SYNTHÈSE

? Une pression migratoire soutenue aux frontières de l'UE

L'Union européenne a fait face en 2015 et 2016 à un afflux massif de migrants irréguliers sur son territoire : plus d'un million d'arrivées, dont 885 000 par la Grèce et 154 000 par l'Italie.

Pour l'essentiel, il s'agissait d'un flux de réfugiés lié à la crise en Syrie , auquel sont venus s'agréger des personnes fuyant d'autres conflits, mais aussi des migrants économiques.

Ce flux massif, exceptionnel par son rythme et par le nombre de personnes concernées, s'est significativement réduit depuis la fermeture de la route terrestre des Balkans et l'entrée en vigueur de l'accord passé le 18 mars 2016 entre l'UE et la Turquie. Ainsi, les arrivées quotidiennes sur les îles grecques, qui s'élevaient à plus de 2 000 l'hiver dernier, ne dépassent plus une cinquantaine actuellement.

Cet épisode exceptionnel ne doit pas cependant masquer l'existence, depuis de nombreuses années, d'une pression migratoire soutenue aux frontières de l'UE , qui est le fait de flux mixtes.

Celle-ci s'inscrit dans un mouvement global d'intensification des migrations (244 millions de migrants internationaux en 2015 contre 173 millions en 2000), qui concerne toutes les régions du monde mais ne représente au final qu'une part réduite (3,3 %) de la population mondiale.

De fait, les arrivées se poursuivent, particulièrement en Méditerranée centrale, où le flux s'est intensifié depuis deux ans, du fait de la dégradation de la situation en Libye.

Les réseaux de passeurs jouent un rôle déterminant dans l'organisation de ces flux vers l'Europe, alimentant une véritable « économie des migrations », générant entre 3 et 6 milliards d'euros par an .

Au vu des facteurs qui l'entretiennent ( conflits à la périphérie de l'Europe, écarts de développement, croissance démographique des pays du Sud et particulièrement de l'Afrique, changement climatique...), cette pression migratoire aux portes de l'Europe ne peut que se maintenir voire s'accentuer .

Elle s'inscrit dans un mouvement global d'intensification des migrations (244 migrants dans le monde en 2015 contre 173 millions en 2000), qui concerne toutes les régions de la planète mais ne représente que 3,3% de sa population.

Les conséquences humanitaires dramatiques de la migration irrégulière vers l'Europe, qui conduit chaque année des milliers de personnes à emprunter des routes dangereuses, ne peuvent être ignorées. L'Organisation internationale pour les migrations (OIM) a recensé 3 770 décès en Méditerranée en 2015 et déjà 3 034 au 27 juillet 2016.

Par ailleurs, les implications sécuritaires de ces vagues migratoires ne doivent pas être occultées, compte tenu du risque terroriste sur le territoire européen.

? Une crise politique européenne

Si l'UE a adopté de nombreuses mesures d'urgence en réaction aux arrivées massives (lancement d'une opération maritime de lutte contre les passeurs, déploiement de hotspots aux points d'arrivée des migrants sur le territoire européen...), cette mobilisation ne saurait masquer l'impréparation dont elle a fait preuve , en n'anticipant pas, malgré les signaux reçus, la survenue de la crise des réfugiés, et en n'engageant pas les réformes qui auraient dû l'être depuis plusieurs années (renforcement des frontières extérieures de l'UE, révision du système de Dublin).

Par ailleurs, la mise en oeuvre du plan d'action européen se heurte à l'inertie voire la mauvaise volonté des Etats membres , particulièrement de ceux d'Europe orientale, qu'il s'agisse de répartir la charge des réfugiés (relocalisations, réinstallations), de répondre aux appels à contribution des agences européennes (Frontex, EASO, Europol), en grande partie dépourvues de moyens propres, ou de respecter leurs engagements financiers.

Au final, le principal problème est celui d'un manque de volonté politique . Dans le contexte d'un repli des Etats membres sur leurs propres intérêts, d'un rejet de l'opinion et de l'essor de mouvements extrémistes et populistes, la question migratoire a suscité une véritable crise politique , mettant à mal les principes fondateurs du projet européen (solidarité, libre circulation).

Aussi vos rapporteurs en appellent-ils à un sursaut , afin que cette crise, qui s'ajoute à tant d'autres, ne précipite pas la désintégration de l'UE, mais lui permette, au contraire, de progresser.

