II. LES ÉPIDÉMIES DE MALADIES À TRANSMISSION VECTORIELLE

1. Pr Jean-François Delfraissy, directeur, Agence nationale de recherche sur le Sida et les hépatites virales (ANRS - France Recherche Nord & Sud Sida-HIV Hépatites) et Institut immunologie, inflammation, infectiologie et microbiologie (ITMO I3M) - « Les crises sanitaires infectieuses. Comment organiser la recherche ? »

Mon propos portera sur l'organisation de la recherche en vue de la réponse rapide à des crises sanitaires. Celles-ci sont présentes depuis fort longtemps. Nous y sommes peut-être plus sensibles depuis quelques années. Nous avons tous été beaucoup marqués par Ébola. Nous avons à peine eu le temps de nous en remettre que le virus Zika est arrivé et qu'Ébola est même reparti en Guinée. Un certain nombre de ces pays vont se retrouver avec des maladies infectieuses émergentes sous-jacentes en permanence.

Ces crises sanitaires peuvent survenir au Nord. La mutation d'un virus grippal, qui a plusieurs fois été évoquée, finira un jour par se produire, ce qui constitue une vraie question pour des pays se considérant à un très haut niveau sanitaire comme la France, l'Europe en général et les États-Unis. Or nous ne sommes pas réellement prêts.

Nous sommes tous d'accord pour considérer que ces crises sanitaires deviennent très rapidement des crises sociétales et des crises politiques. Les décideurs politiques ont à gérer des crises liées au terrorisme, des crises économiques ou des crises liées à des modifications du climat. Un certain nombre d'entre nous revendiquons l'inscription de la crise sanitaire dans l'agenda des crises. Jusqu'à présent, les décideurs politiques se sont quelque peu débarrassés des crises sanitaires en considérant que c'était l'affaire des médecins. La réponse est évidemment non puisque ces crises deviennent très rapidement sociétales et politiques. Il y a notamment, derrière cela, des décisions stratégiques et budgétaires conditionnant la recherche.

Depuis quelques années, nous avons, au travers d'Aviesan, qui regroupe l'ensemble des grands organismes de recherche français, essayé de construire un mécanisme de réponse à ces crises sanitaires à travers la plate-forme REACting . L'objectif de celle-ci est de construire une recherche adaptée, le plus vite possible, en réaction à une nouvelle crise qui se fait jour. Nous ne prédisons évidemment pas l'avenir. Cette plate-forme est essentiellement tournée vers les crises sanitaires infectieuses mais nous pouvons imaginer qu'il puisse s'agir de crises sanitaires non infectieuses. Le Sud n'est pas le seul concerné. Une crise sanitaire infectieuse peut survenir au Nord.

La recherche se met en route de façon souvent spontanée. Il faut cependant déterminer la manière de donner les moyens à ces chercheurs de répondre de façon coordonnée et structurée. Le système de financement de la recherche n'est pas adapté pour répondre dans des délais très courts. Après le type de réponse organisé en France à la suite de H1N1 en 2009, de nombreuses questions de recherche ont été posées. De très nombreux projets de recherche ont été lancés et de nombreuses publications ont été faites. Des financements ont été alloués. Ce n'est pas suffisant. Qu'avons-nous retenu et avons-nous été capables de réagir dans des délais adéquats au cours des crises ultérieures ?

Le chikungunya est survenu dans les Antilles et aux Caraïbes. Il a disparu peu après la mise en place de toutes les cohortes constituées, pour des raisons qu'on ne comprend pas totalement. Ces cohortes servent maintenant pour Zika. L'investissement que nous mettons en place peut, dans certains cas, bénéficier à plusieurs crises successives.

En ce qui concerne Ébola, j'ai été chargé de la réponse française au plan interministériel. Des actions de recherche ont été conduites. Je ne m'y attarde pas, sauf sur un point. Comme vous le savez, on s'est aperçu assez tardivement, après l'épidémie d'Ébola, de la possibilité d'une transmission sexuelle du virus Ébola, ce qui signifiait qu'il existait des réservoirs humains du virus.

Des faits similaires sont en train de se passer pour Zika et pour la dengue. Nous ne connaissons pas encore la portée, en santé publique, de l'existence de cette transmission sexuelle. Une nouvelle page des virus émergents est en tout cas en train de s'écrire autour de cette notion de réservoirs humains potentiels. La reprise de l'épidémie en Guinée est, par exemple, liée à un survivant d'Ébola. Nous avions monté une cohorte de survivants d'Ébola avec une idée complètement différente visant à suivre leur devenir. Cela devient maintenant une étude du réservoir chez les survivants. D'autres réservoirs sont possibles et seront étudiés.

Un point essentiel est sous-estimé en permanence, quels que soient les efforts : la recherche en sciences humaines et sociales. Il s'agit d'un point clé de la crise, durant celle-ci et entre deux crises. Il s'agit nécessairement d'une approche multidisciplinaire. Il n'est pas si facile d'impliquer des représentants des sciences humaines et sociales. Ils aiment souvent être un peu en dehors afin de conserver un esprit critique au regard de ce qui est mis en place. À l'inverse, traiter ce type d'épidémie sans avoir avec soi des équipes de sciences humaines et sociales et une réflexion sur l'environnement ni s'appuyer sur les associations de patients et sur la société civile serait une erreur fondamentale. Nous l'avons bien vu à propos d'Ébola en Guinée.

En ce qui concerne Zika, de nombreuses initiatives, coordonnées par REACTing , sont en cours. Elles s'appuient sur les équipes de l'INSERM et sur les réseaux existants. Nous ne sommes pas en train de constituer des équipes spécialisées. Il s'agit d'une coordination souple. On ne coordonne pas les chercheurs. On peut les inciter à aller vers telle direction, en particulier en recherche translationnelle - surtout lorsqu'on dispose d'un financement pour les aider. La première initiative a été réalisée a posteriori à la suite de ce qui s'était passé en Polynésie française, notamment sous l'égide de l'équipe du Pr Arnaud Fontanet. Deux articles essentiels sont parus dans The Lancet sur la relation Zika, microcéphalie et syndrome de Guillain Barré.

Un autre dispositif est en train de se monter, en urgence cette fois-ci, en s'appuyant sur ce qui avait déjà été réalisé sur le chikungunya avec le suivi des femmes enceintes dans les trois départements français d'outre-mer. Il s'agit du suivi de 5 000 femmes enceintes par an en Martinique, en Guyane et en Guadeloupe. Le suivi des enfants est également prévu. Bien sûr, il y a des cas de microcéphalies. Des enfants peuvent naître normaux de mères ayant développé un Zika durant la grossesse et développer quelque chose plus tardivement au cours de leur première année de vie.

Le troisième élément de la réponse française sera réalisé en collaboration avec le Brésil, à travers la réponse à un appel d'offres européen, porté par M. Xavier de Lamballerie.

Zika constitue un virus particulier en raison de son tropisme pour les cellules originaires du système nerveux central. Lorsqu'on regarde les équipes de neurosciences, on se rend compte que nous avons assez peu de connaissances à ce sujet. Quels sont les récepteurs ? Quelle est l'interaction ? Le virus entre-t-il dans des cellules qui présentent un certain degré de maturité dans le système nerveux central ?

Nous sommes en train d'utiliser là un autre pan de la recherche, à travers des spécialistes de neurosciences qui ont une appétence pour ces thèmes. Nous nous y sommes mis avec un peu de délai. Nous les avons tous réunis, il y a quinze jours, et une série d'équipes, en France, sont en train de travailler sur le sujet au sein de l'Institut Pasteur, de l'INSERM, de l'IRD, etc.

Pour tout cela, il faut de l'énergie. Nous n'en manquons pas. Il faut que les directeurs d'organismes soient d'accord pour accepter une coordination assez souple, qui permette d'embarquer tous les acteurs et la Maison France, au-delà des différents organismes. Il faut aussi une vision avec quelques points fondateurs. Nous les avons. Il existe en France une communauté très importante sur les arbovirus. Les premières interventions vous l'ont montré. Cela n'a rien à voir avec ce que nous avons vu au début avec Ébola, où il n'y avait que trois équipes de recherche. Il existe au moins vingt-cinq équipes très bien organisées et très reconnues au plan international qui travaillent sur les arbovirus.

Le discours du Président de la République, François Hollande, à Lyon, à la fin du mois de mars 2016, autour du règlement sanitaire et de la Global Health Security a constitué un moment important. Ce discours dessine un élément fondateur pour l'équipe de REACTing puisque le Président de la République reconnaît cette activité de coordination et lui donne un financement - ce pour quoi je me suis beaucoup battu -, étant entendu que celui-ci est indispensable, sans attendre les résultats des appels d'offres de l'ANR et du programme hospitalier de recherche clinique (PHRC), qui ne sont absolument pas adaptés à ces crises sanitaires. L'ensemble de ces messages scientifiques ou plus stratégiques peut être retrouvé dans le numéro spécial du Lancet du 28 mai 2016 portant sur les réponses françaises dans le domaine de la santé ou de la diplomatie sanitaire.

