N° 99

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 octobre 2015

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur les dépenses publiques en faveur du logement et la fiscalité immobilière ,

Par Mme Marie-France BEAUFILS, MM. Philippe DALLIER, Vincent DELAHAYE, Albéric de MONTGOLFIER, Daniel RAOUL et Jean-Claude REQUIER,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : Mme Michèle André , présidente ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Yvon Collin, Vincent Delahaye, Mmes Fabienne Keller, Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. André Gattolin, Charles Guené, Francis Delattre, Georges Patient, Richard Yung , vice-présidents ; MM. Michel Berson, Philippe Dallier, Dominique de Legge, François Marc , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, François Baroin, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Jean-Claude Boulard, Michel Bouvard, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Carcenac, Jacques Chiron, Serge Dassault, Bernard Delcros, Éric Doligé, Philippe Dominati, Vincent Eblé, Thierry Foucaud, Jacques Genest, Didier Guillaume, Alain Houpert, Jean-François Husson, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Marc Laménie, Nuihau Laurey, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Hervé Marseille, François Patriat, Daniel Raoul, Claude Raynal, Jean-Claude Requier, Maurice Vincent, Jean Pierre Vogel .

COMMUNICATION DU GROUPE DE TRAVAIL

Réunie le mercredi 21 octobre 2015 sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a entendu une communication présentant les conclusions du groupe de travail sur les dépenses publiques en faveur du logement et la fiscalité immobilière.

M. Albéric de Montgolfier . - L'an dernier, nous étions convenus de faire évoluer nos méthodes de contrôle, en créant deux groupes de travail informels sur des sujets transversaux, l'un sur l'économie numérique et l'autre sur les dépenses publiques en faveur du logement et la fiscalité immobilière.

Le logement nous avait paru être un thème intéressant , compte tenu de son poids dans la dépense publique , puisqu'il représente plus de 40 milliards d'euros, soit 1,9 % du produit intérieur brut (PIB) et probablement plus que ce que consacrent d'autres pays à cette politique, pour des résultats qui ne semblent pas toujours à la hauteur. En outre, il fait fréquemment l'objet d' un nombre important d'articles et d'amendements en loi de finances , comme ce fut le cas lors de l'examen de la loi de finances initiale pour 2015 qui comprenait, une nouvelle fois, des mesures prévues dans le cadre du nouveau plan de relance du Gouvernement.

Il a donc semblé utile de constituer ce groupe de travail dont nous avons volontairement restreint le champ d'analyse, déjà très vaste, en excluant la problématique très particulière de l'hébergement et de l'accès au logement des personnes sans abri ou mal logées, le financement du logement social, dont les mécanismes et les enjeux pourraient en eux-mêmes faire l'objet d'une étude approfondie et, enfin les aides personnelles au logement. S'agissant de ces dernières, la commission des finances avait parallèlement demandé une enquête à la Cour des comptes, sur le fondement de l'article 58-2 de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finance (LOLF), qui a fait l'objet d'une audition pour suite à donner le 16 septembre dernier. Philippe Dallier, rapporteur spécial de la mission « Égalité des territoires et logement », a exposé ses constats et préconisations à cette occasion. Je rappelle que ces aides représentent une dépense publique considérable de près de 18 milliards d'euros.

Évolution des aides publiques de 1984 à 2013

(en millions d'euros)

Source : Commission des finances à partir du compte du logement pour 2013

Précisions concernant le champ des aides prises en compte
par le compte du logement

Le compte du logement analyse les aides au logement en se plaçant du point de vue des bénéficiaires de ces aides. Ainsi, l'ensemble des avantages conférés aux bénéficiaires, qu'ils soient consommateurs ou producteurs de service de logement (occupants ou bailleurs), sont-ils retenus dans le chiffrage, que ces avantages donnent lieu à une dépense (un versement) de la part d'un financeur ou qu'ils réduisent une dépense (réduction d'impôt, baisse de taux d'intérêt). 1 ( * )

On distingue cinq types d'aides au logement 2 ( * ) :

- Les prestations d'aide au logement sont des aides versées aux consommateurs de service de logement (les occupants, qu'ils soient locataires ou propriétaires) pour couvrir une partie de leur dépense de logement. Elles incluent, pour le logement, les aides personnelles au logement ainsi que d'autres prestations plus marginales (primes de déménagement, allocation de logement temporaire...).

- Les subventions d'exploitation sont des aides versées aux producteurs de service de logement (bailleurs) pour influencer leur niveau de production, leur prix, ou la rémunération des facteurs de production. Du point de vue du cadre central, il peut s'agir de subventions sur les produits, lorsque ces subventions sont versées par unité de bien ou de service produite, ou des autres subventions à la production, dénommées aussi subventions d'exploitation qui portent sur les coûts des facteurs de production. Elles incluent par exemple les bonifications d'intérêts sur des prêts ou des subventions à des producteurs spécifiques comme les organismes gestionnaires de structures d'hébergement collectif et sont désormais très marginales relativement aux autres types d'aides.

- Les subventions d'investissement sont également versées aux producteurs de service de logement afin de diminuer le coût de leurs investissements.

Elles incluent notamment les aides liées aux investissements des bailleurs sociaux ainsi que celles versées par l'Agence nationale de rénovation urbaine et l'Agence nationale de l'habitat (Anah).

- Les avantages de taux résultent de crédits accordés à des taux inférieurs à ceux pratiqués sur le marché bancaire. Ces prêts à taux bas visent en très grande majorité à stimuler l'investissement en logements des producteurs de service de logement (bailleurs), notamment des bailleurs sociaux et en résidences principales des ménages (prêt à taux zéro). Les avantages de taux sont calculés relativement à un prix de marché et enregistrés, dans le compte satellite du logement (CSL), au moment de l'investissement, comme les aides à l'investissement.

