III. VERS UN CHANGEMENT D'ÉCHELLE POUR LES POLITIQUES SANITAIRES CONDUITES DANS LES OUTRE-MER
• Contrastant avec la déshérence
observée au cours des dernières années,
la
conduite des politiques publiques en matière sanitaire dans les Drom
semble aujourd'hui trouver un nouveau souffle
, sous l'effet
conjugué des mouvements sociaux intervenus depuis 2009, des constats
alarmants formulés par les rapports institutionnels, et de la mise en
oeuvre d'une toute nouvelle stratégie de santé
spécifiquement adaptée aux enjeux des territoires ultramarins.
Ce mouvement de renouveau doit être accompagné d'une réflexion et d'ajustements importants s'agissant de l'échelle pertinente pour l'application des orientations ainsi définies . Au terme des auditions effectuées par vos rapporteurs, il semble qu'il importe tout d'abord de poursuivre le mouvement de renforcement du pilotage central des politiques sanitaires ultramarines, en leur donnant une dimension plus interministérielle. Au travers de l'exemple de la politique de lutte anti-vectorielle mise en oeuvre par l'agence de santé, votre délégation a ensuite pu apprécier la nécessité d'opérer au niveau de la zone Océan Indien, en coopération avec les pays voisins. L'organisation sanitaire institutionnelle y présente d'ailleurs cette originalité que le champ de compétence de l'agence de santé ne suit pas le strict périmètre des régions, mais est commune à La Réunion et à Mayotte.
• Sans avoir la possibilité de travailler
véritablement sur le sujet en raison de l'annulation du
déplacement initialement prévu à Mayotte, vos rapporteurs
ont également été sensibilisés à
l'opportunité, au travers des politiques sanitaires
menées à La Réunion et à Mayotte, de promouvoir
l'excellence sanitaire française dans l'Océan Indien
-et
ainsi, indirectement, la francophonie.
Cette question se pose en termes particuliers s'agissant de la coopération avec les Comores, qui constitue le corollaire nécessaire de la lutte contre l'immigration illégale à Mayotte . Des plans d'aide très importants sont alloués aux Comores, notamment au travers de l'agence française de développement (AFD). Sur la période 2009-2015, trois projets principaux ont ainsi été financés, pour un montant total de 16,6 millions d'euros (à rapporter aux 760 000 habitants du pays) : un programme d'appui au développement de la santé aux Comores, qui vise une amélioration de la qualité des soins offerts par les hôpitaux de référence du pays ; un projet d'appui à la professionnalisation et à l'amélioration de la qualité des services de l'association Caritas Comores et de son centre de soins de Moroni ; un programme d'amélioration de la santé maternelle sur l'île d'Anjouan.
Vos rapporteurs soulignent que les investissements ainsi réalisés doivent être proportionnés aux capacités financières du pays sur le long terme : ainsi, un hôpital parfaitement équipé, financé par la Chine, n'a jamais pu y fonctionner, en raison à la fois du manque de formation des personnels et de l'impossibilité pour l'État comorien d'en assumer les coûts de fonctionnement.
A. LA NÉCESSITÉ D'UNE PLUS FORTE STRUCTURATION DES POLITIQUES SANITAIRES MENÉES DANS L'OCÉAN INDIEN
1. Un renforcement en cours du pilotage au niveau national
a) Vers une meilleure prise en compte des outre-mer au niveau central
(1) La définition d'une déclinaison ultramarine de la stratégie nationale de santé
La principale recommandation formulée par la Cour des comptes, dans son rapport précité sur la situation sanitaire des outre-mer, était de faire de la santé en outre-mer un axe spécifique de la stratégie nationale de santé (SNS) . Si le plan santé pour les outre-mer 2009-2014 avait en effet posé un diagnostic juste, son ambition s'était cependant diluée en l'absence de cadre fort et structuré.
L' article 2 de la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016 30 ( * ) prévoit la définition d'une déclinaison ultramarine de la SNS dans les Dom, avec la possibilité d'y associer la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française par voie de convention.
