TITRE 6 - UN EFFORT FINANCIER CONSÉQUENT, BÉNÉFICIANT DE MODALITÉS SPÉCIFIQUES MAIS INCOMPLET DANS SON APPRÉCIATION
Si l'on s'en tient aux dépenses exposées dans les lois de règlement à ce titre, la France a consacré 8,2 milliards d'euros aux opérations militaires extérieures de 2008 à 2015 soit en moyenne un peu plus d'1 milliard d'euro par an., ce qui représente bon an, mal an 0,25% des dépenses de l'Etat.
Ces dépenses difficilement prévisibles sont soumises à un mode de financement particulier en gestion qui, faute de mieux, est satisfaisant car il préserve a minima les budgets de fonctionnement et d'équipement des armées, principal motif de sa mise en place.
Ce faisant un certain nombre de coûts supportés par la défense ne sont pas intégrés.
I. UN EFFORT FINANCIER IMPORTANT
A. UN COÛT ÉLEVÉ, MAIS SOUTENABLE POUR LE BUDGET DE L'ETAT EU ÉGARD AUX ENJEUX
1. Un coût jamais inférieur à 830 millions d'euros depuis 2008
Coût annuel de l'opération à la charge du budget de la défense (en M€)
Théâtre |
Opération |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
Kosovo |
Trident |
103,41 |
81,81 |
64,72 |
47,28 |
39,88 |
33,49 |
21,12 |
2,85 |
Liban |
Daman + Baliste (2008) |
81,44 |
90,31 |
83,31 |
78,61 |
76,34 |
59,49 |
58,34 |
53,58 |
Afghanistan |
Pamir + Heracles |
290,21 |
385,62 |
480,20 |
512,75 |
477,35 |
249,63 |
151,60 |
53,57 |
Levant |
Chammal |
11,63 |
219,75 |
||||||
Côte d'Ivoire |
Licorne |
101,86 |
55,84 |
50,76 |
51,81 |
51,93 |
46,80 |
51,78 |
2,02 |
Libye |
Harmattan |
368,50 |
3,58 |
||||||
BSS |
Serval / Barkhane |
640,88 |
279,78 |
508,04 |
|||||
Tchad |
Epervier |
93,16 |
111,91 |
84,64 |
97,38 |
115,49 |
105,65 |
184,44 |
|
RCA |
Boali / Sangaris |
13,15 |
11,10 |
11,78 |
12,61 |
14,29 |
27,47 |
223,40 |
148,47 |
TOTAL |
830,28 |
870,49 |
860,09 |
1246,50 |
873,42 |
1250,21 |
1118,08 |
1108,60 |
La difficulté à fermer certains théâtres a pu expliquer par le passé cette augmentation tendancielle des coûts. Cependant, force est de constater que, depuis 2008, des efforts ont été réalisés de désengagement partiel ou total de certains théâtres (Kosovo, Afghanistan, Côte d'Ivoire). C'est donc pour l'essentiel l'émergence de nouvelles crises et le déclenchement de nouvelles opérations qui sont à l'origine de ce niveau élevé. Cette situation pourra perdurer car la présence française sur certains théâtres risque de durer. Même si des scénarios de sortie ont été élaborés, les conditions de leur mise en oeuvre restent hors d'atteinte 288 ( * ) actuellement et rien ne laisse supposer que la France ne se sentira pas obligée de soutenir certaines opérations nouvelles dans sa proximité ou dans sa zone d'intérêt (incertitude sur l'évolution de la Libye et sur la situation autour du lac Tchad en raison des exactions commises par Boko Haram pour ne citer que quelques exemples).
2. Une proportion faible des dépenses de l'Etat, mais en progression
En millions d'euros
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
|
OPEX |
830,28 |
870,49 |
860,09 |
1246,50 |
873,42 |
1250,21 |
1118,08 |
1116,50 |
Etat |
421 500 |
433 500 |
482 500 |
445 300 |
451 100 |
455 900 |
464 100 |
463 300 |
% |
0,197 |
0,200 |
0,178 |
0,280 |
0,193 |
0,274 |
0,241 |
0,241 |
Rapporté aux dépenses de l'Etat au sens de la comptabilité nationale (source INSEE), le coût des OPEX n'a pas dépassé 0,280% (en 2011 cumul des opérations en Afghanistan et en Libye). Si le coût est objectivement élevé, il reste soutenable pour les finances publiques, compte tenu des enjeux.