- Les avantages fiscaux résultent de dispositions fiscales plus favorables que le droit commun. Ils ne sont pas tous considérés comme des versements par le cadre central de comptabilité nationale qui les traite en partie comme une diminution de recettes fiscales. Afin de rendre compte de l'ensemble des avantages conférés aux occupants et aux bailleurs, le CSL retrace ces avantages comme s'ils étaient une dépense publique (ou dépense fiscale en termes budgétaires). Les avantages fiscaux sont essentiellement des mesures visant à favoriser l'investissement en logement ; ils concernent donc avant tout les producteurs de service de logement. Toutefois, le taux de TVA réduit pour les travaux réalisés dans le logement bénéficie également aux occupants, au titre des « petits travaux », qui sont de la consommation (des ménages), contrairement aux « gros travaux » qui sont considérés comme de l'investissement.

Les aides au logement décrites dans le CSL ne sont pas toutes versées par des administrations publiques (au sens du cadre central) ; c'est par exemple le cas des subventions versées par l'UESL et les comités interprofessionnels du logement (CIL), qui ne sont pas classées dans le cadre central, parmi les administrations publiques.

Source : extraits du compte du logement 2013

Le groupe de travail, qui s'est réuni de février à octobre 2015, a entendu à la fois des économistes, les promoteurs, le ministère du logement, les fédérations professionnelles, les associations ou encore les représentants des propriétaires et des locataires.

Je souhaiterais d'abord revenir sur la situation actuelle, qui illustre les résultats contrastés de cette politique publique. Le nombre de mal-logés reste très important dans notre pays, comme le souligne notamment le rapport annuel de janvier 2015 de la Fondation Abbé Pierre 3 ( * ) , avec 3,5 millions de mal logés, dont 700 000 seraient privés de logement propre (chambre d'hôtel, logés chez un tiers...) et 2,8 millions rencontrant des conditions de logement très difficiles.

Parallèlement, les chiffres de la construction de logements restent incertains 4 ( * ) . En effet, si le nombre de constructions autorisées a augmenté de 8,7 % de juin à août 2015 par rapport au trimestre précédent - et c'est encourageant -, le cumul du nombre de logements sur les douze derniers mois régresse néanmoins de 6 % par rapport aux douze mois précédents, pour atteindre 361 900 logements construits. Les mises en chantier enregistrent pour leur part une baisse de 4 % sur la même période d'un an pour atteindre 345 100 logements.

Selon la Fédération française du bâtiment 5 ( * ) , si certaines mesures parviennent à soutenir le marché, comme le dispositif d'incitation fiscale à l'investissement locatif « Pinel » ou les dispositions incitatives en faveur de la rénovation énergétique des logements, elles ne parviennent toujours pas à le redynamiser véritablement.

Par ailleurs, les coûts de construction du logement ne cessent d'augmenter d'année en année et le prix du foncier reste un obstacle important.

Les conséquences économiques de cette situation sont nombreuses, en particulier pour les professionnels de la construction, tant en termes de défaillances d'entreprises que d'emplois . Ainsi, les chiffres de la Fédération française du bâtiment pour le premier semestre 2015 mettaient en évidence la perte de 44 600 emplois par rapport au premier semestre 2014 et sans doute le plus mauvais résultat depuis 2008.

Il existe un petit espoir de reprise, avec l'augmentation du logement neuf , sous l'effet du dispositif d'incitation fiscale « Pinel », ce qui pose la question du soutien fiscal de l'investissement. Malheureusement, les nouvelles semblent moins bonnes concernant l'ancien.

Paradoxalement, pour ce secteur très aidé, nous avons été frappés par le manque de robustesse des statistiques disponibles et les avis très contrastés des personnes entendues sur des sujets aussi essentiels que le nombre de logements vacants ou les besoins de constructions.

La restitution de nos travaux, sous la forme de la présente communication, nous permettra, mes chers collègues, de poursuivre avec vous les nombreux débats qui n'ont pas manqué de s'engager au cours de nos auditions. Nous aurons quoi qu'il arrive l'occasion de revenir sur les conclusions de ce groupe de travail puisque les sujets relatifs au logement occupent systématiquement une grande partie du projet de loi de finances et, sur ce point, le projet de loi de finances pour 2016 ne déroge pas à la règle.

1. Un pilotage par les objectifs défaillant

M. Philippe Dallier . - Nous consacrons en effet chaque année plus de 40 milliards d'euros à la politique publique du logement mais les résultats ne sont pas à la hauteur de l'attente des Français.

Tout d'abord, le pilotage de la politique du logement est défaillant. Il repose depuis près de dix ans, quelle que soit la majorité au pouvoir, sur un objectif national de construction de 500 000 logements par an . C'était un engagement de campagne de l'actuel Président de la République mais aussi celui de son prédécesseur 6 ( * ) .

Cet objectif volontariste peut, en première analyse, sembler en adéquation avec l'état du marché du logement . L'ampleur du mal logement serait liée, comme le rappelle la Fondation Abbé Pierre, à un déficit d'offre compris entre 800 000 et 1 million de logements 7 ( * ) . Cette pénurie contribuerait également à expliquer l'évolution des prix de l'immobilier, en apparence déconnectée des « variables réelles » puisqu'ils ont augmenté de 87 % entre 1998 et 2013 par rapport au revenu des ménages 8 ( * ) .

Toutefois, la majorité des économistes que nous avons rencontrés dans le cadre du groupe de travail considèrent que cet objectif, qui trouve son origine dans une étude économique publiée en 2007 9 ( * ) , repose sur des données désormais datées . À titre d'exemple, l'étude prend pour hypothèse un solde migratoire positif de 150 000 personnes par an, alors que les prévisions de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) le situent désormais autour de 50 000 - même si les évènements actuels pourraient conduire à un chiffre plus prudent, il reste une marge élevée. D'après les évaluations concordantes du Commissariat général à l'environnement et au développement durable 10 ( * ) , des corps d'inspection et des économistes rencontrés lors des auditions, les besoins de construction seraient désormais compris entre 330 000 et 370 000 logements par an.

