LA DISTORSION ENTRE LA PROFUSION D'INSTANCES DE DIALOGUE ET LE RESSENTI DES ÉLUS LOCAUX
Le paysage institutionnel du dialogue entre l'État et les collectivités territoriales se caractérise aujourd'hui par un foisonnement d'instances . Concrètement, il existe de nombreuses enceintes de dialogue, parfois redondantes, mais leur fonctionnement aboutit en réalité à une dilution de la concertation entre l'État et les collectivités territoriales . On s'y perd alors que, dans les territoires, nos élus ont plus que jamais besoin d'y voir clair.
Paradoxalement, le nombre de ces instances n'est pas un gage de qualité du dialogue ; les élus locaux, alors même qu'ils sont consultés, ont souvent le sentiment de ne pas être suffisamment écoutés . Les convoquer à des réunions ne suffit pas à associer véritablement les collectivités territoriales aux décisions qui les concernent.
I. LE PAYSAGE INSTITUTIONNEL DU DIALOGUE SE CARACTÉRISE AUJOURD'HUI PAR UNE FORTE COMITOLOGIE
Il existe dans notre pays une véritable galaxie d'instances et d'organismes consultatifs qui doivent, en théorie, être des lieux de dialogue, de débat et de concertation entre les administrations de l'État, les associations représentant les collectivités territoriales et les élus locaux de chaque niveau de collectivité. Or, la superposition de toutes ces instances nationales, tel un emboitement de poupées gigognes , engendre pour les élus locaux une certaine confusion.
A. AU NIVEAU NATIONAL, IL EXISTE AUJOURD'HUI DE NOMBREUSES INSTANCES DE DIALOGUE ENTRE L'ÉTAT ET LES COLLECTIVITÉS
Dans l'optique de l'approfondissement à la fois de la décentralisation et de la déconcentration, les pouvoirs publics ont mis en place des instances multiples pour assurer un dialogue avec les territoires au service de l'efficacité des politiques publiques locales. Comme souligné devant votre délégation par Bruno Delsol, directeur général des collectivités locales : « Les nombreuses instances de dialogue au niveau national sont des points de passage obligés pour un certain nombre de projets ou de décisions qui concernent les collectivités, ce dont il faut se féliciter ». Et d'ajouter « nous avons dépassé certains sujets tels l'allégement des procédures ou l'augmentation des cas de consultations obligatoires, car avec l'approfondissement de la décentralisation, l'exercice de compétences nationales rencontre immédiatement les compétences des collectivités ».
En clair, par l'exercice même de leurs compétences (l'emploi et la formation professionnelle pour les régions, par exemple), les collectivités dialoguent de facto avec l'État.
Parallèlement, il convient de mentionner l'émergence de grandes associations de collectivités - leur montée en puissance ces dernières années est incontestable - qui participent aujourd'hui de façon privilégiée à la concertation avec l'État. Cécile Raquin, directrice adjointe de la DGCL soulignait lors de son audition : « N ous travaillons avec les grandes associations d'élus, mais la qualité du dialogue dépend des sujets. Cela peut avancer vite, comme avec la loi relative aux milieux aquatiques, mais parfois on rencontre des blocages, lorsque les sujets sont très politiques ».
1. Le rôle pivot des instances de dialogue qui dépendent du ministère de l'Intérieur
Au niveau de l'État central , si chaque ministère, dans son champ de politique publique, a la charge d'entretenir le dialogue avec les associations représentant les collectivités territoriales, c'est surtout le ministère de l'Intérieur qui joue un rôle transversal et spécifique auprès des collectivités territoriales. Une administration en particulier est au coeur du dialogue avec les collectivités territoriales : la Direction générale des collectivités locales (DGCL), placée sous la double autorité du ministre de l'Intérieur et du ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique. C'est cette direction qui assure aujourd'hui le secrétariat des nombreuses instances au coeur même du dialogue avec les collectivités territoriales. Votre délégation observe que les deux sujets majeurs de dialogue sont les finances locales et les normes . Elle relève également que la majorité de ces instances sont issues de la volonté du législateur et se félicitent qu'elles soient, pour la plupart, présidées par des élus locaux .
a) La Direction générale des collectivités territoriales : l'interlocuteur naturel des collectivités territoriales
La Direction générale des collectivités territoriales (DGCL), qui relève de l'autorité du ministère de l'Intérieur, est l'interlocuteur privilégié des collectivités territoriales . Ses différentes sous-directions élaborent l'ensemble des dispositions qui les concernent, répartissent les concours financiers de l'État entre les collectivités, et mettent en place les statuts des acteurs locaux, tant les élus que les personnels. Cette direction est assurément centrale pour les élus locaux en ce qu'elle contribue à l'aide à la décision et à l'information.
D'un point de vue fonctionnel, c'est également la DGCL qui assure le fonctionnement et le secrétariat des très nombreuses instances de dialogue entre l'État et les collectivités : Comité des finances locales, Commission consultative d'évaluation des charges, Conseil national d'évaluation des normes, Commission nationale de conciliation, Conseil supérieur de la fonction publique territoriale, Conseil national de formation des élus locaux, Commission de déontologie pour la fonction publique territoriale, Conseil national des opérations funéraires, etc.
Interrogée sur la dépendance organique de ces instances vis-à-vis des services de l'État, la DGCL estime au contraire que : « le fait pour ces organes de s'appuyer sur une administration dédiée, au sein de l'État, aux collectivités locales, constitue un véritable lien de confiance réciproque. Cette organisation originale permet à ces instances de bénéficier d'études et de simulations de qualité, et à la DGCL d'obtenir un retour critique et constructif sur ses travaux ».
b) Le Comité des finances locales : un organe efficace de co-construction des textes ayant un impact financier sur les collectivités territoriales
Envisagé comme une instance de défense des intérêts des collectivités territoriales en matière financière et budgétaire , le Comité des finances locales (CFL) est devenu au fil du temps bien plus que cela. Il doit permettre d'harmoniser les points de vue respectifs des collectivités et de l'État sur les sujets financiers .