2. M. Christophe Paupy, chargé de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD) - « Émergence des arbovirus »

Mon discours se placera en amont des émergences et des crises. Il se focalisera en particulier sur les arbovirus liés à aedes . Nous avons vu le triptyque parasite-hôte-vecteur, formant des systèmes extrêmement équilibrés, fruits de long processus coévolutifs. Il arrive que ces systèmes soient déséquilibrés, permettant le transfert de nouveaux agents infectieux vers de nouveaux hôtes, dont l'homme. Cela permet l'épidémisation et l'extension d'agents infectieux vers de nouveaux territoires et, parfois, l'émergence de nouvelles formes de la maladie. Depuis toujours, l'homme est le principal élément perturbateur, de par son action d'anthropisation des écosystèmes naturels, en raison des processus d'urbanisation et parce qu'il assure la diffusion des agents infectieux et des vecteurs.

Je reviens sur trois arboviroses majeures, à commencer par la dengue, qui a émergé dans les années 1950 sous sa forme grave (la dengue hémorragique) en Asie du Sud-Est avant de gagner d'autres continents (Amériques, Océanie, Afrique) à partir des années 1980. 40 % de la population mondiale sont aujourd'hui exposés et 350 millions de cas se déclarent chaque année, dont 500 000 cas de dengue sévère et plus de 30 000 décès - chiffre largement sous-estimé. Nous avons vu le développement du chikungunya depuis 2005 et, plus récemment encore, l'apparition du virus Zika.

Nous constatons une accélération sans précédent de ces émergences d'arbovirus aedes avec une tendance, depuis dix ans, à la pandémisation de ces virus, ce que reflète notamment la description de formes sévères, pour des virus qui étaient souvent considérés comme bénins. Nous avons très peu de médicaments et aucun vaccin, sauf pour la fièvre jaune. Les territoires français extra-métropolitains sont particulièrement concernés mais la métropole l'est aussi. Des cas importés ont été constatés récemment, même une micro-épidémie de chikungunya à Montpellier, en 2014, ainsi qu'une micro-épidémie de dengue à Nîmes, en 2015.

Tous ces arbovirus (chikungunya, fièvre jaune, Zika, dengue) partagent des cycles enzootiques en commun, en Afrique ou en Asie. Tous, au cours de leur histoire, ont trouvé le moyen de passer chez l'homme. Ils ont pu s'épidémiser, d'abord dans des villages puis dans des villes. En raison des phénomènes de globalisation, ils ont pu se répandre à la surface du monde, soit par le transport aérien moderne (pour les phénomènes les plus récents), soit à la faveur de moyens de transport plus limités.

Il existe aujourd'hui des conditions propices à la transmission de ces virus du fait de la présence de vecteurs invasifs, tels que l' aedes aegypti , originaire d'Afrique et l' aedes albopictus , originaire d'Asie. Ces deux moustiques forestiers, à l'origine, ont, au cours de leur histoire, trouvé le moyen de s'adapter à l'homme, notamment au stockage d'eau, pour se répandre à la surface de la planète (XV e et XVI e siècles pour l' aedes aegypti , plus récemment pour l' aedes albopictus ). Ces deux espèces pullulent aujourd'hui dans les villes et exposent les populations à un risque extrêmement important.

Devons-nous craindre l'émergence de nouveaux virus ? Je crains que oui. Les forêts tropicales regorgent de nombreux virus. Il en existe de très nombreuses collections, notamment en Afrique. Certains virus n'ont pas encore été nommés mais ont été isolés, en particulier des virus transmis par des aedes . Les pressions anthropiques sont de plus en plus grandes sur les écosystèmes forestiers, ce qui accroît les probabilités de passage vers l'homme. Il est donc crucial de surveiller les changements qui s'opèrent, notamment à l'interface des environnements sauvages et des environnements anthropiques.

Il me paraît particulièrement intéressant d'évoquer ici les changements de populations de vecteurs. Il est important, dans ce contexte, de détecter au plus tôt les émergences afin de les anticiper et de lutter contre les phénomènes à la source. Cela nécessite d'avoir une vision à très long terme, sous la forme de questions : combien d'années auront été nécessaires pour que le virus Zika puisse faire valoir son potentiel épidémique alors qu'il a été isolé en 1947 ?

Un exemple de perturbation de l'environnement forestier est constitué par l'invasion d' aedes albopictus en Afrique. Introduit en Afrique depuis les années 2000, il a envahi en particulier l'Afrique centrale, d'abord les villes puis les villages. Il a sans conteste modifié l'épidémiologie des arboviroses en Afrique centrale, suscitant l'émergence de la dengue, du chikungunya mais aussi du virus Zika. Ce moustique est aujourd'hui retrouvé dans des villages à proximité des forêts. Il est réputé pour piquer l'homme mais aussi les animaux. Peut-il aller au contact de cycles enzootiques et permettre l'émergence de nouveaux virus pour l'homme en particulier - qui seraient transférés localement et pourraient s'épidémiser localement avant de se globaliser, à l'image de ce qui a été observé avec le virus Zika ?

Dans le contexte actuel de globalisation, ces émergences d'arbovirus sont finalement assez prévisibles. Nous pouvions prédire l'émergence du virus Zika. Nous ne pouvions peut-être pas prédire où, quand ni comment elle se produirait mais son émergence était prévisible. Il y a encore de nombreux candidats à l'émergence. Autrement dit, nous devons accentuer les efforts de veille, tant pour détecter les vecteurs (veille entomologique) que sur le plan des agents infectieux (veille virologique) dans ces environnements naturels, au plus près de la source et des forêts.

Il faut considérer un phénomène local qui peut devenir très rapidement global, comme nous le voyons avec Zika, afin de traiter ces problèmes d'émergence le plus précocement possible. Cela suppose de renforcer les capacités de réponse et de surveillance, non seulement dans nos pays mais aussi dans les pays du Sud (en particulier en Afrique). Il faut améliorer les outils de prévention, à commencer par la vaccination. Nous avons aujourd'hui de nombreux candidats à l'émergence, ce qui plaide pour un effort d'anticipation et de recherche de vaccins contre ces candidats. Bien entendu, nous devons améliorer les outils de contrôle des vecteurs et encourager l'innovation dans ces domaines.

M. Roland Courteau. - En 2006, les épidémies de chikungunya à La Réunion et de dengue en Guyane française ont donné lieu à des rapports de mission débouchant sur des recommandations. Vous avez, Monsieur, fait partie de ces équipes. Les épidémies actuelles présentent-elles les mêmes caractéristiques qu'en 2006 ? Les recommandations des rapports de mission ont-elles été suivies d'effets ?

M. Christophe Paupy. - Nous parlons, en évoquant les « épidémies actuelles », des épidémies de chikungunya et de dengue. Par comparaison avec le Zika, les virus sont totalement différents mais sont transmis par les mêmes vecteurs. Il s'agit de virus assez similaires du point de vue des grands principes de transmission. Cependant, comme l'a montré l'exposé de Mme Anna-Bella Failloux, il existe de légères différences du point de vue de la dynamique de transmission. Il est donc très difficile de comparer les virus et les épidémies.

Quant au suivi des recommandations, je crois que, après l'épidémie de chikungunya qui a touché La Réunion, un effort important a été fait, pour la recherche et pour structurer les services de lutte antivectorielle. Dans le cas de La Réunion, des baisses de financement importantes avaient eu lieu, malgré des épidémies survenues en 1978 et en 1979, notamment une épidémie de dengue qui avait touché plus de 50 % de la population. Malgré cela et malgré la présence d' aedes albopictus , nous constations une diminution de l'effectif et des moyens alloués à la surveillance entomologique et à la lutte antivectorielle. On a revu la question et davantage de moyens ont été alloués à ces services. La situation s'est donc sensiblement améliorée et il semble que les recommandations ont été suivies.

3. M. Paul Castel, directeur général, et M. Manuel Munoz-Rivero, directeur adjoint à la direction santé publique et environnementale, Agence régionale de santé Provence-Alpes-Côte-d'Azur (ARS PACA) - « La lutte contre les moustiques en Provence-Alpes-Côte-d'Azur »

M. Paul Castel. - Je crois que le dispositif qui existe en région PACA est justifié par la situation de la région, qui est celle présentant le risque le plus élevé de départ épidémique. Depuis 2004, le moustique tigre a colonisé l'ensemble de la région, hormis une partie des Hautes-Alpes. Le nombre de signalements de cas suspects reçus représente environ 40 % de l'ensemble des cas étudiés en métropole.

L'Agence régionale de Santé, qui a notamment des attributions de planification, dans le secteur sanitaire, est un opérateur de l'État en matière de veille et de sécurité sanitaire. L'ARS définit, pour le compte de chaque préfet de département, les zones et modalités de lutte contre les moustiques. Un autre acteur majeur est le conseil départemental, qui a la responsabilité de la mise en oeuvre de cette lutte antivectorielle. Il existe aussi un opérateur, dont un représentant est d'ailleurs présent aujourd'hui, chargé de la mise en oeuvre effective de la démoustication : l'Entente interdépartementale pour la démoustication du littoral méditerranéen (EID Méditerranée).

