II. ADDITIONNALITÉ ET RÉDUCTION DES DISPARITÉS ÉCONOMIQUES ENTRE ÉTATS MEMBRES : LA VIGILANCE RESTE DE MISE
A. LES CRITIQUES DE LA COUR DES COMPTES EUROPÉENNE CONCERNANT LA PRÉCÉDENTE GÉNÉRATION D'INSTRUMENTS DE GARANTIE POUR LES PME
1. Des interrogations sur les éventuels effets d'aubaine et la valeur ajoutée européenne des instruments financiers
Si la capacité des instruments financiers européens pour les PME à mobiliser des financements et à créer un fort effet de levier est confirmée, des questions peuvent, pour autant, être légitimement posées :
- les établissements bancaires auraient-ils tout de même accordé des prêts aux mêmes PME en l'absence de garantie publique ? En d'autres termes, existe-t-il un effet d'aubaine pour les intermédiaires financiers qui peuvent ainsi transférer le risque vers des entités publiques ?
- quel intérêt existe-t-il à développer des instruments de garantie et de capital-investissement au niveau européen Y a-t-il une réelle valeur ajoutée de l'intervention européenne dans ce domaine ?
D'après un sondage conduit lors de l'évaluation finale du programme CIP 25 ( * ) , une majorité de PME interrogées indiquait que le soutien financier apporté par le programme européen avait été la seule option pour obtenir les fonds nécessaires à leur projet, tandis qu'un quart des personnes interrogées répondait que d'autres options de financement étaient disponibles mais qu'elles ne permettaient pas de couvrir le montant total de financement souhaité. Cette perception positive des bénéficiaires doit toutefois être nuancée si l'on considère les résultats d'un audit de la Cour des comptes européenne réalisé en 2011 26 ( * ) .
Cet audit avait pour objectif d'évaluer l'efficacité du mécanisme de garantie pour les PME du programme CIP, notamment au travers d'un examen des procédures de sélection des intermédiaires financiers par le FEI et de contrôles sur place d'échantillons de prêts auprès de neuf intermédiaires financiers. Il concluait que le mécanisme touchait en majorité des PME ne disposant pas des garanties suffisantes mais qu' un effet d'aubaine existait pour 38 % des prêts figurant dans l'échantillon (soit 69 sur 181 prêts). « Toutes choses égales par ailleurs, les emprunteurs en question auraient pu bénéficier des prêts accordés par des prêteurs commerciaux sans la garantie PME. S'agissant du MAP (le précédent programme), une enquête sur les emprunteurs, réalisée par l'évaluateur chargé de l'évaluation intermédiaire, a montré que l'effet d'aubaine était du même ordre de grandeur » 27 ( * ) .
Par ailleurs, même si l'analyse des prêts a montré que le mécanisme de garantie pour les PME a effectivement contribué à accroître la compétitivité d'environ 40 % des entreprises et a permis l'émergence de jeunes pousses, la Cour des comptes européenne considère que dès lors que « des financements par les budgets nationaux auraient pu produire les mêmes effets, la valeur ajoutée européenne de ces résultats n'est guère probante » 28 ( * ) . Enfin, constatant que la plupart des PME soutenues opéraient sur des marchés locaux, régionaux ou nationaux, elle concluait que « la portée des opérations de garantie individuelle ne dépasse assurément pas le cadre des frontières nationales. [...] le mécanisme CGPME (garantie de prêt pour les PME) fonctionne en réalité comme un assemblage de différents régimes de garanties nationaux ».
Sur le fondement de cette analyse, la Cour des comptes européenne recommandait notamment de mettre en place des mesures appropriées pour minimiser l'effet d'aubaine et d'examiner les moyens de renforcer la valeur ajoutée européenne de tout programme succédant au mécanisme de garantie pour les PME du CIP.
