DEUXIÈME PARTIE
DES MODALITÉS DE FINANCEMENT PRÉSENTANT DES RISQUES À MOYEN TERME POUR LES CAPACITÉS OPÉRATIONNELLES DE L'ARMÉE FRANÇAISE

Les modalités actuelles de financement du « surcoût OPEX » reposent sur un schéma en deux temps : une provision inscrite en loi de finances à hauteur de 450 millions d'euros et une prise en charge de « l'excédent » par un mécanisme de solidarité interministérielle.

Si, comme le rappellent nos collègues Jacques Gautier, Daniel Reiner, Jean-Marie Bockel, Jeanny Lorgeoux, Cédric Perrin et Gilbert Roger dans leur rapport sur les interventions extérieures de la France 8 ( * ) , le système actuel peut sembler « imparfait au regard des principes budgétaires, mais satisfaisant, faute de mieux pour sécuriser, dans cette période dangereuse, les crédits de la défense dans les arbitrages incessants imposés par la direction du budget », cette insincérité budgétaire est regrettable pour trois raisons .

Tout d'abord, car elle prive le Parlement d'une vision exhaustive du budget de l'État lors du vote de la loi de finances, celui-ci n'intégrant pas un montant de dépense s'élevant au minimum à 600 millions d'euros .

Par ailleurs, les gestionnaires de l'ensemble des ministères, à l'exception des ministères considérés comme « prioritaires » (sécurité, justice, emploi et éducation), voient leur budget amputés en cours d'année pour participer au financement interministériel de cette dépense non-budgétée (cf. infra ).

Enfin, le ministère de la défense contribuant au financement de ce surcoût, nos armées sont donc soumises à une « double peine » : d'une part, elles doivent faire face à un accroissement de leur activité opérationnelle se traduisant par une usure prématurée des militaires et les matériels, comme il a été rappelé précédemment et, d'autre part, leurs crédits sont amputés de plusieurs centaines de millions d'euros chaque année alors que leurs besoins n'ont jamais été aussi élevés.

Une telle situation n'est pas sans risques pour la capacité opérationnelle de nos armées (cf. infra ).

I. UN FINANCEMENT DU « SURCOÛT OPEX » REPOSANT DANS UNE LARGE MESURE SUR LA SOLIDARITÉ INTERMINISTÉRIELLE

A. DES MODALITÉS DE FINANCEMENT FIXÉES PAR LA LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE

L'article 6-3 du rapport annexé à la loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014 9 ( * ) repris par l'article 5 de la loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019 prévoit qu'« en gestion, les surcoûts nets, hors titre 5 et nets des remboursements des organisations internationales, non couverts par cette dotation qui viendraient à être constatés sur le périmètre des opérations extérieures font l'objet d'un financement interministériel ».

Au total, le « surcoût OPEX » fait donc l'objet d'un triple financement :

- la provision initiale dont le montant est inscrit en loi de finances ;

- les remboursements issus d'organismes internationaux sous forme d'attributions de produits ;

Les remboursements d'organisations internationales au titre des OPEX

S'agissant des opérations de maintien de la paix (OMP) des Nations-unies, la participation des forces françaises fait l'objet d'une prise en compte différente selon les modalités d'engagement du personnel :

1) pour le personnel militaire isolé inséré au sein d'un état-major de l'ONU déployé en opération, la France prend en charge les coûts de préparation opérationnelle, d'équipement individuel et de masse salariale liés à ce personnel. Tous les frais de fonctionnement et de vie courante sont pris en charge par l'ONU par le versement d'une allocation mensuelle versée directement aux intéressés (dite MSA, Mission subsistence allowance) ;

2) pour les contingents constitués, la France finance sur les BOP 0178-0062 et 0212-0093-OPEX l'intégralité des coûts de déploiement et de participation des contingents français. L'ONU en rembourse une partie selon des barèmes préétablis, lesquels couvrent :

- les coûts liés à la mise à disposition de personnel (dits troop costs) ;

- les coûts liés à la mise à disposition de matériels majeurs ;

- les coûts liés au soutien par la France de son propre contingent, dans des domaines spécifiques du soutien (santé, par exemple).

Ces remboursements sont encaissés par les BOP OPEX au titre des ressources non fiscales.

On estime à environ 40 % le taux de remboursement des dépenses supportées par les BOP OPEX au titre des opérations de l'ONU.

Les seules dépenses prises en charge par l'Union européenne sont celles qui sont prises en compte par le mécanisme Athena (système de coopération intergouvernemental juridiquement distinct de l'Union).

Source : ministère de la défense, réponse au questionnaire de votre rapporteur spécial

- la différence est compensée par un financement interministériel via un décret d'avance de fin d'année .

Financement du surcoût des OPEX non prévu en loi de finances initiale

(en millions d'euros)

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

2015

Décrets d'avances

400

540

421

453

273

222

228

247

538

187

578

611

625

Crédits ouverts en LFR

420

495

269

223

247

Autres (dont fonds de concours)

14

41

79

50

79

56

50

54

41

Surcoût total

400

540

421

453

287

263

307

297

617

243

628

665

666

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire 2016

Comme le montre le tableau supra , l'essentiel du financement du « surcoût OPEX », hors provision initiale, est porté par la solidarité interministérielle, les remboursements issus d'organismes internationaux s'élevant en moyenne, depuis 2007, à 51,6 millions d'euros par an.

