N° 715

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2014-2015

Enregistré à la Présidence du Sénat le 30 septembre 2015

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) suite à l' enquête de la Cour des comptes sur le bilan de l' autonomie financière des universités ,

Par M. Philippe ADNOT,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : Mme Michèle André , présidente ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Yvon Collin, Vincent Delahaye, Mmes Fabienne Keller, Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. André Gattolin, Charles Guené, Francis Delattre, Georges Patient, Richard Yung , vice-présidents ; MM. Michel Berson, Philippe Dallier, Dominique de Legge, François Marc , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, François Baroin, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Jean-Claude Boulard, Michel Bouvard, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Carcenac, Jacques Chiron, Serge Dassault, Bernard Delcros, Éric Doligé, Philippe Dominati, Vincent Eblé, Thierry Foucaud, Jacques Genest, Didier Guillaume, Alain Houpert, Jean-François Husson, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Marc Laménie, Nuihau Laurey, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Hervé Marseille, François Patriat, Daniel Raoul, Claude Raynal, Jean-Claude Requier, Maurice Vincent, Jean Pierre Vogel .

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

Mesdames, Messieurs,

En application de l'article 58 paragraphe 2° de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), la commission des finances du Sénat a demandé à la Cour des comptes la réalisation d'une enquête sur le bilan de l'autonomie financière des universités.

Cette demande de novembre 2013 avait pour objectif de disposer d'une analyse complète des effets de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) du 10 août 2007 1 ( * ) , du point de vue de l'exercice des nouvelles responsabilités financières des universités, et de déterminer les pistes d'amélioration éventuellement nécessaires. Ce bilan par la Cour des comptes est apparu d'autant plus nécessaire qu'elle avait déjà mené un nombre important de travaux en rapport avec cette problématique dans le cadre de ses activités, en particulier des contrôles des comptes et de la gestion de plusieurs universités.

Outre ses contributions lors de l'examen des textes budgétaires, votre rapporteur spécial a également conduit des travaux concernant l'autonomie financière des universités, et en particulier deux rapports réalisés avec d'autres collègues et respectivement relatifs à la dévolution du patrimoine immobilier 2 ( * ) et au bilan consolidé des sources de financement des universités 3 ( * ) .

Avant que la commission des finances du Sénat n'autorise sa publication, l'enquête a fait l'objet d'une audition « pour suite à donner », mercredi 30 septembre 2015, au cours de laquelle les sénateurs ont interrogé des représentants de la Cour des comptes, du ministère chargé de l'enseignement supérieur et de la Conférence des présidents d'universités (CPU).

I. ALORS QU'IL EST REGRETTABLE QUE LA VOLONTÉ DE NE PAS ALLER AU BOUT DE L'AUTONOMIE DES UNIVERSITÉS NUISE À LA COHÉRENCE DE L'ENSEMBLE, PLUSIEURS CONSTATS S'IMPOSENT

1. Si la situation financière des universités est « globalement satisfaisante à l'issue du passage à l'autonomie », de fortes disparités entre établissements sont constatées et « la question du bon niveau de financement de leurs investissements » se pose

- Après des difficultés parfois rencontrées lors du passage aux responsabilités et compétences élargies (RCE), y compris dans la qualité des comptes, les données financières et comptables des universités mettent en évidence une situation « globalement satisfaisante » , avec un « excédent agrégé de 680 millions d'euros dégagé en 2014 par l'activité courante » et une « capacité d'autofinancement reconstitué » (438 millions d'euros en 2014).

- La même année, les universités disposent ainsi d'un fonds de roulement (qui s'établit au total à 1,5 milliard d'euros) et d'un niveau global de trésorerie (qui s'élève à 2,2 milliards d'euros) particulièrement élevés . Le niveau moyen de fonds de roulement équivaut à 43 jours en 2012, avec une mobilisation des fonds très modéré. Un rapport inter-inspections sur la « situation financière des universités » a d'ailleurs récemment mis en évidence le fait que seuls 25 % à 35 % des fonds de roulement des universités étaient réellement mobilisables.

