III. FAIT GÉNÉRATEUR D'UNE OPEX : LA DÉCISION D'INTERVENTION PRISE PAR LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE EN CONSEIL DE DÉFENSE
A. UNE DÉCISION D'ENGAGEMENT DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
La décision d'engagement des armées est prise par le Président de la République en Conseil de défense sur le fondement des prérogatives qu'il tient de l'article 15 de la Constitution du 4 octobre 1958 : « Le Président de la République est le chef des armées. Il préside les conseils et comités supérieurs de la Défense nationale » et l'article 5, alinéa 2, qui fait de lui le « garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités ». La pratique, sous la V e République, a conforté la suprématie du chef de l'Etat dans ce domaine, initialement en raison de la personnalité du général de Gaulle, de ses antécédents militaires et politiques, du contexte de son arrivée au pouvoir, puis de la place particulière que le Président de la République va occuper dans le système de mise en oeuvre de la dissuasion nucléaire, et enfin, dans l'exercice de la fonction, tant dans le domaine diplomatique que dans celui des engagements militaires. Le partage de compétence établit une répartition entre le chef de l'État et le Premier ministre qui, certes, reste responsable de la défense nationale aux termes de l'article 21 de la Constitution, et, de fait, endosse la décision d'engagement, mais dont le rôle est, de fait, cantonné à l'organisation de la défense nationale, les décisions stratégiques étant prises par le Président de la République.
La réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 a renforcé cependant le contrôle parlementaire en introduisant une obligation d'information et la capacité pour le Parlement de se prononcer sur la prolongation d'une intervention militaire à l'étranger au-delà de 4 mois en modifiant les dispositions de l'article 35 de la Constitution (voir infra p. 237 et suiv.).
En outre, la décision d'engager des forces militaires françaises à l'étranger échappe au contrôle du juge administratif (Conseil d'État, 5 juillet 2000, Mégret et Mekhantar ) 14 ( * ) .
B. UNE DÉCLINAISON RÉGLEMENTAIRE INTERNE AU MINISTÈRE DE LA DÉFENSE
Il n'existe pas de texte réglementaire qui serait pris à l'occasion du déclenchement même de l'intervention à l'extérieur du territoire français aux fins de qualifier cette intervention d'OPEX. Au moment du lancement de cette opération, les seuls documents émis en aval du relevé de décision, classifié, du Conseil de défense sont des ordres opérationnels produits par l'état-major des armées : ordre d'opération et directive administrative et logistique. Cette dernière précise le périmètre géographique du théâtre d'opérations et ses modalités de soutien, dont le soutien financier (voir infra p. 226). C'est du contenu de cette directive que vont découler l'affectation des dépenses aux budgets opérationnels de programmes OPEX 15 ( * ) et le versement de l'indemnité de sujétion pour service à l'étranger (ISSE) par exemple.
C'est donc bien la décision du Président de la République en Conseil de défense qui caractérise une OPEX et lui donne sa définition formelle et, pour une large part, c'est l'État-major des armées qui propose au ministre de la défense de qualifier comme telle une opération extérieure .
Elle peut avoir également des implications dans le domaine social, comme par exemple concernant l'attribution de la carte du combattant. Enfin, sur le plan pénal, elle entraîne la protection juridique du militaire pour l'usage de la force armée, en application de l'article L 4123-12-2 du code de la défense.
Il convient toutefois de relever le caractère exclusivement interne au ministère de la défense de la qualification d'« opérations extérieures ».
Après le lancement de l'opération, des textes à valeur réglementaire peuvent être pris pour ouvrir le bénéfice de certains droits individuels au profit du personnel qui y est engagé. Ces textes appartiennent à deux catégories 16 ( * ) :
- les arrêtés interministériels ouvrant le bénéfice de mesures protectrices à l'égard du personnel militaire blessé en opération et aux ayants-droits des militaires tués en opérations en vertu de l'article L.4123-4 du code de la défense 17 ( * ) .
- les décrets accordant le bénéfice de bonifications de campagne qui viennent majorer les droits à pension, en application des articles L.12 et R.15 à R.17 du code des pensions civiles et militaires 18 ( * ) ;
Il est à noter que, si l'existence de ces textes permet d'être certain que l'on est en présence d'une opération extérieure :
- cette certitude n'est apportée qu' a posteriori ,
- et certaines opérations ne font l'objet d'aucun texte : les opérations militaires ne présentant pas de caractère de dangerosité ou d'insalubrité avérée ne bénéficient pas des mesures protectrices du personnel, et les opérations en Afrique subsaharienne ne font l'objet d'aucun décret d'ouverture du bénéfice de campagne, ce bénéfice étant accordé de manière globale en vertu d'un décret de 1969, pour tout service dans les anciennes colonies françaises au sud du Sahara.