Plus fondamentalement, le groupe de travail considère que c'est l'idée même qu'il est possible de fixer un objectif unique au niveau national qui doit certainement être remise en cause . En effet, on observe des disparités importantes au sein des territoires en matière de prix, de volume et d'occupation, qui témoignent de la coexistence de zones tendues où les besoins de construction sont élevés et de zones détendues, voire en situation de suroffre .

De ce fait, observer des tendances au niveau national est souvent trompeur . Par exemple - et ce chiffre en étonnera probablement certains -, la surface moyenne par personne a augmenté en France de cinq mètres carrés de 1996 à 2006, pour atteindre 40 mètres carrés, ce qui masque évidemment des situations très contrastées selon les territoires 11 ( * ) .

La nécessité de raisonner au niveau local est d'autant plus criante que les zones où l'on a le plus construit au cours de la période récente sont loin d'être les plus tendues . Là aussi, les chiffres sont intéressants : 2,6 logements neufs pour 1 000 habitants ont ainsi été construits chaque année entre 1998 et 2009 en Île-de-France, 4,3 en Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) contre 5,7 en Poitou-Charentes et 6,9 en Bretagne 12 ( * ) . Certes, les personnes qui cherchent le soleil ou l'air iodé de la façade atlantique ont besoin de se loger mais les disparités sont quand même étonnantes.

Au-delà des objectifs, la politique du logement souffre également du manque de fiabilité de son appareil statistique . En février 2015, aussi incroyable que cela puisse paraître, près de 290 000 logements 13 ( * ) sur dix ans ont ainsi été « retrouvés » par le ministère à la suite de la mise en place de nouveaux indicateurs de mesure de la production de logements 14 ( * ) . Autre exemple : alors que les résultats de l'enquête nationale sur le logement de l'Insee sont généralement publiés tous les quatre ans, les derniers chiffres disponibles remontent à 2006. Il s'agit pourtant de la source statistique la plus fiable et la plus complète à notre disposition 15 ( * ) .

Aussi, le groupe de travail réaffirme la nécessité de renforcer l'appareil statistique du ministère et de s'appuyer au niveau local sur les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) et le réseau des observatoires de loyers pour définir les besoins en matière de logement au plus près du terrain.

2. Des outils qui doivent être adaptés à la réalité du parc

M. Philippe Dallier . - Ensuite, les outils offerts par la politique du logement doivent être adaptés à la réalité du parc.

Ainsi, il est nécessaire de mobiliser le parc ancien privé . La mise en avant d'un objectif national de construction particulièrement volontariste a conduit à focaliser l'attention sur le neuf, au détriment de l'ancien .

Au titre de l'année 2016, pas moins de dix dispositifs d'incitation fiscale à l'investissement locatif auront encore une incidence budgétaire estimée à 1,8 milliard d'euros. Parmi ces dix dispositifs, deux seulement concernent l'ancien, pour un coût de 56 millions d'euros, soit 3 % de la dépense totale 16 ( * ) .

Or, en dix ans, le nombre de logements vacants a augmenté de 30 % et atteint désormais 2,6 millions, soit l'équivalent de huit années de construction 17 ( * ) .

Nombre de logements vacants

(évolution, en milliers de logements)

Source : Comptes du logement 2013 - Premiers résultats 2014

Si les différences de périmètre rendent les comparaisons internationales délicates, les données disponibles suggèrent clairement l'existence d'une singularité française en la matière.

Les logements vacants en Europe

Pays

Logements vacants
(en millions)

Taux de vacance (en %)

Année

Source

Allemagne

1,72

4,4 %

2011

CENSUS

France

2,6

7,5 %

2013

Comptes du logement

Royaume-Uni

0,61

2,6 %

2014

Department for Communities and Local Government

Source : commission des finances

En effet, 1,72 million de logements étaient vacants, en 2011, en Allemagne, soit 4,4 % du total du parc, et 610 000 au Royaume Uni, représentant 2,6 % en 2014, alors qu'en France le taux de vacance s'élevait en 2013 à 7,5 %. Nous avons quand même une spécificité française !

Il est également paradoxal que le taux de logements vacants soit proche, voire au-dessus de la moyenne nationale dans les zones tendues : le taux est ainsi de 7,3 % à Paris et de 8,9 % à Lyon, contre 7,5 % en France 18 ( * ) .

Ce phénomène suggère ainsi l'existence d'une inadéquation entre l'offre et la demande en termes de prix mais aussi de qualité, particulièrement dommageable puisque, parallèlement, le manque de logements est régulièrement dénoncé.

Pour remédier à ces difficultés, le « Borloo ancien » 19 ( * ) vise à apporter un soutien public à la mise en location et à la rénovation de logements existants à des loyers inférieurs aux prix du marché via des abattements sur les revenus locatifs.

Toutefois, ce dispositif n'est pas à la hauteur des enjeux . Le volume annuel de conventionnement intermédiaire, pour lequel les plafonds de loyers sont désormais semblables à ceux du dispositif « Pinel » 20 ( * ) , a ainsi chuté de 5 700 en 2009 à 3 363 en 2013, pour un coût annuel de 23 millions d'euros.

Trois facteurs expliquent l'impasse actuelle . Tout d'abord, le dispositif est complexe et demeure méconnu . Surtout, l'aide publique n'est pas toujours suffisante pour couvrir la baisse de loyer consentie par rapport au prix du marché, notamment dans les zones tendues. Si l'on peut demander aux propriétaires de faire des efforts en remettant leur bien en location à des prix plus bas que ceux du marché, on ne peut en même temps lui demander d'être perdant financièrement malgré les aides de l'État ! Enfin , les modalités de sortie des conventions sont trop défavorables aux propriétaires 21 ( * ) qui, par exemple, ne peuvent retrouver le niveau de loyer libre que six ans après la fin de la convention si le locataire souhaite rester dans les lieux.

