DEUXIÈME PARTIE - LA TRANSPOSITION EN COURS DES TROIS DIRECTIVES DU 26 FÉVRIER 2014 : DES OPPORTUNITÉS À SAISIR

I. LE CONTENU DES DIRECTIVES : UN IMPACT VARIABLE SUR LE DROIT INTERNE

Le « paquet commande publique » , qu'il convient de transposer avant le 18 avril 2016, comprend trois directives en date du 26 février 2014 :

a) la directive « marchés publics » 2014/24/UE, qui concerne principalement les achats des pouvoirs adjudicateurs ;

b) la directive « secteurs spéciaux » 2014/25/UE, qui porte sur les marchés des entités adjudicatrices (secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux) ;

c) la directive « concessions » 2014/23/UE, dont l'objet est de réglementer les concessions de travaux et de services.

Ces directives auront un impact variable en droit interne. Dans les deux premiers cas (a et b), il s'agit d'actualiser et d'améliorer deux directives de 2004 38 ( * ). La directive « concessions » (c) sera plus difficile à transposer étant donné qu'il s'agit du premier texte communautaire en cette matière.

Chacune de ces trois directives ne s'appliquera qu'aux achats dont le montant est supérieur à un seuil qu'elles définissent. Les autres commandes continueront d'être régies par des règles nationales 39 ( * ) .

Les seuils d'application des trois directives

(en euros HT)

Travaux

Fournitures et services

(État)

Fournitures et services (collectivités)

Services sociaux

Directive « marchés publics » 2014/24/UE (art. 4)

5 186 000

134 000

207 000

750 000

Directive « secteurs spéciaux » 2014/25/UE (art. 15)

5 186 000

414 000

414 000

1 000 000

Directive « concessions » 2014/23/UE (art. 8)

5 186 000

Source : mission d'information

A. LES DEUX DIRECTIVES « MARCHÉS » : SIMPLIFIER LES PROCÉDURES ET FACILITER LA NÉGOCIATION POUR METTRE LES MARCHÉS PUBLICS AU SERVICE DE L'ÉCONOMIE

Par rapport aux directives de 2004, le « paquet commande publique » de février 2014 comprend trois nouveaux objectifs qui ne peuvent qu'être salués : une utilisation stratégique des marchés publics , un recours plus fréquent à la négociation et une simplification des procédures.

1. Les marchés publics mis au service de l'économie

Alors que le droit européen de la commande publique s'est construit à partir d'un objectif de mise en concurrence et d'égal traitement des entreprises, les directives « marchés publics » 2014/24/UE et « secteurs spéciaux » 2014/25/UE consacrent de nouvelles ambitions .

Elles affirment en effet que les marchés publics « jouent un rôle essentiel dans la stratégie Europe 2020 40 ( * ) » et qu'ils constituent « l'un des instruments (...) pour parvenir à une croissance intelligente, durable et exclusive » 41 ( * ) .

Le droit communautaire assume désormais l'apport économique des marchés publics en cherchant à favoriser l'innovation et le développement des petites et moyennes entreprises.

La directive 2014/24/UE crée ainsi les partenariats d'innovation (art. 31) qui regroupent au sein d'une même procédure les phases de recherche, de développement et d'achat d'un produit innovant 42 ( * ) .

S'agissant des PME , ces deux directives posent le principe que « la passation des marchés publics doit être adaptée aux besoins des PME » étant donné leur « potentiel de création d'emplois, de croissance et d'innovation » . Les directives comprennent ainsi des mesures concrètes envers ces entreprises mais encouragent également les « initiatives nationales » 43 ( * ) .

Les mesures concrètes des directives « marchés publics » et « secteurs spéciaux » en faveur des PME

Ces deux directives posent tout d'abord le principe de l'allotissement et laissent aux États membres la faculté de le rendre obligatoire, ce qui constitue une nouveauté pour les marchés des entités adjudicatrices (auxquelles le Gouvernement a décidé d'étendre l'obligation d'allotir).

Au stade de la candidature , la directive « marché publics » 2014/24/UE dispose que le montant de chiffre d'affaires exigé par l'acheteur ne peut être supérieur au double de la valeur estimée du marché (art. 58) 44 ( * ) .

En outre, les acheteurs publics pourront désormais analyser les offres avant les candidatures (art. 56). Si l'offre d'une PME est crédible, elle risquera donc moins d'être éliminée au stade de la candidature.

Les deux directives comprennent également des mesures de simplification ( Cf. infra ) susceptibles de favoriser les candidatures des PME en allégeant les procédures.

Enfin, l'accès des PME aux marchés publics devra être l'un des éléments du « rapport de contrôle » que chaque État membre doit transmettre à la Commission avant le 18 avril 2017 pour évaluer la mise en oeuvre des directives (art. 83).

Outre des ambitions économiques, les directives « marchés publics » et « secteurs spéciaux » consacrent des objectifs environnementaux et sociaux avec, par exemple :

- la reconnaissance du cycle de vie du produit 45 ( * ) comme un possible critère d'attribution des offres (art. 83 de la directive « secteurs spéciaux » 2014/25/UE) ;

- la possibilité de réserver des marchés à des ateliers comprenant 30 % de travailleurs handicapés ou défavorisés, contre 50 % dans les précédentes directives (art. 38).

2. Un recours plus large à la négociation

Les directives « marchés publics » et « secteurs spéciaux » accordent une plus grande confiance aux acheteurs publics en affirmant qu'il est « absolument indispensable que les pouvoirs adjudicateurs disposent de plus de souplesse » 46 ( * ) .