Diverses réformes ont été lancées, qu'il faut désormais finaliser et mettre en oeuvre . Il en est ainsi de la mise en place d'une agence européenne de garde-frontières dotée de moyens accrus et d'une plus grande autonomie d'action, et de l'amélioration de l'utilisation des systèmes d'information de l'espace Schengen. Une réforme du système d'asile européen paraît également inévitable.

Des engagements financiers ont été pris, qu'il faudra honorer : Fonds fiduciaire d'urgence pour l'Afrique, Facilité financière en faveur de la Turquie, soutiens promis à la Jordanie et au Liban. D'autres seront nécessaires dans le cadre du nouveau partenariat européen avec les pays d'origine et de transit , car l'efficacité des nouveaux pactes migratoires dépendra pour partie des moyens que les Etats européens voudront bien leur consacrer.

Un axe fort doit être la lutte contre les réseaux de passeurs , qui implique notamment une coopération bilatérale et multilatérale renforcée et une action sur les flux financiers illicites.

Vos rapporteurs préconisent par ailleurs l'élaboration d'une véritable politique migratoire, permettant d'offrir des voies légales, alternatives à l'immigration irrégulière.

Ils plaident, enfin, pour des conditions de primo-accueil dignes sur le territoire national, dans l'attente d'une renégociation des accords du Touquet avec le Royaume-Uni .

PRINCIPALES RECOMMANDATIONS

1°) Répondre à l'urgence humanitaire

- Permettre une montée en puissance des relocalisations (le 11 juillet, seules 3 056 relocalisations avaient été réalisées sur les 160 000 prévues) ;

- répondre sans tarder aux demandes de personnel des agences européennes, notamment celles du Bureau européen d'appui en matière d'asile (EASO) pour aider la Grèce à traiter rapidement les demandes d'asile et réduire les conséquences humanitaires de l'attente, notamment dans les hotspots ;

- augmenter significativement le nombre de places de réinstallation : alors que le besoin à l'échelle mondiale concerne 1,19 million de personnes, l'UE n'avait réalisé, le 11 juillet dernier, que 8 268 des 22 500 réinstallations auxquelles elle s'était engagée, dont 735 dans le cadre de l'accord UE-Turquie. En outre, depuis l'accord UE-Turquie, il n'existe plus d'engagements européens de réinstallation au profit de la Jordanie et du Liban . Il est urgent de rehausser l'effort européen ;

- conforter le cadre européen des visas pour asile et développer leur utilisation , afin de permettre à davantage de personnes en besoin de protection internationale de se rendre dans un Etat membre pour y demander l'asile ;

- offrir aux migrants un primo-accueil digne sur le territoire national , par la mise à disposition d'hébergements en nombre suffisant et la fourniture des services de base sur les sites concernés, particulièrement à Calais ;

- permettre un meilleur suivi et une meilleure prise en charge des mineurs isolés sur le territoire national , notamment par la création de lieux de protection sur sites et l'élaboration de solutions adaptées ;

- soutenir les réfugiés dans les pays de premier accueil , en tenant, s'agissant des réfugiés syriens, les engagements pris lors de la Conférence de Londres du 4 février 2016 et en réévaluant les contributions versées aux agences humanitaires onusiennes.

2°) Favoriser le renforcement de l'implication de l'UE

- En matière de politique étrangère et de gestion des crises , en vue du règlement du conflit syrien et de la consolidation de la Libye , compte tenu de l'incidence de la situation de ces pays sur les flux de réfugiés et de migrants ;

- en matière de protection des frontières extérieures de l'UE , par l'adoption et la mise en oeuvre rapides de la réforme de Frontex et des mesures visant à renforcer les contrôles : interrogation systématique des bases de données policières lors du franchissement des frontières extérieures, mise en place du système d'entrée/sortie, alimentation systématique et interopérabilité des différentes bases, détection des faux documents d'identité... Il faudrait aussi autoriser sans plus attendre l'accès direct de Frontex aux systèmes d'information européens (SIS, VIS, et Eurodac) ;

- dans le domaine de l'asile , par un meilleur partage de la charge des réfugiés, une plus grande harmonisation des règles et un rôle accru de l'EASO.