Votre rapporteur spécial considère que les opérations dans lesquelles la France est engagée participant de la sécurité de l'ensemble des pays européens, il conviendrait que l'Union européenne puisse, selon des modalités restant à déterminer, contribuer davantage au financement des OPEX . À cet égard, les initiatives portées par le ministre de la défense ces derniers mois visant à relancer une défense européenne semblent aller dans le bon sens.

En particulier, il pourrait être envisagé d'étendre le mécanisme Athena dans deux directions : une augmentation du taux de couverture, actuellement de l'ordre de 10 % à 15 % des dépenses et un élargissement du champ des opérations ouvrant droit à une prise en charge par ce dispositif . En effet, à l'heure actuelle, la France contribue davantage à ce mécanisme qu'elle n'en bénéficie . Comme le rappelle la Cour des comptes dans son enquête figurant en annexe, « les États membres y contribuent sur la base d'une clef assise sur le PIB qui pour la France varie entre 16 % et 17 % des coûts de structure des dix opérations engagées depuis 2004 (actuellement EUTM Somalie, EUFOR ALTHEA Bosnie, Atalante-EUNAVFOR / EPE, EUTM Mali et EUFOR RCA). Toutefois Athena n'assure que la prise en charge des coûts communs des opérations ; ceux-ci ne représentent qu'une faible fraction (10 % à 15 %) des dépenses entraînées par les opérations militaires de l'UE, le solde étant à la charge de chacun des États y participant ».

Le mécanisme Athéna

Athena est un mécanisme qui assure le financement des coûts communs des opérations militaires de l'Union européenne menées au titre de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) de l'UE.

Athena est géré par un administrateur et placé sous l'autorité d'un comité spécial composé de représentants des États membres contribuant au financement de chaque opération.

Le 1 er mars 2004, le Conseil de l'Union européenne a mis sur pied le mécanisme Athena. 27 États membres de l'UE contribuent au financement des opérations militaires de l'UE, le Danemark ayant décidé de ne pas participer à la PSDC pour les questions militaires.

Six opérations militaires de l'UE en phase active bénéficient actuellement du financement d'Athena :

- EUFOR ALTHEA (Bosnie-Herzégovine) ;

- EUNAVFOR ATALANTA (Corne de l'Afrique) ;

- EUTM Somalia ;

- EUTM Mali ;

- EUNAVFOR MED ;

- EUTM RCA.

Athena peut financer les coûts communs des opérations militaires de l'UE ainsi que les coûts pris en charge par les États, qui incluent l'hébergement, le carburant et les frais similaires liés aux contingents nationaux.

Dans tous les cas, ces coûts sont les suivants:

- l'établissement et les dépenses de fonctionnement de l'état-major, y compris les déplacements, les systèmes informatiques, l'administration, l'information de la population, le recrutement de personnel local, le déploiement et l'hébergement de l'état-major de force (EMF)

- pour l'ensemble de la force, l'infrastructure, les services médicaux (sur le théâtre des opérations), l'évacuation médicale, l'identification et l'acquisition d'informations (images satellitaires)

- les remboursements à ou par l'OTAN ou d'autres organisations (l'ONU, par exemple).

Si le Conseil le décide, Athena peut aussi financer les coûts de transport et d'hébergement des forces et les états-majors multinationaux d'un niveau inférieur à celui d'EMF.

Lorsque le commandant d'opération le demande et que le comité spécial l'approuve, Athena peut aussi financer les coûts suivants :

- casernement et logement/infrastructure, équipements supplémentaires essentiels, services médicaux, acquisition d'informations (renseignement sur le théâtre des opérations, reconnaissance et surveillance, notamment surveillance et reconnaissance air-sol et renseignement humain) ;

- autres capacités essentielles au niveau du théâtre (déminage, protection chimique, biologique, radiologique et nucléaire (CBRN), stockage et destruction des armes).

Les États membres versent une contribution annuelle sur la base de leur revenu national brut.

Source : http://www.consilium.europa.eu/fr/policies/athena/

Recommandation n° 10 : inciter nos partenaires européens à prendre davantage part au financement des opérations extérieures menées par la France, via un renforcement du mécanisme Athena par exemple.


* 8 Jacques Gautier, Daniel Reiner, Jean-Marie Bockel, Jeanny Lorgeoux, Cédric Perrin et Gilbert Roger, Interventions extérieures de la France : renforcer l'efficacité militaire par une approche globale coordonnée, rapport d'information n° 794 (2015-2016) fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, déposé le 13 juillet 2016.

* 9 « En gestion, les surcoûts nets non couverts par la provision (surcoûts hors titre 5 nets des remboursements des organisations internationales) seront financés par prélèvement sur la réserve de précaution interministérielle ».

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