La déclinaison ultramarine de la
stratégie nationale de santé :
La stratégie nationale de santé mentionnée à l'article L. 1411-1-1 fixe des objectifs propres aux outre-mer à partir d'une évaluation des données épidémiologiques et des risques sanitaires spécifiques aux collectivités mentionnées à l'article 73 de la Constitution ainsi qu'aux collectivités de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon et des îles Wallis et Futuna. Elle prend en compte le développement de la coopération régionale en outre-mer dans le domaine de la santé. L'Etat peut proposer à la Polynésie française et à la Nouvelle-Calédonie de s'associer par convention, dans le respect de leurs compétences, à la mise en oeuvre des plans et des programmes qui résultent de la mise en oeuvre de la stratégie nationale de santé. |
Entendus par votre délégation, les rapporteurs de la Cour des comptes ont considéré que cette disposition répondait à la préconisation exprimée , en ce qu'elle offre un ancrage législatif aux actions entreprises sur le terrain, ainsi qu'un cadre général pour la mobilisation future des pouvoirs publics. Il incombera aux acteurs de terrain de faire pleinement vivre ces dispositions ; de ce point de vue, les ARS constitueront bien entendu des acteurs-clé.
Présentée le 25 mai dernier par les ministres en charge des affaires sociales et de la santé et des outre-mer, la stratégie de santé pour les outre-mer comprend cinq axes généraux, à partir desquels chacune des collectivités ultramarines déclinera sa propre feuille de route .
Les cinq axes de la stratégie de santé pour les outre-mer Axe 1 Renforcer la prévention pour mieux lutter contre les inégalités de santé Le plan prévoit notamment la création d'un programme régional Alimentation Activité Nutrition Santé (PRAANS). Il permettra de mobiliser les services de l'Etat et les collectivités territoriales au plus près de la population pour réduire l'incidence du diabète ; Axe 2 Améliorer la veille, l'évaluation et la gestion des risques sanitaires Les plans de prévention et de lutte contre les maladies zoonotiques seront renforcés, les coopérations internationales sur la veille sanitaire encouragées. Axe 3 Mieux répondre aux besoins des citoyens dans le champ de l'autonomie Un plan particulier visant à augmenter le nombre de places dédiées aux personnes en situation de handicap va être mis en oeuvre. 20 millions d'euros supplémentaires seront consacrés aux Outre-mer pour atteindre cet objectif. Le dépistage et la prise en charge précoces des handicaps seront renforcés, l'innovation dans le soutien à domicile et en milieu ordinaire soutenue. Axe 4 Renforcer l'efficience du système de santé Tout sera mis en place pour renforcer la présence médicale et favoriser l'exercice pluridisciplinaire coordonné. Les spécificités ultra-marines seront mieux prises en compte dans un processus d'allocation de ressources retravaillé. Le dispositif de financement d'activités isolées sera dès maintenant étendu aux Outre-mer. Les financements sur la précarité concerneront fortement ces territoires. Axe 5 Renforcer l'accès aux droits La mise en place de la protection universelle maladie (PUMa) mettra fin aux ruptures de prise en charge liées aux parcours de chacun. Des modalités d'instruction pour permettre aux publics prioritaires, notamment aux femmes enceintes ou aux personnes les plus isolées géographiquement, d'être pris en charge et recevoir des soins adaptés seront mises en place. Les transferts sanitaires entre Outre-mer et avec la métropole seront sécurisés. |
Votre délégation -qui a déjà regretté l'absence d'un axe spécifiquement consacré à la santé mentale dans ce document- souligne qu'il appartiendra à votre commission des affaires sociales d'assurer le suivi et l'évaluation de l'appropriation de ces grandes lignes par chacune des collectivités ultramarines.
(2) Un renforcement du pilotage interministériel
Devant votre délégation, les directions ministérielles compétentes pour la mise en oeuvre des politiques publiques en matière sanitaire dans les outre-mer ont fait état d'une dynamique de mobilisation enclenchée à la suite de la publication du rapport critique de la Cour des comptes .