3. La notion de « surcoût OPEX » ne prend qu'imparfaitement en compte les charges pesant sur le budget de la défense
On entend par surcoûts OPEX le différentiel entre le coût du dispositif sur le théâtre et le coût de son équivalent en métropole. Le dispositif d'évaluation est fondé actuellement sur une simple lettre de la direction des affaires financières du ministère de la défense au ministre du budget en date du 1 er décembre 2010 289 ( * ) , assortie de deux annexes qui matérialisent les conclusions d'une réunion du 12 février au cours de laquelle ont été examinées conjointement la description et la méthodologie de recueil des dépenses supplémentaires OPEX, suppléant une instruction du 25 mai 1984 désormais obsolète.
La mise en oeuvre de la LOLF a permis, depuis 2006, d'imputer directement des surcoûts OPEX sur un budget opérationnel de programme. Actuellement, il existe deux catégories de BOP Opex-Missint (BOP 0178-0062 pour les dépenses de hors titre 2, et, depuis le 1 er janvier 2015, BOP 0212-0093 pour les dépenses de titre 2). Seules restent imputées sur les BOP organiques les dépenses qui, par nature, ne peuvent pas être imputées sur le BOP OPEX (dépenses constatées a posteriori , dites ex post comme la consommation d'achats stockés par exemple).
a) Le surcoût OPEX agrège quatre éléments
- Les dépenses de titre 2, imputées au BOP 0212, recouvrent les compléments de rémunération (ISSE) 290 ( * ) versés au personnel militaire participant effectivement aux opérations (engagé sur le périmètre géographique d'un théâtre d'opérations dans le cadre d'une mission opérationnelle prescrite par l'EMA concourant à cette opération), ainsi que les salaires du personnel civil recruté localement sur les théâtres. Sont imputés en ressources non fiscales les remboursements par l'ONU d'une partie (environ 40%) des coûts de déploiements et de participation des contingents français aux titres des opérations de l'ONU.
Montants annuels servis (en M€) |
Nombre d'indemnités servies |
Nombre de jours indemnisés servis |
Montant journalier moyen |
|
2008 |
360,94 |
140 220 |
4 265 025 |
84,63 € |
2009 |
350,06 |
133 884 |
4 072 305 |
85,96 € |
2010 |
329,70 |
119 508 |
3 635 035 |
90,70 € |
2011 |
372,73 |
130 320 |
3 963 900 |
94,03 € |
2012 |
304,43 |
93 240 |
2 836 050 |
107,34 € |
2013 |
337,89 |
115 896 |
3 525 170 |
95,85 € |
2014 |
319,19 |
108 408 |
3 297 410 |
96,80 € |
2015 |
289,37 |
97 920 |
2 978 400 |
97,16 € |
Les données relatives au nombre de militaires concernés et au nom de jours d'indemnité versés par militaire n'est pas disponible.
- Les dépenses hors titre 2 imputées au BOP 0178 correspondent aux dépenses engagées sur les théâtres d'opération ou par le biais de marchés centralisés passés en métropole, au profit des opérations à savoir :
o des dépenses de titre 3 (externalisation du soutien, alimentation, condition du personnel en opérations, déplacement des personnels, fonctionnement courant, locations immobilières, soutien au stationnement, actions civilo-militaires, télécommunications, habillement et protection des individus, matériels de soutien de l'homme, transport intra-théâtre, acheminements stratégiques, carburants terrestres),
o et des dépenses de titre 6 qui correspondent à la contribution de la France au budget des opérations militaires de l'OTAN (dit budget AOM, Allied Operations and Missions ) et au budget des opérations militaires de l'Union européenne (dit mécanisme Athena) 291 ( * ) .
- Au titre des dépenses ex post l'entretien programmé du matériel 292 ( * ) et du personnel, les équipements d'accompagnement et de cohérence 293 ( * ) , le carburant 294 ( * ) et les munitions 295 ( * ) ;
- Enfin, depuis 2013, les moindres recettes du service de santé des armées au titre du fonds de concours affecté par une perte de recettes liées à son activité hospitalière en métropole, en raison du déploiement en OPEX d'équipes chirurgicales au-delà du volume normal d'engagement.
