PREMIÈRE PARTIE - LES OBJECTIFS INITIAUX DU RAPPROCHEMENT
En annonçant le rapprochement de l'Agence française de développement du groupe de la Caisse des dépôts, le Président de la République a énoncé un double objectif :
- renforcer les moyens de l'agence pour pouvoir annoncer une augmentation de ses engagements ;
- faire de la CDC une des plus importantes institutions financières publiques européennes, présente dans le monde entier, et mettre en oeuvre les synergies qui existent entre les deux entités.
I. UN IMPÉRATIF : AUGMENTER LES FONDS PROPRES DE L'AGENCE FRANÇAISE DE DÉVELOPPEMENT
La question des fonds propres de l'AFD constitue un problème récurrent depuis quelques années, qui limite d'ores-et-déjà son action dans certains pays et dont l'acuité ne fera qu'augmenter avec la perspective d'une hausse importante de ses engagements.
A. L'AFD : UN ÉTABLISSEMENT DE CRÉDIT SOUMIS POUR L'ESSENTIEL AUX RÈGLES PRUDENTIELLES DE DROIT COMMUN
1. L'AFD est soumise aux règles prudentielles de droit commun concernant les établissements de crédit
L'Agence française de développement (AFD) a été agréée à l'origine en qualité d'institution financière spécialisée, catégorie spécifique d'établissements de crédit regroupant les organismes créés par l'État et auxquels sont confiées des missions publiques. Avec la mise en oeuvre du nouveau cadre de règlementation bancaire (cf. infra ), l'agence est réputée être agréée en qualité d'établissement de crédit spécialisé (ECS) depuis le 1 er janvier 2014, tel que défini à l'article L. 511-9 du code monétaire et financier.
En tant qu'établissement de crédit spécialisé, l'AFD est assujettie aux règles prudentielles de droit commun applicables aux établissements de crédit, définies par la directive CRD-IV ( Capital Requirements Directive IV) 1 ( * ) et par le règlement CRR ( Capital Requirement Regulation ) 2 ( * ) , qui ont transposé les règles communément dénommées « Bâle III ». Celles-ci s'appliquent notamment en matière de gouvernance, de contrôle interne, de solvabilité, de liquidité et de grands risques.
Les ratios de solvabilité et de division des risques encadrent directement la capacité d'action de l'AFD, dans la mesure où la réglementation bancaire impose, pour sécuriser les créanciers, que celle-ci dispose de fonds propres en quantité suffisante pour affronter les différents risques qu'elle encourt .
a) Les modalités de calcul des fonds propres réglementaires
Les fonds propres réglementaires sont des ressources inscrites au passif du bilan des banques, appartenant aux actionnaires - capitaux propres comptables - ou à des tiers qui acceptent une subordination très forte de leurs créances, ce qui permet de les considérer comme des « quasi fonds propres ». Pour refléter ce degré de subordination, la réglementation distingue plusieurs catégories de fonds propres, de « qualité » différente :
- CET 1 ( common equity tier 1 ) : fonds propres durs et non remboursables ;
- Additionnal Tier 1 : ressources remboursables hautement subordonnées ; elles ne donnent droit ni à intérêts, ni à remboursement garanti pour le prêteur, si le ratio de fonds propres de l'établissement est en deçà d'un certain seuil, le « point de non viabilité », fixé à 5,125 % actuellement ;
- Tier 2 : ressources remboursables, correspondant à des titres subordonnés.
Le Tier 1 est égal à l'addition du CET 1 et de l' additionnal tier 1 . Les fonds propres règlementaires sont égaux à l'addition du tier 1 et du tier 2 , ces derniers n'étant cependant pris en compte que dans une certaine proportion en matière de couverture des grands risques.
