D. MIEUX APPRÉHENDER LA SPÉCIFICITÉ DE LA RUSSIE
Enfin, la crise actuelle révélant aussi, pour partie, des problèmes de perception mutuelle et d'incompréhension, il convient d'y répondre par une meilleure connaissance de la Russie .
Cela concerne d'abord le monde de l'expertise et de la recherche , qui s'est un temps - ce n'est plus tout à fait vrai maintenant - détournée d'une Russie qui n'apparaissait plus comme un sujet stratégique.
Il nous faut de nouveau acquérir une culture stratégique du monde russe et une compréhension de la grille de lecture de ses dirigeants , dans laquelle les rapports de force et les considérations sécuritaires tiennent une place importante et qui reste encore très marquée par l'héritage soviétique. A cet égard, comme l'a souligné un diplomate français, les négociations et les contacts avec les Russes dans le cadre du processus de Minsk ont permis de progresser dans ce sens.
E. MULTIPLIER LES ECHANGES A TOUS LES NIVEAUX
Il est aussi nécessaire de favoriser les échanges humains, culturels, universitaires et scientifiques.
C'est en effet une façon de contrer le mouvement de fermeture et de repli identitaire qu'on observe actuellement en Russie, ainsi que l'influence négative des médias très anti-occidentaux.
Il s'agit aussi de maintenir le contact entre nos deux sociétés , qui risquent de se perdre de vue. Comme l'ont fait valoir des experts lors de leur audition, les jeunes générations russes n'ont plus la même proximité avec la France que les générations actuellement au pouvoir et cela risque d'avoir un effet à moyen terme sur notre relation. Un autre observateur averti 51 ( * ) note que malgré l'ancienneté et la diversité des liens qui unissent la France et la Russie, Russes et Français se connaissent mal et que l'une des principales faiblesses de la relation franco-russe est « l'étroitesse de sa base sociologique ».
Il nous apparaît tout d'abord souhaitable de relancer les initiatives pour faciliter la délivrance des visas voire à terme la réflexion sur leur suppression (ce qui suppose de rouvrir ce dossier, actuellement gelé au plan européen).
Face à la tentation des programmateurs russes de se replier sur leurs propres créations du fait des difficultés économiques et politiques, il faut continuer à soutenir la visibilité de la culture française et le message d'ouverture qu'elle véhicule. Il importe de prendre en compte les attentes du public russe qui portent plutôt sur la culture classique et l'art de vivre à la française. L'organisation d'événements spécifiques à l'attention de la jeunesse (tels Les nuits du cinéma français ou un « 14 juillet populaire au parc Gorki ») paraît tout à fait opportune.
En matière de coopération universitaire , il s'agit de mettre l'accent sur les sciences exactes et de l'ingénieur . En effet, ces matières d'excellence constituent un enjeu majeur pour favoriser les coopérations dans les secteurs des technologies avancées et d'innovation (aéronautique, spatial, grande vitesse ferroviaire, énergie, technologies de l'information...). C'est également un enjeu très important pour la Russie qui ne forme pas assez de scientifiques alors qu'elle a un besoin très important de renouvellement de ses chercheurs.
La coopération décentralisée , assez peu développée, doit être également poursuivie. Elle peut permettre d'apporter des réponses à des besoins, tels que la difficulté des collectivités russes à pratiquer l'intercommunalité, même si les principaux obstacles restent pour l'heure la forte centralisation et l'absence de cadre juridique et de mécanismes permettant un règlement des problèmes au plan local.
Toutes ces initiatives ne pourront que répondre au légitime besoin de considération de la société russe , afin de dissiper le sentiment ancré d'humiliation qui nourrit une certaine rancune envers les pays occidentaux.
* 51 « France-Russie : renouveau et défis d'un partenariat stratégique », Arnaud Dubien, Note de l'Observatoire franco-russe, n° 1, octobre 2012.