La décision réglementaire d'ouverture d'un théâtre n'est donc pas systématique lors du déploiement de forces militaires hors du théâtre national. Certaines opérations d'évacuation menées par les forces prépositionnées sur le territoire où elles sont déployées ont pu ne pas donner lieu à ouverture d'un théâtre 19 ( * ) .
Les directives et textes réglementaires s'adaptent parfois imparfaitement aux engagements maritimes dont les zones ne sont pas tout le temps liée s aux engagements aéroterrestres attenants. La prise en compte des approches maritimes ou des eaux avoisinantes d'un théâtre d'OPEX semble être souvent le cas pour les arrêtés attribuant le bénéfice s de mesures de protection article L 4312-4), mais pour les bâtiments cela suppose un engagement à plus de 300 milles nautiques pour plus de 7 jours ce qui veut dire que certains bâtiments de ravitaillement qui effectuent des norias entre le territoire national et la zone délimitée pour l'OPEX ne seront pas pris en considération, ou que si les missions sont courtes (évacuation de ressortissants: Libye juillet 2014 20 ( * ) , Yémen 2015 21 ( * ) ), elles ne seront pas non plus prises en considération. Cette délimitation réglementaire peut avoir des conséquences en terme de protection des blessés et des ayants-droits pour les militaires tués (L 4123-4), éventuellement pour le bénéfice de l'indemnité de sujétion pour service à l'étranger (ISSE), mais cela ne dépend que de la directive administrative et logistique de l'EMA, qui n'est pas un acte réglementaire au sens strict, ou pour l'attribution de certaines distinctions qui s'appuie souvent sur les mêmes critères de délimitation.
Il en va de même pour nombre d'opérations menées par les militaires des forces spéciales ou des services de renseignement en raison de leur caractère confidentiel.
En revanche, une acception large des zones concernées, étendues aux pays voisins à partir desquels les forces interviennent ou qui constituent les points d'appui de la manoeuvre logistique soutenant la force d'intervention ou le recours à des formules, comme les pays ou les eaux avoisinants ou encore les approches maritimes, permettent d'ouvrir, aux personnels militaires blessés en opération et aux ayants-droits des militaires tués en opération, le bénéfice de mesures protectrices en vertu de l'article L.4123-4 du code de la défense.
Le code de justice militaire, dans les dispositions précisées et étendues par votre commission dans la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019, et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale, relative à la responsabilité pénale des militaires en opérations, a pour sa part retenu une version plus étendue en considérant que :
• « pour l'application de l' article 74 du code de procédure pénale , est présumée ne pas avoir une cause inconnue ou suspecte la mort violente d'un militaire au cours d'une action de combat se déroulant dans le cadre d'une opération militaire hors du territoire de la République . » (article L.211-7) ;
• « Toutefois, l'action publique ne peut être mise en mouvement que par le procureur de la République lorsqu'il s'agit de faits commis dans l'accomplissement de sa mission par un militaire engagé dans le cadre d'une opération mobilisant des capacités militaires, se déroulant à l'extérieur du territoire français ou des eaux territoriales françaises, quels que soient son objet, sa durée ou son ampleur, y compris la libération d'otages, l'évacuation de ressortissants ou la police en haute mer . » (article L 211-11) ;
• Des dispositions du même ordre figurent aux articles L. 4123-12 du code de la défense : « et dans le cadre d'une opération mobilisant des capacités militaires, se déroulant à l'extérieur du territoire français ou des eaux territoriales françaises, quels que soient son objet, sa durée ou son ampleur, y compris la libération d'otages, l'évacuation de ressortissants ou la police en haute mer , exerce des mesures de coercition ou fait usage de la force armée, ou en donne l'ordre, lorsque cela est nécessaire à l'exercice de sa mission . ».
Existent aussi des régimes spécifiques pour l'attribution d'un certain nombre de distinctions honorifiques selon des critères précis de jours de présence, de volontariat ou encore d'actions d'éclat. Ces distinctions spécifiques, au nombre de quatre : Médaille d'outre-mer (avec ou sans agrafe, Médaille commémorative française, Croix du combattant volontaire avec barrette « missions extérieures », Croix de la valeur militaire, relèvent de régimes d'attribution particuliers. La participation à des OPEX peut également contribuer à l'obtention d'autres décorations comme la concession de la médaille militaire, de la médaille de la défense nationale ou encore une nomination ou une promotion dans l'ordre national de la Légion d'honneur, grâce à un système de bonification ou de points orientés vers l'opérationnel.