Conjointement entendues par vos rapporteurs, la direction générale de l'offre de soins (DGOS) et la direction générale de la santé (DGS) du ministère des affaires sociales et de la santé ont ainsi indiqué que, sur la base des constats et préconisations formulés par la Cour, des référents outre-mer avaient été institués dans chacune des directions du ministère de la santé.
Cet effort pour la construction d'une politique de santé coordonnée se traduit également par la mise en place d'un comité de pilotage stratégique pour la santé en outre-mer , qui rassemble les directeurs du ministère de la santé et de la direction générale des outre-mer (DGOM).
En réponse à la critique de la Cour sur la présence en ses murs d'un seul ETP compétent sur les questions sanitaires, la DGOM a indiqué que le suivi de ces enjeux était également assuré par trois personnes assurant le lien au sein des trois directions du ministère de la santé concernées (DSS, DGS, DGOS), par deux personnes au sein du bureau santé et cohésion sociale, ainsi que par une personne travaillant spécifiquement sur la question de Mayotte. Le rôle de la DGOM est ainsi celui d'un animateur de réseau , disposant d'un référent dans chacune des directions compétentes du ministère de la santé.
L'adjoint au chef du bureau de la cohésion sociale, de la santé, de l'enseignement et de la culture (BCSSEC) de la DGOM participe par ailleurs à l'ensemble des comités de pilotage des différents plans de santé publique, ainsi qu'au comité interministériel de performance et de la modernisation de l'offre de soins hospitaliers (Copermo). La DGOM est également représentée à l'établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus), bientôt fondu au sein de l'agence nationale de santé publique, à l'InVS, ainsi qu'à l'établissement français du sang (EFS).
Votre délégation souligne cependant que l'ensemble des enjeux relatifs à la santé dans les outre-mer ne sont pas traités au niveau du ministère de la santé, ni de la DGOM : les questions cruciales de l'accès à l'eau potable ou de la qualité des logements relèvent ainsi d'autres ministères. Il apparait ainsi nécessaire de conduire des travaux structurants à un large niveau interministériel.
b) Un enjeu crucial : une meilleure connaissance statistique des territoires ultramarins
Votre délégation souligne que les difficultés chroniques liées à la disponibilité de données pertinentes dans le champ sanitaire , déjà largement soulignées par la Cour des comptes comme par nos collègues Michel Vergoz et Eric Doligé dans leur rapport précité, sont toujours d'actualité - quoique des efforts importants aient été entrepris dans ce champ.
À propos de l'évaluation de la cherté de la vie dans les territoires ultramarins, nos collègues de la délégation à l'outre-mer relevaient ainsi que « la tâche est rendue malaisée par les imperfections du système d'information statistique, liées au caractère souvent parcellaire et épars des données et à la double insuffisance du champ de couverture et de la régularité des enquêtes ».
(1) Des études lacunaires en raison d'un manque de moyens
• En dehors des bases de données nationales
que sont le Sniiram et le PMSI (désormais fusionnés au sein du
système national des données de santé), qui couvrent
l'ensemble de la population française, ou des registres nationaux
présents sur l'île,
les études
réalisées ponctuellement par l'Insee ou par les agences
sanitaires ne couvrent pas toujours les outre-mer
, ou ne sont
conduites que dans certains territoires ultramarins.
Trois obstacles ont été avancés à ce titre par les organes d'étude entendus par vos rapporteurs. Outre un problème général de financement se pose un problème de méthode , lié à la représentativité des échantillons -le même problème pouvant du reste être rencontré dans l'hexagone. Surtout, ces organismes indiquent rencontrer des problèmes techniques directement liés au développement institutionnel et administratif du territoire, notamment à Mayotte.
L'institut national des études démographiques (Ined) a ainsi indiqué que l'un des enjeux cruciaux pour la bonne conduite des études sur les territoires ultramarins résidait dans le bon enregistrement de l'état civil de la population, notamment s'agissant des décès.