Votre délégation juge qu'il s'agit d'une instance essentielle , compte tenu de l'importance de ces sujets, devenus cruciaux ces dernières années pour l'avenir des collectivités territoriales. Le sujet de la réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF), dont il contrôle notamment la répartition , en est une illustration. C'est ainsi, par exemple, que le CFL avait adopté, dès le 16 juillet 2015, une délibération pour fixer une méthode et un calendrier sur cette réforme qui allait directement impacter les territoires. Pas moins de six associations 1 ( * ) du bloc communal ont participé à l'élaboration de ce texte afin de repousser la réforme à 2016 et de prévoir des ajustements, démontrant l'attention scrupuleuse des collectivités.
Sa composition 2 ( * ) témoigne aussi de la volonté de rassembler, ou du moins de confronter, les points de vue : représentants des assemblées parlementaires et représentants des élus des régions, des départements, des communes et de leurs groupements, auxquels il faut ajouter les représentants de l'État. Ce dosage doit en principe permettre de prendre en compte les intérêts de chaque échelon territorial. L'équilibre entre les catégories d'élus est stable depuis 1999, date à laquelle le nombre de représentants des EPCI est passé de 6 à 7, sans diminution du nombre d'élus représentant les autres catégories de collectivités. La loi NOTRe du 7 août 2015 a également prévu la suppression au 1 er janvier 2017 de la représentation des syndicats d'agglomération nouvelle. La composition du CFL devra encore évoluer, afin de tenir compte des nouveaux schémas départementaux de coopération intercommunale (SDCI) et de la création de communes nouvelles (317 communes nouvelles depuis le 1 er janvier 2016, regroupant 1 090 anciennes communes).
Interrogée par votre délégation sur la faible présence de membres issus de communes rurales , la DGCL faisait observer : « Celles-ci bénéficient déjà de 3 sièges réservés aux communes de moins de 2 000 habitants, et sont aussi représentées par les élus d'autres catégories, notamment les présidents d'EPCI, qui intègrent des communes rurales, par les présidents de conseils départementaux ou régionaux et par les sénateurs, qui peuvent être élus de communes rurales ».
Enfin, la compétence et l'expertise des membres du CFL méritent d'être saluées. Comme l'exprimait notre collègue Marie-France Beaufils « La couleur politique de son président n'a pas d'importance, l'instance devant avant tout défendre l'intérêt financier des collectivités ». Les élus auditionnés par votre délégation reconnaissent qu'il s'agit d'un lieu privilégié pour formuler leurs doléances auprès des services de l'État , alors que les administrations peuvent de leur côté « tester » leurs propositions et recueillir les points de vue au sein d'une instance abritée de la pression des grandes réunions.
À travers ses missions, le CFL répond donc à l'impératif d'association des collectivités aux décisions qui les concernent : son pouvoir de décision et de contrôle est une réalité en matière de répartition des concours financiers de l'État aux collectivités ; son pouvoir consultatif est garanti puisque le comité est obligatoirement consulté sur tous les décrets et projets de loi à caractère financier concernant les collectivités territoriales ; son pouvoir de proposition est reconnu lorsque ses travaux, tels ceux menés entre 2011 et 2012 sur la péréquation horizontale, conduisent à de grandes réformes, en l'occurrence les nouveaux mécanismes de redistribution des ressources entre collectivités.
Plus que jamais, le rôle du CFL doit être préservé , dans un contexte marqué par une vaste réforme de la fiscalité locale, de la baisse des dotations et de la réforme de la DGF, sujets dont votre délégation s'est saisie à travers la contribution de nos collègues Philippe Dallier, Charles Guené et Jacques Mézard. Si notre collègue, le député Charles de Courson note que le « CFL est utile et a réussi à limiter les dégâts sur des dossiers d'ampleur », force est de constater toutefois que certains points restent perfectibles.
En particulier, la dépendance du CFL vis-à-vis des services de l'État en matière d'information . Dans le cadre de la réforme de la DGF à la fin de l'année dernière, les membres du CFL n'ont obtenu les simulations qu'extrêmement tardivement. « On ne s'y prendrait pas autrement pour faire échouer une réforme » , dénonçait Charles de Courson, alors qu'André Laignel se disait convaincu que « la DGCL avait reçu des consignes pour ne pas diffuser les simulations sur l'atterrissage de la réforme de la DGF à cinq ou dix ans ». Votre délégation estime qu'il est impératif que le Gouvernement joue loyalement le jeu de l'information réciproque . Notre ancien collègue Alain Lambert reconnaissait que « pour travailler sereinement, il faut une information complète et équitablement partagée » .
Votre délégation juge donc indispensable de réduire l'asymétrie d'information . Elle appelle l'administration à produire plus systématiquement en amont les données chiffrées pour que ses membres puissent prononcer un avis éclairé sur les réformes impactant les collectivités. Lors de son audition, l'AMF expliquait « lorsque l'on n'a pas d'estimation chiffrée, il est très difficile de donner un avis et se prononcer en toute connaissance de cause ». Une situation qui concerne, par exemple, le financement du RSA ou le transfert de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).
Recommandation 1 : À l'instar des études d'impact accompagnant les projets de loi, prévoir pour les services de l'État une obligation systématique de produire une évaluation chiffrée pour toutes les décisions réglementaires impactant financièrement les collectivités territoriales. |
Votre délégation se félicite toutefois de la création, par la loi NOTRe, de l'Observatoire des finances et de la gestion publique locales (OFGPL) . Cette formation spécialisée au sein du CFL s'est vue confier une double mission : d'une part, établir, collecter, analyser et mettre à jour les données et les statistiques portant sur la gestion des collectivités territoriales ; et d'autre part diffuser ses travaux en vue de favoriser le développement de bonnes pratiques. Votre délégation espère que cet organe permettra de renforcer la qualité du dialogue en accroissant encore le partage des données financières, et en développant la réalisation d'analyses et d'études conjointes entre les collectivités et l'État.