Audit sur le mécanisme de garantie aux PME du
programme CIP
1. À l'avenir, les programmes d'aide aux PME devraient être fondés sur une logique d'intervention explicite établissant un lien entre les intrants, d'une part, et les réalisations, résultats et effets escomptés, d'autre part. 2. S'agissant de la planification des mécanismes à venir, la Cour recommande de finaliser la base juridique ainsi que l'accord de gestion bien avant le début effectif de la période de programmation, de façon à disposer du temps nécessaire pour sélectionner les intermédiaires financiers adéquats et achever les négociations des contrats avec ces derniers dès le début de la période de programmation. Cela évitera, à l'avenir, de devoir recourir à une clause de rétroactivité. 3. Afin de renforcer la transparence de la procédure de sélection, il conviendra de mettre en place un système de notation pour évaluer les candidatures des intermédiaires potentiels pour tout programme ultérieur. En outre, des exigences minimales devraient être définies pour la sélection des intermédiaires financiers. Enfin, le calcul des paramètres figurant dans les accords de garanties devrait être mieux documenté. 4. La Commission devrait envisager la possibilité d'améliorer les indicateurs de performance ou d'en créer de nouveaux, afin d'assurer un meilleur suivi de la réalisation des objectifs du mécanisme et de pouvoir tirer les conclusions appropriées. 5. À l'avenir, la Commission devrait définir des objectifs plus spécifiques, traduisant mieux les objectifs de l'instrument financier. Pendant la durée de vie de l'instrument, le suivi devrait permettre de mesurer les progrès réalisés en matière de réalisation de ces objectifs, ainsi que de prendre des mesures correctrices, le cas échéant. Il conviendrait d'envisager des mesures appropriées pour minimiser l'effet d'aubaine en s'appuyant entre autres sur les meilleures pratiques déjà mises en place par certains intermédiaires. 6. Comme la Cour l'a déjà souligné par le passé, les dépenses à la charge du budget de l'Union doivent procurer à l'UE et à ses citoyens des avantages manifestes et visibles qui ne pourraient pas être obtenus par des dépenses effectuées à un niveau national, régional ou local. Les autorités budgétaires et la Commission devraient dès lors examiner si et comment la valeur ajoutée européenne pourrait être maximisée dans le cadre de tout programme qui succédera au mécanisme CGPME. |
2. Les leçons tirées par la Commission européenne et le FEI
Le cadre réglementaire des instruments financiers de la programmation 2014-2020 a fait l'objet de plusieurs modifications afin de tenir compte des observations de la Cour des comptes européenne.
En premier lieu, le règlement financier du budget de l'UE a été complété par des règles détaillées relatives à la gestion des instruments financiers 29 ( * ) , entrées en vigueur le 1 er janvier 2014. Les dispositions relatives à la sélection des intermédiaires financiers et aux coûts et frais de gestion ont été harmonisées. Surtout, le règlement financier impose désormais de réaliser une évaluation ex ante avant la mise en place de tout nouvel instrument financier. Cette évaluation doit notamment démontrer :
- l'existence d'imperfections, de défaillances de marché ou de besoins d'investissement justifiant l'intervention d'un instrument financier et l'impossibilité de répondre aux mêmes objectifs au moyen de la réglementation ou de la libéralisation ;
- la capacité d'un instrument financier créé au niveau de l'UE de répondre de manière plus appropriée aux besoins du marché que des instruments financiers similaires établis au niveau national ou régional . Des facteurs tels que la difficulté de l'accès au financement au niveau national, les économies d'échelle ou les effets de démonstration liés à la diffusion de bonnes pratiques peuvent notamment être pris en compte.
En second lieu, les règlements établissant les instruments du programme COSME et InnovFin ont été précisés, les clauses de conformité des contrats établis entre le FEI et les intermédiaires financiers ont été durcies et les critères d'éligibilité des portefeuilles de prêts renforcés afin de limiter les éventuels effets d'aubaine. Les intermédiaires financiers ont l'obligation d'établir des rapports trimestriels établissant la liste des opérations effectuées grâce aux ressources déléguées, qui font l'objet de contrôles ex post par le FEI. En cas de non-conformité flagrante d'un prêt avec les conditions prédéfinies, le FEI peut retirer la garantie accordée. S'agissant de l'instrument de garantie InnovFin, l'absence de transfert du bénéfice lié à la garantie à la PME, constitue même l'une des causes de rupture du contrat.
Ces nouvelles dispositions contribuent certainement à limiter les défauts de la précédente génération d'instruments financiers. Toutefois, il convient de noter une divergence d'approche entre la Commission et la Cour des comptes européennes concernant la notion de valeur ajoutée européenne . Alors que les critères définis par la Commission européenne pour l'établissement des évaluations ex ante sont relativement souples et laissent une certaine marge d'interprétation - par exemple la diffusion de bonnes pratiques - la Cour des comptes européenne a une vision plus stricte. Cette dernière, qui mène actuellement un nouvel audit sur l'ensemble des instruments financiers de l'UE, devrait se prononcer à nouveau sur cette question en 2017.
* 25 Center for strategy and evaluation services, Final evaluation of the Competitiveness and Innovation framework programme , décembre 2011, p. 115.
* 26 Cour des comptes européennes, Audit du mécanisme de garantie pour les PME, rapport spécial n° 4, 2011.
* 27 Op. cit. , p. 40
* 28 Op. cit ., p.43
* 29 Règlement délégué (UE) n° 1268/2012 de la Commission du 29 octobre 2012 relatif aux règles d'application du règlement (UE, Euratom) no 966/2012 du Parlement européen et du Conseil relatif aux règles financières applicables au budget général de l'Union.