II. EXAMEN ET ADOPTION DU PRÉSENT RAPPORT D'INFORMATION, LE 7 OCTOBRE 2015
Mercredi 7 octobre 2015, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, président, a procédé à l'examen du rapport de MM. Jacques Legendre et Daniel Reiner, co-présidents du groupe de travail sur « l'Iran : le renouveau d'une puissance régionale ? ».
M. Jacques Legendre, rapporteur . - Le 1 er juillet dernier, Daniel Reiner, Michelle Demessine, Joël Guerriau et moi-même, nous avons rendu compte à la commission des premières réflexions auxquelles nous avait conduits le déplacement de notre groupe de travail, au mois de juin, en Iran. Nous avions alors achevé le cycle d'auditions que nous avons mené tout au long du premier semestre, d'une quarantaine de personnes au total : des chercheurs et des hauts fonctionnaires français, et des responsables iraniens. Depuis cette première communication, un élément nouveau - que nous avions anticipé - est survenu, qui a changé la donne pour l'Iran, et peut-être pour l'avenir du Proche et Moyen-Orient : l'accord signé à Vienne le 14 juillet 2015.
Cet accord a revêtu une dimension historique : il a marqué la fin de douze années d'une crise diplomatique visant le programme nucléaire iranien. On a pu voir dans ce résultat un succès de la diplomatie dite de « double approche » du dossier - qui a associé, au dialogue avec l'Iran, une pression croissante sur celui-ci, au moyen de sanctions (embargos commerciaux et gel d'avoirs de personnes physiques et morales). Cet accord constitue aussi un succès pour la diplomatie française, qui a témoigné sa fermeté dans les négociations, en adoptant avec constance une position clairement fondée sur le souci de la non-prolifération régionale. Les conditions que notre pays avait posées à un accord avec l'Iran ont été satisfaites : caractère durable de la limitation des capacités iraniennes de recherche et de production nucléaire ; régime rigoureux des vérifications prévues sur les sites nucléaires iraniens, y compris militaires au besoin ; enfin, automaticité du retour aux sanctions internationales en cas de violation de ses obligations par l'Iran dans l'avenir. Les bonnes nouvelles sont suffisamment rares au Proche-Orient pour que nous saluions celle-ci !
Une question-clé est donc maintenant de savoir si l'accord trouvé à Vienne va effectivement permettre à l'Iran de redevenir un acteur « normal » dans le jeu diplomatique. Il paraît encore trop tôt pour le dire avec certitude. La détermination des Iraniens à appliquer l'accord n'est pas la seule inconnue : à brève échéance, une autre donnée majeure tiendra au résultat des élections présidentielles prévues aux États-Unis en 2016, et donc à l'orientation de la politique étrangère américaine à partir de 2017 - on se souvient de l'hostilité manifestée par les Républicains américains à un accord sur le nucléaire iranien. L'accord de Vienne ne doit donc être encore envisagé, prudemment, que comme la possibilité d'un changement.
C'est bien dans cette perspective que notre groupe de travail s'est placé. Nous avons souhaité évaluer la façon dont l'Iran se trouve potentiellement à même de jouer à nouveau sa partie - il n'y a d'ailleurs jamais renoncé - au sein du concert des Nations. Il s'est donc agi pour nous de prendre la mesure de la puissance iranienne et de nous faire une idée, aussi fidèle que possible, d'un pays particulièrement complexe et qui multiplie les paradoxes.
Le groupe de travail a ainsi pu étayer ce qui est devenu sa certitude : l'Iran constitue une puissance majeure au Proche et Moyen-Orient - que cela plaise ou non ; et il est indispensable de la considérer comme telle. Néanmoins, la vocation de cette puissance n'est pas encore certaine. Quel rôle va-t-elle pouvoir et vouloir jouer dans le proche avenir ? Sous l'hypothèse de la « normalisation » autorisée par l'accord de Vienne, l'Iran acceptera-t-il de faire usage de sa capacité d'influence au bénéfice du règlement des nombreuses crises où il se trouve actuellement impliqué, en faveur de la stabilité régionale ? Au contraire, choisira-t-il de poursuivre, au gré de l'analyse qu'il fera de ses intérêts, les opérations de déstabilisation dont il est soupçonné depuis des décennies ?
On peut au moins avancer que l'Iran, suivant son propre intérêt bien compris, devrait se trouver davantage disposé à un engagement en faveur de la résolution des crises régionales qu'il ne l'était avant l'accord de Vienne... D'où l'importance des différents paramètres de sa puissance : c'est eux, finalement, qui paraissent devoir guider les futurs choix iraniens.
Nous avons ainsi analysé, d'abord, le rayonnement diplomatique de l'Iran. Cette diplomatie semble osciller entre un pôle idéologique, issu des principes de la Révolution islamique, et un pôle pragmatique, qui cherche à tirer profit des opportunités de la conjoncture internationale. Néanmoins, le régime se tient à une constante double ligne anti-États-Unis et anti-Israël.
