II. INTERVENTIONS DES REPRÉSENTANTS DE L'ETAT

M. Jean-Marie Bockel, président

Je donne la parole aux représentants de l'État.

La crise actuelle place les collectivités face à de nouveaux problèmes : hébergement, accompagnement, intégration, financement, et coordination avec les services de l'État. Au-delà de l'urgence, se posent par conséquent des questions de principe : à côté de la compétence de l'État, qui est première, une nouvelle compétence est-elle en train de se dessiner ? N'est-il pas nécessaire de clarifier, y compris en droit, les attributions respectives de l'État et des collectivités ? Comment peut s'opérer le partage des responsabilités ?

M. Pierre-Antoine Molina, directeur général des étrangers en France

J'aimerais apporter des réponses précises aux interrogations formulées.

La France fait face à une situation migratoire exceptionnelle à l'échelle du continent européen. Cette situation s'est accélérée et a changé d'orientation géographique depuis un an, la route de la Méditerranée orientale prenant une place prépondérante dans les flux migratoires à la place de la Méditerranée centrale un an plus tôt. Les populations qui empruntent cette nouvelle voie sont des Syriens, des Irakiens ou des Afghans, alors que la première concernait surtout des Soudanais, des Erythréens et des ressortissants d'Afrique subsaharienne ou d'Afrique de l'Ouest.

Le continent européen fait face à un flux migratoire important, mais on ne constate pas d'afflux massif sur le territoire français. La demande d'asile s'était légèrement tassée en France l'an dernier ; elle remontera légèrement cette année, mais n'atteindra pas le changement d'échelle.

Par ailleurs, les engagements pris par l'État vont entrer seulement maintenant dans leur phase de mise en oeuvre. Ces engagements sont de deux types :

- ils concernent d'abord la relocalisation, qui consiste à orienter vers d'autres pays de l'Union européenne, des migrants arrivés sur un territoire. Le dispositif est couplé avec un renforcement du contrôle aux frontières. La France a pris dans ce cadre, des engagements en deux temps : le 14 septembre 2015, le Conseil JAI (Justice Affaires intérieures) a pris une première décision portant sur 6 700 personnes ; puis l'engagement a porté, la semaine suivante, sur 24 000 personnes (dont 10 000 seront accueillies seulement dans un an). Concernant les personnes réinstallées, les engagements pris par la France à l'égard de ses partenaires portent sur 2 300 personnes sur deux ans. La France mène par ailleurs d'autres programmes de réinstallation, indépendamment de ces engagements, en particulier en direction des ressortissants syriens et des minorités religieuses persécutées d'Irak. Pour faire face à cette situation, la France a pris des mesures avant même que la crise ne s'exacerbe, en réformant notamment, dès 2013, la procédure de demande d'asile. Les délais ont ainsi été réduits à tous les stades de la procédure, et les mesure sont actuellement mises en oeuvre, au niveau du guichet unique et de l'OFPRA. Nous devrons ensuite observer les effets de la nouvelle procédure au niveau de la CNDA ;

- l'hébergement directif constitue la seconde orientation de cette réforme, et répond à la nécessité d'une répartition équilibrée des demandeurs d'asile sur le territoire. Le Premier ministre a annoncé à l'Assemblée nationale une accentuation des efforts, pour un montant de près de 280 millions d'euros.

Comment se situe, dans ce contexte, le rôle des collectivités locales ?

La prise en charge des demandeurs d'asile constitue une compétence de l'État.

- La question de l'hébergement, tout d'abord, est prise en charge par l'État, qui se trouve confronté à une difficulté sur ce point et c'est pourquoi des mesures importantes ont déjà été prises. Les intervenants du secteur préconisaient environ 20 000 hébergements supplémentaires. Or, en cinq ans, l'État a décidé et en partie mis en place 18 500 places de CADA et 4 000 places d'ATSA (Accueil Temporaire Service Asile).

- Une allocation est par ailleurs versée aux demandeurs d'asile, qu'ils soient hébergés ou non en CADA.

- L'État finance également l'accompagnement des demandeurs d'asile, sur les plans administratif et social.

- Enfin, la Sécurité Sociale finance l'assurance maladie dont bénéficient ces populations.

Le rôle des collectivités locales est attendu en matière d'hébergement et d'accompagnement.

Les besoins en termes de logement sont les suivants : des espaces, un opérateur, un financement. L'accueil des demandeurs dans le cadre des processus de relocalisation se fera en CADA, avec un financement de l'État incluant l'accompagnement social - lequel est réalisé par des opérateurs spécialisés comme ADOMA ou certaines associations. Toutefois, ces opérateurs ont besoin de trouver des opportunités foncières : c'est à ce niveau que les collectivités locales peuvent jouer un rôle important. Les collectivités possèdent également un rôle essentiel dans l'acceptation de l'accueil en CADA. Des appels à projets sont actuellement en cours pour la création de 4 000 places de CADA et 2 000 places d'ATSA d'ici à la fin de l'année. Or nous avons constaté un afflux de projets ces dernières semaines, ce qui traduit une réelle mobilisation au plan local. En s'appuyant sur des expériences positives, dont nombre d'entre vous peuvent témoigner, il est possible de favoriser l'acceptation de ces structures par la population.