Le rôle de l'ARS réside essentiellement dans la coordination et l'harmonisation du dispositif en région et dans la préparation de réponses à la crise en cas de départ épidémique.

M. Manuel Munoz-Rivero. - Pour répondre à ces enjeux, l'ARS va déployer différentes actions au cours de l'année en distinguant schématiquement deux périodes : la période de repos du moustique, du 1 er décembre au 30 avril, qui sera une phase de préparation à froid de la saison ; la période d'activité du moustique, du 1 er mai au 30 novembre, durant laquelle une surveillance humaine renforcée sera mise en place, avec le déploiement d'un dispositif antivectoriel autour des cas.

Durant la période de préparation de la saison, l'ARS PACA va essentiellement préparer, sur la base d'un modèle régional, les six arrêtés préfectoraux qui seront soumis à la signature de chaque préfet de département. Le rôle de chacun y est bien défini.

Depuis 2015, en début de saison, l'ARS PACA assiste les préfets de département pour organiser une réunion avec l'ensemble des communes et établissements publics de coopération intercommunale afin de discuter de leur rôle dans le dispositif et de leur fournir des éléments de communication sur ces enjeux de santé publique.

En effet, les communes ont un rôle majeur à jouer, du fait de leurs compétences de police générale en matière de salubrité, notamment, afin de s'inscrire dans une lutte durable et pas uniquement dans une lutte chimique contre les moustiques adultes. Elles sont aussi les mieux placées pour mobiliser la population dans la lutte communautaire.

On réalise aussi une sensibilisation de nos professionnels de santé, en particulier les médecins, libéraux et hospitaliers, ainsi que les biologistes. Nous travaillons avec les établissements de santé, d'abord pour leur rappeler qu'ils doivent mettre en place un programme de réduction des risques lié à aedes albopictus à l'intérieur de leur secteur. L'ARS PACA va également réaliser des inspections et contrôles dans le cadre de l'application du règlement sanitaire international : nous vérifions que la réglementation est appliquée, en particulier sur nos points d'entrée sur le territoire.

Enfin, le rôle de l'ARS est de se préparer à la gestion d'une situation de crise sanitaire. Un travail de fond est effectué depuis plusieurs années auprès des communes afin de favoriser leur implication et leur coopération en cas de départ épidémique. La multiplication des émergences de cas autochtones de dengue en 2014 (quatre cas de dengue sur deux foyers) avait fait craindre un débordement des moyens de lutte de l'opérateur. Nous avions alors proposé aux préfets de zone d'écrire aux conseils départementaux en vue d'une mutualisation des moyens sur l'ensemble de la zone Sud. La mise en oeuvre de cette mutualisation reste à éprouver, de même que le niveau de renfort que pourraient apporter les communes en cas de départ épidémique. Nous y travaillons.

Lors de la période d'activité du moustique (du 1 er mai au 30 novembre), la lutte antivectorielle sera ciblée autour des cas suspects de chikungunya, de dengue et de Zika. L'ARS met en place une surveillance épidémiologique renforcée des cas suspects afin d'orienter les mesures de lutte antivectorielle autour des cas. Les objectifs de cette surveillance renforcée sont de limiter le risque de circulation de ces trois virus en métropole et de détecter précocement tout cas importé ou autochtone. Si le cas est importé, l'objectif de la lutte antivectorielle sera d'éviter que les moustiques puissent se contaminer au contact de cette personne. Si le cas est autochtone, il témoigne d'une circulation locale du virus. L'objectif est alors de circonscrire la circulation de ce virus afin d'éviter qu'elle ne se propage à un territoire plus étendu.

Dès la notification à l'Agence régionale de Santé des cas suspects, une enquête épidémiologique est réalisée par des professionnels de santé de la veille sanitaire. Le questionnaire d'enquête inclut des informations sur les lieux de vie et les déplacements du patient pendant la phase de circulation du virus à l'intérieur de son sang. L'action de l'ARS sera donc de prescrire le plus rapidement possible des mesures de lutte afin d'interrompre la chaîne de transmission du moustique et d'éteindre les foyers épidémiques.

La région PACA est particulièrement concernée par cette période de surveillance renforcée. En 2015, nous avons dénombré 379 cas suspects qui ont été investigués par les équipes de veille et de sécurité sanitaire, soit 40 % de l'ensemble des cas suspects au niveau national, essentiellement dans nos trois départements littoraux : les Alpes-Maritimes, le Var et les Bouches-du-Rhône. 38 % de ces cas ont fait l'objet d'un signalement à l'Entente interdépartementale pour la démoustication du littoral méditerranéen (EID Méditerranée), ce qui veut dire que nous avions validé les cas.

Dans la majorité des cas, l'intervention de l'EID s'est limitée à une prospection des gîtes larvaires et des moustiques adultes. Néanmoins, trente-six opérations de lutte antivectorielle ont été réalisées en 2015. La lutte antivectorielle s'opère alors dans le respect des zones naturelles protégées (comme Natura 2000) et comporte en PACA, depuis 2015, un protocole d'alerte des apiculteurs, élaboré en lien avec les acteurs locaux, en particulier la fédération régionale de défense des apiculteurs.

4. Mme Marie-Claire Paty, coordinatrice de la surveillance des maladies à transmission vectorielle, Institut national de veille sanitaire (InVS) - « La situation en France métropolitaine et aux Antilles, en Guyane, en Polynésie française et à La Réunion en 2016 »

Le panorama que je vais vous présenter est fondé sur les données de surveillance épidémiologique. Au sein de l'InVS, la surveillance épidémiologique est coordonnée au niveau national et par ses cellules en région mais est mise en oeuvre avec de nombreux partenaires, au premier rang desquels les Agences régionales de santé, le Centre national de référence des arbovirus, les professionnels de santé en général et les chercheurs.

Les données de surveillance servent à guider les mesures de contrôle - c'est-à-dire, en l'espèce, les mesures de lutte antivectorielle - de façon à éviter une circulation autochtone d'arbovirus ou de maladies transmises par les vecteurs. Cette surveillance sert aussi à préciser le poids des maladies sur la santé de la population et le système de soins et à caractériser les risques de transmission.

La surveillance épidémiologique est adaptée aux situations locales et au risque vectoriel. Les outils de cette surveillance dépendront donc de la présence ou non des vecteurs. Ainsi, la surveillance du paludisme n'est pas la même en métropole et en outre-mer. Il en est de même pour la dengue ou le chikungunya, dont la surveillance variera suivant qu'elle est effectuée dans les départements où le vecteur est présent ou dans ceux où il est absent. Enfin, l'endémicité de la maladie entre en ligne de compte. La dengue étant en situation épidémique dans les Antilles, la surveillance que nous y mettons en place n'est pas la même qu'en métropole.

Ce panorama débute par La Réunion , où l'épisode de chikungunya , en 2005-2006, a été l'occasion d'une prise de conscience de l'importance de ces maladies. Plus d'un tiers de la population avait été infecté. Aujourd'hui, la circulation du chikungunya à La Réunion est relativement calme. Une petite résurgence a eu lieu en août 2009 avec cinq cas. Un peu moins de deux cents cas ont été recensés de mars à décembre 2010. Une bonne partie de la population est protégée parce qu'elle a été infectée mais La Réunion reste potentiellement exposée à ce virus. Rappelons que, dans ce territoire, le vecteur est le moustique tigre ( aedes albopictus ).

Ce territoire n'est pas seulement concerné par le chikungunya : il l'est aussi par la dengue , dont les dernières grandes épidémies datent de la fin des années 1970. Une épidémie beaucoup plus modeste a eu lieu en 2004 et aurait pu servir de signal d'alarme.

Les épisodes de transmission de dengue se répètent, en particulier depuis 2012. Il s'agit d'épisodes modérés, de quelques dizaines de cas. Un tel épisode est en cours actuellement. La courbe épidémique de l'épisode actuel indique un nombre total de moins de cinquante cas à ce jour. Cela rappelle que la dengue n'a pas disparu de La Réunion.

Le paludisme a été déclaré éradiqué par l'OMS en 1979. Le vecteur est néanmoins présent. C'est la raison pour laquelle nous surveillons le paludisme différemment dans les outre-mer et en métropole.

À Mayotte sont présents les deux vecteurs, aedes albopictus et aedes aegypti . Le système de soins y est plus complexe et les mouvements de population plus importants. La surveillance est fondée sur la surveillance des syndromes fébriles « dengue-like » (qui ressemblent à la dengue), en liaison avec le centre hospitalier de Mayotte. Là aussi, nous constatons des épisodes répétés de circulation de la dengue, avec plusieurs centaines de cas. On ne les comptabilise certainement pas tous. Le chikungunya avait aussi infecté plus du tiers de la population en 2005-2006. Un épisode de résurgence très limitée (moins de dix cas identifiés) s'est aussi produit en 2012.

Le paludisme sévit toujours à Mayotte. Comme dans le reste du monde, on observe une chute significative du nombre de cas, qui avait conduit à s'interroger quant à l'évolution des modalités de lutte et de prévention. En 2014, le Haut Conseil de la santé publique a estimé qu'il demeurait une menace importante à Mayotte et qu'il fallait maintenir les mesures de lutte et de prévention qui étaient en place.