Au niveau régional, la politique étrangère iranienne met en oeuvre une forte solidarité avec les autres communautés chiites : le prisme religieux éclaire un grand nombre de ses entreprises. Ainsi, en Irak, autre État majoritairement chiite, l'influence de l'Iran s'avère aujourd'hui déterminante. Téhéran, en particulier, prend une part substantielle, auprès des forces irakiennes, dans la résistance à Daesh, entretenant des milices chiites à cet effet - même si l'insuffisance de ces moyens a conduit le gouvernement irakien, par souci d'efficacité, à faire appel à l'appui des frappes aériennes ciblées offert par la coalition menée par les États-Unis. À Bahreïn, gouverné par une monarchie sunnite mais également peuplé d'une majorité chiite, l'Iran entretient notoirement des liens privilégiés avec cette dernière ; il est périodiquement soupçonné d'être à l'origine de diverses tentatives de déstabilisation politique - l'Arabie saoudite est intervenue, par le passé, au soutien du gouvernement. Au Yémen, l'Iran, malgré ses dénégations répétées, est fortement suspecté d'approvisionner en armes la minorité chiite des Houthis, actuellement rebellée contre le gouvernement de la majorité sunnite - que soutient la coalition dirigée par l'Arabie saoudite. Au Liban, le parti chiite Hezbollah, créé en 1982, fait figure de véritable « produit d'exportation » de la Révolution islamique ; l'Iran, par cet intermédiaire qu'il soutient puissamment, conserve une emprise forte sur le Pays du Cèdre. Alors que celui-ci se trouve aujourd'hui soumis à des conditions déstabilisatrices (vacance des institutions, afflux de réfugiés...), il pourrait représenter, dans les prochains mois, un test révélateur de la volonté de Téhéran à faire preuve, ou non, d'une attitude constructive en faveur de la stabilité du Proche-Orient. En Afghanistan, l'Iran entretient des relations privilégiées avec la minorité des Hazaras, chiites - comme avec les Tadjiks, persanophones -, à l'encontre de la communauté pachtoune, sunnite.
Mais les engagements iraniens au Proche et Moyen-Orient excèdent ce paradigme confessionnel. C'est ainsi qu'en Syrie, le soutien assuré par l'Iran au bénéfice du régime baasiste - laïc - de la famille al-Assad, elle-même alaouite mais, ce faisant, pouvant être considérée comme dissidente par rapport à l'orthodoxie chiite, paraît au fond dépourvu de motif religieux ; il est bien davantage d'ordre géopolitique. Ce soutien n'en est pas moins, jusqu'à présent, indéfectible. La plupart des experts estiment que le régime de Damas se serait effondré sans le concours d'ordre à la fois politique, militaire et financier assuré par l'Iran. Celui-ci, de la sorte, reste, dans ce dossier, au centre du jeu diplomatique... La stratégie paraît fructueuse : vous aurez noté, en septembre dernier, la déclaration commune sur la Syrie de la Haute-Représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Mme Mogherini, et du ministre iranien des affaires étrangères, M. Zarif ; et les États-Unis se sont déclarés prêts à travailler avec l'Iran, comme avec la Russie, dans la perspective du règlement du conflit syrien - à la condition que ce ne soit pas au profit de Bachar al-Assad.
Dans le même ordre d'idée, l'inimitié de l'Iran chiite et de l'Arabie saoudite wahhabite ne repose de toute évidence qu'en partie sur ces éléments confessionnels : la proximité traditionnelle de Ryad avec les États-Unis, rapportée à l'antiaméricanisme de Téhéran, représente un facteur probablement plus agissant. La concurrence s'exerce sur plusieurs théâtres extérieurs, en forme de guerre par procuration - en Irak, en Syrie, au Yémen... L'affrontement se joue également sur un plan économique, l'Arabie saoudite utilisant contre les intérêts iraniens le poids de sa production en pétrole sur les cours mondiaux. Malgré des déclarations du président iranien, M. Rohani, qui ont montré une possible voie d'apaisement avec Ryad, la situation n'a guère évolué. Le rapprochement entre les deux États que pourrait susciter, notamment, la cause commune de la lutte contre Daesh, se fait attendre.
L'opposition iranienne à Israël passe par un soutien affiché de l'Iran à la cause palestinienne. Le Hamas, essentiellement à Gaza, bénéficie ainsi de l'appui diplomatique et militaire de Téhéran, relayé par le Hezbollah libanais. Cependant le Fatah, en Cisjordanie, s'est montré ces dernières années plus réservé à l'égard de ce qu'il semble tenir pour une volonté d'ingérence.
Enfin, avec la Turquie, Téhéran semble
engagé dans une forme d'alliance relative, qui fait fond sur une vieille
rivalité, persistante, pour tenir le rôle de grande puissance
régionale non-arabe et de nation chef de file du monde islamique. L'Iran
s'est d'ailleurs longtemps défié d'un pays, membre de l'OTAN et
partenaire d'Israël, qui postulait à intégrer l'Union
européenne. Mais l'arrivée au pouvoir à Ankara, en 2002,
du Parti de la justice et du développement (AKP), la promotion des
valeurs islamiques
- sunnites, certes - par le gouvernement turc,
et plus récemment les distances prises par celui-ci tant avec l'Europe
qu'avec Israël, ont incité au rapprochement. Ainsi, la Turquie a
représenté, ces dernières années, l'un des rares
soutiens reçus par l'Iran dans son projet de se doter d'un programme
nucléaire civil. Il est vrai que d'importants enjeux commerciaux
unissent les deux pays. Cela n'a pas empêché, notamment, que le
gouvernement d'Ankara, à rebours de celui de Téhéran,
prenne le parti des opposants à Bachar al-Assad en Syrie.