La directive « marchés publics » créé ainsi la « procédure concurrentielle avec négociation » (art. 29) qui permettra aux pouvoirs adjudicateurs de négocier au-dessus des seuils communautaires (soit en appel d'offres) pour des achats non standards 47 ( * ) alors, qu'auparavant, seules des demandes de précision sur l'offre des candidats étaient admises.

En outre, les pouvoirs adjudicateurs se voient explicitement reconnaître le droit de mener des « consultations préalables du marché » (ou « sourçage », art. 40 de la directive « marchés publics » 2014/24/UE). Les acheteurs publics pourront ainsi préparer la publication de leurs marchés en consultant les entreprises compétentes avant la mise en concurrence, ce qui leur permettra de mieux définir leur besoin.

En contrepartie, les États membres ont l'obligation de prendre les mesures appropriées pour « prévenir, détecter et corriger de manière efficace les conflits d'intérêt » (art. 24 de la directive précitée).

3. Une simplification des procédures

Objectif commun des directives « marchés publics » et « secteurs spéciaux », cette simplification passe notamment par l'adoption à l'échelle communautaire d'un « document unique de marché européen » (DUME) qui permettra de centraliser en un seul document les informations des nombreuses attestations et déclarations sur l'honneur requises au stade de la candidature des entreprises 48 ( * ) .

Autre mesure de simplification, la dématérialisation des procédures de mise en concurrence sera obligatoire au 18 octobre 2018 pour les pouvoirs adjudicateurs (art. 22 et 90 de la directive « marchés publics » 2014/24/UE). Cette évolution complète l'obligation d'accepter et de traiter les factures électroniques à compter du 1 er janvier 2017 ( Cf. supra).

Enfin, les directives « marchés publics » et « secteurs spéciaux » codifient des jurisprudences de la Cour de justice de l'Union européenne afin de les expliciter et de faciliter leur mise en oeuvre. Tel est par exemple le cas de la « coopération public-public » , des contrats « in house » ( Cf. infra ) et du montant des avenants . Dans ce dernier exemple, les directives fixent à 10 % pour les marchés de fourniture ou de services et à 15 % pour les travaux le montant maximum des avenants qu'il est possible de signer 49 ( * ) .

La coopération public-public et les contrats de quasi-régie ( « in house » )

Il s'agit ici d'une reprise de la jurisprudence communautaire 50 ( * ) dispensant de mise en concurrence :

- les prestations fournies par une personne publique à une autre personne publique (« coopération public-public ») ;

- les prestations que les acheteurs publics confient à des entreprises liées 51 ( * ) (contrats de quasi-régie ou « in house » ). C'est dans ce cadre que les sociétés publiques locales (SPL) se sont développées, à la différence des sociétés d'économie mixte (SEM) pour qui la mise en concurrence est obligatoire 52 ( * ) .

Ces deux dispositifs sont encadrés par les directives afin qu'ils n'entrent pas en concurrence avec l'activité du secteur privé :

- la « coopération public-public » doit porter sur un service public et représenter moins de 20 % des activités du secteur économique correspondant ;

- pour le « in house » , l'entreprise liée doit réaliser plus de 80 % de son activité dans l'exécution des tâches qui lui sont confiées par l'acheteur public.


* 38 Soit la directive 2004/18/CE relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services et la directive 2004/17/CE portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux.

* 39 À ce jour, les appels d'offres sont par exemple régis par le droit communautaire alors que les marchés à procédure adaptée, d'un montant inférieur, répondent aux règles nationales.

* 40 Pour mémoire, cette stratégie a été adoptée par la Commission européenne en mars 2010 afin d'établir les priorités économiques de l'Union d'ici 2020.

* 41 Considérant 2 de la directive « marchés publics » 2014/24/UE.

* 42 Cf. la troisième partie du présent rapport.

* 43 Considérants 87 et 130 de la directive « secteurs spéciaux » 2014/25/UE.

* 44 La France a transposé cette disposition par anticipation (décret n° 2014-1097 du 26 septembre 2014 portant mesures de simplification applicables aux marchés publics).

* 45 Le cycle de vie du produit correspond aux étapes successives qui ont permis la création et l'exploitation de l'ouvrage ou du service faisant l'objet de l'achat public (recherche, production, commercialisation, transport, maintenance, etc .).

* 46 Considérant 42 de la directive « marchés publics » 2014/24/UE.

* 47 Soit les besoins du pouvoir adjudicateur qui ne peuvent être satisfaits sans adapter des solutions immédiatement disponibles dans la sphère marchande.

* 48 Cf. la troisième partie du présent rapport.

* 49 Auparavant, la jurisprudence interdisait toute « modification substantielle du contrat » par avenant, sans préciser à partir de quel seuil ces évolutions contractuelles étaient considérées comme « substantielles » (CJUE, 19 juin 2008, Pressetext Nachrichtenagentur , C-454/06).

* 50 Cf. les deux arrêts suivants : CJUE, 18 novembre 1999, Teckal Srl , C-107/98 et CJUE, 9 juin 2009, Commission c/ Allemagne , C-480/06.

* 51 Une entreprise liée est une structure publique sur laquelle le pouvoir adjudicateur exerce un contrôle analogue à celui qu'il détient sur ses propres services. Tel est par exemple le cas d'une société publique locale créée par une commune pour gérer la distribution de son eau potable.

* 52 Cette différence entre les SPL et les SEM s'explique par la présence d'actionnaires privés dans le capital des SEM.

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