Les règles bancaires de « Bâle III » ont fortement durci les modalités de prise en compte des participations financières dans le calcul des fonds propres, afin de de lutter contre l'interdépendance et la contagion en cas de crise. De même, les participations minoritaires des filiales sociétés de financement, jusqu'ici pris en compte dans les fonds propres de la maison-mère, ne seraient progressivement plus admises dans le calcul des fonds propres. Pour l'AFD, ceci signifierait une diminution de 260 millions d'euros de ses fonds propres, correspondant à sa participation dans Proparco.
b) Le calcul des ratios de solvabilité, dont les règles ont été considérablement durcies par « Bâle III »
Le ratio de solvabilité se calcule en divisant les fonds propres d'un établissement par ses actifs pondérés par le risque : en d'autres termes, il faut disposer de fonds propres plus importants pour des actifs plus risqués. Un niveau global d'exigence est déterminé mais également des niveaux planchers intermédiaires pour chaque catégorie de fonds propres (CET 1, tier 1 et ratio global).
La règlementation bancaire s'est considérablement durcie depuis la crise bancaire de 2008-2009 et l'adoption des règles dites de « Bâle III ». Celles-ci ont notamment prévu une augmentation progressive du niveau de fonds propres nécessaires, à risque égal, et une réduction progressive du champ des titres éligibles à la qualité de fonds propres.
Évolution des exigences règlementaires en termes de ratios de solvabilité
Jusqu'en 2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
À compter de 2019 |
|
CET 1 |
2,00 % |
4,00 % |
4,50 % |
5,125 % |
5,75 % |
6,375 % |
7,00 % |
Tier 1 |
4,00 % |
5,50 % |
6,00 % |
6,625 % |
7,25 % |
7,875 % |
8,50 % |
Fonds propres |
8,00 % |
8,00 % |
8,00 % |
8,625 % |
9,250 % |
9,875 % |
10,50 % |
Source : commission des finances du Sénat
Le passage des règles « Bâle II » à « Bâle III » implique notamment :
- une augmentation de plus d'un quart de l'exigence de fonds propres , dans la mesure où le ratio global passe de 8 % à 10,5 %, à laquelle peuvent s'ajouter des exigences supplémentaires propres à l'établissement considéré (« pilier 2 »), au titre du risque systémique ou individuel qu'il présente ;
- une augmentation sensible de la qualité des fonds propres : le CET 1 devra représenter à terme les deux tiers des fonds propres contre un quart jusqu'en 2013.
Durcissement des exigences de fonds propres
prévues par « Bâle III »
pour un
même risque
Source : commission des finances du Sénat
c) Le ratio grands risques
Le ratio grands risques impose que les risques portés sur une contrepartie n'excèdent pas 25 % des fonds propres. Pour la circonstance, les fonds propres réglementaires sont pris en compte de façon plus restrictive : le tier 2 n'est pris en compte qu'à concurrence d'une fraction du tier 1 , conformément au tableau ci-dessous.
Évolution des exigences règlementaires en termes de ratio grands risques
Jusqu'en 2014 |
2015 |
2016 |
À compter
|
|
Fonds propres pris en compte |
Tier 1 + tier 2 limité à 100 % du tier 1 |
Tier 1
+
tier 2
limité à 75 %
|
Tier 1
+
tier 2
limité à 50 %
|
Tier 1
+
tier 2
limité à 33 %
|
Source : commission des finances du Sénat
Le comité de Bâle sur le contrôle bancaire Créé en 1975 et hébergé par la Banque des règlements internationaux à Bâle, le comité de Bâle sur le contrôle bancaire (CBCB) est un groupe de travail composé de représentants (banques centrales, régulateurs, Trésors) de vingt-sept pays, dont l'objectif est de promouvoir et de renforcer les pratiques de surveillance du secteur bancaire au niveau international. Dans le cadre de cette mission générale, le comité de Bâle publie des recommandations internationales en matière d'exigences prudentielles, notamment de fonds propres : les premières furent publiées en 1988 (Bâle I), les deuxièmes en 2004 (Bâle II). Sous l'impulsion du G 20, le comité de Bâle a publié en décembre 2010 de nouvelles recommandations prudentielles tirant les leçons de la crise financière ( Bâle III ). Source : Rapport n° 422 (2012-2013) de Richard Yung, au nom de la commission des finances, sur le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires (12 mars 2013) |
2. Les règles internes complémentaires mises en place par l'AFD
Aux règles bancaires de droit commun, s'ajoutent des règles internes que s'est elle-même fixées l'AFD, approuvées par son conseil d'administration. Celles-ci comprennent notamment :
- des limites « par géographie » , c'est-à-dire essentiellement par pays (mais la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie sont considérées comme des « géographies ») :
o les risques non-souverains pondérés par géographie ne peuvent dépasser 30 % des fonds propres consolidés de référence du groupe 3 ( * ) (1 530 millions d'euros) ;