S'agissant de l'enquête Baromètre santé, pour la première fois étendue aux Dom en 2014, l'institut national pour la prévention et l'éducation à la santé (Inpes) a souligné qu'il avait été impossible de la réaliser à Mayotte. L'étude repose en effet sur des déclarations téléphoniques, qu'il n'est pas possible d'y recueillir en raison du manque de fiabilité de la base d'adresses mahoraise, voire des données d'état civil de la population.
La couverture du territoire réunionnais par l'InVS Comme sur l'ensemble du territoire, l'InVS est présente dans l'Océan Indien au travers de ses cellules interrégionales d'épidémiologie (les Cire) et en partenariat avec l'agence de santé. La délégation de la Cire dans l'Océan Indien est plus importante qu'en moyenne nationale, avec 9 personnes présentes à La Réunion, contre 5 à 6 en moyenne dans les autres départements français. Un épidémiologiste est par ailleurs spécialement missionné pendant un an à Mayotte pour la réalisation d'une étude en partenariat avec l'agence de santé. Il est à noter que le réseau de surveillance sanitaire réunionnais a intégré le réseau de surveillance épidémiologique et de gestion des alertes (Sega) de la commission de l'Océan Indien (COI), ce qui permet d'avoir une vision régionale des évolutions épidémiques. Moyennant une adaptation aux spécificités des pathologies locales et notamment aux arboviroses, le système de surveillance repose notamment sur les déclarations obligatoires (DO) et les réseaux de surveillance volontaire (médecins sentinelles volontaires). En outre-mer comme en métropole, le système de DO, vécu comme très administratif par les médecins, est cependant très imparfait, et il est probable que les données collectées par ce biais soient très en dessous de la réalité ; seulement 3 épisodes d'intoxication alimentaire ont ainsi été déclarés en 2015 à Mayotte, ou encore 20 cas de dengue à La Réunion contre 100 répertoriés. Pour pallier ces défauts et approcher le plus possible de l'exhaustivité, l'InVS a indiqué travailler par croisement de données avec le PMSI. |
• Une information statistique
actualisée et comparable à celle qui existe pour le territoire
hexagonal est pourtant indispensable à l'adaptation des politiques
publiques aux spécificités des outre-mer
. Ainsi, la
prise en compte tardive du vieillissement de la population aux Antilles,
où il a pourtant été amorcé dès les
années 1960, s'explique par le manque d'anticipation dans
l'évaluation statistique concernant les transformations
démographiques à l'oeuvre dans les outre-mer - récemment
mises en évidence par l'enquête « Migrations, familles,
vieillissement » de l'Ined, première enquête d'ampleur
menée sur le sujet dans les Dom, et actuellement en cours de
réalisation à Mayotte.
(2) Une appréciation nuancée des nouvelles exigences introduites par la LMSS
• L'article 224 de la loi de modernisation de notre
système de santé (LMSS) précitée entend
répondre à cette exigence en prévoyant une
obligation d'étendre aux outre-mer les études
statistiques conduites dans le champ de compétence du ministère
de la santé
. Il dispose ainsi que
« à
partir du 1
er
janvier 2016, toute statistique au niveau local
publiée par les services du ministre chargé de la santé ou
par des organismes placés sous sa tutelle comporte nécessairement
des données chiffrées concernant les collectivités
régies par l'article 73 de la Constitution
».
Votre délégation a recueilli des avis nuancés à propos de l'application de cet article . La Cour des comptes a rappelé l'importance d'une mobilisation générale des pouvoirs publics sur la question ultramarine, et considéré que ce texte pouvait constituer un levier en ce sens. La DGS a indiqué que le ministère mettrait tout en oeuvre pour faire plus systématiquement des focus sur les outre-mer dans le cadre de ses travaux statistiques. La Drees du ministère de la santé a cependant souligné devant vos rapporteurs qu'elle se trouvait, en l'état actuel de ses moyens, dans l'incapacité de répondre pleinement à cette obligation législative. Une obligation de publier dans le niveau de détail demandé pourrait revenir à empêcher toute publication qui ne parviendrait pas à satisfaire à ces exigences , notamment faute de relais locaux suffisants sur le terrain.
* 30 Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.