b) Certains surcoûts ne sont pas pris en compte
En revanche, la méthode actuellement en vigueur n'aborde pas l'ensemble des surcoûts supportés par les armées, ainsi ne sont pas pris en compte :
- l'usure du capital : un engagement en OPEX au-delà du contrat opérationnel consomme du potentiel au-delà des hypothèses retenues pour le remplacement des parcs ;
- la régénération organique : les OPEX préemptent du potentiel et de l'activité parfois au détriment de la préparation opérationnelle créant de fait un besoin de rattrapage ;
- le décalage des programmes d'armement : les surcoûts OPEX ne couvrent pas l'anticipation des livraisons qui seraient nécessaires compte tenu de l'usure du capital ;
- les cessions gratuites : le remplacement des cessions aux armées étrangères engagées au sein des mêmes théâtres d'opération n'est pas financé ;
- les pertes et destructions définitives (c'est-à-dire sans réparation ou maintenance) de matériels, notamment au titre des dommages de guerre 296 ( * ) :
- les équipements achetés en urgence opérationnelle : ces dépenses (par ex : les matériels spécifiques de lutte contre les IED en Afghanistan) ont fait l'objet d'une déclaration, mais n'ont pas été couvertes par les mécanismes OPEX ;
- les dépenses induites par le règlement des litiges contentieux consécutifs aux OPEX, par la voie juridictionnelle ou par la voie amiable ;
- la part correspondante de l'indemnité d'absence cumulée (IAC), destinée à compenser financièrement les sujétions, notamment la sur-absence liée à l'accumulation de sujétions opérationnelles, suite à la décision prise par le Président de la République en Conseil de défense le 6 avril dernier dont les conditions d'ouverture de droit et les modalités de mise en oeuvre ne sont pas encore stabilisées.
- les dispositions en matière d'action sociale visant les militaires participant ou ayant participé à une OPEX et leurs familles 297 ( * )
Proposition : Compléter la nomenclature des dépenses prises en charges au titre des surcoûts OPEX en incluant certaines dépenses actuellement non prises en compte. |
c) Une appréciation économique globale mériterait d'être conduite
Pour apprécier pleinement le coût des OPEX, il faudrait y ajouter :
- le coût des pensions, servies aux militaires ou à leurs ayants-causes, au titre du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre en application des arrêtés accordant aux militaires participants à des opérations extérieures le bénéfice des dispositions de l'article L. 4123-4 du code de la défense 298 ( * ) ;
- les bonifications de droits à pension ouverts par la participation militaire à une OPEX.
Certaines de ces dépenses s'étalent dans le temps ou ne sont effectives que plusieurs années après le déroulement des opérations. Il est donc difficile de les assimiler à des surcoûts OPEX, sans perdre une cohérence dans l'appréciation du coût des opérations en cours. Elles mériteraient néanmoins de faire l'objet d'une évaluation ; d'une part, parce qu'elles affectent le budget annuel de l'Etat, d'autre part ; parce qu'elles permettraient d'apprécier le « coût complet » des opérations extérieures.
Proposition : Mettre en place des agrégats permettant le suivi des coûts pour le régime des pensions des militaires, pour celui des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre et pour le régime de l'action sociale des militaires, des dispositions spécifiques dont ils (ou leurs ayants-causes) bénéficient, en raison de leur participation à des OPEX. |
* 288 La sortie de crise suppose un niveau minimal de sécurité pour permettre de passer le relais, soit à une force multinationale de stabilisation, soit aux forces locales, mais même dans ce cas, la situation conduit souvent à rehausser le niveau de participation française à la force internationale, à participer activement à la formation et au mentorat des forces locales et à renforcer les forces prépositionnées dans le voisinage. Le schéma de sortie de l'opération Sangaris en fournit l'exemple. La sortie de crise n'est jamais immédiate, elle se conçoit dans la durée, plusieurs mois, voire années (ex : Afghanistan) et a un coût intrinsèque.
* 289 Lettre n° 1002571/DEF/SGA/DAF/SPB/SPB3.
* 290 Instaurée par le décret n° 97-701 du 1 er octobre 1997, l'ISSE est versée au personnel militaire envoyé à l'étranger dans le cadre d'une OPEX. Elle est égale à 1,5 la solde de base, complétée d'un supplément par enfant.
* 291 La participation des militaires français aux opérations de l'Union européenne est intégralement supportée par la France. Les seules dépenses prises en compte par l'Union européenne, par l'intermédiaire du système de coopération intergouvernemental Athena, auquel la France contribue à hauteur de 16% sont les dépenses relatives au fonctionnement des états-majors et certaines dépenses relatives au soutien des troupes (notamment le logement). On estime à 8 à 10% selon les opérations, la proportion des dépenses prises en charge par le mécanisme Athena.
* 292 La méthode de 2010 développe trois facteurs générateurs de surcoûts :
- la suractivité qui mesure l'utilisation des matériels au-delà de leur potentiel « normal » c'est-à-dire dans des conditions opérationnelles similaires à celles constatées en métropole. Le tempo opérationnel par l'emploi intensif qu'il impose accroît l'usure des matériels.
- la surintensité qui permet de caractériser la mise en oeuvre du matériel dans des conditions plus exigeantes qu'en temps de paix (conduite machine et dégâts opérationnels) et environnement plus éprouvant pour le matériel : conditions climatiques, géographiques, géologiques et opérationnelles plus exigeantes qu'en conditions « nominales » constatées lors de l'utilisation des mêmes matériels sur le territoire national.