3°) Intensifier la lutte contre les passeurs

- Par un renforcement de la coopération policière et judiciaire, bilatérale et multilatérale et le développement par Europol de son activité d'analyse opérationnelle ;

- par une surveillance renforcée des flux financiers et d'internet ;

-par le développement des capacités d'identification des documents d'identités frauduleux ;

-par la promotion de la ratification et la mise en oeuvre de la Convention de Palerme.

4°) Lutter contre les causes profondes de la migration irrégulière

- Aider les Etats d'origine et de transit à mieux contrôler les flux irréguliers grâce à la coopération policière, la consolidation des capacités de réadmission et le soutien aux retours volontaires ;

- contribuer au renforcement de l'information et de la protection des migrants et des réfugiés dans les pays tiers ;

- soutenir le développement économique des pays d'origine par une aide significative, des financements innovants et par une réorientation des priorités de l'aide au développement en faveur de la maîtrise de la démographie, de l'agriculture et de l'éducation ;

- concrétiser les pactes migratoires incitatifs avec les pays d'origine et de transit dans le cadre de l'UE.

5°) Elaborer une véritable politique migratoire nationale

L'ouverture raisonnée de voies légales de migration , en fonction des besoins du marché du travail, serait une manière d'inciter les pays d'origine à coopérer à la lutte contre les flux irréguliers et d'offrir aux migrants des alternatives aux dangers des routes irrégulières.

6°) Débattre aussi des migrations au plan mondial

Compte tenu de son caractère global, la problématique migratoire a vocation à être abordée à l'échelle internationale et doit trouver sa place dans le cadre onusien.

I. UNE PRESSION MIGRATOIRE SOUTENUE AUX FRONTIÈRES DE L'EUROPE RÉCEMMENT ACCENTUÉE PAR LA CRISE SYRIENNE

A. LES MIGRATIONS, UN MOUVEMENT GLOBAL

L'augmentation de la pression migratoire aux frontières de l'Europe s'inscrit dans un contexte d'intensification des migrations à l'échelle mondiale.

1. Une augmentation continue

244 millions de migrants internationaux 1 ( * ) (selon la définition des Nations unies, est un migrant international toute personne habitant un pays autre que son pays de naissance pour une durée supérieure ou égale à un an) étaient recensés en 2015, contre 222 millions en 2010 et 173 millions en 2000, soit une hausse de 71 millions (+41 %) sur quinze ans .

Évolution du nombre de migrants internationaux dans le monde

Source : Nations unies

En proportion de la population, le nombre de migrants a augmenté, passant de 2,8 % de la population en 2000 à 3,3 % en 2015. Néanmoins, il était de 5 % en 1900.

Cette augmentation s'explique par la globalisation des flux (mobilité accrue, accès facilité à l'information), l'instauration d'une liberté de circulation dans certains espaces régionaux, l'importance des conflits et les inégalités de développement.

Les migrations sud-sud (37 % de l'ensemble des migrants) se développent (migrations de travail à destination notamment des pays du Golfe ou des BRICS) et sont aujourd'hui supérieures aux migrations sud-nord (35 % en 2015), les migrations nord-nord portant, quant à elles, sur des flux moins importants (23 %).

Direction

Stock (millions)

% nombre total de migrants internationaux

Sud-Sud

90,2

37%

Sud-Nord

85,3

35 %

Nord-Nord

55,2

23 %

Nord-Sud

13,6

5 %

Source : Nations unies

2. Une forte concentration géographique

Les migrants internationaux se répartissent de la manière suivante :

Répartition des migrants internationaux par zone géographique

Europe

dont Union européenne

Asie

Amérique du Nord

dont Etats-Unis

Afrique

Amérique latine

Océanie

TOTAL

Millions de migrants

76

54

75

54

47

21

9

8

244

En % du Total

31,15

22,13

30,74

22,13

19,3

8,6

8,6

3,7

100

Source : Nations unies

71 % d'entre eux vivent dans les pays les plus développés , dont la moitié environ dans les pays de l' OCDE.

3. Qui sont les migrants internationaux ?

La grande majorité sont des travailleurs migrants : environ 150 millions selon l'Organisation internationale du Travail (OIT), soit environ deux tiers du total. De fait, la principale raison des départs reste la recherche d'un travail et d'une vie meilleure.

Un nombre croissant est aussi constitué de personnes contraintes de quitter leur pays en raison de conflits, persécutions ou violations des droits de l'Homme : selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR 2 ( * ) ), on recensait, fin 2015, 24,5 millions de réfugiés 3 ( * ) dans le monde , soit une augmentation de 3,2 millions par rapport à l'année précédente (21,3 millions).