Au-delà de sa région, par convergence d'intérêts, l'Iran a noué d'autres partenariats stratégiques ; je me bornerai ici à mentionner le cas de la Chine et celui de la Russie. La relation est surtout économique avec la Chine, qui représente aujourd'hui le principal partenaire commercial de l'Iran. Les orientations de la diplomatie chinoise paraissent guidées, là comme ailleurs, par le pragmatisme. La Russie est le premier fournisseur d'armes de l'Iran. De fait, elle s'est conformée, un temps, aux mesures d'embargo international en la matière, elle n'a cependant pas renoncé à ce commerce : on l'a bien vu, au mois d'août dernier, avec la confirmation officielle de la livraison à l'Iran, avant la fin de l'année, de batteries de défense antiaérienne sol-air russes, de type S-300, vendues pour un montant de 800 millions de dollars.
M. Daniel Reiner, rapporteur . - La capacité militaire de l'Iran est en effet un autre aspect de la puissance du pays auquel notre groupe de travail s'est attaché.
L'armée régulière iranienne est toujours aujourd'hui marquée, comme le reste du pays, par la guerre Iran-Irak et ses centaines de milliers de morts. Elle compterait 350 000 hommes environ, et dispose d'un équipement assez hétérogène, de qualité plutôt moyenne : des acquisitions récentes auprès de la Russie, la Chine ou la Corée du Nord, et du matériel acquis, avant 1979, auprès des Occidentaux - dont les États-Unis et la France. L'Iran, cependant, grâce aux transferts de technologie dont il a bénéficié auprès de ses partenaires, a mis en place une industrie d'armement nationale, dont une filière balistique. Son budget annuel d'armement est évalué de 2,5 % à 3 % du PIB - ce qu'il faut notamment comparer aux dépenses militaires des États membres du Conseil de coopération du Golfe qui, cumulées, s'avèrent huit fois supérieures. La doctrine officielle est d'ailleurs strictement défensive. Et l'état des forces iraniennes disponibles paraît fort modeste : la capacité de résistance de la flotte est estimée par les experts comme extrêmement limitée au regard de la puissance de la flotte américaine basée à Bahreïn ; les 330 avions de combats des forces aériennes du pays sont en partie inutilisables, du fait de leur vétusté et du manque de pièces détachées...
Mais l'armée régulière de l'Iran se trouve doublonnée, depuis 1979, par l'organisation de Pasdarans, les « Gardiens de la Révolution islamique ». C'est une sorte d'armée parallèle. Ils disposent de leur propre équipement militaire, souvent plus performant que celui de l'armée régulière, et de leurs propres troupes - dont la force d'élite Qods, bras armé des interventions non conventionnelles de l'Iran en dehors de son territoire ; on sait qu'une partie de cette force se trouve aujourd'hui en Syrie. Ces Pasdarans, de plus, constituent une véritable organisation économique, dont les membres contrôleraient près de 40 % de l'économie de l'Iran, dans tous les secteurs. Et ils sont une force politique essentielle, dont l'emprise sur la société iranienne se révèle très concrète au quotidien.
Nous avons également cherché à analyser les aspects économiques et la société de l'Iran.
Sur l'économie, je me tiendrai à l'essentiel. Les ressources iraniennes sont importantes : le pays détient 10 % des réserves pétrolières de la planète et 18 % des réserves de gaz naturel ; sa population de près de 80 millions d'habitants fait de lui le plus gros marché intérieur du Moyen-Orient. Cette économie a connu ces dernières années un repli considérable - une contraction de 8,5 % du PIB entre 2012 et 2014. La situation est avant tout imputable aux embargos internationaux : le coût des sanctions internationales qui ont visé l'Iran est estimé aux alentours de 500 milliards de dollars. Pendant cette période, le marché iranien s'est réorienté vers ses voisins émiratis et irakiens, vers la Turquie, ainsi que vers la Chine, la Corée du sud et l'Inde. Mais le ralentissement économique du pays a tenu aussi à une inflation massive et à la chute des cours du pétrole. Les perspectives actuelles de reprise sont conditionnées à la mise en oeuvre effective du scénario tracé par l'accord de Vienne pour la levée des sanctions.
L'Iran pourrait renouer avec une activité forte : la Banque mondiale prévoit une croissance de l'ordre de 5 % du PIB dès 2016, qui devrait se prolonger pendant plusieurs années. On anticipe en effet la relance du commerce extérieur et des investissements étrangers, mais aussi la disponibilité nouvelle des quelque 100 à 150 milliards de dollars d'avoirs iraniens à l'étranger qui ont été gelés du fait des sanctions. Ce redémarrage implique toutefois que le gouvernement iranien mette en place certaines réformes structurelles. Ces réformes impliquant une diminution du contrôle de l'économie par les Pasdarans, elles risquent naturellement de rencontrer une forte opposition... Il semble néanmoins qu'un certain consensus se soit noué, pour libéraliser graduellement l'économie, au sein de la société iranienne.