Compte tenu de ces difficultés, plusieurs acteurs ont suggéré, dans le cadre des auditions, la mise en place d'un statut fiscal du bailleur privé afin de compléter le plan de relance sur le logement.

À ce stade, le groupe de travail plaide d'abord pour assouplir et renforcer l'attractivité du dispositif « Borloo ancien » - par exemple en relevant les taux des différents abattements .

Il faut également adapter les outils à la réalité des marchés locaux, la situation étant très disparate.

En la matière, certains dispositifs ont même connu une régression : le dispositif « Pinel » comporte ainsi un plafond de prix de revient unique de 5 500 euros par mètre carré, alors que le dispositif « Scellier » prévoyait un plafond variable compris entre 2 000 et 5 000 euros selon les zones.

Aussi, le groupe de travail suggère de s'appuyer davantage sur les préfets de région pour adapter les dispositifs à la réalité des marchés locaux . À titre d'illustration, les dispositifs « Borloo ancien » et « Pinel » comportent déjà la possibilité pour le représentant de l'État de réduire les plafonds de loyer applicables.

Par ailleurs, les dispositifs mis en oeuvre doivent être parfaitement ciblés sur les besoins , notamment en termes de localisation géographique et de populations visées pour être locataires. Le groupe de travail suggère ainsi de mettre en place un zonage « plus fin » pour les dispositifs tels que le « Pinel » .

Si les outils existants doivent pouvoir être adaptés à la diversité des territoires, il est également souhaitable de mettre en place des dispositifs plus spécifiques dans les zones tendues .

À titre d'exemple, le groupe de travail estime que la fiscalité du logement pourrait être plus incitative pour les maires « bâtisseurs ».

Lorsqu'un terrain devient constructible du fait d'une décision de classement d'une collectivité territoriale, sa valeur augmente soudainement, ce qui peut être assimilé à une forme « d'enrichissement sans cause » du propriétaire. Or, le développement de l'offre de logements se traduit par des coûts supplémentaires pour les collectivités territoriales.

Aussi, il peut sembler opportun de permettre aux collectivités territoriales de capter une partie de la plus-value , afin de les inciter à développer la construction et de limiter le phénomène « d'enrichissement sans cause ».

À cette fin, il existe déjà une taxe optionnelle, introduite en 2006 à l'initiative du Sénat, sur la cession à titre onéreux de terrains nus devenus constructibles 22 ( * ) . D'un montant égal à 10 % de la différence entre le prix de cession et le prix d'acquisition actualisé, elle ne concerne cependant que les terrains dont le prix de cession est supérieur au triple du prix d'acquisition. Toutefois, seulement 6 441 communes et 5 établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ont institué cette taxe .

Par conséquent, le groupe de travail suggère de rendre le mécanisme plus incitatif . Plusieurs options ont été étudiées : octroyer aux collectivités territoriales la possibilité de moduler le taux actuellement fixé à 10 %, dans des limites qui seraient prévues par la loi, ou encore élargir l'assiette, par exemple en retenant les prix de cession supérieurs au double du prix d'acquisition - ce qui n'est déjà pas rien.

3. Une fiscalité très élevée, parfois difficilement lisible et aux effets incertains

M. Albéric de Montgolfier . - La France se caractérise par une fiscalité très élevée de manière générale et qui est corrigée par un certain nombre de dispositifs dérogatoires .

Une étude du cabinet Fidal d'octobre 2014, demandée certes par la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI), mettait ainsi en évidence le fait que le poids de la fiscalité sur ce secteur était bien plus élevé dans notre pays que dans les six autres États européens étudiés.

Les taxes et les impôts grevant un appartement à 200 000 euros toutes taxes comprises (TTC) et détenu pendant dix ans représenteraient 56 % de son prix d'acquisition, contre 40 % au Royaume-Uni et 26 % en Allemagne. La seule construction et l'acquisition de ce même bien immobilier correspondraient à un taux d'imposition de 27 %, contre 20 % au Royaume-Uni et 10 % en Allemagne.

La détention serait également plus imposée que dans les autres pays européens. En revanche, en termes de cessions, la France se situerait à un niveau comparable à celui des autres pays analysés.

Bien sûr, cette étude doit être analysée avec prudence car elle a été réalisée sur le fondement d'hypothèses spécifiques et ses résultats ne sont pas nécessairement généralisables. Par ailleurs, tous ces pays ne consacrent pas nécessairement plus de 40 milliards d'euros en faveur du logement chaque année et n'ont pas autant de dispositifs dérogatoires en faveur de l'investissement.

Il est à noter qu' une partie des dépenses publiques en faveur du logement pèse également sur les budgets des collectivités territoriales puisque des exonérations pourtant obligatoires, par exemple de taxe foncière, ne sont pas compensées intégralement par l'État.

En réponse à une fiscalité particulièrement élevée, les dépenses fiscales permettent d'atténuer son poids en soutenant le marché immobilier, par une incitation à l'investissement et à la réalisation de travaux .

Tout ministre essaie de corriger les effets de la fiscalité générale en mettant en place un dispositif d'incitation à l'investissement locatif portant son nom. La réforme du dispositif « Duflot », devenu « Pinel » 23 ( * ) , a ainsi contribué à soutenir la relance des commercialisations. Selon les chiffres de la FPI, les ventes enregistrées au profit de particuliers investisseurs, susceptibles de bénéficier du dispositif « Pinel », ont ainsi augmenté de 60 % au premier trimestre 2015 par rapport au même trimestre de l'année précédente. Cela s'explique essentiellement par le fait que la loi de finances pour 2015 a permis une modulation de la durée de l'engagement locatif ainsi que la possibilité - nous avons débattu en séance de ce point - de louer le bien à un ascendant ou un descendant. Les ventes sont donc beaucoup réalisées sous l'effet de ces dispositifs aidés.