o les risques souverains et non-souverains, par géographie, ne peuvent dépasser 15 % du total du risque pondéré sur les États étrangers (soit 5 855 millions d'euros), afin de contraindre à une diversification du portefeuille ;
- une limite sectorielle , les risques sur les établissements de crédit ne pouvant dépasser 50 % du total des risques non-souverains pondérés sur les États étrangers (soit 10 457 millions d'euros) ;
- des limites par contrepartie :
o le risque sur une contrepartie non-souveraine ne peut dépasser 10 % des fonds propres consolidés de référence du groupe ; cette limite est de 20 % pour les groupes bancaires dont le siège social est situé en France métropolitaine ;
o le risque sur une contrepartie souveraine est limité à 25 % des fonds propres (soit la limite réglementaire), cette règle étant complétée par des seuils d'alerte à 15 % (pour les États dont le risque est noté 4 4 ( * ) ) et à 8 % (pour les États dont le risque est noté 5 2 ).
3. Un principe de non garantie par l'État des risques portés par l'AFD, qui souffre quelques exceptions
Le principe général est celui d'une absence de garantie de l'État sur les créances portées par l'AFD, à quelques exceptions près.
a) Les garantie formelle de l'État sur certains encours
L'AFD bénéficie d'une garantie explicite de l'État sur un nombre limité de créances, qui représentent un encours total de 3 milliards d'euros . Il s'agit d'opérations réalisées par l'AFD, mais pour le compte et aux risques de l'État, telles que des prêts accordés à des organismes internationaux et des prêts bilatéraux, ou dans le cadre des « contrats de désendettement et de développement » (C2D). Ces garanties formelles de l'État sont accordées en loi de finances et sont détaillées dans le tableau ci-dessous.
Pour le calcul des exigences réglementaires en fonds propres, il est tenu compte de la garantie de l'État sur ces crédits, qui portent donc un risque nul .
Garanties accordées par l'État à l'AFD en loi de finances Font l'objet d'une garantie explicite de l'État : - les emprunts contractés par les États liés à la France en Afrique subsaharienne ou dans l'océan indien pour le financement de leur programme de développement économique ou de redressement financier, en particulier les emprunts destinés à financer les facilités de prêt concessionnel du FMI aux pays pauvres et les prêts d'ajustement structurel (441 millions d'euros garantis en capital) ; - les prêts accordés à la République du Liban dans le cadre du programme de refinancement de dette (dans la limite de 500 millions d'euros) ; - les prêts consentis à la République du Liban par l'AFD dans le cadre de la conférence de soutien au Liban du 25 janvier 2007 (dans la limite de 375 millions d'euros) ; - le prêt consenti à l'Office national des chemins de fer marocains pour la construction de la section Tanger/Kenitra de la ligne TGV qui reliera Casablanca à Tanger (dans la limite de 220 millions d'euros) ; - les prêts accordés aux États étrangers bénéficiant de l'initiative bilatérale additionnelle d'annulation de la dette des pays pauvres très endettés (dans la limite de 1,1 milliard d'euros) ; - la première émission obligataire de la Facilité de paiement de financement international pour la vaccination (sous certaines conditions et dans la limite de 372,8 millions d'euros) ; - les prêts consentis au Fonds pour les technologies propres administré par la Banque internationale de reconstruction et de développement (BIRD), dans la limite de 203 millions d'euros ; - le prêt consenti au compte Facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance et facilité et protection contre les chocs exogènes du Fonds monétaire international (dans la limite de 670 millions de droits de tirage spéciaux) ; - le prêt consenti au « Fonds vert pour le climat » mis en oeuvre en application de la convention des Nations unies sur les changements climatiques (dans la limite de 285 millions d'euros en principal). Source : Compte général de l'État 2014 (p. 174) |
b) Le « compte de réserve », mécanisme de provisionnement du risque souverain, non pris en compte en tant que garantie
Par ailleurs, l'AFD peut être indemnisée pour des pertes liées à des prêts souverains, à partir du « compte de réserve », qui prend la forme d'une provision constituée dans les livres de l'AFD (570 millions d'euros en 2015). Cette provision est alimentée par l'État à partir de l'enveloppe budgétaire des bonifications d'intérêt du programme 110 de la mission « Aide publique au développement ». Concrètement, pour chaque prêt bonifié accordé par l'État, la bonification comprend une « prime de risque », qui vient alimenter ce compte de réserve.