Naturellement, notre groupe de travail s'est penché façon plus large sur le devenir de cette société. Notre rapport, à cet égard, se fonde principalement sur les auditions que nous avons menées à Paris, car il ne nous a pas été possible de rencontrer librement des représentants la société civile pendant notre déplacement - très encadré - en Iran. Le pays, malgré une image internationale marquée par le dossier nucléaire, ne se réduit pas à son régime politique, ni ce régime aux idées simplistes que l'on en donne parfois.
L'Iran se trouve depuis 1979 sous l'emprise d'un système de gouvernement se voulant théocratique, en grande partie à la main du Guide suprême. Toutefois, ce système présente paradoxalement des aspects démocratiques ; nos interlocuteurs iraniens se sont d'ailleurs fait fort de souligner que le président de la République était élu (Hassan Rohani, en juin 2013, l'a été avec un taux de participation remarquablement élevé de 72,7 %) et que le Parlement (Majles) était influent : il peut s'opposer à la nomination de ministres et provoquer leur destitution. Et on distingue plusieurs courants politiques.
Une vision un peu manichéenne conduit souvent à opposer, d'un côté, un courant conservateur, idéologiquement dur - proche du Guide Khamenei et des milieux sécuritaires, incarné par le Président Ahmadinejad entre 2005 et 2013 et, depuis 2012, majoritaire au Parlement - et, de l'autre côté, un mouvement réformateur-modéré que représenterait, aujourd'hui, le gouvernement Rohani. Mais la réalité paraît plus complexe. Ainsi, le Président Ahmadinejad, considéré comme ultra-conservateur, a été jusqu'à présent le seul président laïc de la République islamique. Inversement, la candidature d'Hassan Rohani a été nécessairement autorisée par le Guide, puis son élection ratifiée par celui-ci. En fait, il ne paraît pas possible aujourd'hui de gouverner, en Iran, sans l'aval du Guide : il n'y a pas d'opposition véritable.
La situation récemment observée dans le pays en matière de droits de l'Homme tend hélas à le prouver. L'arrivée au pouvoir du Président Rohani avait fait naître l'espoir d'une amélioration en ce domaine ; ces espoirs sont aujourd'hui déçus. Le rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l'Homme en Iran, M. Ahmed Shaheed, dans son rapport de mars dernier, a souligné la dégradation continue de la situation, regardant les exécutions capitales, la liberté d'expression ou la situation de certaines minorités - même si notre attention a été attirée sur le fait que les chrétiens, les juifs et les zoroastriens disposaient en Iran d'une représentation parlementaire.
J'ajoute que la condition des femmes est difficile. La Révolution islamique a maintenu certains des acquis du mouvement d'émancipation qu'avaient conduit les shahs Pahlavi - droit de vote, scolarisation, incitation à faire des études. À peine un quart des Iraniennes étaient alphabétisées en 1979, contre près de 90 % aujourd'hui, et 60 % des étudiants iraniens, toutes disciplines confondues, sont des étudiantes. Mais elles souffrent, notamment, de la tenue vestimentaire qui leur est imposée en public, de restrictions en termes d'accès à l'emploi ou de présence dans l'espace social - les manifestations sportives, entre autres -, et de l'abaissement de leur âge légal de mariage. Cet âge légal est de quinze ans depuis 2004, contre neuf ans en 1979, alors qu'il était de dix-huit ans avant la révolution.
Il est vrai que les marges de manoeuvre du gouvernement paraissent étroites, sur ces sujets, face aux résistances des milieux les plus conservateurs, tant au sein du régime que dans la société rurale. La société iranienne actuelle, néanmoins, est composée d'une classe moyenne importante et éduquée, et jeune - 55 % des habitants ont moins de 30 ans ; cette composante peut être considérée comme la promesse d'un autre avenir. Le « Mouvement Vert », issu de la protestation populaire à laquelle a donné lieu la réélection de M. Ahmadinejad à la présidence de la République, en juin 2009, avait paru incarner cette promesse. Aujourd'hui, la résignation au régime semble plus grande ; peut-être a-t-elle été favorisée par l'attente de l'issue des négociations sur le programme nucléaire. La normalisation rendue possible par l'accord de Vienne pourrait favoriser une évolution positive. À court terme, en tout cas, une nouvelle révolution, qui impliquerait de nouveaux sacrifices pour le peuple iranien, ne semble pas l'issue la plus probable : les progrès resteront sans doute lents à prendre forme. Le résultat des prochaines élections législatives iraniennes, prévues en mars 2016, devrait en constituer un bon indicateur.
Ce panorama de l'Iran dressé, notre groupe de travail s'est naturellement interrogé sur la façon dont la France doit orienter sa relation avec le pays. Les liens franco-iraniens ont une histoire longue, ponctuée de nombreux aspects positifs. L'appauvrissement récent de cette relation, notamment sur le plan des échanges culturels, a résulté de motifs d'ordre conjoncturel : le dossier nucléaire.