Aux Antilles françaises , les vecteurs d'arbovirose sont les moustiques aedes aegypti . La surveillance des maladies infectieuses est intégrée dans des programmes régionaux PSAGE (programmes de surveillance, d'alerte et de gestion des épidémies). La surveillance constitue une dimension de ces programmes, au côté notamment de la lutte antivectorielle. Dans le cas de la dengue , qui est endémo-épidémique sur ce territoire, il existe une circulation permanente du virus et une remontée du nombre de cas lors des épidémies. La dernière épidémie date de 2013. Une épidémie de grande ampleur avait eu lieu en 2010, avec d'importantes conséquences sanitaires.

Le chikungunya a abordé le continent américain par les Antilles françaises, via Saint-Martin, où il avait d'abord été mis en évidence. 160 000  cas avaient été recensés dans l'ensemble des Antilles. Nous ne mettons pas en évidence à l'heure actuelle de circulation de chikungunya. Sans doute le phénomène d'immunité de la population protège-t-il en partie le territoire d'un nouveau phénomène épidémique.

Les Antilles ont aussi été marquées par l'émergence du virus Zika en décembre 2015, mis en évidence grâce au dispositif de surveillance.

S'agissant du paludisme , les derniers cas remontent aux années 1960. Des actions de surveillance des cas de paludisme importés sont conduites, de même que des actions de démoustication, de façon à éviter une reprise de circulation du paludisme aux Antilles.

En Guyane , la situation est un peu différente dans la mesure où ce territoire se trouve sur le continent. Les maladies qui sévissent sont toutefois les mêmes. La dengue y est endémo-épidémique. Une épidémie de chikungunya a eu lieu en 2014. Le Zika - arrivé, cette fois-ci, par le Brésil - a émergé en 2015. Du point de vue des départements et territoires français, la Guyane était en première ligne quant au risque. Le virus a été mis en évidence à peu près en même temps en Guyane et en Martinique.

La Guyane présente une particularité : la fièvre jaune , qui est une arbovirose transmise par aedes , dont le réservoir est animal (singes). La fièvre jaune circule toujours dans la zone. Le dernier cas date de 1998. La vaccination est obligatoire en Guyane où il existe une bonne couverture vaccinale. Le paludisme continue également de circuler. On constate une diminution du nombre de cas mais une persistance du risque.

Nous voyons dans le Pacifique une intensification de la circulation des arbovirus, en particulier depuis 2010. La circulation de la dengue constitue un phénomène mondial qui n'a pas épargné la Polynésie française. L'émergence de Zika a d'abord eu lieu sur ce territoire en 2013, avant une circulation dans la zone, notamment vers la Nouvelle-Calédonie. L'épidémie de Polynésie française fut l'occasion de décrire les premières complications du Zika. Le chikungunya a émergé après le Zika en Polynésie française.

En métropole , le risque est lié à aedes albopictus (moustique tigre), arrivé en 2004 dans les Alpes-Maritimes depuis l'Italie. Il est actuellement présent dans trente départements. Ses incursions vers le Nord de la France vont jusqu'en Alsace. En Île-de-France, il est présent dans le Val-de-Marne.

Nous surveillons, avec les ARS, la dengue et le chikungunya . Nous avons constaté des épisodes de transmission autochtone limités mais qui se répètent, avec, en 2010, deux cas de chikungunya et deux cas de dengue à Fréjus et à Toulon. En 2013, a été révélé un cas de dengue près d'Aix-en-Provence puis, en 2014, quatre cas de dengue en PACA et une petite épidémie de chikungunya à Montpellier. Enfin, en 2015, est survenue une petite épidémie de dengue à Nîmes. Ces épisodes sont limités mais se répètent et tendent à augmenter en taille.

C'est probablement parce que nous avons un système coûteux mais performant que tous ces épisodes ont été mis en évidence en France. En 2007, a eu lieu une épidémie de chikungunya en Italie, qui avait atteint trois cents personnes, ce qui nous indique que, sous nos latitudes, le nombre de cas ne se limite pas nécessairement à quelques personnes infectées si nous ne faisons rien.

M. Roland Courteau . - Merci, Madame, pour ce panorama dont chacun comprend qu'il est très évolutif. Je voudrais également souligner qu'il est possible d'en prendre connaissance en détail grâce à l'excellent site de l'InVS, que j'invite chacun à consulter.

Au-delà des risques, il y a les peurs. Dans le cas du virus Zika, elles sont lourdes. Nous avons vu que le lien de causalité entre ce virus et des pathologies graves n'était pas toujours démontré. À travers le retour d'expérience de la Polynésie française, le professeur Arnaud Fontanet va nous dire ce qu'il en est de deux complications graves du virus Zika, le syndrome de Guillain-Barré et la microcéphalie.

5. Pr Arnaud Fontanet, directeur, Unité d'épidémiologie des maladies émergentes, Institut Pasteur - « Deux complications graves du virus Zika : le syndrome de Guillain-Barré et la microcéphalie à travers le retour d'expérience de la Polynésie »

L'infection par le virus Zika est le plus souvent à l'origine d'une maladie bénigne - lorsque des symptômes se manifestent - et asymptomatique. La première épidémie décrite est celle de l'île de Yap en Micronésie, en 2007. Elle a touché quelques dizaines de personnes. Ces patients symptomatiques avaient un peu de fièvre et une éruption cutanée, qui était sans doute le symptôme le plus caractéristique. Des douleurs articulaires et des conjonctivites étaient parfois présentes. La fièvre était modérée. Tout rentrait dans l'ordre en quelques jours. La maladie était donc décrite comme bénigne et aucune complication n'avait été observée. Lorsqu'une enquête sérologique a été effectuée au décours de cette épidémie en Micronésie, elle a montré que les trois quarts de la population de l'île (7 000 personnes) avaient été infectés et que 80 % de ces personnes avaient été asymptomatiques. Malheureusement, il existe deux complications graves mais rares qui ont été décrites. Ce sera le coeur de mon propos ici, sur la base de l'expérience acquise en Polynésie française. Ce travail a été réalisé avec les équipes du bureau de veille sanitaire de Polynésie française, de l'Institut Louis Malardé, du centre hospitalier de Polynésie française et avec nos collègues de l'AP-HP à Paris.

Sur la première diapositive ici projetée, la courbe épidémique, en orange, se rapporte à l'épidémie de Zika en Polynésie française, qui a débuté en octobre 2013 et a duré jusqu'en avril 2014. Cette courbe a été établie sur la base des déclarations d'un réseau de surveillance local composé de médecins généralistes qui ont rapporté environ 30 000 cas suspects de virus Zika. Les premiers ont été confirmés. Par la suite, la confirmation n'était plus nécessaire compte tenu du caractère bénin de la maladie. En noir, apparaissent les quarante-deux cas de syndrome de Guillain-Barré, qui ont évidemment attiré notre attention.

Ces quarante-deux cas de syndrome de Guillain-Barré, sur une période de six mois, correspondent à une multiplication par dix-sept du taux habituel de syndrome de Guillain-Barré dans ces îles de Polynésie française. Une enquête réalisée en Polynésie française au décours de l'épidémie de Zika a montré que 66 % de la population avait été infectés par le virus Zika durant cette épidémie. Nous avons pu en déduire qu'il y avait 2,4 cas de syndrome de Guillain-Barré pour 10 000 infections par le virus Zika. Il s'agit donc d'une complication rare. Nous sommes néanmoins dans des chiffres proches de ceux observés pour le syndrome de Guillain-Barré, qui survient généralement à raison de deux à cinq cas pour 10 000 infections par la bactérie campylobacter jejuni . La seule différence réside dans le fait que les deux tiers de la population, ici, avaient été touchés.

Le syndrome de Guillain-Barré est une paralysie dite « ascendante ». Les patients sont d'abord touchés par une faiblesse musculaire des membres inférieurs, qui remonte. Lorsqu'elle atteint la cage thoracique, les patients peuvent ne plus être en mesure de respirer. Ils peuvent être hospitalisés en soins intensifs - ce qui représente environ un tiers des cas. Les patients mettent du temps à récupérer et peuvent garder des séquelles. La récupération peut prendre jusqu'à un an.

Dans les cas spécifiques de syndromes de Guillain-Barré observés en Polynésie française, environ une semaine avant le début des symptômes neurologiques, 88 % des patients avaient fait un épisode infectieux typique du virus Zika. Seize des quarante-deux patients atteints par le syndrome de Guillain-Barré (soit 38 % d'entre eux) ont dû être hospitalisés en réanimation. Il faut noter l'aggravation très rapide de l'état de ces patients : il n'y a eu que quatre jours entre le début des symptômes neurologiques et l'admission en soins intensifs. Ceux qui ont été admis en soins intensifs y sont restés un mois.

J'attire votre attention sur le fait que, lorsque plusieurs patients doivent être hospitalisés en soins intensifs avec, peut-être, la nécessité d'y rester un mois, il faut prévoir localement des capacités de lits de soins intensifs. C'est ce qui nous préoccupe aujourd'hui pour des régions comme les Antilles ou la Guyane française. Nous collaborons avec nos collègues de l'InVS, de la Cellule de l'Institut de veille sanitaire en région (CIRE) Antilles-Guyane et des centres hospitaliers locaux afin de nous assurer que toutes les mesures ont été prises pour accueillir les patients si nous devions voir le même nombre de cas, toutes proportions gardées, que celui observé en Polynésie française en 2013-2014.

