TROISIÈME PARTIE : POURRA-T-ON ÉVITER UNE GUERRE DE L'EAU ?
« Chacun tire l'eau vers son moulin
et laisse
à sec son voisin. »
Proverbe catalan
On l'a vu, l'eau est le « patrimoine commun de la Nation » . C'est une ressource qui n'appartient à personne et est la propriété de tous.
Son usage premier, le plus évident, est celui destiné à la consommation humaine, sous forme d'eau potable ou rendue potable. Mais d'autres activités requièrent également des quantités d'eau importantes, au premier rang desquelles l'agriculture ou la production d'énergie, toutes deux indispensables à la survie de la population. L'eau est alors retirée du milieu naturel, prélevée dans les rivières, les fleuves, les nappes alluviales, les nappes souterraines ou les lacs.
La diminution de la ressource va entraîner, à terme plus ou moins rapproché, la cristallisation de conflits d'usages. Comment les arbitrer , dans le cadre de l'article L. 211-1 du code de l'environnement qui impose « une gestion équilibrée et durable de la ressource », prenant « en compte les adaptations nécessaires au changement climatique » ?
I. LES USAGES EN CONCURRENCE
A. PEUT-ON HIÉRARCHISER LES BESOINS ?
1. Prélèvements et consommations
Les quatre grands postes de prélèvements de la ressource eau correspondent à l'eau potable, à l'énergie, à l'industrie et à l'agriculture.
Parmi les quantités prélevées au milieu 70 ( * ) , il faut distinguer ce qui relève de la consommation brute , c'est-à-dire le volume prélevé mais dont une partie retourne ensuite au milieu naturel, et de la consommation nette , c'est-à-dire le volume réellement consommé, absorbé, et qui n'est pas restitué au milieu après utilisation.
Deux illustrations rendront compte de la différence qui résulte de ces deux types de mesures :
• le secteur énergétique a une consommation brute importante, plus de 60 % des prélèvements, mais une consommation nette faible, de l'ordre de 22 %. Autrement dit, s'il prélève beaucoup d'eau au milieu, presque toute cette eau lui est ensuite restituée, même si c'est avec des caractéristiques modifiées, en termes notamment de température et de qualité ;
• a contrario , l'agriculture irriguée affiche une consommation brute mesurée - environ 10 % du volume total - mais une consommation nette très importante. L'eau d'irrigation agricole est véritablement consommée car elle est ensuite transpirée par la végétation. Elle retourne donc à l'atmosphère et non pas au milieu naturel, ce qui explique pourquoi le secteur agricole est un gros consommateur d'eau. L'eau de pluie utilisée directement par les cultures n'est pas comptabilisée.
2. Conflits d'usages ou pics d'usages ?
Il est évident que les conflits d'usages dans le domaine de l'eau ont toujours existé et ne cesseront jamais. On peut les résumer ainsi : « La dimension conflictuelle est toujours présentée comme essentielle dans les processus d'aménagement du territoire, de développement régional ou de gestion des diverses fonctionnalités locales, que l'on s'intéresse aux activités liées à l'agriculture et à l'eau, à la mise en place d'infrastructures publiques, à la gestion des pollutions et de leurs conséquences, aux problèmes d'économie résidentielle et de périurbanisation, ou encore aux effets de l'accroissement de la pression touristique dans des zones littorales ou de montagne.
« Les espaces ruraux, naturels et périurbains apparaissent aujourd'hui comme des réceptacles importants de tensions et conflits en raison de leur caractère multifonctionnel. En effet, on considère souvent qu'ils servent de support à trois types de fonctions, qui induisent des usages concurrents et, partant, des divergences et des oppositions entre les acteurs économiques et sociaux locaux : une fonction économique ou de production, une fonction résidentielle et récréative (la campagne comme cadre de vie, qu'il s'agisse d'un habitat permanent ou temporaire) et une fonction de conservation (protection de la biodiversité, du patrimoine naturel, culturel et paysager) 73 ( * ) . »
Le dérèglement climatique va nécessairement accentuer les tensions et accroître les conflits d'usages. Plus que de « conflits », il faudrait d'ailleurs parler plutôt de « pics » d'usages, pour souligner que ces tensions s'exacerberont à des moments où la ressource en eau se fera la plus rare, c'est-à-dire en période estivale et dans les zones les plus peuplées.
Quelques conflits d'usages déjà vécus agriculture versus pêche agriculture versus associations environnementales hydroélectricité versus associations environnementales hydroélectricité versus sports d'eau agriculture versus sports d'eau agriculture versus arrosage public, golfs et piscines |
* 70 Il est à noter que les données peuvent sensiblement varier d'un organisme à un autre.
* 71 L'eau et les milieux aquatiques : chiffres clés - CGDD - Édition 2016.
* 72 Rapport annuel 2010 - L'Eau et son droit - Considérations générales.
* 73 Conflits et tensions autour des usages de l'espace dans les territoires ruraux et périurbains. Le cas de six zones géographiques françaises - Revue d'économie régionale et urbaine n° 3 - 2006.