B. UN EMPLOI DÉPOURVU DE VRAIE DOCTRINE

Au-delà d'un budget longtemps insuffisant, un défaut fondamental caractérise de longue date l'organisation de la réserve opérationnelle des armées, dûment identifié et exposé en 2010 par nos collègues Michel Boutant et Joëlle Garriaud-Maylam dans leur rapport d'information précité 58 ( * ) : l' absence d'une réflexion approfondie, d'ordre doctrinal, sur l'emploi des réserves , qui - comme toute bonne doctrine militaire - serait fondée sur l'analyse d'un besoin et la construction de différents scénarios en fonction de l'intensité de ce besoin. Ainsi que l'exprimaient nos collègues, « peu d'éléments de doctrine militaire [...] permettent de dire - selon les scénarios de crise sur le territoire national ou selon les engagements multiples en opérations extérieures - combien de réservistes seraient nécessaires et pour quelle mission. Le format des réserves militaires n'est lui-même [...] que très théoriquement fondé sur les contrats opérationnels. La construction des cibles par les différentes armées intègre avant tout les effectifs passés, les capacités d'encadrement par les militaires d'active, les besoins en matière de lissage de l'activité et les contraintes budgétaires. »

Certes, cet aspect de la situation de la réserve tend à changer, peu ou prou. En premier lieu, les réformes législatives de juillet 2011 et juillet 2015 rappelées ci-dessus 59 ( * ) , en prévoyant le raccourcissement des délais de convocation et l'allongement de la durée maximale d'emploi des réservistes opérationnels dans les cas, respectivement, de l'activation de la « réserve de sécurité nationale » ou d'une crise menaçant la sécurité nationale, ont commencé de définir, par là même, des scénarios de crise. En outre, en 2011, l'armée de terre a créé un dispositif d'alerte « Guépard Réserve » qui, en cas de crise majeure sur le territoire national, doit permettre de mobiliser, sous préavis de 48 heures et pour une durée de huit jours, un vivier de réservistes de la RO1 servant au sein de onze brigades de l'armée de terre ; ce dispositif a été activé pour la première fois en février 2015, à la suite des attentats commis à Paris le mois précédent : pendant trois semaines, 180 hommes par semaine ont alors été déployés dans ce cadre.

En second lieu, et surtout, les projets récemment avancés par le Gouvernement, faisant suite aux attentats perpétrés sur notre sol aux mois de janvier et de novembre 2015, tendent à engager la réserve opérationnelle des armées dans un nouveau schéma stratégique de défense du territoire national. Le présent rapport y revient plus avant 60 ( * ) .

Toutefois, globalement, les armées ont conservé l'habitude de bâtir leurs contrats opérationnels et scénarios de crise sans y intégrer la réserve, variable d'ajustement des effectifs essentielle au fonctionnement militaire, mais variable d'ajustement seulement . La professionnalisation des forces à compter de 1997, et la réduction sans précédent de leurs effectifs dont cette réforme s'est accompagnée, ont en effet conduit les autorités militaires à n'exprimer de besoins en matière de réserve, pour l'essentiel, qu'en termes de renforts numériques ponctuels des unités et des états-majors, ainsi que pour se doter de spécialistes, sans chercher à mieux définir le rôle qui pourrait être dévolu en propre aux réservistes.

Cet état de fait, joint à une tendance avérée à privilégier l'envoi en opérations extérieures de militaires d'active, explique une part de la faible sollicitation des réservistes en opérations , quels qu'en soient les théâtres : comme on l'a signalé déjà ici, en 2015, pour l'ensemble de la réserve militaire, les opérations intérieures n'ont utilisé que 7,2 % de l'activité totale des volontaires de la RO1, et les OPEX 1,6 % seulement (2,7 % pour la RO1 des armées, hors gendarmerie) ; et, dans le dispositif de l'opération « Sentinelle », les réservistes volontaires servant à ce titre - plus ou moins de 400 - ne représentent que 4 à 6 %, au plus, des 7 000 à 10 000 militaires quotidiennement déployés. Rappelons, en outre, qu'il n'a jamais été recouru, à ce jour, aux réservistes statutaires constituant la RO2.


* 58 Rapport n° 174 (2010-2011), « Pour une réserve de sécurité nationale ».

* 59 Cf. le point I, B précédent.

* 60 Cf. infra , 2 e partie (point I).

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