En conséquence, il est apparu au groupe de travail que ces dispositifs d'incitation, qui ont une incidence fiscale considérable puisqu'ils pèsent 1,8 milliard d'euros dans le projet de loi de finances pour 2016, constituent un soutien du marché immobilier aujourd'hui difficile à remettre en cause, compte tenu de son fort effet déclencheur pour les investisseurs privés et même si l'effet d'aubaine ne peut parallèlement être nié .

Par ailleurs, l'avantage fiscal produit par ce type de dispositif est en partie capté par les intermédiaires , avec des marges d'intermédiation qui représenteraient de 5 % à 15 % du prix du bien - ce qui est considérable. Les Français veulent réduire leurs impôts mais, du coup, ils ne regardent pas vraiment le détail du « package » défiscalisant qui leur est proposé. C'est pourquoi le groupe de travail a jugé qu'il serait certainement utile de renforcer les obligations d'information concernant les prix des différents facteurs de production et les frais facturés par les intermédiaires. La fiscalité n'est pas là pour rémunérer des intermédiaires.

Il appartient également au ministère des finances de contrôler ensuite le respect par les bailleurs des engagements qu'ils ont pris , notamment en termes de loyers-plafonds. D'après les informations recueillies par le groupe de travail, il semblerait que ce contrôle ne soit pas réellement assuré s'agissant de dispositifs plus anciens, tels que le « Scellier intermédiaire ».

Ensuite, certains dispositifs fiscaux sont si complexes et si souvent modifiés qu'ils en deviennent difficilement lisibles, y compris dans les objectifs poursuivis . Je confirme également que, comme l'a indiqué Philippe Dallier, la plupart des dispositifs d'incitation fiscale concernent le logement neuf alors que l'essentiel de notre parc est ancien et doit être utilisé. Il n'est pas normal que le taux de logements vacants soit si élevé, en particulier dans les zones tendues.

Vincent Delahaye va nous présenter un premier exemple de complexité , qui concerne l' imposition des plus-values de cessions immobilières , sujet sur lequel il a déjà présenté des amendements l'an dernier dans le cadre de l'examen des projets de loi de finances de fin d'année. Il faut être un grand spécialiste pour s'y retrouver !

M. Vincent Delahaye . - Sans être un grand spécialiste, je me suis effectivement intéressé à un des exemples les plus frappants de la complexité des dispositifs fiscaux, à savoir le régime d'imposition des plus-values de cessions immobilières .

Au fur et à mesure du temps, on a créé des abattements pour durée de détention avec un taux d'abattement différent pour l'impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux , on a mis en place une surtaxe pour les plus-values les plus élevées lors de cessions de propriétés bâties et on a même crée des abattements exceptionnels dans l'espoir d'un « choc d'offre ». La totale !

De ce fait, le groupe de travail considère que l'acceptation de l'imposition par les contribuables passe notamment par l'application d'un dispositif simple et donc compréhensible . Il trouve ainsi intéressante la proposition , que j'avais déjà défendue lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2015 , de supprimer tout abattement pour durée de détention , tout en prévoyant bien entendu un taux de taxation bien moins élevé. L'objectif, au-delà de la simplification, est de décourager la rétention des biens .

Les personnes interrogées sur ce sujet, lors des auditions, semblaient pour la plupart d'entre elles réceptives à cette évolution et n'ont pas émis d'objections fortes de principe.

Toutefois, cette réforme ne peut être réellement envisagée que, d'une part, en s'assurant du respect de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui a censuré par deux fois 24 ( * ) les mesures de lois de finances tendant à supprimer les abattements pour durée de détention applicables aux terrains à bâtir, en invoquant la rupture d'égalité devant les charges publiques. Le régime d'imposition proposé doit ainsi, à la fois , prendre en compte l'érosion monétaire et ne pas conduire à un système confiscatoire .

D'autre part, un dispositif transitoire doit être envisagé afin que les propriétaires détenant un bien depuis de nombreuses années ne se retrouvent pas imposés du jour au lendemain, pour des montants de plus-values potentiellement considérables en raison du changement de régime d'imposition.

Cette réforme serait bien évidemment réalisée à coût constant pour les finances publiques. J'avais demandé des simulations à l'administration sur ce point lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2015 et les explications du résultat de ces simulations 25 ( * ) qui ont été fournies au groupe de travail s'avèrent insatisfaisantes, pour une raison qui m'est apparue assez rapidement : toutes les données des déclarations réalisées par les notaires ne font apparemment pas l'objet d'un traitement informatique. Nous avons obtenu de Bercy un échantillon mais les données fournies sont en pourcentage par taux d'abattement, sans préciser les montants en cause. Il serait utile de disposer de ces montants afin d'être en mesure de fixer les bons taux. Le travail doit être poursuivi sur ce point.

M. Albéric de Montgolfier . - Comme autre exemple de complexité , je souhaiterais mentionner l'articulation des aides à la rénovation énergétique des logements privés .

En fonction de la nature des travaux et des ressources des bénéficiaires, différents dispositifs d'incitation et de soutien s'appliquent et sont parfois susceptibles de se cumuler : crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ), taux réduit de TVA à 5,5 %, subventions de l'Agence nationale de l'habitat (Anah), exonération totale ou partielle de taxe foncière sur les propriétés bâties, aides des collectivités territoriales ou d'autres organismes, dispositifs de micro-crédits, fonds national d'aide à la rénovation énergétique...