Elle relève enfin que ces derniers mois, dans le contexte de la réforme des dotations budgétaires aux collectivités, le CFL a connu une augmentation de la fréquence de ses réunions 3 ( * ) . Comme le faisait observer son président André Laignel, élu local : « Jamais le comité des finances locales n'a autant travaillé depuis 2012 ». Bruno Delsol, directeur général des collectivités territoriales confirmait ce point lors de son audition devant votre délégation : « le CFL assure actuellement un suivi de la réforme de la DGF à travers la mission parlementaire conduite par Christine Pires-Beaune et Jean Germain. Le groupe de travail qui examine les propositions s'est réuni à huit reprises entre le 31 mars et le 7 juillet 2015. La formation plénière du CFL a débattu des travaux du groupe de travail lors des séances du 2 juin et du 30 juin 2015, avant que les conclusions ne soient présentées lors de la séance plénière du 16 juillet 2015 » .
c) La Commission consultative d'évaluation des charges : un exemple de dialogue efficace pour définir les droits à compensation des collectivités
Formation restreinte du CFL, la Commission consultative d'évaluation des charges 4 ( * ) (CCEC) évalue et contrôle la compensation financière allouée aux collectivités en contrepartie des transferts de charges résultant des transferts de compétences .
Là encore, sa composition témoigne de la volonté d'associer les collectivités aux décisions financières qui les concernent : représentants de l'État et de l'ensemble des collectivités territoriales (régions, départements, communes et EPCI). Auditionnée par votre délégation, la DGCL relevait à propos de cette instance : « il s'agit d'un organisme stable, éprouvé, qui, compte tenu d'un régime juridique faiblement réglementé en matière de compensation financière des transferts de compétences, a bâti au fil du temps un régime juridique doctrinal consensuel sur la base d'échanges techniques et politiques constructifs et équilibrés ».
Dans son rapport d'activité 2005-2012 publié en 2013, la CCEC écrit qu'elle a « incontestablement facilité la mise en oeuvre de la décentralisation en faisant de ce lieu un espace d'échanges, d'information, d'explication, voire de pédagogie ». Son objectif est d'éviter tout désaccord qui nuirait à la continuité du service public transféré et irait jusqu'à une procédure de contentieux. Votre délégation note que moins de 5 % des arrêtés portant droit à compensation 5 ( * ) ont fait l'objet d'une requête au fond entre 2009 et 2015, ce qui démontre que la CCEC est parvenue à instaurer un climat durable de confiance . Depuis 2005, la CCEC s'est réunie à 65 reprises avec une moyenne de 6 ou 7 réunions par an, sur trois demi-journées, ce qui lui a permis d'examiner plus de 300 projets d'arrêtés interministériels.
La DGCL, qui assure le secrétariat de cette instance, précisait lors de son audition : « A ujourd'hui, la CCEC n'est plus consultée sur des transferts de blocs de compétences comme lors des actes I et II de la décentralisation, mais sur des transferts de compétences de faible ampleur ou sur des transferts de charges entrainés par des modifications réglementaires affectant des compétences transférées antérieurement ». Dans ce cadre, le dialogue est devenu plus technique , l'évaluation des charges réclamant une grande précision, qui impose une adaptation de ses modalités d'exercice. C'est ainsi que se développement des groupes de travail associant l'État et les collectivités territoriales (à travers les associations nationales représentatives des élus locaux), chargés d'éclairer la CCEC sur un sujet précis pour lequel un accord n'a pu être obtenu en séance.
La pratique montre que l'action des élus au sein de cette instance permet aux collectivités territoriales de rappeler l'État à ses obligations en matière de compensation financière. Que ce soit dans le cadre des transferts de compétences 6 ( * ) , des transferts de personnels 7 ( * ) , ou encore de la création de charges nouvelles 8 ( * ) , les réunions de la CCEC permettent de corriger d'éventuelles erreurs d'appréciation et autorisent d'ultimes ajustements du droit à compensation, le plus souvent à l'avantage des collectivités.
Votre délégation aurait souhaité que dans le contexte actuel de l'augmentation des charges pesant sur les collectivités territoriales, la CCEC puisse constituer un instrument privilégié de vigilance quant aux évaluations fournies par le Gouvernement, en particulier s'agissant des charges supportées par les régions en matière de formation professionnelle ou celles qui incombent aux départements en matière d'aide sociale (APA, AAH, RSA).
Interrogée sur ces aspects, la CCEC a répondu devant votre délégation qu'elle intervenait « dans le cadre contraint par l'article 72-2 de la Constitution, qui pose le principe de la neutralité des transferts de compétences et implique une évaluation du coût historique d'exercice des compétences par l'État, apprécié à la veille du transfert et garanti ensuite aux collectivités territoriales bénéficiaires ». Et que, dès lors, elle n'était donc « juridiquement compétente pour examiner à nouveau un droit à compensation validé par elle que dans le cas où des nouvelles mesures réglementaires ont modifié les conditions d'exercice de compétences transférées, occasionnant des charges nouvelles ». Elle précise toutefois : « Cela n'exclut pas l'intervention du président de la CCEC pour signaler au DGCL un problème de compensation dont une collectivité lui aurait fait part » .
d) Le conseil national d'évaluation des normes : promouvoir une vision partagée des normes entre l'État et les collectivités territoriales
Créé par la loi du 17 octobre 2013, le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics est issu de la proposition de loi sénatoriale sur la régulation des normes applicables aux collectivités locales, portée par nos collègues Jacqueline Gourault et Jean-Pierre Sueur, dont l'action mérite d'être saluée car elle a permis de remplacer l'ancienne « commission consultative » créée en 2007. La nouvelle composition 9 ( * ) du CNEN traduit le souhait d'associer pleinement les élus locaux qui constituent le collège le plus important .
Désormais, cette instance est chargée d'émettre un avis sur l'impact financier des mesures réglementaires créant ou modifiant des normes à caractère obligatoire pour les collectivités territoriales et leurs établissements, ainsi que sur l'impact technique et financier des propositions de textes communautaires sur ces entités. Bruno Delsol, directeur général des collectivités territoriales, soulignait lors de son audition la qualité du dialogue au sein de cette instance : « des pratiques sui generis témoignent de la bonne association des collectivités aux décisions qui les concernent, comme l'échec systématique des projets de normes qui ne sont pas transmis au préalable ou encore comme l'exigence d'une deuxième délibération sur un projet de norme, faculté dont il peut user » .