D'une part, dans le contexte des sanctions internationales appliquées à l'Iran depuis 2006-2007, les échanges économiques entre nos deux pays se sont considérablement restreints. Les importations françaises en provenance d'Iran ont connu une chute brutale, passant de 1,77 milliard d'euros en 2011 à 48 millions d'euros en 2013, en raison de l'arrêt des importations de pétrole iranien à la suite de l'embargo européen total décidé, en la matière, en janvier 2012. Nos exportations vers l'Iran, de même, ont fortement diminué, s'établissant à 453 millions d'euros en 2014, contre 1,66 milliard en 2011. Les difficultés commerciales ont pour partie résulté d'un problème de financement : les banques françaises, qui effectuent leurs transactions en dollar, se trouvent presque toutes exposées au dispositif de sanctions des États-Unis ; en considérant la « jurisprudence » dégagée l'occasion de l'affaire BNP-Paribas en 2014, ces banques ont souvent refusé de prendre en charge les transactions financières avec l'Iran, même dans des secteurs pourtant non ciblés par les sanctions. Sur place, en conséquence, d'autres firmes européennes, mais surtout des sociétés chinoises, coréennes et turques, se sont substituées aux françaises.
D'autre part, les relations politiques entre la France et l'Iran, dans le contexte de la négociation sur le programme nucléaire iranien, ont évidemment été tendues. On peut toutefois gager que les Iraniens savent faire la part des choses, et que la qualité de la relation franco-iranienne ne sera pas durablement affectée par l'histoire récente. Les signes de restauration de nos liens sont déjà tangibles.
Au plan politico-diplomatique, la normalisation a été amorcée, deux semaines seulement après l'accord de Vienne, par la visite officielle du ministre français des affaires étrangères à Téhéran, qui s'est bien déroulée. Le 27 septembre dernier, en marge de l'assemblée générale des Nations Unies, le Président de la République et son homologue iranien, M. Rohani, se sont entretenus. À cette occasion, deux idées fortes ont été exprimées, auxquelles souscrit notre groupe de travail : le rôle majeur de l'Iran sur la scène régionale appelle un dialogue franco-iranien nourri, et nos deux pays doivent renouer avec les projets économiques conjoints. Une visite du Président Rohani en France est désormais annoncée pour le mois de novembre prochain.
Il est en effet indispensable de rétablir un dialogue politique continu, au plus haut niveau, entre la France et l'Iran, en vue du règlement des crises en Irak, en Syrie, au Liban, en Palestine... Certes, le sens de l'implication iranienne sur la scène régionale reste sujet à caution ; le soutien actuel fourni par le régime de Téhéran à celui de Damas, entre autres, l'éloigne des options défendues par la diplomatie française. Néanmoins, compte tenu du poids du pays dans la région, il s'agit pour nous d'un interlocuteur nécessaire.
Au plan économique, dans un contexte de concurrence internationale très forte, diverses missions d'entreprises françaises se sont rendues, récemment, en Iran. En dernier lieu, au mois de septembre dernier, une délégation de près de 150 entreprises conduites par le MEDEF a accompagné la visite de Iran du ministre français de l'agriculture et du secrétaire d'État chargé, notamment, du commerce extérieur. Les discussions ont d'ores et déjà permis d'identifier les secteurs dans lesquels l'expertise française est attendue : l'industrie pétrolière - Total se trouve bien positionné ; le secteur automobile - Renault et Peugeot sont historiquement présents en Iran, et une étude réalisée par Renault estime que le marché iranien pourrait atteindre deux millions de voitures d'ici cinq ans ; l'aéronautique - vu l'âge moyen de la flotte civile iranienne, le besoin est estimé de 400 à 500 avions de ligne sur les dix prochaines années ; l'agriculture, en particulier dans le domaine de l'irrigation, et l'agro-alimentaire - des accords bilatéraux sont d'ores et déjà signés en ce domaine ; le tourisme, pour lequel le potentiel est considérable...
La reprise des investissements français en Iran suppose cependant la réouverture des canaux bancaires. Mais nos entreprises ont manifestement la possibilité de jouer l'atout que constitue, pour leur réimplantation dans le pays, la bonne image dont y jouit toujours le nôtre. Nous approuvons donc l'effort d'appui engagé par l'État en ce domaine : récente ouverture d'un bureau de Business France à Téhéran, renforcement du service économique de notre ambassade, mise en place d'une commission mixte bilatérale... Il convient bien sûr de prolonger cet effort.
M. Jacques Legendre, rapporteur . - Un mot encore sur notre coopération culturelle avec l'Iran, qui s'avère aujourd'hui modeste.
Il n'y a pas d'Institut français à Téhéran ; les autorités iraniennes ne l'ont pas permis. On ne trouve dans la ville qu'un « Centre de langue française ». L'activité de cet établissement est réelle, mais elle a été mise en sommeil, à la fin de l'année 2011, faute d'autorisation des autorités iraniennes ; le Centre n'a pu reprendre ses cours de langue qu'en juillet 2013. Cette activité pourrait connaître un vif essor, car la demande est croissante, mais cela supposerait l'aménagement de nouveaux locaux. Or, si l'implantation immobilière de l'établissement rend l'opération possible, celle-ci requiert des financements nouveaux. Par ailleurs, l'Institut français de recherche en Iran (IFRI), dont la mission est de promouvoir la recherche sur le « monde iranien », fonctionne au ralenti, ce qui est préjudiciable à notre faculté d'appréhension du pays.