Si l'on y ajoute les déplacements forcés à l'intérieur des frontières des pays, le nombre total de personnes déplacées à l'échelle mondiale s'élevait à 65,3 millions de personnes fin 2015 , contre 59,5 millions fin 2014 et 42,5 millions fin 2011, u n chiffre sans précédent, qui est à mettre en relation avec l'explosion des conflits à l'échelle mondiale.

De fait, le HCR constate une augmentation dramatique des déplacements forcés dans le monde depuis cinq ans , sous l'effet de nouveaux conflits (Syrie, Burundi, Libye, Niger, Nigéria..) qui s'ajoutent à des conflits plus anciens non résolus (Afghanistan, Sud Soudan, Yémen...).

Trois pays génèrent à eux seuls la moitié des réfugiés dans le monde : la Syrie (4,9 millions), l'Afghanistan (2,7 millions) et la Somalie (1,1 million). 86 % de ces réfugiés se trouvaient fin 2015 dans des pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire , à proximité des zones de conflit. Les dix pays accueillant le plus grand nombre de réfugiés fin 2015 sont les suivants :

Pays d'accueil

Nombre de réfugiés

Turquie

2,5 millions

Pakistan

1,6 million

Liban

1,1 million

Iran

979 400

Éthiopie

736 100

Jordanie

664 100

Kenya

553 900

Ouganda

477 200

Congo

383 100

Tchad

369 500

Source : HCR

Les autres migrants internationaux sont des personnes qui migrent dans le cadre du regroupement familial ou pour faire des études .

L'OIM estime à environ 50 millions le nombre de migrants irréguliers à l'échelle mondiale 4 ( * ) .

4. L'UE, première destination migratoire à l'échelle mondiale

En ce qui concerne l'Union européenne, l'évolution sur les vingt-cinq dernières années a été la suivante :

Avec 54 millions de migrants internationaux en 2015 5 ( * ) , l'Union européenne est la plus importante zone d'immigration à l'échelle mondiale , devant les Etats-Unis (47 millions), les pays du Golfe (28 millions) et la Russie (12 millions). Par rapport à d'autres régions du monde, elle se caractérise par des migrations provenant majoritairement de pays tiers.

Alors qu'elles constituaient la principale composante dans les années 60-70, les migrations de travail sont devenues une part minoritaire des flux réguliers , ceux-ci étant aujourd'hui principalement liés à des droits : droit d'asile, droit au regroupement familial, études universitaires, libre circulation dans le cadre d'accords régionaux.

5. L'UE, une destination migratoire parmi d'autres

Ce mouvement global s'accompagne d'une régionalisation des flux , les migrations se structurant de plus en plus en systèmes migratoires régionaux 6 ( * ) .

Les Etats-Unis en constituent un premier avec les pays d'Amérique centrale et notamment le Mexique, plus de la moitié de la population américaine née à l'étranger provenant de cette région.

Un autre est formé par l'Amérique du sud où des pays comme le Brésil, l'Argentine, le Venezuela ou encore le Chili sont des destinations pour les migrants originaires des pays andins.

La Russie est devenue une terre d'immigration pour les populations du Caucase du sud et d'Asie centrale.

En Asie, le Japon, la Corée du sud, Singapour, Hong Kong et Taïwan constituent des pays d'accueil pour les migrants d'Asie du Sud-Est qui, en Océanie, se dirigent aussi vers l'Australie et la Nouvelle-Zélande.

En 2015, 87 % des migrants internationaux vivant en Afrique étaient originaires d'un autre pays du continent .

De la même manière, l 'UE forme, avec les pays de la rive sud de la Méditerranée d'où proviennent la majorité des migrants qui la rejoignent, un espace migratoire régional composé à la fois de pays de départ, de pays de transit et de pays d'accueil.


* 1 International migration report 2015, Department of economic and social Affairs, United Nations.

* 2 Global trends forced displacement in 2015, UNHCR, 20 juin 2016.

* 3 Y compris les demandeurs d'asile.

* 4 Global migrations trends 2015, factsheet, International Organization for Migration.

* 5 Données chiffrées des Nations unies retravaillées.

* 6 « Une nouvelle donne migratoire », Catherine Wihtol de Wenden, paru dans Politique étrangère , n° 3, 2015 .

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