Les patients qui ont évolué favorablement sont restés une semaine à l'hôpital. À trois mois, plus de la moitié des patients marchait. Le message que les praticiens hospitaliers de Polynésie française nous ont envoyé soulignait une aggravation rapide - au regard de ce que nous connaissions du syndrome de Guillain-Barré - mais une récupération rapide également et plutôt meilleure que ce que nous connaissions dans ce type de cas. Les patients ont tous été traités par immunoglobuline intraveineuse - qui est un médicament coûteux. Un patient a dû recevoir des plasmaphérèses. Aucun décès n'a eu lieu. On atteint généralement 5 % de décès pour les patients atteints du syndrome de Guillain-Barré.

Lorsqu'il a fallu s'assurer que le syndrome de Guillain-Barré était bien lié à l'épidémie de Zika, la concordance spatio-temporelle que vous avez vue sur le graphique précédent a été vérifiée. À l'Institut Louis Malardé, nous avons testé tous ces patients à la recherche d'IgM anti-Zika, qui ont été retrouvés chez 93 % des patients. Les IgM témoignent d'une infection récente. Il y a des possibilités de réactions croisées avec la dengue mais cela n'a pas constitué pour nous un véritable sujet de préoccupation.

Tous les patients touchés par le syndrome de Guillain-Barré avaient des anticorps anti-Zika. Nous avons également pu montrer par une comparaison avec des groupes témoins qu'il était peu probable qu'une dengue antérieure ait pu précipiter le syndrome de Guillain-Barré chez les patients qui l'avaient développé en Polynésie française.

Je passe sur la forme particulière, dite axonale, de ces syndromes de Guillain-Barré. C'est ce qui a été retrouvé chez les patients. Un examen électromyographique est nécessaire à trois mois pour confirmer la nature de cette complication.

En conclusion, pour le syndrome de Guillain-Barré, nous avons relevé une association spatio-temporelle typique, ce qui est à rapprocher d'une infection récente par le virus Zika, avec des anticorps anti-Zika et une évolution rapide mais, heureusement, une fois le stade critique passé, favorable.

Les microcéphalies sont la deuxième complication importante des infections par le virus Zika. En Polynésie française, nous sommes revenus avec nos collègues du centre hospitalier de Polynésie française et des hôpitaux de l'AP-HP à Paris sur les dossiers des grossesses qui avaient eu lieu pendant le passage épidémique du virus Zika en 2013-2014 et sur les dossiers à l'accouchement pour essayer de voir si les microcéphalies mises en évidence au Brésil, en novembre 2015, avaient été observées en Polynésie française. Elles n'avaient pas été notées au moment de l'épidémie même, sans doute parce que ces complications rares étaient en nombre limité.

Néanmoins, nous avons retrouvé sur la période d'épidémie - qui durait six mois - sept cas de microcéphalie alors que nous en avons dénombré un seul au cours d'une période de deux ans autour de l'épidémie. Le cas de microcéphalie isolé correspond à ce qu'on voit habituellement à raison de deux cas pour 10 000 naissances en Europe, aux États-Unis d'Amérique ou en Polynésie française. Les sept cas qui ont eu lieu au moment de l'épidémie représentaient une augmentation d'un facteur 50 de l'incidence de ces microcéphalies en rapport avec l'épidémie du virus Zika. Nous avons également montré, par modélisation mathématique, que la période de vulnérabilité était le premier trimestre de la grossesse, s'agissant des microcéphalies. Ce risque a été estimé à 1 %.

Les microcéphalies ne sont pas les seules complications neurologiques congénitales associées à une infection par le virus Zika durant la grossesse. On sait qu'il y en a d'autres. Les cohortes de femmes enceintes, recrutées aujourd'hui au Brésil, en Colombie et aux Antilles, à travers l'initiative REACTing , sont extrêmement importantes car elles permettront une description de l'ensemble des manifestations neurologiques possibles chez des foetus ou des enfants nés de mères infectées par le virus Zika. Je m'attends à ce que le chiffre soit de quelques pour cent d'enfants nés avec une malformation congénitale neurologique grave à l'issue d'une grossesse où la mère aurait été infectée par le virus Zika. Le type de malformation neurologique dépendra du moment de l'infection par le virus. S'il s'agit du premier trimestre, ce seront plutôt des microcéphalies. Si l'infection est survenue aux deuxième ou troisième trimestres, il s'agira sans doute d'autres manifestations qui peuvent également être très graves.

6. M. Frédéric Simard, directeur, Unité mixte de recherche maladies infectieuses et vecteurs : écologie, génétique, évolution et contrôle (MIVEGEC), IRD/CNRS/Université de Montpellier - « Contrôle des vecteurs et évolution de leurs populations »

Nous avons vu que des succès extrêmement importants avaient été remportés récemment, permettant la diminution du nombre de cas par la combinaison de différentes interventions. Cela a été décrit de manière locale et de façon très précise en Afrique de l'Ouest. Nous voyons, sur le graphique projeté, la diminution du nombre de cas de paludisme ( falciparum ) essentiellement due à la combinaison de dérivés d'artémisinine et de l'utilisation de moustiquaires imprégnées d'insecticide ou de l'utilisation d'insecticides en intra-domiciliaire. Au niveau local et à l'échelle de l'Afrique dans son ensemble, nous voyons des courbes descendantes de parasitémies de 2000 à 2015. Une analyse multivariée parue dans Nature a montré que plus de 60 % de ce gain, en nombre de vies sauvées, était dû à l'utilisation de ces moyens de la lutte antivectorielle, en particulier les moustiquaires imprégnées.

Ce succès est fragile, en raison notamment de l'émergence de résistances à ces insecticides . La plus connue, chez les anophèles vecteurs de paludisme, est la mutation d'un seul acide aminé dans la protéine qui sert de cible à ces insecticides, qu'il s'agisse du DDT ou des pyréthrinoïdes. C'est le canal sodium, sur les neurones des insectes, qui entraîne la paralysie et la mort de l'insecte. Un changement d'un seul acide aminé permet à l'insecte de résister. L'insecticide ne peut plus se fixer sur sa cible. On documente actuellement une montée en fréquence importante de ces résistances dans toutes les populations d'anophèles gambiae d'Afrique. La fréquence au sein des populations naturelles augmente au cours du temps. Plus on a de résistances dans ces populations de moustiques, moins on a de mortalité. L'insecticide ne fonctionne plus. Cela va même plus loin. Nous devons lutter contre des insectes résistants aux insecticides et qui changent leur comportement par rapport aux méthodes de contrôle mises en place.

Les graphes de droite représentent un suivi longitudinal de la transmission, au Bénin, dans des endroits où ont été mises en place des méthodes de contrôle très surveillées dans le cadre de projets de recherche. Les anophèles qui piquaient principalement au milieu de la nuit décalent leur comportement pour piquer plus tôt ou plus tard, en début de soirée ou en début de matinée, lorsque les gens ne sont plus couverts par des moustiquaires imprégnées d'insecticide. Cela a donc un impact sur l'épidémiologie de la transmission. Celle-ci se décale, en dépit du fait que l'on augmente la pression en termes de contrôle des vecteurs.

Un autre mécanisme, moins spécifique, de résistance aux insecticides réside dans l'augmentation, chez les populations d'insectes, de la production d'enzymes de détoxication, qui vont lutter contre les conséquences de l'exposition du moustique aux insecticides, notamment en termes de stress oxydant. Les moustiques sont équipés avec un arsenal d'enzymes permettant la dégradation de l'insecticide ou un meilleur contrôle de son action sur le stress oxydatif des moustiques. Ces enzymes vont aussi permettre aux moustiques de mieux supporter d'autres biocides et polluants urbains et ainsi permettre aux anophèles, qui étaient essentiellement des insectes ruraux, de s'adapter à l'environnement urbain. Vous imaginez ce que cela peut donner avec des concentrations de populations moins exposées au paludisme, qui redeviennent sensibles et perdent leur immunité, dans des villes dont les anophèles étaient absents. Avec l'utilisation des insecticides, on favorise l'adaptation de ces anophèles au milieu urbain.

C'est exactement ce que l'on observe actuellement en Afrique. La photo A décrit un gîte larvaire d'anophèles gambiae qu'évoquait le Pr Martin Danis. Il s'agit d'une espèce essentiellement rurale qui se développe en eau propre, non polluée. On retrouve aujourd'hui des anophèles dans des environnements très pollués, comme on le voit sur la photo B, à droite, qui représente un gîte larvaire anophèle au milieu de la ville de Yaoundé au Cameroun. On change ainsi le lieu de la transmission : celle-ci était rurale, nocturne et intra-domicilaire. Elle devient urbaine, non totalement nocturne, dans une population devenue plus sensible, car moins exposée à la pression du plasmodium. Nous sommes trop performants pour le contrôle des anophèles en Afrique et basons tout sur l'utilisation d'une seule molécule, la deltaméthrine, un insecticide. On a compris avec les médicaments que c'était une bêtise d'utiliser une seule molécule car cela finit par sélectionner des résistances. Nous le faisons encore pour les moustiques, ce qui n'est pas judicieux. Nous voyons déjà des manifestations de cette pression insecticide.