En France, l'accueil d'étudiants iraniens est limité : ils sont au nombre de 1 800, bon an, mal an, actuellement. Un partenariat scientifique franco-iranien, de type « Hubert Curien », semble donner de bons résultats. Toutefois, les études iraniennes en France sont de moins en moins nombreuses, malgré l'activité de spécialistes de renom et d'une jeune génération talentueuse de chercheurs.
Nos capacités d'analyse de la société iranienne doivent dont être restaurées. D'une manière générale, je pense que notre politique d'influence envers l'Iran - et, à partir de l'Iran, dans la région - passe par la relance des différents pôles de notre coopération culturelle. Cette dimension est en effet partie intégrante de la vision que la France doit désormais construire de sa relation avec cette puissance régionale majeure, que notre groupe de travail appelle de ses voeux à la densité.
Il s'agit, non seulement d'offrir de nouveaux appuis au développement de nos entreprises, mais aussi de relayer nos positions au Proche et Moyen-Orient, au bénéfice en particulier de la résolution des crises, et d'y préserver nos intérêts en rééquilibrant nos alliances actuelles. En effet, la France n'a pas à prendre parti entre le monde sunnite et le monde chiite. Félicitons-nous de la qualité actuelle de la coopération politique et militaire française avec l'Égypte, l'Arabie saoudite ou les Émirats arabes unis, mais ne négligeons pas les leviers majeurs d'influence, dans la région, de la relation franco-iranienne, qui s'inscrit dans une longue histoire.
Il s'agit encore de favoriser la diffusion de notre culture et
de nos valeurs. Car coopérer en faveur de la gestion des crises ou du
redémarrage des investissements sur place n'implique en rien
d'acquiescer aux principes défendus par la République islamique,
ni de se rallier à sa vision du monde. Au contraire, l'enjeu pour la
France est de faire rayonner ses valeurs, en poursuivant avec le régime
de Téhéran un échange, le cas échéant,
critique
- que ce soit en matière de diplomatie ou sur les
droits de l'Homme.
Les Présidents Hollande et Rohani sont tombés d'accord sur l'élaboration d'une « feuille de route » commune. Ce document devrait à nos yeux comporter un certain nombre de projets précis. Au plan politique, la lutte contre le terrorisme et la coopération en faveur du règlement des crises régionales doivent guider les termes de ce partenariat. C'est la mobilisation des savoir-faire et de l'excellence de notre pays qui doit permettre de déterminer les autres volets.
Pour ce qui concerne la coopération économique, la France pourrait apporter son soutien d'expertise à la restauration des circuits de financement bancaires des investissements en Iran et de l'Iran, un appui de conseil à l'amélioration par le pays de son environnement des affaires (droit, fiscalité, lutte contre la corruption), et l'accompagnement technique de la candidature iranienne, si elle se confirme, à l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Des jumelages entre chambres de commerce et d'industrie iraniennes et françaises pourraient également figurer de façon opportune dans cette collaboration, ainsi qu'un projet de coopération entre les services français et iraniens chargés du développement touristique.
Pour ce qui concerne la coopération culturelle, il conviendrait d'assurer le soutien de l'Iran au ré-essor de nos établissements culturels à Téhéran, dont j'ai indiqué la situation actuelle. Il s'agirait de faciliter, notamment, la reprise des missions de chercheurs français, et de relancer les fouilles archéologiques menées en commun dans le pays - les fouilles archéologiques ont toujours constitué un excellent vecteur diplomatique ! L'extension des capacités d'accueil de l'école française devrait également figurer dans ce programme, dans la mesure où le redémarrage économique devrait donner lieu au retour, en Iran, d'une expatriation professionnelle française. La France, de son côté, devrait s'engager à augmenter le nombre d'étudiants iraniens qu'elle accueille. Eu égard au potentiel des grands musées français, à commencer par le Louvre, et des musées iraniens - ceux de Téhéran, d'Ispahan, de Chiraz, etc. -, une coopération spécifique pourrait être mise en oeuvre avec profit, au moyen de prêts d'oeuvres et d'expositions croisées.
En résumé, la France doit saisir l'opportunité que représente le nouveau contexte créé par l'accord de Vienne - elle y a contribué -, pour reprendre pied en Iran, parler avec les Iraniens, être aux côtés de la société civile sans se rallier au régime, et rétablir ainsi une relation dont l'histoire est au moins tricentenaire. Les projets que nous proposons seront autant de leviers de notre influence. Notre pays paraît en effet avoir un rôle à jouer, auquel il doit se préparer, dans l'accompagnement des mouvements plus ou moins lents qui se trouvent aujourd'hui en gestation en Iran - ouverture de l'économie, essor d'une société plus libre ; notre groupe de travail tient d'ailleurs à marquer sa confiance dans ces évolutions.
M. Jean-Pierre Raffarin, président . - Et la France dispose de la liberté pour agir en ce sens !
Mme Michelle Demessine . - L'Iran est un pays de paradoxes. C'est ainsi par exemple qu'au-delà de la rigidité de son régime actuel, on y découvre encore une grande civilisation millénaire.