Dans le cadre de son référé sur la gestion de l'Anah du 30 janvier 2014 26 ( * ) , la Cour des comptes avait d'ailleurs déjà mis en évidence la difficile articulation entre ces dispositifs. Il existerait près de 1 300 dispositifs différents au total. Il faut être là aussi un grand juriste pour comprendre l'articulation des différents outils.

Le groupe de travail partage ce sentiment mais ne souhaite pas, à ce stade, proposer de modification substantielle , alors que, d'une part, le CITE et l'éco-PTZ ont déjà énormément évolué au cours des dernières années et que, d'autre part, le projet de loi de finances pour 2016 prévoit leur prorogation tout en proposant des modifications. Son examen sera l'occasion de discuter de ces mesures. Il convient, en tout état de cause, de tenir compte de la nécessaire stabilisation des dispositifs et de soutenir la rénovation énergétique des logements , en particulier dans le cadre de la lutte contre les « passoires thermiques » ainsi que de la recherche d'économies d'énergie et de réduction des coûts pour les ménages.

Les dispositifs actuels n'atteignent pas toujours leur cible. Souvent, ils ne permettent pas de rénover les logements les plus « énergivores » car ils ne sont pas suffisamment concentrés sur les ménages les plus en difficulté.

Le groupe de travail a tout de même envisagé l'unification du taux de TVA applicable aux travaux réalisés dans les logements anciens - sujet qui n'est pas forcément politiquement correct. Actuellement, alors que les travaux d'amélioration, de transformation, d'aménagement et d'entretien se voient appliquer le taux de 10 %, ceux concernant la rénovation énergétique et leurs travaux induits bénéficient du taux à 5,5 %.

Or, l'application de ces deux taux réduits conduit à distinguer les travaux, selon leur nature et parfois dans le cadre d'un projet global. Cette différenciation n'est pas toujours aisée. L'unification des taux conduirait ainsi à une simplification utile du dispositif .

Par ailleurs, le groupe de travail s'interroge sur l'effet déclencheur de l'écart entre ces taux réduits car il est certain qu'un différentiel de taux de 4,5 points ne va pas être déterminant dans la décision de changer une chaudière. On peut parler d'effet d'aubaine.

Toutefois, le groupe de travail admet la difficulté de conduire cette réforme pour le moment, dans la mesure où, compte tenu de la forte contrainte budgétaire que connaît notre pays, cette unification des taux ne pourrait être réalisée qu'en retenant le taux de 10 % pour l'ensemble des travaux, comme le préconisait d'ailleurs la mission d'évaluation de la politique du logement qui regroupait l'inspection générale des finances, le conseil général de l'environnement et du développement durable et l'inspection générale des affaires sociales 27 ( * ) . Cette mesure conduirait ainsi à dégager par la même occasion 650 millions d'euros de recettes supplémentaires pour l'État, que l'on pourrait en partie redéployer.

Pour mémoire, les taux réduits de TVA applicables dans le domaine du logement représenteraient une dépense fiscale totale de 6,3 milliards d'euro s pour 2016, selon les derniers chiffrages du projet de loi de finances.

Par ailleurs, d'autres mesures, coûteuses pour l'État, ne produisent pas l'effet incitatif attendu .

Ces dispositions ont généralement été prises afin de favoriser l'investissement immobilier ou libérer du foncier et, pourtant, elles ne permettent pour l'essentiel qu'un effet d'aubaine pour leurs bénéficiaires.

Ainsi, il est permis de douter de l'effet réellement déclencheur des abattements exceptionnels prévus successivement par les deux précédentes lois de finances pour l'imposition des plus-values de cessions immobilières , d'abord pour les propriétés bâties, puis pour les terrains à bâtir.

Lors des auditions, il nous a été indiqué que rien ne semblait démontrer l'efficacité de ces abattements pour créer le « choc d'offre » escompté.

Compte tenu de leur coût pour les finances publiques et de l'effet d'aubaine qu'ils engendrent, le groupe de travail recommande donc de renoncer à ce type de mesure .

De même, l'exonération de deux ans de taxe foncière sur les propriétés bâties pour les constructions nouvelles ne contribue pas à favoriser la construction de logements. En effet, selon les informations recueillies par le groupe de travail, cette exonération est très peu connue et n'a aucun impact sur la prise de décision des personnes accédant à la propriété. On ne décide pas de construire pour bénéficier de cette exonération ! Il convient toutefois de noter que le versement de la taxe foncière pourrait se cumuler alors avec celui de la taxe d'aménagement. Le groupe de travail considère que ce sujet mérite notre attention car le manque à gagner pour les collectivités territoriales lié à cette exonération est estimé à 300 millions d'euros 28 ( * ) .

M. Francis Delattre . - Laissez donc cette prérogative aux communes, elles ont le choix de maintenir ou non cette exonération !

M. Albéric de Montgolfier . - Effectivement, les communes ont la possibilité de revenir sur le principe de cette exonération. Ce n'est, en revanche, pas le cas pour les départements. Il y a là une petite incohérence.

Certaines taxes semblent même inutiles dès lors qu'elles ne sont pas appliquées . Ainsi, la taxe annuelle sur les loyers élevés des logements de petite surface, dite « taxe Apparu » ne semble qu'imparfaitement mise en oeuvre, compte tenu de son faible rendement et n'est pas en mesure de produire les effets escomptés ! Il pourrait dès lors être envisagé de la supprimer. Le ministre du budget avait annoncé la suppression de petites taxes, représentant un rendement de 1 milliard d'euros. Nous allons le prendre au mot !

Enfin, le groupe de travail a pu constater, au cours de ses auditions, que l'ensemble des acteurs et observateurs du secteur du logement appellent de leurs voeux une stabilité des dispositifs applicables . Les évolutions permanentes de la législation et les dispositifs temporaires conduisent, en effet, à réduire la lisibilité des mesures mises en place et donc, par la même occasion, leur efficacité . À l'avenir, il conviendra donc d'en tenir tout particulièrement compte parmi les critères permettant de juger de l'opportunité des modifications envisagées.