Les villes grandissent en Afrique. Il faut nourrir les populations et le maraîchage se développe. Ce sont des îlots de campagne importés dans des villes, formant des environnements favorables aux anophèles. Ce sont aussi des environnements où l'on utilise énormément d'insecticide. On va ainsi favoriser l'adaptation des anophèles et changer la transmission du paludisme pour les années à venir. Nous devrions nous en soucier fortement.

M. Roland Courteau . - Nous avons bien conscience que nous n'avons fait qu'entrapercevoir l'ampleur de la mission de votre unité de recherche.

J'ai été membre, il y a une quinzaine d'années, du Conseil d'administration de l'EID, dont M. Christophe Lagneau, son directeur de recherche, va nous exposer les procédés de démoustication et leurs limites.

7. M. Christophe Lagneau, directeur recherche et développement, Entente interdépartementale pour la démoustication du littoral méditerranéen (EID Méditerranée) - « Évolution de la présence des moustiques : procédés, effets et limites de la démoustication »

L'opérateur est confronté à des moustiques, en particulier sur le littoral méditerranéen. Il existe soixante-cinq espèces de moustiques en France, dont une quarantaine sur le littoral. La démoustication désigne le maintien de la nuisance à un niveau supportable par les hommes et les animaux. Nous sommes, en réalité, confrontés à une équation à trois inconnues : il faut être efficace et respecter l'environnement, pour un coût contraint. L'intersection de ces paramètres met en évidence les notions de gouvernance, d'évaluation et d'indicateurs.

M. Frédéric Jourdain a passé en revue les méthodes de lutte disponibles. Je me concentrerai ici sur l'utilisation des biocides (insecticides). Comme l'a rappelé Mme Catherine Mir, une directive européenne, attendue et nécessaire, a été adoptée, en 1998, édictant les règles de mise sur le marché des produits biocides destinés à l'hygiène publique. Elle a eu des conséquences particulières. En ce qui concerne la lutte contre les larves de moustiques inféodés aux milieux naturels, si quelques produits restent autorisés, seul le Bti ( Bacillus thuringiensis ser israelensis ) est encore utilisé en raison de son faible impact. Le Bti est également souvent privilégié en milieu urbain. S'agissant de la lutte contre les adultes, nous sommes devant une gamme d'insecticides proposés par les fabricants mais tous ces produits appartiennent à la famille des pyréthrinoïdes, parmi lesquels le plus connu est la deltaméthrine.

Il existe sur le territoire métropolitain des activités liées à la présence du moustique, en particulier dans les zones humides. La France compte aussi des territoires ultramarins, faisant de l'Hexagone un particularisme européen : la France est un des rares pays de l'Europe continentale à se préoccuper, sur son territoire national, de maladies vectorielles.

C'est dans les marais à mise en eau temporaire que se développent les moustiques aedes ochlerotatus , qui n'ont pas le même comportement que le moustique tigre aedes albopictus . Contrairement à ce dernier qui est essentiellement urbain, ils pondent leurs oeufs directement sur le sol des marais au moment de leur assec. Les oeufs éclosent et les larves apparaissent à la survenue d'une mise en eau. Les moustiques qui en émergent provoquent des nuisances considérables jusqu'à plusieurs dizaines de kilomètres du lieu de ponte. Ce phénomène rendait le littoral invivable jusqu'à l'avènement de la démoustication confiée en particulier aux ententes interdépartementales dès le début des années 1960. À titre d'exemple, l'EID Méditerranée réalise des traitements antilarvaires chaque année depuis plus de cinquante ans sur quelques 40 000 hectares de gîtes larvaires cumulés.

La répartition des gîtes larvaires de ces espèces fait l'objet d'une cartographie écologique très précise et les opérations de lutte reposent sur un ensemble de procédures répondant aux exigences réglementaires et environnementales en la matière.

Ces milieux naturels sont soumis à des règles européennes de protection de la nature, notamment dans les parcs Natura 2000, ce qui complexifie le métier. Des méthodes de traitement par voie aérienne sont également remises en cause.

L'apparition du moustique tigre sur le territoire métropolitain et en Corse a conduit à introduire une nuisance tout à fait nouvelle, en plus du risque vectoriel. Si les opérateurs publics que nous sommes sont totalement impliqués dans la mise en oeuvre des opérations de lutte antivectorielle, en accord avec la DGS et les ARS, la situation est différente du point de vue de la lutte contre la nuisance. Le moustique a introduit une nuisance dans le quotidien des habitants en ville et les gens ne le comprennent pas, en particulier dans les zones touristiques. Une confusion apparaît ainsi entre la nuisance due aux moustiques traditionnels et celle causée par l' aedes .

Quelques pistes sont en train d'être examinées. Nous cherchons à mobiliser tous les acteurs sur ce sujet. L'ANSES effectue un travail important, que nous accompagnons. Il faut trouver un insecticide alternatif au BT mais aussi un adulticide pouvant être utilisé ponctuellement dans les milieux périurbains, voire les milieux naturels, et pouvant remplacer la deltaméthrine afin d'amorcer une gestion de la résistance.

Nous expérimentons actuellement l'autodissémination sur le littoral méditerranéen. Des stations d'autodissémination, contenant un insecticide agissant à très faible dose, sont réparties dans certains quartiers des zones urbaines. Cette station contenant de l'eau, attractive pour les femelles en quête d'un lieu de ponte. Elle va se contaminer et aller contaminer d'autres gîtes lorsqu'elle y pondra. Cette méthode s'avère très prometteuse. Tous les opérateurs sont intéressés par cette approche.

D'autres pistes résident notamment dans les barrières de pièges . Dans les villes et aux interfaces avec les zones humides, le Bti ne suffit pas. Il faut protéger les populations. Nous expérimentons notamment des piégeages au CO 2 .

En conclusion, il apparaît indispensable et urgent de poursuivre l'évaluation et l'amélioration des stratégies actuelles mais également de développer et d'expérimenter des méthodes alternatives ou innovantes telles que la lutte génétique (lâchers de mâles stériles,...).

8. Pr Jérôme Depaquit, directeur, Unité de recherche transmission vectorielle et épidémiosurveillance de maladies parasitaires, Université de Reims Champagne-Ardenne - « Les maladies transmises par les phlébotomes »

Les phlébotomes sont de petits insectes discrets, relativement peu connus de la population, sauf pour ceux qui en subissent les nuisances puisque leur piqûre est douloureuse dans la mesure où ils coupent la veine au moment où ils piquent. Leurs larves vivent dans la terre et leur dispersion est tout à fait limitée, ce qu'on ne peut comparer aux dispersions des moustiques, qui s'opèrent depuis l'Antiquité à la faveur des transports des larves dans les navires et dans les réserves d'eau douce. Il existe 900, voire 1 000 espèces de phlébotomes aujourd'hui dans le monde.

Leurs moeurs sont plutôt crépusculaires et nocturnes, à quelques exceptions près. Leur taille est très faible (deux à quatre millimètres). Les femelles sont hématophages, c'est-à-dire qu'elles prennent un repas de sang. C'est à l'occasion de ces repas de sang qu'elles vont transmettre diverses maladies. Je n'évoquerai que les leishmanioses. Il existe une vingtaine d'espèces de leishmanies transmises à l'homme dans le monde. Les phlébotomes transmettent essentiellement des phlébovirus que je n'évoquerai pas ici.

Les phlébotomes sont répartis dans le monde entier. Nous ne connaissons pas, chez les phlébotomes, d'espèce invasive. Les leishmanioses transmises par les phlébotomes sont des maladies considérées comme prioritaires par l'OMS. Les formes les plus graves sont les leishmanioses viscérales, causées par deux espèces, leishmania infantum et leishmania donovani .

L'espèce leishmania infantum existe sous forme endémique dans le Sud de la France. Il s'agit d'une maladie essentiellement canine et d'importance vétérinaire. Nous avons environ trente cas humains tandis que 20 % à 50 % des chiens sont positifs, selon les techniques d'analyse utilisées. Les leishmanioses cutanées sévissent dans le monde entier. Il existe également des formes cutanées en France.

En France, tous les cas autochtones de leishmanioses sont causés par leishmania infantum . Le CNR recense environ une trentaine de cas humains par an. La transmission s'effectue à l'étage méditerranéen dit humide, de manière localisée, dans les arrière-pays méditerranéens, idéalement là où les vecteurs sont les plus abondants, c'est-à-dire entre 200 et 800 mètres d'altitude. Le réservoir le plus important est le chien, qui va avoir une maladie chronique évoluant sur plusieurs années, permettant au phlébotome de se charger en parasites pour les transmettre éventuellement à l'homme.

