs .
Surtout, un nouvel article 1756 bis C serait introduit dans le code général des impôts prévoyant que les personnes qui « contreviennent intentionnellement » à l'obligation de secret professionnel sont punies des peines mentionnées à l'article 226-21 du code pénal - relatif aux atteintes aux droits de la personne résultant des fichiers ou des traitements informatiques -, soit cinq ans d'emprisonnement et 300 000 euros d'amende ( alinéas 227 et 228 ). Toutefois, la peine serait réduite à une amende de 10 000 euros pour certains particuliers employeurs ( alinéa 229 ). Compte tenu de l'exigence d'un élément moral - le caractère intentionnel de la violation du secret professionnel -, la sanction pénale ne pourrait s'appliquer aux révélations commises par imprudence. En revanche, si l'on se réfère à la jurisprudence relative au secret professionnel, « l'intention de nuire n'est nullement requise dans le cadre de la qualification pénale, donc le mobile du professionnel révélant le secret est indifférent, ce qui peut conduire à des solutions jurisprudentielles sévères » 90 ( * ),91 ( * ) .
Par ailleurs, des interrogations persistent quant à l'étendue du champ des personnes susceptibles d'être sanctionnées au titre de la révélation du taux du prélèvement à la source .
Les différentes personnes chargées de l'établissement des bulletins de paie ou des bulletins de paiement des pensions - qui peuvent être, le cas échéant, des experts comptables - pourraient-elles « partager », pour des raisons techniques, les données transmises par l'administration ? En effet, dans le cas des professionnels de santé, par exemple, le partage d'informations relatives à la prise en charge d'un patient, couvertes par le secret professionnel, n'est possible que parce qu'explicitement autorisé par la loi 92 ( * ) . Quel traitement serait réservé aux hébergeurs informatiques , qui se verraient transmettre les taux des prélèvements à la source à opérer par un tiers collecteur, ainsi qu'aux personnes chargées de la transmission de ces données à ces mêmes hébergeurs ? En outre, lors de son audition par la commission des finances, Geoffroy Roux de Bézieux, vice-président du Mouvement des entreprises de France (Medef) s'est inquiété du possible engagement de la responsabilité pénale des mandataires sociaux 93 ( * ) .
Au total, la réforme proposée par le Gouvernement comporte encore de vastes zones d'ombre, en particulier pour ce qui est de la responsabilité fiscale et pénale des tiers collecteurs chargés de mettre en oeuvre la retenue à la source. Ceci paraît difficilement acceptable eu égard aux sanctions qu'il est proposé d'instituer.
* 89 Le numéro d'inscription au répertoire national d'identification des personnes physiques (NIR) est communément appelé numéro de sécurité sociale.
* 90 C. Ghica-Lemarchand, « La responsabilité pénale de la violation du secret professionnel », Revue de droit sanitaire et social , 2015, p. 419.
* 91 Voir arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 19 décembre 1885, Watelet .
* 92 Voir L. 1110-4 du code de la santé publique.
* 93 Sénat, audition du mercredi 5 octobre 2016, op. cit.