Au regard des contraintes gouvernementales de production des normes, le législateur a organisé un examen unique pour chaque projet de norme, sauf décision défavorable du CNEN, qui repose sur une durée de principe de 6 semaines. Concrètement, cela s'est traduit par un rythme mensuel d'organisation des séances. Interrogée sur ce rythme des réunions, la DGCL reconnait que « depuis 2008, ce positionnement a progressivement contraint les administrations de l'État à prendre conscience de la nécessité d'un dialogue avec les collectivités territoriales dès le début de la procédure afin que les mesures soient parfaitement adaptées et proportionnées à la diversité des besoins dans les territoires ».
Le CNEN est donc devenu stratégique pour les collectivités qui souhaitent être pleinement associées aux décisions de l'État . La question du coût de la déclinaison du protocole sur les parcours professionnels, les carrières et les rémunérations (PPCR) dans le versant territorial en est l'illustration, l'instance ayant finalement, après de larges débats, « validé » les textes d'application en février dernier. Autre illustration de ce caractère stratégique : les modalités d'application des normes, en particulier dans les petites communes qui disposent de moyens techniques et financiers limités. À cet égard, l'instruction du Premier ministre relative à l'interprétation facilitatrice des normes applicables aux collectivités territoriales du 18 janvier 2016 va dans le bon sens. En effet, dans cette instruction adressée aux préfets, il fait directement référence au CNEN et insiste sur la nécessité d'accompagnement et de conseil des élus par les services de l'État.
Au sein de votre délégation, le diagnostic est largement partagé sur les dégâts causés par la profusion des normes , et la nécessité de renforcer les dispositifs de lutte contre leur inflation fait l'unanimité. C'est donc tout naturellement qu'elle se félicite de l'existence de cette instance de régulation avec laquelle elle coopère régulièrement, en particulier sur le sujet ô combien important pour les élus locaux de la simplification normative .
Votre délégation a pu constater la montée en puissance de cette instance, qui ne rend pas seulement des avis sur les dispositions réglementaires en vigueur, mais qui propose aussi des modalités de simplification de ces dispositions et, le cas échéant, l'abrogation de normes devenues obsolètes. Votre délégation s'est aussi, à de nombreuses reprises, faite l'écho des doléances des élus qui se plaignent chaque jour de la complexité des normes applicables dans leurs différents domaines de compétences et surtout des coûts qu'elles entraînent, notamment pour les petites communes aux ressources techniques et financières limitées.
L'initiative de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation À l'occasion du Congrès des maires de novembre 2014, la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation a organisé une consultation en ligne sur la simplification des normes. Les élus se sont particulièrement mobilisés puisque 4 200 personnes, dont 3 500 maires, ont identifié les secteurs à simplifier en priorité selon eux : urbanisme et droit des sols (63,8 %), mise en accessibilité des établissements recevant du public (36 %), réglementation de l'achat public et environnement (24,7 %). Le Gouvernement s'était alors prononcé en faveur d'un allégement normatif. |
C'est dans ce contexte que votre délégation prend bonne note de l'élargissement des possibilités de saisines 10 ( * ) du CNEN intervenu grâce au décret du 14 janvier 2016. Désormais en effet, les autorités exécutives locales disposent d'un droit individuel 11 ( * ) à saisir le conseil . Leurs demandes d'évaluation sont ensuite adressées par le président du CNEN aux administrations compétentes, qui disposent d'un délai de trois mois pour communiquer le résultat de leur analyse. Concrètement, un maire ou un président d'intercommunalité n'aura donc plus besoin de recueillir les signatures d'autres élus pour demander la simplification ou la suppression d'une norme existante.
Votre délégation espère que cette ouverture du droit individuel de saisine aux autorités exécutives locales sera de nature à mieux associer les élus locaux à la production de normes qui impactent directement leurs collectivités. Elle s'en félicite d'autant plus que cette nouveauté reprend une de ses préconisations, portée par son président et son premier vice-président à l'occasion d'une proposition de loi sénatoriale.
La lutte contre l'inflation normative : une priorité de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation Le 24 novembre 2014, Jean-Marie Bockel, président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, et Rémy Pointereau premier vice-président, chargé de la simplification des normes, ont déposé une proposition de loi simplifiant les conditions de saisine du Conseil national d'évaluation des normes . Les auteurs regrettaient en effet « des conditions de saisine vécues comme autant d'obstacles à sa concrétisation ». Il s'agissait en particulier de la condition selon laquelle la demande devait être « présentée par au moins cent maires et présidents d'établissement public de coopération intercommunale, ou dix présidents de conseil général, ou deux présidents de conseil régional », jugée « irréaliste et rendant tout à fait improbable le fonctionnement effectif de cette modalité de saisine » ; et de la condition que la demande d'évaluation comprenne une fiche d'impact, cette dernière revenant « à faire peser sur les collectivités une obligation de pré-instruction du dossier coûteuse à satisfaire ». La proposition de loi a été adoptée par le Sénat le 20 mai 2015 et transmise à l'Assemblée nationale. Ses dispositions ont toutefois été reprises dans le décret du 14 janvier 2016. |
Votre délégation veut toutefois rester prudente car, ainsi que le soulignant la DGCL lors de son audition : « Il apparaît que ce sont moins les modalités de saisine que la capacité d'identifier les dispositions normatives réellement problématiques qui constituent un frein au processus de traitement du stock de normes. De ce point de vue, le CNEN se prépare davantage à un encombrement lié à la difficulté d'exploiter des saisines peu compréhensibles ou destinées au médiateur des normes, d'autant que leur instruction, auparavant confiée aux représentants des élus locaux membres du CNEN, s'est considérablement allégée en passant à la charge des services prescripteurs de l'État » .