- Alors que le nombre d'établissements en déficit s'élevait à 28 en 2010, il n'est plus qu'à 8 en 2013 et 2014 . Pour autant, la Cour des comptes met en évidence l'important contraste existant entre les établissements , notamment s'agissant du niveau de leur fonds de roulement : 16 ont moins de 30 jours de fonctionnement (dont 4 ont moins de 15 jours) tandis que 35 ont entre 30 et 60 jours et 11 ont plus de 100 jours. Des disparités sont également mises en évidence par la Cour des comptes selon les domaines d'activité ou la taille des établissements.

- Le passage aux RCE s'est accompagné d'abord d'une hausse entre 2008 et 2010 puis d'une baisse jusqu'en 2013 de leurs investissements . Alors qu'en 2014, les dépenses d'investissement connaissent de nouveau une augmentation de 7,8 % pour atteindre 754 millions d'euros, la Cour des comptes estime que, compte tenu de l'évolution des fonds de roulement et du fait que peu de prélèvements sont opérés sur eux pour financer des projets d'investissement, le manque de financement n'est pas la cause d'un « éventuel sous-investissement , notamment pour l'entretien du parc immobilier » 4 ( * ) .

Pour autant, votre rapporteur spécial considère que les dépenses d'entretien, de maintenance et, plus globalement, d'investissement peuvent constituer des variables d'ajustement pour les universités en recherche d'économies, ce qui n'est pas sans conséquence sur l'avenir et la dégradation des conditions d'accueil des étudiants.

2. Les universités disposent d'une marge de manoeuvre financière limitée, d'autant que les dépenses de personnel constituent une part toujours plus importante de leur budget et qu'elles restent trop dépendantes des financements publics

- Selon les chiffres de la Cour des comptes, les dépenses de personnel ont augmenté de 5,4 % entre 2012 et 2014 et représentaient 83,6 % des charges des universités en 2014 (10,4 milliards d'euros). À structure quasi identique, elles ont ainsi augmenté de 375 millions d'euros, auxquels s'ajoutent 160 millions d'euros entre 2012 et 2013 pour les universités ultramarines.

- Cette augmentation s'explique essentiellement par l'effet du glissement-vieillesse-technicité (GVT) ainsi que par des décisions de l'État, en particulier les hausses de cotisations au titre du CAS « Pensions » ou encore l'impact des mesures de titularisation exigées par la loi du 12 mars 2012 dite « loi Sauvadet » 5 ( * ) .

- L'autonomie des universités est donc confrontée au fait que l'essentiel du budget des établissements est consacré au financement de la masse salariale .

Ce constat conduit à s'interroger sur la soutenabilité de la situation financière des universités à plus long terme ainsi que sur leurs véritables capacités d'action , malgré le principe d'autonomie de gestion.

- La subvention pour charges de service public représente, quant à elle, plus de 82 % du montant total des recettes d'exploitation des universités , avec 10,7 milliards d'euros en 2014. Elle a encore augmenté de 0,4 % entre 2013 et 2014, bénéficiant ainsi de la préservation des crédits budgétaires consacrés à l'enseignement supérieur.

Les financements publics sont largement prépondérants dans les ressources des universités , tandis que leurs ressources propres restent par ailleurs limitées et peinent à se développer.

3. Alors que l'autonomie constitue indéniablement un « facteur de modernisation de la gestion » des universités, la Cour des comptes démontre que le « processus d'amélioration du pilotage et de la gestion [...] n'est pas achevé et reste à consolider »

- L'enquête de la Cour des comptes met en évidence les importants progrès réalisés par les universités en termes de gestion , lors de leurs premières années de passage aux RCE. Ainsi en est-il notamment en termes de pilotage, tant s'agissant du rôle du conseil d'administration, même si celui-ci pourrait encore davantage se concentrer sur les questions les plus stratégiques, que d'un point de vue budgétaire (spécialisation des équipes, dialogues de gestion avec les différentes composantes...).

- De même, alors qu'elles n'ont pas nécessairement été bien accompagnées par l'État, elles ont développé leurs compétences en termes de gestion des ressources humaines et de connaissance de leur masse salariale.

- Plusieurs limites sont toutefois mises en exergue par la Cour des comptes, en particulier s'agissant des lacunes des systèmes d'information ainsi que, dans le cadre de la gestion des ressources humaines, les marges de manoeuvre limitées voire les règlementations inadaptées ou mal appliquées par les universités. De plus, la qualité de gestion « reste très hétérogène ».