Ensuite, les collectivités peuvent intervenir dans l'accompagnement des demandeurs d'asile par une mobilisation de leurs dispositifs, en lien avec les opérateurs. Cet accueil doit s'opérer de manière ordonnée et professionnelle, et nous travaillons dans ce cadre. Ainsi, l'arrivée des personnes relocalisées doit s'effectuer de manière organisée : c'est pourquoi la France insiste pour qu'elle se passe par les hotspots des pays de première entrée. Concernant le montage des dossiers d'accueil par les opérateurs et les collectivités, le ministre a envoyé une première instruction le 12 septembre aux préfets ; elle sera suivie d'une instruction plus précise sur le processus de relocalisation. Les collectivités sont invitées à se rapprocher des services de l'État afin d'optimiser l'organisation du processus.

J'ajoute que l'effort de l'État ne cesse pas lorsqu'une personne acquiert le statut de réfugié. Une part de l'enveloppe de 280 millions d'euros annoncée par le Premier ministre est destinée au logement et à l'accompagnement social des réfugiés.

Les services de l'État sont par ailleurs à la disposition des collectivités pour assurer une coordination étroite des actions.

Enfin, le pilotage du processus par l'État se renforce actuellement, notamment dans le cadre de la réforme récente :

- Sur le plan de l'hébergement, toutes les actions seront pilotées par l'OFII (Office Français de l'Immigration et de l'Intégration).

- Pour le relogement, l'État pilote les actions de manière à favoriser l'installation des migrants sur les zones « détendues » - l'attribution de logements ayant toutefois vocation à intervenir au niveau local pour être efficace.

Concernant l'aide apportée aux collectivités locales, l'État met en place deux types d'instruments :

- l'aide pour l'hébergement, d'un montant de 1 000 euros par place, est assurée par un fonds de 15 millions d'euros ;

- d'autres instruments seront mobilisés pour le logement (dispositif d'aides de l'Agence nationale de l'habitat et fonds à destination des collectivités).

J'en viens enfin à la question des personnes déboutées du droit d'asile. Celle-ci ne se pose pas spécifiquement dans le contexte actuel : en effet, les personnes accueillies en relocalisation ou en réinstallation se trouvent en besoin manifeste de protection, et seule une faible proportion d'entre elles sera déboutée. Par ailleurs, la loi récemment adoptée donne de nouveaux instruments pour permettre de libérer des places de CADA indûment occupées. Enfin, la réduction des délais d'instruction a vocation à faciliter le retour, tout comme la refonte des aides au retour. Une expérience en cours dans les centres de préparation au retour donne par ailleurs des résultats préliminaires intéressants, et a vocation à être étendue.

M. Kléber Arhoul, préfet, coordinateur national chargé de l'accueil des migrants

La première des missions qui m'ont été confiées en tant qu'interlocuteur de référence, consiste à établir un dialogue structuré avec les grandes associations que vous représentez. En effet, nous ne parviendrons pas à une réussite collective durable dans l'installation des réfugiés si nous ne conduisons pas ce dialogue en amont. Je l'ai déjà engagé avec l'AMF, et il se poursuivra avec les autres associations. Tout peut être dit dans le cadre de cet entretien bilatéral. J'entends tout ce qui se dit, et m'intéresse également beaucoup à ce qui ne se dit pas. C'est dans ce travail en amont que nous réussirons. Au pilotage national s'ajoutera une coproduction territoriale, et c'est cette double articulation qui constituera une spécificité française de l'accueil des réfugiés.

J'ai également reçu pour mission de développer une approche globale dans l'accueil des réfugiés.

- L'éducation doit constituer la clé de voûte de l'intégration de ces populations avec l'apprentissage de la langue française qui doit intervenir le plus en amont possible, et l'inscription des enfants dans notre système éducatif.

- Les questions de santé doivent également être prises en compte en amont. Les réfugiés qui arrivent dans notre pays ont en effet traversé des épreuves, parfois très brutales. J'attire particulièrement l'attention de la représentation nationale sur les situations de détresse psychologique, voire psychiatrique, que l'on constate au sein de ces populations. Il faut prendre en compte ces questions dans la répartition sur les territoires.

- La question de l'emploi revêt également un caractère essentiel. Le Directeur général de l'OFPRA dispose aujourd'hui d'une visibilité très précise des profils de ces migrants, dont certains sont extrêmement intéressants et bien formés. Nous devons mettre ces compétences au service de nos territoires, par le biais de mécanismes d'équivalences de diplômes. Nous menons actuellement ce travail fin de mise en adéquation des profils recensés et des besoins qui s'expriment ou s'exprimeront dans les territoires pour que les affectations géographiques soient une réussite.

- Enfin, j'ai rencontré, dès ma prise de fonction, le Directeur général de la CNAF (Caisse Nationale des Allocations Familiales), afin de mettre en place une procédure permettant un accès aux droits optimal et rapide, dans le mois même de l'inscription à la Caisse.

Le ministre est par ailleurs très attaché à l'articulation entre la coordination nationale qui m'est confiée et le niveau départemental. Il a ainsi été demandé à l'ensemble des préfets de département de désigner des coordonnateurs départementaux. Je les réunirai avec les grandes directions - Direction générale des étrangers en France, OFPRA, OFII, DIAL, Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) - et d'autres acteurs, afin de leur expliquer les grandes lignes de notre stratégie.

Je me réjouis que les collectivités nomment également des coordinateurs. Ce mécanisme liant les niveaux national, départemental et local permettra une action fluide et cohérente. Or notre politique d'accueil des réfugiés en France doit être fondée sur une cohérence, à la fois territoriale et stratégique, jointe à un souci d'évaluation. Nous pourrons ainsi opérer, au bout d'un an, les corrections de trajectoire qui s'avéreront nécessaires.

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