Ces données ont été très bien étudiées par le professeur Rioux, de Montpellier, qui a montré au cours des années 1960 que l'étage idéal de transmission se trouvait là où le vecteur était le plus abondant. C'est ce qu'on appelle l'éco-épidémiologie. Au-delà de la zone à risque, la saisonnalité entre en ligne de compte : la période de transmission va en général de juillet à début octobre. Avec les changements climatiques, cette période à risque tend à s'allonger par rapport à ce qui prévalait il y a vingt ou trente ans.

S'agissant des vecteurs de leishmanioses en France, il existe deux vecteurs principaux : phlebotomus perniciosus (qui a donné lieu à quelques mentions septentrionales dans le pays) et phlebotomus ariasi , plus méditerranéen que perniciosus .

Une étude publiée, en 2010 en France montre que l'on surveille beaucoup plus la leishmaniose canine - en raison du nombre de cas beaucoup plus élevé chez le chien que chez l'homme - et que les cas sont localisés en grande majorité dans le Sud de la France, dans le foyer historique des Cévennes et dans la région de Nice. Quelques cas étaient également observés, entre 1965 et 2007, dans le Sud-Ouest et en Corse. Les mêmes auteurs ont établi des projections pour l'extension des leishmanioses et prédisent, compte tenu des changements climatiques, une septentrionnalisation par la façade atlantique jusqu'au pays nantais. C'est peut-être, à mon sens, négliger un peu trop rapidement une septentrionnalisation éventuelle par le couloir rhodanien, qui ne me paraît pas insurmontable pour les phlébotomes.

Existe-t-il un risque d'introduction d'autres leishmanioses en France ? Nous avons très peu de phlébotomes en France métropolitaine. Six espèces ont été décrites, dont cinq que l'on rencontre parfois et deux à trois qui sont majoritaires. Ces espèces, qui sont majoritaires en France ne sont pas connues pour transmettre d'autres leishmanioses que leishmania infantum . Il existe une autre espèce présente en France, notamment en Corse et dans les Pyrénées-Orientales, phlebotomus sergenti , qui est le principal vecteur d'une leishmaniose cutanée. Il s'agit d'une anthroponose, c'est-à-dire qu'aucun réservoir n'est nécessaire. L'introduction de cette espèce pourrait avoir lieu en France. Néanmoins, à Chypre par exemple, une autre leishmaniose a été importée en 2008 du Moyen-Orient par le biais de leishmania donovani . Elle se transmet en dehors de ses vecteurs habituels, qui ne sont pas présents à Chypre. Le risque d'introduction d'autres leishmanioses transmises par les phlébotomes autochtones me paraît donc faible.

Le risque d'une introduction exotique de phlébotomes est également très faible puisqu'il n'existe pas actuellement de phlébotomes, sur la carte du monde, qui ne soient pas à leur place. Les phlébotomes américains sont présents en Amériques et non en Europe ni en Asie, et réciproquement.

En ce qui concerne la France d'outre-mer, la problématique est un peu plus complexe. Il existe par exemple quatre-vingts espèces de phlébotomes en Guyane. Le risque d'introduction d'autres leishmanioses est méconnu. La déforestation en Guyane amènera en tout cas la leishmaniose viscérale avec son vecteur, lutzomyia longipaldis .

Je voudrais terminer par une alerte sur la perte des connaissances. L'entomologie médicale a longtemps constitué un domaine d'excellence dans la recherche française. Cette excellence est liée, d'une part, à la tradition coloniale de notre pays et aux traditions qui ont existé depuis le début du XX e siècle dans les universités et, d'autre part, au fait que l'entomologie médicale ne s'improvise pas : il faut en général au moins vingt à vingt-cinq ans pour devenir efficace, ce qui implique un compagnonnage à maintenir.

Au cours des années 1960, l'OMS avait déclaré que l'éradication du paludisme était proche - notion, certes, relative. Avec l'avènement de la chloroquine comme principal médicament antipaludique, a débuté un long déclin des entomologistes en France jusqu'aux années 2000. Une prise de conscience de cette négligence « étatique » a été permise par l'épidémie de chikungunya qui a frappé La Réunion. Des maladies d'importance vétérinaire telles que la fièvre catarrhale ovine puis la fièvre chevaline, transmise par les culicoïdes, sont également survenues.

Il faut réellement maintenir ce compagnonnage. Je suis particulièrement fier que ma patronne, qui m'a tout appris, Mme Nicole Léger, soit présente dans cette salle. Ce compagnonnage ne passe pas seulement par la recherche. Je ne suis pas certain qu'il faille être un très grand chercheur pour être compétent sur un groupe d'insectes. Ce n'est pas dénué de sens d'aller sur le terrain et de décrire des espèces nouvelles. Lorsque nous allons sur le terrain pour agir ainsi, ce n'est pas bien valorisable par la recherche et il est difficile de maintenir ces compétences dans le monde de l'instantané dans lequel nous vivons.

M. Roland Courteau. - Nous saluons donc, par la même occasion, votre patronne, Mme Nicole Léger.

Mme Nicole Léger. Bonsoir. Peut-être suis-je la seule ici à être agrégée de pharmacie et de médecine ?

9. Mme Nathalie Boulanger, maître de conférences et praticien attaché au Centre national de référence sur la borréliose de Lyme, Université de Strasbourg, Centre hospitalier de Strasbourg - « Les maladies transmises par les tiques »

Je vous remercie pour votre invitation. Si le moustique va au contact de son hôte, il n'en est pas de même de la tique, notamment la tique dure, qui a un repas sanguin très long. L'homme, notamment, et les animaux qui vont héberger ces tiques vont aller au contact de celles-ci, qui sont à l'affût. Sa salive va moduler la pharmacologie et l'immunologie de son hôte. Les tiques vont attendre l'hôte. Ces caractéristiques auront un impact important sur la transmission des agents infectieux, notamment pour la prévention.

Les tiques, dans leur ensemble, sont constituées de deux grandes familles : les tiques molles (argasidés), avec notamment ornithodoros et les tiques dures, probablement les plus importantes, avec Ixodes et rhipicephalus . On dénombre environ deux cents espèces de tiques molles et sept cents espèces de tiques dures. Sur le plan médical et vétérinaire, les tiques sont le vecteur numéro un. Sur le plan de la médecine humaine uniquement, elles se classent deuxième en termes de transmission d'agents infectieux.

Le spectre des agents infectieux est très large et celui que je présenterai ici n'est pas exhaustif, loin de là. Parmi ces agents se trouvent des virus, notamment l'encéphalite à tique, qui sévit principalement dans l'hémisphère nord. Des parasites sont également transmis. J'attire votre attention sur le fait que ces pathogènes circulent principalement chez les animaux. Il s'agit donc de zoonoses dont la répartition est mondiale. Leur éradication est donc impossible et la prévention remplit une fonction essentielle.

Les bactéries transmises par les tiques dures sont beaucoup plus nombreuses. Outre la borréliose de Lyme, il existe les fièvres récurrentes à tique, les rickettsioses, l'anaplasmose et les ehrlichioses.

Si l'on parle beaucoup du réchauffement climatique dans l'émergence des maladies à tiques, je préfère le terme d'anthropisation, qui a déjà été évoqué. Nous savons que l'homme a modifié les écosystèmes. Il a, par exemple, modifié la culture de la forêt et désertifié les campagnes, faisant apparaître de nouveaux écosystèmes. L'introduction des cervidés en France a également fait exploser la population de tiques ixodes . La disparition des prédateurs, notamment du lynx et du loup, a créé un écosystème parfait pour les tiques, à travers, en particulier, les animaux supportant très bien la prolifération des tiques, dont ces cervidés.

Les changements socio-économiques entrent aussi en ligne de compte. Avec l'effondrement du bloc soviétique, la pauvreté a gagné du terrain dans les pays de l'Est, poussant la population à aller en forêt pour collecter des champignons et baies sauvages, ce qui a fait émerger de nombreuses maladies à tiques, parmi lesquelles l'encéphalite à tique et la borréliose de Lyme.

En ce qui concerne les pays du Sud, les mouvements des animaux, notamment du bétail, posent d'importants problèmes vétérinaires. La mondialisation du commerce du bétail a étendu la carte de répartition des amblyomma et des rhipicephalus . Elle génère aussi de nombreux problèmes pour l'agriculture avec la spoliation sanguine provoquée par les tiques

Ces pathologies circulent probablement depuis de nombreuses années mais leur existence n'est connue que depuis le milieu du XX e siècle car l'on parvient à mieux identifier les tiques, mieux cultiver et détecter les agents infectieux qu'elles transmettent - notamment détection par la biologie moléculaire. De plus, les techniques de diagnostic se sont améliorées avec la sérologie et, notamment la spectrométrie de masse, en large essor.

L'approche translationnelle est essentielle. Il faut donc travailler sur des modèles animaux, ce qui n'est pas toujours évident - car nous n'avons pas toujours le modèle animal adéquat - pour extrapoler à l'homme ce qui a été observé chez l'animal.

L'approche multidisciplinaire est également indispensable. L'interface chimie-biologie est cruciale afin de mettre en commun les connaissances. En France, un réseau de scientifiques travaillant sur les tiques, le Réseau écologie des interactions durables (REID), permet des échanges importants dans le domaine scientifique et de progresser dans le domaine de l'écologie et de la biologie des tiques. Des réseaux européens se sont également créés cette année.