Elle relève par ailleurs que le bilan du processus de simplification des normes réglementaires en vigueur (« le stock ») reste modeste ; en effet, à ce jour, deux normes ont fait l'objet de recommandations de la part du CNEN, l'une portant sur l'évaluation des normes parasismiques (délibération du 2 juillet 2015), et l'autre portant sur l'évaluation des normes relatives aux mesures en continu des dioxines et furannes pour les incinérateurs de boues d'épuration (délibération du 7 janvier 2016). Une troisième demande d'évaluation concernant la réglementation thermique 2012 a été effectuée le 9 février dernier. En vertu des nouvelles dispositions procédurales, les services compétents de l'État disposent de trois mois pour procéder à l'évaluation. Les services de la DGCL reconnaissent « À ce stade, aucune demande émanant des autorités exécutives locales n'est parvenue au CNEN. Les trois demandes d'évaluation sont le fait exclusif des membres du CNEN ».
Votre délégation veut enfin saluer l'offensive coordonnée contre l'inflation normative . Elle note que les énergies convergent vers un objectif commun qu'elle appelle de ses voeux 12 ( * ) : le choc de simplification . Elle souscrit donc pleinement à l'initiative de notre ancien collègue, Alain Lambert qui, le 12 janvier dernier, demandait aux collectivités de lui faire remonter les difficultés pratiques d'application qu'elles rencontrent : « Il appartiendra aux collectivités, pour cette nouvelle année, de se saisir de cette opportunité afin d'en faire une réussite au bénéfice de l'intérêt général ». Elle soutient également sans réserve la priorité donnée par la CNEN à la chasse à la « sur-transposition » et à la « sur-législation ».
Lors de son audition, Bruno Delsol a souhaité relativiser la responsabilité de l'administration en matière d'inflation normative : « Celle-ci dépend surtout de l'Union européenne et de la loi nationale et non d'une autoproduction de l'administration. Très souvent, les projets de décrets ne font que tenir compte d'une norme émise par un texte européen ou un texte de loi et l'administration, n'ayant quasiment aucune marge d'action, s'en tient à l'application d'une norme supérieure ». Par ailleurs, il a souligné que « le dialogue en matière de normes n'est souvent pas seulement un dialogue à deux parties entre l'État et les collectivités territoriales », mais aussi « un dialogue associant d'autres parties prenantes » , citant l'exemple de la « Commission d'examen des règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs » (CERFRES) en matière de normes sportives. Enfin, il est des sujets, selon lui, pour lesquels « les marges de manoeuvre de l'administration sont quasiment inexistantes car les normes sont imposées par la réalité de la géographie ou de l'environnement » comme « la hauteur d'eau, qui est déterminée par les marées » .
La DGCL a également fait valoir que, sur le terrain, l'inflation normative tenait aussi directement aux services techniques des collectivités et parfois même aux élus locaux . Cécile Raquin, directrice adjointe de la DGCL, notait : « Les élus locaux ont un fort besoin de sécurité juridique. Même si l'administration veut bien volontiers s'en remettre à leur appréciation et à leur bon sens, il ressort régulièrement que certains ne souhaitent pas être mis en situation de prendre leurs responsabilités car leurs décisions pourraient ensuite être soumises au juge sur fond de judiciarisation de leurs actions » . Ainsi et paradoxalement, nombre d'élus locaux ne revendiquent pas plus de liberté, mais plus de sécurité juridique, se tournant vers l'État pour réclamer davantage de normalisation.
Il est enfin ressorti des auditions de votre délégation un grand besoin d'adaptabilité des normes au niveau local . Vanik Berberian, président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), soulignait : « Les maires réclament davantage de proportionnalité et d'adaptabilité des normes. C'est une question de bon sens. Nous en arrivons parfois à des situations kafkaïennes. En voici un exemple concret, avec les normes d'accessibilité aux personnes handicapées : pour permettre un accès théorique d'un cuisinier en fauteuil roulant, une commune a dû rehausser toutes les tables de cuisine de la cantine de l'école. Résultat, ce sont maintenant tous les cuisiniers qui souffrent de problèmes de dos car les tables sont trop hautes ».
Cet exemple des difficultés d'application des prescriptions en matière d'accessibilité des personnes handicapées montre que notre pays souffre d'un manque de pragmatisme. Celui-ci conduirait par exemple à définir par la loi des objectifs généraux, et à laisser les collectivités territoriales en déterminer les modalités d'application, ce qui permettrait sans doute une traduction concrète plus rapide. Votre délégation estime qu'il convient de ne pas occulter ce débat. La décentralisation peut permettre l'adaptation des règles au plus près des besoins de nos concitoyens et de nos entreprises. Elle a toutefois conscience que la reconnaissance d'une liberté d'adaptation aux collectivités territoriales dans l'application de normes nationales doit se faire de manière ordonnée. Elle suggère de s'inspirer d'une proposition 13 ( * ) de notre collègue Yves Krattinger, qui recommandait de « définir un nouveau type de loi, la loi-cadre territoriale, qui fixera les objectifs fondamentaux et déterminera le contenu du pouvoir réglementaire local ».
Recommandation 2 : Étudier avec le Gouvernement et les associations d'élus la possibilité d'instaurer, dans un État unitaire décentralisé, un pouvoir d'adaptation législative qui pourrait s'exercer au niveau local par voie réglementaire, sous réserve qu'il soit explicitement prévu par la loi. |
e) Le « Dialogue national des territoires » : faire disparaitre le scénario catastrophe de la Conférence nationale des exécutifs
Le 4 octobre 2007, le Premier ministre installait la Conférence nationale des exécutifs 14 ( * ) (CNE) afin d'améliorer les conditions du dialogue entre l'État et les collectivités territoriales. Cet outil partenarial au plus haut niveau entre le Gouvernement et les exécutifs locaux nourrissait tous les espoirs. À l'époque, on saluait un lieu de concertation pour mener les grandes réformes engagées dans le domaine des finances, de la fonction publique ou de l'environnement.
Or, dans les faits, la CNE n'avait aucune existence juridique , ses missions n'étaient pas clairement définies et les représentants des collectivités territoriales n'avaient aucun pouvoir de définition de l'ordre du jour ou de proposition. En outre, certaines associations, telle l'Association des maires ruraux, en avaient été écartées. En clair, son fonctionnement dépendait du bon vouloir du Gouvernement , ce qui, là encore, témoigne de la part de l'État d'une confusion entre dialogue et proclamation .