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Dans le cadre de ce rapport, nous retiendrons donc, comme champ d'étude et d'investigation, les opérations ou interventions extérieures, décidées par le Président de la République en Conseil de défense ayant pour objectif d'assurer, par la projection de capacités militaires en unités constituées, à distance du territoire national, la protection de nos ressortissants à l'étranger et la défense de nos intérêts stratégiques et de sécurité, comme de ceux de nos partenaires et alliés ; et qui nous permette d'exercer nos responsabilités internationales .
Il peut s'agir d'opérations dans le cadre national, multinational (comme l'OTAN ou l'Union européenne) ou international (l'ONU). L'engagement peut revêtir la forme de missions de combat, de maintien ou de rétablissement de la paix, de sauvegarde des intérêts nationaux, mais aussi de missions humanitaires, de missions de police, d'actions civilo-militaires et d'actions d'assistance militaire.
* 14 Le Conseil d'Etat a rejeté deux recours pour excès de pouvoir visant à faire annuler la décision du Président de la République, annoncée à Berlin le 24 mars 1999, d'engager un corps de l'armée française dans les opérations de l'OTAN contre la République fédérale de Yougoslavie (Opération Trident), et organisant la conduite des opérations sur place pour l'un et l'annulation des dispositions subséquentes à la décision contestée, c'est-à-dire les désignations des cibles des forces aériennes, la fixation des moyens aériens à disposition du corps français, et la répartition des moyens entre les armées, pour l'autre. La décision contestée faisait suite à la décision par l'OTAN de conduire des frappes contre la Yougoslavie - l'opération « Allied Force » -, en réaction aux exactions commises par Belgrade au Kosovo, et à l'issue de l'échec des négociations initiées quelques mois plus tôt sous l'égide de l'ONU, du Groupe de Contact créé pour l'occasion (États-Unis, France, Russie, Royaume-Uni, Italie, Allemagne), et de l'OSCE.
Il a considéré, au regard de la nature de la décision du 24 mars 1999 et du contexte dans laquelle celle-ci survient, « que la décision des autorités françaises d'engager des forces militaires en République fédérale de Yougoslavie en liaison avec les évènements du Kosovo, ainsi que les décisions subséquentes fixant les objectifs militaires et déterminant et répartissant les moyens mis en oeuvre ne sont pas détachables de la conduite des relations internationales de la France ; que la juridiction administrative n'est, dès lors, pas compétente pour connaître des requêtes de MM. Mégret et Mékhantar », réemployant ainsi la formule consacrée en matière d'actes de gouvernement relatifs aux faits de guerre.
* 15 L'instruction n° 29748 du 25 mai 1984 relative au suivi des dépenses supplémentaires entraînées par les OPEX fixe les règles en matière de calcul et de remboursement des surcoûts. Cette instruction est devenue obsolète, s'y est substituée la lettre n° 1002571/DEF/SGA/DAF/SPB/SPB3 relative aux dépenses supplémentaires liées aux OPEX du 1 er décembre 2010.
* 16 L'édiction de ces deux documents procède de demandes de l'État-major des armées (centre de planification et de conduite des opérations - CPCO) adressées à la direction des ressources humaines du ministère de la défense (DRH-MD), qui élabore les projets de texte et les transmet au ministère chargé du budget pour validation.
* 17 L'arrêté ouvrant droit aux dispositions de l'article L. 4123-4 du code de la défense est signé par les ministres de la défense et des finances. Il était, jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, publié au Journal officiel (par exemple, pour l'opération Barkhane : arrêté du 25 septembre 2015).
Depuis la modification de l'article L. 4123-4 du code de la défense par la loi du 20 avril 2016, deux arrêtés sont prévus : le premier pour ouvrir les droits, qui est publié, le second, pour définir le champ géographique de l'opération, qui n'est désormais plus publié (mais accessible à ceux qui peuvent y avoir intérêt, notamment en cas d'action en justice).
* 18 Le décret ouvrant droit au bénéfice de campagne est signé par le premier ministre et cosigné par le ministre de la défense, le ministre des finances et le secrétaire d'Etat chargé du budget.
* 19 Évacuation des ressortissants français au Tchad en 2008 par les forces prépositionnées au Gabon.
* 20 Évacuation des ressortissants français et britanniques de Libye dans la nuit du 29 au 30 juillet 2014 par deux frégates françaises
* 21 A ce sujet le cas de l'évacuation du Yémen de 63 ressortissants de la ville d'Aden au Sud du Yémen, le 5 avril au matin est intéressant car ni le patrouilleur hauturier (PH) L'Adroit, déployé en océan Indien dans le cadre de la mission Atalante et qui a été placé en mission nationale donc sorti du cadre OPEX d'Atalante, ni la frégate légère furtive (FLF) Aconit, engagée dans le cadre de la mission Jeanne d'Arc 2015 n'ont pu être comprises .