La société iranienne s'est-elle désormais résolue à ce qu'on pourrait appeler un « obscurantisme modéré » ? Il s'agit là pour nous d'une interrogation encore sans réponse. Toutefois, des changements sont manifestement en cours. Certes, la question des droits de l'Homme apparaît encore très lourdement posée ; à cet égard, j'approuve ce qui vient d'être dit par mes collègues. Un pays ne peut pas être une démocratie s'il ne respecte pas la liberté d'expression. La condition des femmes représente une autre préoccupation forte : on perçoit l'existence d'une tension, entre celles qui supportent mal l'obligation vestimentaire qui leur est imposée et les composantes les plus religieuses de la société. Il est encore difficile d'imaginer les voies futures de possibles évolutions. Mais il faut souhaiter ces évolutions et, dans cette attente, ne pas « diaboliser » tout le pays.
D'autant que la francophilie apparaît encore comme très vive en Iran. Beaucoup de traces de notre relation avec le pays, datant d'avant la Révolution islamique, y subsistent. Dans le domaine économique, aujourd'hui, les attentes iraniennes placées dans la France sont grandes ; nous l'avons particulièrement mesuré lors de notre visite à la chambre de commerce et d'industrie d'Ispahan, à l'occasion de nos échanges avec les entrepreneurs locaux. C'est le cas, par exemple, en ce qui concerne le tourisme : notre savoir-faire en la matière est reconnu, qu'il s'agisse de politique touristique, d'hôtellerie, de communication... C'est un marché sur lequel nos entreprises ne doivent pas manquer de prendre l'avantage. D'ailleurs, j'observe que le groupe Accor, le 15 septembre dernier, a déjà conclu un contrat d'exploitation pour un hôtel Ibis et un Novotel, situés l'un et l'autre à l'aéroport de Téhéran ; il s'agit du premier groupe hôtelier international à s'implanter en Iran depuis la révolution de 1979, et du premier retour dans le pays d'une multinationale depuis l'accord de Vienne. C'est un très bon signe !
M. Joël Guerriau . - Les échanges entre la France et l'Iran ont été fortement mis à mal dans la période récente, notamment au plan de l'économie et du commerce, du fait des sanctions internationales. Ces échanges, à présent, reprennent ou sont sur le point de reprendre ; de ce point de vue, le rapport de notre groupe de travail me paraît intervenir de façon très opportune !
Différents obstacles doivent être levés, à l'initiative du gouvernement iranien, pour rendre à nouveau possible la croissance du pays. Il s'agit notamment de remédier à l'inflation et de libéraliser progressivement l'économie. Par ailleurs, les banques iraniennes doivent se réinsérer dans le cadre international et européen, en recréant le réseau de correspondants à l'étranger qu'elles ont perdu à la suite des embargos. La reprise de partenariats importants avec l'Iran sera conditionnée à l'amélioration de l'environnement des affaires. Cela ne sera sans doute pas facile, compte tenu des probables résistances sociales.
On observe déjà des avancées tangibles dans le démarrage de la reconstruction des liens bilatéraux : des délégations d'entreprises et des ministres français se rendent en Iran, le Président Rohani sera bientôt en visite officielle en France, le Président du Sénat a annoncé son propre déplacement, d'ici la fin de l'année, dans le pays... Pour ma part, je crois qu'un puissant facteur de reconsolidation tiendra au développement de partenariats régionaux, entre, d'une part, les régions et chambres de commerce et d'industrie françaises et, d'autre part, les provinces et chambres de commerce et d'industrie iraniennes. La chambre de commerce et d'industrie des Pays-de-Loire s'est déjà rapprochée de son homologue d'Ispahan, qui a reçu notre groupe de travail et où nous avons pu constater, comme l'a dit Michelle Demessine, que la coopération française est bel et bien attendue.
M. Christian Cambon . - La restauration de la relation franco-iranienne exige des signes politiques forts. À la suite de l'attitude et des paroles du ministre des affaires étrangères français dans le cadre de la négociation sur l'accord nucléaire, il y a encore beaucoup de susceptibilités blessées en Iran ; tout n'est pas encore « digéré ». Mais je pense que le Gouvernement et le Président de la République vont prendre l'initiative dans ce domaine.
En rebond aux propos de Joël Guerriau, je souhaite indiquer que beaucoup de difficultés existent encore pour le retour des petites et moyennes entreprises (PME) françaises en Iran. Il ne faudrait pas que les grandes entreprises soient les seules à bénéficier de l'appui des services de l'État et à se trouver associées aux grandes missions organisées sur place ! Nos PME, créatrices d'emplois, qui sont prêtes à développer de nouveaux marchés dans cette région du monde, restent fortement handicapées par la paralysie du réseau bancaire liée à l'affaire BNP-Paribas.
Je crois donc qu'il faut demander au Gouvernement de prendre très vite des initiatives pour que des PME qui ne peuvent se lancer seules dans cette nouvelle aventure soit épaulées par les réseaux publics, comme la Coface, mais aussi par les banques privées, afin qu'elles puissent développer de nouvelles relations avec l'Iran.
Mme Hélène Conway-Mouret . - Je voudrais féliciter les rapporteurs pour leur excellent travail. Chers collègues, vous avez eu raison de rappeler l'histoire de ce grand pays qu'est l'Iran et la relation très forte que nous avons entretenue avec lui pendant longtemps. Nous ne pouvons que nous réjouir d'une reprise des relations bilatérales dans tous les domaines, et notamment en matière commerciale.