Votre délégation observe d'ailleurs que, lors de sa première réunion, le Premier ministre avait posé parmi les axes de travail : « Une meilleure association des collectivités territoriales à la définition et à l'élaboration des normes qui les concernent » ainsi qu'une « réflexion sur la réforme de la fiscalité locale » . Le ton était donné, puisqu'il s'agissait précisément des missions respectives du CNEN et du CFL. Aussi les interférences étaient-elles inévitables. Cet exemple montre que notre pays doit impérativement sortir de cette habitude d'empiler les structures et de doublonner les instances, sous peine d'installer une confusion des responsabilités dans le paysage politico-administratif.
Le scénario catastrophe était donc prévisible, ce qui a été constaté en 2011 par un rapport de nos collègues Jacqueline Gourault et Didier Guillaume au nom de votre délégation. Entre 2007 et 2011, la CNE n'a enregistré que cinq réunions, jusqu'à ce que le Gouvernement, le 23 février 2011, en rénove le fonctionnement afin d'en faire « une instance de discussion et d'échanges de vues réguliers », selon le ministre de l'époque Philippe Richert. La CNE a été dotée d'un secrétariat permanent, assuré par la DGCL, d'un ordre du jour partagé et de nouvelles missions, suivant en ce sens les préconisations du rapport précité, ce dont se félicite votre délégation.
Hélas, les espoirs ont été déçus et la CNE s'est progressivement muée en une instance de « Dialogue national des territoires 15 ( * ) », réunie seulement deux fois en un an , depuis sa première session le 10 février 2015, et sans aboutir à des conclusions significatives. Là encore, le Gouvernement avait été clair : l'instance n'a pas vocation à absorber le CFL ou le CNEN, mais doit permettre d'évoquer « au plus haut niveau » des sujets tels que la réforme territoriale, certaines compétences comme la gestion des milieux aquatiques, la lutte contre les normes ou encore les dotations de l'État aux collectivités. Cependant, au vu de la fréquence de ses réunions, l'efficacité de cette nouvelle instance reste à démontrer.
La seconde réunion, le 15 juillet 2015, a débouché sur la création de deux groupes de travail , l'un sur le développement de l'administration numérique , et l'autre sur la mise en place d'un groupe de suivi des réformes , tout particulièrement pour la fusion des régions et l'évolution de la carte intercommunale. Il n'est pas improbable que ce « dialogue national des territoires » (DNT) subisse une évolution analogue à celle de la Conférence nationale des exécutifs.
Votre délégation émettra donc une recommandation afin que le Sénat reprenne en main la structuration du dialogue entre l'État et les collectivités à travers la Conférence des collectivités territoriales.
2. Au niveau national, le dialogue avec les collectivités se structure aujourd'hui autour d'instances trop nombreuses
a) Une profusion d'instances nuisible à la lisibilité et à la cohérence des orientations
Il ressort des auditions menées par votre délégation un constat quasi unanime : il existe aujourd'hui, au niveau national, trop d'instances de concertation . La création de conseils ou de comités locaux de concertation propres à chaque champ d'activité a conduit à l'existence d'un très grand nombre d'organismes. Ce qui semble a priori un point positif occasionne en réalité de nombreuses difficultés : la multiplication des structures et des réunions disperse la réflexion. « On voudrait tuer la concertation qu'on ne s'y prendrait pas autrement » déplorait devant votre délégation François Deluga, membre du bureau exécutif de l'AMF, pour qui « il existe aujourd'hui trop de structures de dialogue avec l'État. L'AMF désigne des personnalités qualifiées dans plus de 400 instances de concertation au niveau national ! Le meilleur moyen de ne pas faire de concertation c'est d'en faire trop », « trop de dialogue tue le dialogue » . Et d'ajouter : « Ce nombre de désignations illustre le problème du nombre de commissions et organismes censés incarner la concertation. Dès le 26 juin 2014, l'AMF avait saisi sur ce sujet Thierry Mandon, alors secrétaire d'État chargé de la réforme de l'État et de la simplification, mais cette saisine est restée lettre morte ».
Votre délégation a souhaité publier un extrait de ce courrier de saisine du ministre, adressé à l'époque par Jacques Pélissard : « Monsieur le ministre [...] , au lendemain du renouvellement des conseillers municipaux et communautaires, je tenais d'ores et déjà à appeler votre attention sur les multiples instances dans lesquelles les élus sont appelés à siéger et sur les modalités de désignation dans certaines d'entre elles. Le constat est en contradiction flagrante avec le choc de simplification voulu par le Gouvernement et auxquels l'AMF est très attachée. Rien qu'au niveau national, l'AMF est amené à désigner des élus dans près de 400 commissions, conseils, comités, offices , etc., dont la pertinence et l'utilité sont loin d'être avérées [...] . Je demande au Gouvernement d'engager, avec les associations représentatives, une remise à plat de toutes ces commissions et organismes, de nombreux élus se plaignant de ne pas être vraiment associés aux décisions prises , ce qui fait douter de la réelle utilité de ces organismes par rapport au temps passé, aux distances parcourues et aux frais engagés ». Votre délégation, grâce au concours de l'AMF, a d'ailleurs voulu communiquer en annexe du présent rapport la liste exhaustive de ces instances 16 ( * ) .
Le constat est donc sans appel. Il y a aujourd'hui trop de structures, qui n'ont pas assez de moyens et qui ne disposent pas du temps nécessaire . Pour François Deluga, « La multiplication des structures de concertation - qui doivent chacune rendre un avis - complexifie en réalité les procédures et aboutit à faire échouer les décisions ».
Par ailleurs, la composition de ces organismes n'est pas toujours adaptée à une juste représentation des élus locaux . Dans certains d'entre eux, les représentants de la « société civile », d'associations, d'experts, etc. sont en nombre important, déséquilibrant le poids des points de vue respectifs. Votre délégation tient à rappeler que, dans la plupart des cas, les collectivités territoriales sont les metteurs en oeuvre et les financeurs des mesures discutées et que, par conséquent, leur voix devrait être prépondérante.