4. Les autres facteurs qui nuisent au bon fonctionnement du marché immobilier français

M. Philippe Dallier . - D'autres facteurs nuisent au bon fonctionnement du marché immobilier français .

La hausse des coûts de la construction constitue ainsi un sujet de préoccupation . Il est vrai que, contrairement à ce que l'on entend souvent, les statistiques, notamment d'Eurostat, montrent que ces coûts sont toutefois moins importants en France que dans d'autres pays d'Europe comme l'Allemagne 29 ( * ) .

Niveaux de prix comparés pour les bâtiments résidentiels

Note de lecture : UE28 = 100

Source : Eurostat

Mais leur caractère dynamique est tout de même inquiétant puisqu'entre 2004 et 2014, selon Eurostat, les prix à la production ont globalement crû de près de 30 %. Le problème du coût du travail dans le secteur, en hausse de 20 % sur la même période, n'explique pas tout, ni l'augmentation des prix des matériaux qui s'établit à 17 %.

Variation des prix à la production et des différents facteurs de production
dans le secteur de la construction entre 2004 et 2014

(en %)

2004

2014

Variation

France

Indice des prix à la production

83,5

106,9

28 %

Indice du coût de la construction

88,6

104,1

17 %

Coût de la main d'oeuvre

88,5

106,4

20 %

Prix des matériaux

87,3

101,8

17 %

Allemagne

Indice des prix à la production

89,7

109,8

22 %

Indice du coût de la construction

87,7

108,4

24 %

Coût de la main d'oeuvre

88,1

108,6

23 %

Prix des matériaux

86,9

108,3

25 %

Note de lecture : 2010 = 100, l'indice des coûts traduit le prix des facteurs de production pour l'entrepreneur tandis que l'indice des prix à la production traduit le prix payé par son client

Source : Eurostat

La hausse du coût de la construction s'explique aussi par les normes de plus en plus nombreuses . En 2014, selon l'Institut Montaigne 30 ( * ) , le nombre des normes qui réglementaient le secteur était estimé à 4 000, soit plus de 1 000 articles répartis dans onze codes différents et une quinzaine de lois ou décrets non codifiés !

L'impact économique de certaines de ces normes a pu faire l'objet d'estimations précises. À titre d'exemples, la Fédération française du bâtiment, entendue par le groupe de travail, avait ainsi évalué à 2 % du coût de la construction d'un bâtiment le surcoût de l'application du décret du 30 mai 2011 relatif à l'attestation de prise en compte de la réglementation acoustique à établir à l'achèvement des travaux de bâtiments d'habitation neufs 31 ( * ) et ce qu'il engendre. Au total, la fédération estime que la bonne application de la réglementation renchérirait les coûts de construction de 15 % à 20 % 32 ( * ) .

Certes, ces normes, qu'elles soient de niveau législatif ou réglementaire, sont dans leur très grande majorité adoptées au nom de motifs légitimes et louables . Il s'agit de mieux protéger l'environnement, de réaliser des économies d'énergie, de renforcer la sécurité et la sûreté des bâtiments, de garantir leur accessibilité pour les personnes handicapées, d'adapter la société au vieillissement...

Mais, à l'épreuve du terrain, les règles adoptées au niveau national se révèlent bien trop souvent inadaptées , parfois jusqu'à l'absurde.

Dans son rapport 33 ( * ) réalisé en 2013 avec Alain Lambert au nom de la mission de lutte contre l'inflation normative, notre collègue Jean-Claude Boulard avait ainsi fait état d'un exemple particulièrement édifiant, celui d'un décret de 2010 imposant de strictes normes antisismiques dans des zones n'ayant jamais connu le moindre tremblement de terre, telles que sa ville du Mans !

Trop nombreuses, trop générales, les normes qui s'imposent aux constructeurs sont enfin trop instables dans le temps , ce qui pénalise notamment les plus petites entreprises qui peinent à s'adapter.

Le chantier de la simplification des normes doit donc impérativement se poursuivre et s'amplifier dans la construction .

Le coût très élevé de l'hypothèque en France peut également constituer un frein à l'accession à la propriété. Si l'on n'a pas accès à la caution, ce qui est généralement le cas des ménages les plus modestes, il convient de recourir à l'hypothèque. La comparaison européenne n'est pas flatteuse. Selon les chiffres de l'Institut Montaigne 34 ( * ) , les droits d'inscription hypothécaires ne représentent ainsi que 500 euros en Allemagne pour un prêt d'un montant de 100 000 euros. En Belgique les droits d'inscription hypothécaires s'élèvent seulement à 0,33 % du montant du prêt.

Par comparaison, l'hypothèque apparaît en France excessivement onéreuse. Pour la souscrire, un particulier doit rémunérer un notaire, verser la contribution de sécurité immobilière, qui représente 0,05 % de la somme empruntée, et enfin s'acquitter de la taxe de publicité foncière, soit 0,715 % du montant garanti.

Par la suite, en cas de remboursement de l'emprunt avant terme, l'acquéreur d'un bien immobilier aura obligatoirement recours à une mainlevée de son hypothèque, qui représente entre 1 et 2 % du capital restant dû.

L'utilisation de l'hypothèque est donc très dissuasive pour nos concitoyens et représente au total près de 2 % du montant emprunté. Les sommes en jeu sont importantes et pénalisent les ménages les plus fragiles.

Une réforme du régime de l'hypothèque pourrait donc, selon nous, être sérieusement envisagée dans notre pays, comme le suggère également l'institut Montaigne dans son récent rapport sur la politique du logement.

Pour conclure, nous n'avons pas abordé le sujet des droits de mutations à titre onéreux, qui bénéficient directement aux collectivités territoriales et bien qu'il ait été abordé par certaines personnes entendues lors des auditions. Cette question mériterait également d'être posée.