Vous avez indiqué que l'armée iranienne ne poursuit pas de but offensif, officiellement. L'Iran ne semble toutefois pas étranger à ce qui se passe au Yémen ! Dans le cadre de l'ouverture actuelle, existe-t-il des opportunités dans le secteur de la défense ? Quelle est la position de la France vis-à-vis de l'Iran dans ce domaine particulier d'activité, qui contribue à souder notre relation, aujourd'hui, avec l'Arabie saoudite ou les Émirats ?
Par ailleurs, s'agissant du domaine culturel, avez-vous noté une volonté du ministère des affaires étrangères de soutenir la relance que vous appelez de vos voeux, notamment par le biais de nos établissements culturels à Téhéran ?
Mme Bariza Khiari . - Merci à nos collègues pour leur excellent rapport et, aussi, pour nous avoir présenté, en juillet dernier, leurs conditions de voyage. C'était très intéressant.
Je pense que l'Iran est maintenant libéré du dossier nucléaire et que le bazar de Téhéran va jouer son rôle en termes économiques.
Malgré un régime actuel assez dur, on perçoit dans la société iranienne une certaine respiration. Elle tient, notamment, à la vitalité du cinéma national : certains films, que les Iraniens peuvent voir dans leur pays, laissent passer un regard critique, même sur le plan religieux.
En ce qui concerne les rapports entre sunnites et chiites, les Iraniens n'aiment guère que l'on parle d'affrontement. Ils reconnaissent des tensions, mais nous reprochent de ne pas dire que celles-ci tiennent à la « wahhabitisation » de l'islam. On en voit les ravages, même en Europe, et on ne le dénonce pas assez pour des raisons économiques.
M. Daniel Reiner, rapporteur . - Les Iraniens ne nous reprochent pas directement notre relation avec les pays du Golfe, mais ils estiment que les livraisons d'armes ne favorisent pas la paix au Moyen-Orient. Il est par ailleurs bien clair que les perspectives du commerce des armes entre la France et l'Iran ne sont pas aujourd'hui à l'ordre du jour ! Ils ont le sentiment de jouer un rôle positif au Proche et Moyen-Orient et considèrent qu'ils y constituent un élément de stabilité. Quand nous faisons remarquer à nos interlocuteurs que la situation n'est pas si claire, que l'implication régionale de l'Iran est armée, ils répondent que cela n'est rien à côté de ce que font l'Arabie saoudite et les autres monarchies du Golfe.
Nous appelons au rééquilibrage des alliances de la France. Nous n'avions pratiquement plus de liens avec l'Iran, avant l'accord de Vienne ; il nous faut retrouver notre relation avec ce pays. Un tel rééquilibrage ne signifie pas l'abandon des liens noués avec le monde sunnite ; c'est un renforcement de la position de la France dans la région que nous visons, en montrant qu'elle n'est pas d'un côté ou de l'autre, mais qu'elle est en faveur de la stabilité au Moyen-Orient.
Durant notre déplacement en Iran - au début du mois de juin -, nous nous sommes inscrits dans la perspective de la réussite de la négociation sur le programme nucléaire iranien. Cette issue était alors encore très peu certaine. Considérant qu'on allait parvenir à signer un accord, nous avons demandé à nos interlocuteurs de définir leur position pour favoriser la résolution des crises. Nous avons trouvé des responsables ouverts, qui traduisaient la position du gouvernement iranien.
Une précision sur les Pasdarans : ce corps des « Gardiens de la Révolution islamique » a été créé en 1979 pour encadrer idéologiquement et matériellement la révolution. Ils ont très largement participé à la guerre en Irak ; leur rôle était d'encadrer l'armée, dont le régime se méfiait à l'époque. Il s'agit aujourd'hui de 230 000 hommes environ, dont 130 000 militaires. Ils ont totalement pénétré la société civile en contrôlant une part importante de l'économie iranienne.
M. Jacques Legendre, rapporteur . - La société iranienne a toujours été francophile. Il nous paraît donc important de recréer, entre nos deux pays, un maximum de liens à travers un maximum de canaux. C'est la meilleure action à mener.
Le ministère des affaires étrangères exprime son intention de renforcer notre coopération culturelle avec l'Iran ; cela me paraîtrait en effet éminemment souhaitable. Mais il faudra obtenir des Iraniens qu'ils acceptent, à Téhéran, le développement des activités de nos établissements culturels. Par exemple, on ne peut pas, actuellement, créer un véritable Institut français : il faut le camoufler sous les aspects du Centre de langue française, sans quoi les autorités iraniennes ne donneraient pas leur accord. Il convient donc de leur dire que la France est prête à faire davantage, à condition qu'ils l'y autorisent, et, parallèlement, développer le nombre d'étudiants iraniens qui sont accueillis, chaque année, dans notre pays : 1 800, ce n'est pas assez !
J'insiste également sur le fait qu'il faut recréer, en France, un pôle d'études sur l'Iran qui soit véritablement digne de l'importance de cette civilisation et de ce pays, ainsi que des enjeux qui s'attachent, pour nous, à mieux les comprendre.
À l'issue de ce débat, la commission a adopté le rapport des co-présidents du groupe de travail et en a autorisé la publication sous la forme du présent rapport d'information.