Recommandation 3 : Prévoir, dans toutes les instances de concertation ou de dialogue entre l'État et les collectivités territoriales associant des représentants de la société civile, une voix prépondérante au collège des élus locaux par rapport aux autres collèges, lorsque des décisions sont prises. |
En outre, le nombre d'élus pouvant siéger dans ces organismes n'étant pas extensible, on constate un fort absentéisme , qui rend la concertation tout à fait illusoire. Comme le déplore l'AMF, « Force est de constater que le collège des élus est souvent le moins nombreux lors des réunions de concertation » . L'absentéisme des élus est regrettable, mais s'explique par de nombreuses raisons :
- ils sont démotivés pour participer à des réunions dont ils ne perçoivent pas l'intérêt , et où ils ont l'impression de ne jouer aucun rôle utile ;
- les délais de convocation aux réunions sont souvent trop courts , leur parvenant parfois la veille de leur déroulement, voire le jour-même ;
- les jours d'organisation des réunions nationales ne sont pas toujours adaptés aux agendas des élus locaux qui doivent être présents sur le terrain la majeure partie du temps ;
- les frais de déplacement, d'hébergement et de restauration ne font que rarement l'objet de remboursement, ce qui aboutit à des avances de sommes non négligeables in fine .
Ce dernier point est crucial, car cette situation aboutit à demander à l'élu de financer lui-même sa participation aux structures de concertation. À long terme, seuls les grands élus qui disposent de moyens pourront se déplacer. Le risque est de voir les élus de petites communes ou de communes rurales exclus de la concertation avec l'État. C'est pourquoi votre délégation recommande une meilleure prise en charge des frais induits pour les élus locaux.
Recommandation 4 : Prévoir, dans toutes les instances de concertation ou de dialogue entre l'État et les collectivités territoriales, le remboursement intégral des frais de déplacement, d'hébergement et de restauration pour les élus chargés d'y siéger. |
En définitive, votre délégation veut souligner que l'efficacité des réunions de travail - et donc la qualité de la concertation - dépend d'une bonne préparation en amont . Cela suppose un calendrier établi à l'avance, des ordres du jour co-élaborés et transmis bien en amont des réunions, des échanges possibles avant la réunion avec les services instructeurs, et des relevés de décision ou comptes rendus clairs, rapides et partagés.
Ces conditions plaident évidement pour une réduction du nombre d'organismes de consultation ou de concertation au niveau national . Mieux vaut en avoir moins, mais que ceux qui demeurent soient dotés de davantage de moyens. Leurs travaux gagneraient sans doute en qualité et en efficacité.
Recommandation 5 : Réduire le nombre d'instances nationales de concertation entre l'État et les collectivités territoriales en ne conservant qu'un seul organisme par grand domaine de compétence, et en leur concédant des moyens d'organisation et de fonctionnement adaptés. |
Ce travail de remise à plat de ces trop nombreuses instances doit être engagé en concertation avec les grandes associations d'élus, comme elles le suggèrent elles-mêmes opportunément.
b) Les grandes associations de collectivités : une aide à la structuration du dialogue avec l'État et un rôle d'alerte
Il faut se féliciter qu'au niveau national les grandes associations de collectivités soient devenues, au fil du temps, une courroie de transmission indispensable dans le dialogue avec l'État. En structurant la voix des collectivités, ces associations ont désormais un rôle fédérateur et autorisent une meilleure association des collectivités aux décisions qui les concernent.
Pour ce qui concerne les collectivités du bloc communal par exemple, l'AMF, association la plus représentative des communes et des intercommunalités, compte aujourd'hui 36 000 adhérents. Votre délégation salue son rôle fédérateur , rôle qui est d'ailleurs intégré dans son mode d'organisation puisque les présidents d'autres associations d'élus plus « sectorielles » sont membres associés de l'association. Des commissions communes existent entre l'AMF et l'AMIF 17 ( * ) , par exemple (commission « Grand Paris ») ou entre l'AMF, France Urbaine 18 ( * ) et Villes et Banlieues 19 ( * ) (commission politique de la ville et cohésion sociale).
L'ADF n'est pas en reste grâce à sa mission de conseil et de prospective auprès des départements qui le demandent. Elle peut ainsi réaliser des études ou fournir des analyses sur de nombreux sujets, d'ordre financier, juridique et technique. Lors de son audition devant votre délégation, elle indiquait, par exemple, « actuellement, le suivi des politiques sociales 20 ( * ) ainsi que le suivi de l'application de la réforme territoriale sont deux grands chantiers que l'ADF suit attentivement pour le compte des départements ». En interne, l'ADF a également mis en place et anime 12 commissions thématiques, ouvertes en priorité aux élus départementaux (finances, aménagement du territoire, solidarité et affaires sociales...). Présidées chacune par un président de département, ces commissions ont pour objectif d'évaluer les politiques publiques départementales ou d'assurer le suivi d'une réglementation particulière. Son président Dominique Bussereau sollicite aussi, à intervalles réguliers, l'ensemble des présidents de départements de manière directe sur les grands sujets en discussion. Enfin, différentes publications sont éditées et diffusées par l'ADF à l'ensemble des départements (lettre hebdomadaire « Flash hebdo ») afin de partager expertises et analyses en lien avec l'actualité des départements et leurs compétences. Votre délégation se félicite, là encore, de l'action de cette association , qui représente une institution de proximité, un facteur de cohésion et un garant des solidarités sociales et humaines.
Du coté des régions, l'Association des régions de France (ARF) est devenue une courroie de transmission essentielle. Comme le soulignait notre ancien collègue Philippe Richert, président de la région Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine et président de l'ARF, « Dans le prolongement de la loi NOTRe, les régions sont désormais les actrices incontournables des politiques de formation, d'apprentissage et du développement économique nécessaires à un accompagnement vers l'emploi efficace. Fortes de cette nouvelle responsabilité et dans un souci de mobiliser toutes les énergies contre le chômage, les régions se sont d'ores et déjà engagées en faveur du plan d'urgence proposé par le Président de la République et en porteront notamment le volet 500 000 formations ». Signe de la bonne santé du dialogue entre l'État et les régions et afin d'accroître cette dynamique, le Gouvernement et l'ARF ont traduit leurs engagements réciproques au sein d'une plate-forme qui doit permettre aux élus régionaux, aux services de l'État et à ses opérateurs de travailler ensemble et au plus près des besoins et des initiatives locales. Votre délégation salue le déploiement de tels outils de dialogue .
