II. LES DIFFÉRENTS OBJECTIFS DU RAPPROCHEMENT SONT DIFFICILEMENT CONCILIABLES

Une fois écartée la question des fonds propres, le rapprochement a donc essentiellement pour objectif de permettre de mettre en oeuvre les synergies identifiées précédemment. Cet objectif doit néanmoins être concilié avec la nécessité de respecter le modèle financier traditionnel de la Caisse des dépôts, tout en maintenant « la capacité pour l'État d'orienter la politique d'aide publique au développement » - pour citer la lettre de mission de Rémy Rioux - sans oublier le souci de la mise en oeuvre pratique du rapprochement.

A. LA NÉCESSITÉ DE RESPECTER LE MODÈLE FINANCIER DE LA CAISSE DES DÉPÔTS REND DIFFICILE LE SCENARIO D'UNE FILIALISATION

Une filialisation de l'AFD poserait la question de sa valorisation et entraîne des conséquences financières pour la Caisse des dépôts qui ont fait naître de vraies inquiétudes.

1. La difficile valorisation de l'AFD

La filialisation de l'AFD, qui aurait alors été détenue pour moitié par l'État et pour moitié par la Caisse des dépôts selon l'hypothèse la plus probable, aurait tout d'abord rendu nécessaire de valoriser l'agence. Or, l'AFD n'ayant pas de but lucratif, sa valorisation est « un exercice peu classique et par nature hasardeux » , pour citer la direction générale du Trésor.

Cette dernière considère que l'évaluation « à la valeur de remplacement ou à l'actif net réévalué » est la méthode la plus pertinente, au regard des caractéristiques de l'AFD. Cette méthode, usuelle dans le cas des services publics, consiste à identifier les dépenses à engager pour construire un actif de substitution d'une utilité comparable, ajustées de l'obsolescence. S'agissant de l'AFD, cette valeur correspond à l'actif net réévalué, c'est-à-dire à la valeur de ses capitaux propres, augmentée de la réévaluation de ses actifs et minorée de la réévaluation de ses passifs. L'application de cette méthode conduit à estimer la valeur de l'AFD sur la base de ses comptes au 31 décembre 2014 à 2 824 millions d'euros .

Les autres méthodes usuelles - la valeur intrinsèque calculée en actualisant la valeur des dividendes distribuables ou la méthode des ratios appliquée aux transactions comparables - fournissent des valorisations très fortement dépendantes des hypothèses retenues et ne sont pas en mesure d'intégrer l'ensemble des spécificités du modèle économique de l'AFD.

Pour sa part, l'AFD a présenté à vos rapporteurs spéciaux plusieurs méthodes d'évaluation, dont celle préconisée par le Trésor. Il était également envisagé de considérer que la valeur de l'AFD est, au plan purement théorique, au moins égale à la valeur actuelle que produirait une gestion extinctive de l'ensemble de ses engagements et de ses instruments de bilan. Ces flux correspondent aux produits nets bancaires actualisés sur la durée de vie résiduelle diminués des charges à engager et des risques à supporter dans cette optique théorique. Selon les valeurs affectées aux principaux paramètres à considérer, l'AFD pourrait valoir selon cette approche entre 4 et 5 milliards d'euros .

À l'inverse, il a pu être avancé que l'AFD a une valeur nulle, dès lors que son objet n'était pas de réaliser des bénéfices .

2. Un coût important pour la Caisse des dépôts et un investissement qui ne correspond pas à son modèle d' « investisseur avisé »

Si l'on retient la méthode de valorisation de l'AFD retenue par la direction générale du Trésor et l'hypothèse d'une filiale détenue à 50 % par la Caisse des dépôts - sur le modèle de Bpifrance -, la Caisse des dépôts aurait donc dû verser 1,4 milliard d'euros à l'État pour prendre le contrôle de la moitié de l'AFD.

D'autre part, comme on l'a vu précédemment, les filiales du groupe CDC sont soumises aux règles prudentielles de droit commun. L'AFD serait donc demeurée soumise aux règles de « Bâle III » et n'aurait pas bénéficié d'un modèle prudentiel ad hoc.

D'autre part, en application de l'article L. 518-2 du code monétaire et financier, la Caisse des dépôts est « un investisseur de long terme et contribue, dans le respect de ses intérêts patrimoniaux , au développement des entreprises ». Ceci signifie notamment qu' elle doit veiller à la rentabilité de ses investissements . Or, la rentabilité de l'AFD est naturellement basse, dans la mesure où son objet n'est pas lucratif et où il est prévu qu'elle conserve une part prépondérante de son résultat afin d'augmenter ses fonds propres.

En d'autres termes, au-delà du coût initial qu'aurait constitué pour la Caisse des dépôts la mise en place de la filiale, la rentabilité de cette investissement était jugée insuffisante par la Caisse des dépôts et contraire à son modèle d'« investisseur avisé » .

3. Les inquiétudes de la Caisse des dépôts ont fini par emporter le rejet de la filialisation

Les conséquences financières de ce scenario ont donc suscité l'inquiétude de la Caisse des dépôts, exprimées notamment par sa commission de surveillance , qui indiquait dans son avis du 18 novembre 2015 : « Compte tenu de la rigidification croissante du bilan de la Caisse des Dépôts (participations dans La Poste et Bpifrance, prêt à la SFIL) et des besoins en fonds propres nécessaires à l'accélération des investissements prévus dans sa feuille de route stratégique, la Commission de surveillance ne peut que se montrer opposée au schéma de « filialisation » de l'AFD ». Cette position a également été défendue devant vos rapporteurs spéciaux par plusieurs représentants syndicaux de la Caisse des dépôts , qui craignaient à la fois que ses fonds propres soient à nouveau mis à contribution et que son modèle d'investisseur avisé soit remis en cause.

Ce scenario posait au demeurant la question de la participation respective de la Caisse des dépôts et de l'État : aurait-il été majoritaire, en détenant 50,1 % du capital par exemple ? Aurait-il eu une place particulière dans la gouvernance, comme c'est le cas pour Bpifrance ? Enfin, cette modalité de rapprochement n'offrait aucune souplesse financière, en l'absence de toute conséquence sur les fonds propres.

Pour l'ensemble de ces raisons, le scenario d'une filialisation de l'AFD a été écarté, la Caisse des dépôts ayant soutenu l'hypothèse de la mise en place d'une section, comme l'expliquait sa commission de surveillance dans l'avis précité : le schéma de la section est « le seul schéma susceptible de concilier les objectifs assignés par les pouvoirs publics avec la nécessaire préservation des intérêts patrimoniaux de la CDC ». Cette position s'accompagnait néanmoins du souhait de voir assurée une « étanchéité financière » entre la Caisse des dépôts et l'AFD.

Page mise à jour le

Partager cette page