Il existe des tentatives de cartographie des zones à risque, notamment avec l'ECDC (European Centre for Disease Control) pour les tiques les plus importants ( ixodes , rhipicephalus et dermacentor ). De plus en plus d'informations sont diffusées aux professionnels de santé mais cet effort est encore très insuffisant, notamment vers les médecins et les pharmaciens, en particulier dans les zones où ils sont moins sensibilisés aux maladies à tiques. Cette sensibilisation est particulièrement forte dans l'Est de la France où les tiques et les maladies transmises sont plus nombreuses.

De façon plus pragmatique, en Alsace, l'Agence régionale de santé-Alsace a créé un comité de pilotage « tiques et maladies transmises ». Nous nous sommes retrouvés autour d'une table avec la Mutualité sociale agricole, l'Office national des forêts, le Centre de référence maladie de Lyme, les universitaires et les hospitaliers. Les personnes exposées aux piqûres de tique et aux maladies transmises ont exposé leurs problèmes et nous essayons de trouver des solutions afin d'aboutir à une meilleure prévention. Cela a conduit à une information du grand public sur le risque acarologique, avec la distribution de plaquettes d'information remises aux écoles, aux mairies et aux médecins. Nous installons des panneaux dans des zones particulièrement fréquentées en Alsace afin de parler des tiques et des risques de maladies transmises.

10. Mme Véronique Chevalier, directrice adjointe, Unité de recherche animal et gestion intégrée des risques (AGIRs), Centre de coopération international en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) - « Cartographie des risques des maladies à transmission vectorielle »

J'évoquerai ici la cartographie du risque de transmission des maladies vectorielles à travers une seule méthode. Il en existe de nombreuses autres. Mon propos portera sur le West Nile , étant entendu que ces méthodologies peuvent être appliquées à de nombreuses autres maladies, vectorielles ou non.

La fièvre West Nile est provoquée par un flavivirus , transmis de manière selvatique entre des oiseaux sauvages (qui sont des réservoirs ; 150 à 200 espèces pouvant être infectées par ce virus) et des moustiques de type culex . Nous avons parlé de pipiens et de modestus . Ce virus peut être transmis par d'autres vecteurs. Lorsque les conditions sont favorables et que le cycle est suffisamment amplifié, le virus peut être transmis aux chevaux et aux hommes, qui sont des hôtes accidentels chez qui l'infection est le plus souvent asymptomatique. Dans 30 % des cas, elle provoque un symptôme grippal (causant des fièvres et des douleurs) et dans environ 1 % des cas un symptôme encéphalique.

Il existe d'autres modes de transmission, suspectés ou démontrés, d'oiseau à oiseau, notamment chez les oiseaux nécrophages. On sait que le virus se transmet par transfusion de sang d'homme à homme et par transplantation d'organes d'homme à homme. Il peut passer l'hiver dans des zones tempérées, durant la saison chaude (de juillet à septembre ou octobre). Le virus peut passer l'hiver dans des culex adultes qui se cachent et réapparaissent plus tard. Le cycle est donc très complexe. Il existe tout de même des déterminants environnementaux puisque le cycle selvatique se décrit entre des oiseaux et des moustiques.

La maladie est connue dans le pourtour méditerranéen et en Europe depuis les années 1960. Des foyers sont apparus de manière très erratique et imprévisible, dans le Maghreb comme en Europe de l'Est, en Europe de l'Ouest et en Europe centrale jusqu'en 2009. En 2010 est survenue une augmentation sensible du nombre, de la fréquence et de la sévérité des cas, notamment en Grèce en 2010 puis en Europe centrale et en Europe de l'Est.

L'épidémiologie de ces pathologies est complexe et il demeure de nombreuses inconnues. Une forte hétérogénéité spatiale, probablement due à la diversité des oiseaux qui portent le virus et des moustiques pouvant le transmettre, est à noter. Ces émergences sont très difficiles à prédire. Les territoires à risque sont très étendus : le virus a été décrit sur tous les continents (Amérique du Nord, Australie, Inde, Asie) et, les oiseaux volant, les frontières n'ont aucune incidence sur la dissémination. Il n'existe pas de traitement : un vaccin a été mis au point pour le cheval, non pour l'homme. La cartographie prédictive, lorsqu'elle peut être établie, permet d'identifier les « hot spots », c'est-à-dire les zones où la maladie peut être transmise et potentiellement émerger. Ces cartographies permettent de cibler dans le temps et dans l'espace la surveillance, les mesures de lutte (lorsqu'elles existent) et les actions de recherche en prédisant dans le temps et dans l'espace ces émergences.

Un travail publié il y a quelques années, réalisé sous la houlette du centre de contrôle des maladies européen en collaboration avec l'université d'Haïfa, visait à produire une carte de risque d'émergence de cette maladie sur le pourtour méditerranéen et en Europe.

Nous avons utilisé, comme indicateur de risque, la date et les lieux des cas cliniques humains confirmés entre 2002 et 2013. Nous avons utilisé comme variable potentiellement prédictrice de la circulation de la maladie des variables environnementales liées à l'écologie des moustiques et à celle des oiseaux. Nous avons notamment travaillé avec les anomalies de température. Nous savons que la compétence vectorielle, c'est-à-dire la capacité des vecteurs à transmettre certains virus, peut varier en fonction de la température. Plus il fait chaud, plus ils sont compétents. La localisation des zones humides est également importante car c'est là que se concentrent les moustiques et certains oiseaux. La cartographie incluait aussi la localisation des eaux libres et les routes de migration des passereaux. De nombreuses études ont été faites et ces oiseaux sont apparemment les principaux réservoirs de la maladie. Il existe deux routes de migration entre l'Afrique et l'Europe, un couloir « ouest » et un couloir « est ». Un certain nombre d'études montrent que les oiseaux qui utilisent le couloir « est », de l'Afrique vers l'Europe, sont beaucoup plus infectés et ont donc une probabilité plus élevée d'apporter le virus en Europe. La cartographie présentait, enfin, les densités de population et un index de proximité géographique que je ne détaillerai pas.

Sur la carte sont entourées en violet des zones où des cas humains ont été confirmés. En rose ou rouge ont été colorées des zones plus ou moins à risque. Plus la couleur est foncée, plus le risque est élevé. Il existe une très bonne concordance entre ce modèle statistique et ce que l'on observe en réalité. Jusqu'en 2004, 2005 ou 2006, cela colle assez bien. À partir de 2010, les zones prédites à risque par ce modèle correspondent assez bien aux zones dans lesquelles des cas humains ont effectivement été observés.

Il existe de nombreuses limites à ce type de méthode, notamment pour le West Nile , pour lequel les inconnues sont extrêmement nombreuses. Elles tiennent en particulier à la détection des cas cliniques humains. En l'absence d'une définition claire et admise par tous, la définition d'un cas clinique humain peut différer en Roumanie et au Maroc. Il en va de même pour la sensibilité des systèmes de surveillance. Nous n'avions aucune idée des indicateurs de performances de ces systèmes ni de la sensibilité de détection de ces cas. Nous connaissons l'identité de certains oiseaux réservoirs mais nous ne les connaissons pas tous. Nous n'avions pas pris en compte la présence et l'abondance des moustiques. On ne connaît pas grand-chose de la compétence de ces oiseaux et de ces moustiques. Surtout, on ne se projette pas dans l'avenir et on ne prend pas en compte le réchauffement climatique, d'une part, ni des changements d'origine anthropique tels que l'aménagement du territoire, d'autre part. Enfin, cette étude a été réalisée à une très large échelle, ce qui sous-entend un certain nombre de biais et d'incertitudes.

Nous avons refait l'exercice en considérant les cent cinquante espèces d'oiseaux dont nous savons qu'elles sont infectées, en prenant en compte leur présence et leur abondance, en fonction des différents paysages, en Europe et sur le pourtour méditerranéen. Le travail est un peu plus précis et un zoom sur chaque zone fait apparaître, pour chaque pixel, une valeur de risque de transmission de la maladie. Les zones détectées comme à risque sont, globalement, les mêmes.

Un travail qui doit être publié prochainement, concernant la France, considère les présences et les abondances d'un certain nombre d'oiseaux réservoirs et de moustiques vecteurs. En rouge apparaissent les zones à risque. Les étoiles rouges figurent les endroits où ont été identifiés des chevaux séropositifs. On constate une bonne concordance entre la localisation de ces étoiles rouges et les zones les plus à risque de cette carte de risque.

Nous avons maintenant des outils très puissants pour détecter et collecter des informations environnementales, notamment à partir d'imageries satellitaires, avec des résolutions très fines. Il est important de savoir ce que l'on a placé dans ces modèles et de ne pas surinterpréter ces cartes. Nous utilisons, par exemple, des eaux marécageuses comme un indicateur de la présence de moustiques. Or, la plupart du temps, nous ne savons rien de la compétence vectorielle de ces moustiques. Quant au West Nile , les inconnues sont encore nombreuses sur les souches, les vecteurs et les réservoirs. Ces techniques sont, bien sûr, applicables aux autres maladies vectorielles.

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