À côté de ces grandes associations de collectivités qui représentent, au sens de l'article 72 de la Constitution, les « collectivités territoriales de la République », votre délégation se félicite de l'existence de ce tissu d'associations qui incarnent la diversité de nos communes, qu'elles soient petites (l'Association des petites villes de France), moyennes (Villes de France se substituant à la Fédération des villes moyennes), rurales (l'Association des maires ruraux de France), de banlieues (l'Association des maires Ville et Banlieue de France), à secteurs sauvegardés et protégés (l'Association nationale des Villes et Pays d'art et d'histoire), de montagne (l'Association nationale des élus de Montagne), du littoral (l'Association nationale des élus du Littoral), forestières (Fédération nationale des communes Forestières) ou les intercommunalités (l'Assemblée des communautés de France).
Votre délégation salue aussi le volontarisme des élus locaux, car certaines de ces associations ont engagé des travaux en commun et ont fait des propositions concertées, malgré des intérêts par nature divergents. Enfin, elle est consciente du risque de « fragmentation de la représentation » évoqué par notre collègue René Vandierendonck, rapporteur au Sénat de la loi MAPTAM : « il y a aujourd'hui une trop grande stratification des associations d'élus. Cette stratification excessive pollue le débat et fragmente la représentation des communes ». Selon lui, « les élus en deviennent schizophrènes » . Votre délégation estime néanmoins que ces associations représentent aujourd'hui la diversité des territoires et permettent surtout de structurer la concertation avec l'État sur des thématiques particulières. Elle fera d'ailleurs une recommandation afin de préserver leur rôle et de s'inspirer des expériences actuellement déployées avec succès dans le cadre de l'ARF.
* 1 AMF, AMGVF, ACUF, APVF, ADCF et Villes de France, à l'exception de l'Association des maires ruraux.
* 2 L'article L. 1211-2 du CGCT fixe la composition du CFL : 32 élus (et 32 suppléants) et 11 représentants de l'État, le comité étant présidé par un élu. Les élus sont ainsi répartis : 2 députés, 2 sénateurs, 2 présidents de conseils régionaux, 4 présidents de conseils départementaux, 7 présidents d'EPCI et 15 maires.
* 3 Depuis 1987, le CFL s'est réuni en moyenne six à sept fois par an, avec au minimum quatre séances et au maximum dix séances. Son agenda est jalonné de rendez-vous annuels récurrents, permettant à l'État et aux collectivités d'entretenir un dialogue suivi et constructif sur les dotations de l'État et sur les évolutions législatives ayant un impact sur les finances locales.
* 4 La CCEC a été créée par la loi du 7 janvier 1983, lors de l'acte I de la décentralisation.
* 5 Entre 2009 et 2015, 236 arrêtés portant droit à compensation ont été publiés.
* 6 Par exemple, les transferts dans le domaine de la formation professionnelle au profit des régions, organisés par la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.
* 7 En 2009, c'est le sujet sensible de la compensation des emplois vacants intermédiaires et des postes disparus, due au titre du transfert des personnels des affaires sociales, qui a été réglé au sein de la commission alors qu'il faisait l'objet de désaccords persistants.
* 8 Comme l'illustre la saisine du CCEC, en 2010 et 2011, du cas d'extension de compétence des régions en matière d'apprentissage suite à la suppression de la limite d'âge pour l'accès des travailleurs handicapés au contrat d'apprentissage, introduite par la loi de finances pour 2009.
* 9 36 membres, dont 23 représentants des collectivités territoriales, 4 représentants du Parlement et 9 représentants des administrations compétentes de l'État.
* 10 Rappelons que le Conseil national pouvait être saisi d'une demande d'évaluation des normes sur demande motivée par un ou plusieurs de ses membres, mais aussi par le Gouvernement, les commissions permanentes de l'Assemblée nationale et du Sénat, ainsi que les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre.
* 11 En vertu du nouvel article R. 1213-29 du Code général des collectivités territoriales, le CNEN peut être saisi d'une demande d'évaluation de normes réglementaires en vigueur applicables aux collectivités territoriales ou aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre par un maire, un président d'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, un président de conseil départemental ou un président de conseil régional.
* 12 Les 12 et 13 janvier 2016, le Sénat a adopté deux textes issus des travaux de simplification normative de la délégation : la proposition de loi constitutionnelle tendant à favoriser la simplification du droit pour les collectivités territoriales et à encadrer la transposition des directives européennes ; la proposition de résolution tendant à limiter le poids de la réglementation applicable aux collectivités territoriales et à simplifier certaines normes réglementaires relatives à l'urbanisme et à la construction.
* 13 Rapport « Avenir de l'organisation décentralisée de la République », fait au nom de la mission commune d'information et déposé le 8 octobre 2013.
* 14 La CNE était présidée par le Premier ministre accompagné des ministres de l'Intérieur, de l'Écologie, de l'Économie, du Budget et du secrétaire d'État aux Affaires européennes, siégeant aux cotés des présidents du CFL et du CSFPT. La vice-présidence était assurée par les présidents des trois grandes associations nationales d'élus (AMF, ADF, ARF), chacune étant représentée par six membres.
* 15 Préconisé par le rapport Malvy-Lambert, en avril 2014, après la suppression du Haut conseil des territoires par le Sénat quelques mois plus tôt, le nouveau Dialogue national des territoires (DNT) était installé par Marylise Lebranchu, ministre de la Décentralisation et de la Fonction publique, et André Vallini, secrétaire d'État à la Réforme territoriale, en présence des présidents de dix associations d'élus locaux.
* 16 Cf. en annexe.
* 17 L'Association des maires d'Île-de-France.
* 18 Issue de la fusion de l'Association des maires des grandes villes (AMGVF) et de l'Association des communautés urbaines (ACUF).
* 19 L'Association des Maires Ville et Banlieue de France existe depuis 1983 et rassemble des villes de 5 000 à 100 000 habitants, des agglomérations de périphérie.
* 20 Comme en témoigne le groupe de travail chargé de la négociation avec l'État du financement des allocations individuelles de solidarité.