M. Albéric de Montgolfier . - Lorsque l'on évoque le coût des hypothèques, il importe de tenir compte de la prise d'hypothèque elle-même mais également de la main levée, qui représente une charge considérable. L'ensemble de ces frais d'hypothèque constitue un véritable prélèvement obligatoire qui excède très largement le coût du service rendu par la direction générale des finances publiques : il est anormal qu'un document qui nécessite cinq minutes de traitement informatique donne lieu à des frais aussi élevés ! L'hypothèque telle qu'elle est réglementée aujourd'hui en France représente un frein à la rotation des logements.


* 1 En revanche, le compte du logement, ne compte pas, par exemple, les dépenses de gestion ou de fonctionnement couvertes par l'État ni celles liées à la garantie des risques locatifs car elles ne constituent pas un avantage accordé aux ménages ou ne leur sont pas directement versées.

* 2 Le compte du logement ne prend pas non plus en compte certaines dépenses telles que les dépenses en matière d'hébergement.

* 3 Fondation Abbé Pierre, L'état du mal-logement en France, 20 e rapport annuel, 2015.

* 4 Construction de logements. - résultats à fin septembre 2015 (France entière), Chiffres et statistiques n° 675, septembre 2015, Commissariat général au développement durable.

* 5 Note de conjoncture du premier semestre 2015.

* 6 Cf. Charles Jaigu, « Objectif : 500 000 logements neufs par an », Le Figaro, 11 décembre 2007. Cet objectif est notamment repris dans l'exposé des motifs de la loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion.

* 7 Op.cit. p. 1, L'état du mal-logement en France.

* 8 Jean-Luc Buchalet et Christophe Prat, Immobilier, Comment la bulle va se dégonfler, 2014.

* 9 Michel Mouillart, « Des besoins durablement élevés », Constructif n° 18, novembre 2007.

* 10 Commissariat général au développement durable, « La demande potentielle de logements à l'horizon 2013 », Le point sur, n° 135, août 2012.

* 11 Cf. Insee, « Les logements en 2003. Le confort s'améliore, mais pas pour tous. », n° 1202, juillet 2008.

* 12 Jean-Claude Driant, « Pourquoi manque-t-il des logements en France ? », Métropolitiques, 23 septembre 2011.

* 13 Isabelle Rey-Lefebvre, « Le ministère a retrouvé plus de 58 000 logements neufs construits en 2014 », Le Monde, 28 février 2015.

* 14 Commissariat général au développement durable, « De nouveaux indicateurs pour suivre la construction de logements », Chiffres & statistiques, n° spécial, février 2015. Ces nouveaux outils statistiques permettent désormais de tenir compte du décalage entre l'attribution des permis de construire et la mise en chantier des logements.

* 15 Son importance tient notamment à la taille de son échantillon (43 000 logements en 2006) et au nombre de variables collectées.

* 16 Cf. tome II de l'annexe « Évaluation des voies et moyens » du projet de loi de finances pour 2016.

* 17 Cf. Comptes du logement 2013 - Premiers résultats 2014. Sur la même période, le taux de vacance a augmenté de 6,5 % à 7,5 %.

* 18 Didier Cornuel, « Marchés locaux du logement », Économie immobilière, 24 septembre 2015.

* 19 m du 1° du I de l'article 31 du code général des impôts.

* 20 Art. 199 novovicies du code général des impôts.

* 21 Cf. « HLM parc privé - Deux pistes pour que tous aient un toit », Institut Montaigne, 2008.

* 22 Article 1529 du code général des impôts.

* 23 Art. 199 novovicies du code général des impôts.

* 24 Décisions n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012 et n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013.

* 25 Les estimations de la direction de la législation fiscale, fournies à Vincent Delahaye lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2015, aboutissaient à une imposition à l'impôt sur le revenu de 9,5 % tout en maintenant 15,5 % pour les prestations sociales.

* 26 Cf le compte-rendu de l'audition conjointe, organisée par la commission des finances du Sénat le 14 avril 2014, sur les dispositifs d'aide à la rénovation énergétique des logements privés, pour suite à donner au référé de la Cour des comptes concernant la gestion de l'Agence nationale de l'habitat (Anah), pour les exercices 2006 à 2012.

* 27 Mission d'évaluation de la politique du logement, Présentation des conclusions finales, document de travail, 23 juin 2014.

* 28 Dans ses conclusions finales, la mission d'évaluation de la politique du logement précitée présentait cette estimation et préconisait déjà la suppression de cette exonération. Elle estimait que le surcoût pour les propriétaires s'élevait entre 0,18 % et 0,98 % du montant de l'achat pour un appartement neuf de 65 mètres carrés dans les dix villes étudiées.

* 29 Cf. Michel Mouillart, « Construire 500 000 logements », Entretiens d'Inxauseta 2014, 29 août 2014, p. 19. L'étude se fonde sur les indices comparatifs d'Eurostat au niveau des prix (PPA) pour les bâtiments résidentiels en 2013 (UE28=100). Les résultats obtenus sont similaires pour la construction en général.

* 30 Institut Montaigne, « Politique du logement : faire sauter les verrous », juillet 2015.

* 31 Décret n° 2011-604 du 30 mai 2011 relatif à l'attestation de prise en compte de la réglementation acoustique à établir à l'achèvement des travaux de bâtiments d'habitation neufs.

* 32 Analyse de l'évolution comparée des prix et des coûts dans le bâtiment, Préconisations en matière de simplification réglementaire, rapport du groupe de travail présidé par Olivier Tommasini, juillet 2013.

* 33 Rapport de la mission de lutte contre l'inflation normative, établi par MM. Alain Lambert et Jean-Claude Boulard, 26 mars 2013.

* 34 Institut Montaigne, « Politique du logement : faire sauter les verrous », juillet 2015.

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