- la surdisponibilité, c'est-à-dire le surcroît de potentiel avant départ de métropole et le maintien à un haut niveau de disponibilité sur zone.
* 293 Habillement, équipements individuels du personnel et vivres opérationnels : seules l'acquisition d'équipements spécifiques aux OPEX (ex : gilets pare-balles) et l'accélération de l'usure sont prises en compte.
* 294 Le surcoût ne concerne que le sur-volume, et le cas échéant, le différentiel de prix du carburant sur les théâtres par rapport aux hypothèses de prix retenues en LFI.
* 295 Constitué de la valorisation du nombre de munitions effectivement tirées.
* 296 Selon le rapport spécial de la commission des finances du Sénat, « la valeur des équipements détruits ou perdus en OPEX est estimée à 4,4 millions d'euros en 2013 et ne recouvre que des matériels terrestres. En 2014, la valeur de ces équipements détruits ou perdus en OPEX s'élève à 16,9 millions d'euros dont 15,2 millions d'euros de matériel aéronautique et 1,7 millions d'euros de matériels terrestres. En 2015, à ce stade, la valeur de ces équipements détruits ou perdus en OPEX s'élève à 6,7 millions d'euros comprenant uniquement des matériels terrestres ». https://www.senat.fr/commission/fin/pjlf2016/np/np08/np081.html
* 297 Le dispositif de soutien aux militaires en OPEX et à leurs familles s'articule autour de 6 volets :
§ La mise en oeuvre d'un dispositif interarmées de soutien psychologique aux familles de militaires partis en OPEX.
§ Le déploiement du « dossier unique » pour le suivi des blessés en OPEX.
§ La possibilité d'un hébergement d'urgence de longue durée pour les familles de blessés en OPEX hospitalisés en région parisienne. Il s'agit d'une aide financière, accordée aux familles afin de leur permettre de se rendre rapidement au chevet d'un militaire gravement blessé et hospitalisé.
§ La possibilité de bénéficier de séjours gratuits en famille dans l'un des établissements de l'institution de gestion sociale des armées (IGESA).
§ la prestation de soutien en cas d'absence prolongée du domicile (PSAD). Cette prestation est destinée aux familles du personnel militaire ou civil du ministère de la défense, absent de son foyer, pour pallier des conséquences d'un départ en mission opérationnelle (donc, le cas échéant, en OPEX) ou d'une hospitalisation de longue durée.
§ Le déploiement d'actions sociales communautaires et culturelles (ASCC) des militaires en OPEX.
Ces dépenses ne sont pas éligibles aux surcoûts OPEX au sens de l'article 4 de la LPM et de la méthodologie en vigueur. Elles sont imputées sur le BOP 0212-0072. Accompagnement des politiques RH (APRH) ou sur les comptes de l'IGESA.
* 298 L'arrêté interministériel ouvrant le bénéfice de l'article L. 4123-4 du code de la défense a deux conséquences :
- Couverture du personnel blessé ou malade en opérations :
L'article L. 4123-4 ouvre droit à :
o la présomption d'imputabilité, en vertu de laquelle toutes les incapacités résultant de blessures ou de maladies sont systématiquement réputées être liées au service et donnent droit à indemnisation par une pension d'invalidité (ce qui n'est pas le cas pour les blessures ou maladies professionnelles hors Opex, dont l'imputabilité doit être prouvée) ;
o le bénéfice d'un taux d'infirmité majoré pour toute maladie contractée en Opex ;
o la possibilité, interdite dans tout autre cas, de cumuler pension de retraite et pension d'invalidité ;
o le bénéfice du statut de grand mutilé de guerre et des allocations qui en découlent (allocation de grand mutilé de guerre, allocation de grand mutilé et majoration de la pension d'invalidité) ;
o le bénéfice des emplois réservés.
- Couverture des ayant causes (veufs/veuves et orphelins) :
o au profit du conjoint, et à défaut des enfants, la délégation de solde d'office, c'est-à-dire le bénéfice automatique, dès le lendemain du décès du militaire, de trois mois de solde au taux Opex, puis pendant trois ans de la moitié de cette solde (ce dernier montant correspondant à 1,25 fois la solde complète du militaire en métropole) : cette disposition est particulièrement cruciale pour subvenir aux besoins immédiats de la famille et permet d'éviter la perte de ressources que subissent tous les veufs et orphelins avant la liquidation de la succession et l'ouverture du droit à pension de réversion ;
o le bénéfice du statut de pupille de la Nation, qui ouvre droit à des subventions de l'ONAC pour l'entretien et les études des orphelins jusqu'à leur 21 e anniversaire.