Celui-ci sert aussi bien à alimenter les provisions que l'AFD aurait à constituer en cas de défaillance d'un emprunteur souverain, qu'à servir les intérêts normaux impayés ou à indemniser l'AFD en cas d'annulation ou de traitement de créances décidés par l'État français.
Cependant, ce mécanisme ne constitue ni une garantie, ni une technique d'atténuation du risque de crédit, et ne peut donc être pris en compte par le régulateur. En tout état de cause, il n'y a pas de garantie de l'État sur l'encours de l'AFD .
Par ailleurs, la convention cadre fixant les relations entre l'AFD et l'État prévoit notamment les conditions dans lesquelles les concours sous formes de prêts, après traitement en club de Paris, font l'objet d'une garantie de l'État sur les impayés, après un délai de six mois sur le premier défaut. Cette convention n'est pas non plus reconnue à titre prudentiel pour le calcul des fonds propres règlementaires.
c) Les conséquences « maastrichtiennes » pour l'État
En comptabilité nationale, l'AFD est considérée comme un intermédiaire financier, dans la mesure où elle est notamment soumise à des règles prudentielles de droit commun, qui garantissent qu'elle porte son propre risque. Dès lors, elle n'est pas comprise dans le périmètre des administrations publiques (APU) et son bilan n'est pas pris en compte dans la comptabilité maastrichtienne.
Toutefois les encours de l'AFD bénéficiant d'une garantie explicite de l'État sont portés par l'agence mais pour le compte de ce dernier : le comptable national considère que l'AFD prête à l'État, lequel prête à son tour les sommes correspondantes aux États étrangers. Ces actifs garantis sont donc consolidés dans le bilan de l'État et il en résulte une augmentation de la dette publique à due concurrence, sans conséquence sur le déficit public néanmoins .
4. Les modalités du contrôle prudentiel
L'autorité chargée du contrôle du respect de ces règles prudentielles est déterminée selon les règles de droit commun. Jusqu'à la fin de l'année 2015, le contrôle de l'AFD était confié au superviseur national, c'est-à-dire à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR).
Le total de bilan de l'AFD ayant dépassé 30 milliards d'euros fin décembre 2014, l'établissement a été soumis à une étude approfondie de son bilan par la Banque centrale européenne (« Comprehensive assessment ») au cours de l'année 2015 et considéré comme établissement significatif. L'agence a dès lors été placée, à compter du 1 er janvier 2016, sous la supervision directe de la Banque centrale européenne (BCE), en lien avec l'ACPR, les équipes de supervision étant conjointes. Les règles prudentielles appliquées demeurent en revanche les mêmes.
* 1 Directive 2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d'investissement, modifiant la directive 2002/87/CE et abrogeant les directives 2006/48/CE et 2006/49/CE.
* 2 Règlement (UE) n ° 575/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d'investissement et modifiant le règlement (UE) n ° 648/2012.
* 3 Ce montant ne correspond pas aux fonds propres au 31 décembre 2015 mais à leur montant à trois ans, qui prend en compte la diminution de la part du tier 2 pouvant être prise en considération pour le calcul des ratios de risque.
* 4 Il s'agit du système de notation interne à l'AFD, dont l'échelle varie de 1 à 6.