- S'agissant du patrimoine immobilier (15,4 millions de mètres carrés de surface hors oeuvre nette totale - SHON - pour les universités), les universités connaissent mieux leur patrimoine et ne recherchent plus systématiquement à étendre leurs surfaces , conscientes qu'elles constituent des « variables de charges d'exploitation et de maintenance » selon la Cour des comptes. Au contraire, la plupart d'entre elles semblent désormais chercher à les optimiser par une mutualisation des locaux ou encore l'augmentation des taux de fréquentation et des taux d'occupation...

L'enquête met également en évidence « une politique de maintenance contrainte par des moyens financiers limités », faisant craindre le risque d'une « détérioration des bâtiments ».

- Logique et cohérente avec le principe d'autonomie, la dévolution du patrimoine immobilier opérée, à titre expérimental, pour les universités de Clermont I, Poitiers et Toulouse I permet à ces établissements d'être pleinement responsables de leurs locaux et de gérer activement leur parc. Pour autant, l'enquête montre qu'il n'est pas encore possible d'en mesurer « les effets notables sur les grandes variables de la gestion immobilière ».

Par ailleurs, la dévolution du patrimoine s'avère particulièrement coûteuse .

Dotation des trois universités propriétaires (en euros)

Dotation initiale de mise aux normes

Dotation récurrente annuelle de dévolution

Dotation récurrente théorique par m 2 de SHON (en 2013)

Clermont I

14 000  000

6 135 000

47,59

Poitiers

6 987 000

10 800 800

30,57

Toulouse I

5 930 000

5 000 000

60,34

Source : enquête de la Cour des comptes d'après les chiffres du ministère de l'enseignement supérieur

Selon une estimation pour l'année 2011, la généralisation de ce transfert de propriété , dans les mêmes conditions que pour l'expérimentation dans les trois universités précitées, coûterait pour l'État 850 millions d'euros par an .

4. Les méthodes d'allocation des moyens ne sont plus adaptées et les universités ne disposent pas d'une vision suffisante à moyen et long terme de leurs ressources et de leurs dépenses

- Les universités sont financées par l'État par une multiplicité de canaux : délégation de la masse salariale, dotation attribuée par le modèle SYMPA (SYstème de répartition des Moyens à la Performance et à l'Activité), dotations complémentaires (au titre du plan handicap par exemple) et le contrat pluriannuel. Compte tenu du nombre important d'opérateurs, les dotations de l'enseignement supérieur ne sont pas versées à la suite d'un dialogue de gestion avec l'État.

- Comme votre rapporteur spécial avait déjà eu l'occasion de le montrer 6 ( * ) , le modèle SYMPA n'a pas évolué comme prévu à la suite de sa création et conduit désormais à verser des dotations déconnectées des besoins réels des universités.

La Cour des comptes indique qu'en l'absence de mécanisme de convergence et malgré les rattrapages opérés chaque année, l'usage du modèle SYMPA comme un « outil d'aide à la décision » et non plus comme un « modèle d'attribution mécanique des dotations », a conduit à « entériner et compenser en partie le sous-financement relatif de certaines universités , tout en maintenant, de manière indue au regard du modèle, le sur-financement relatif des autres ».

5. Un suivi de l'autonomie des universités et un renouvellement du pilotage stratégique tardifs par l'État

- La tutelle , tant au niveau national que des rectorats, n'a pas su , dans un premier temps, accompagner efficacement la mise en oeuvre de l'autonomie des universités et surtout détecter celles qui rencontraient des difficultés , notamment financières. Ce n'est qu'en 2012 qu'un dispositif de suivi, d'alerte et d'accompagnement efficace a finalement été mis en place.

- Le ministère dispose désormais d'outils lui permettant de suivre la situation financière des universités, en particulier à l'aide d'un « tableau de bord financier ».

Pour autant, votre rapporteur spécial constate que , pour réaliser l'enquête demandée par la commission des finances du Sénat, la Cour des comptes a dû réaliser un important travail de collecte et de centralisation de données financières et comptables de l'ensemble des universités sur les sept dernières années. Il reste assez étonnant que le ministère n'ait pas lui-même été en mesure de livrer ce type d'informations avec suffisamment de fiabilité et de précision .


* 1 Loi n° 2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités.

* 2 Rapport d'information n° 578 (2009-2010) de MM. Philippe Adnot et Jean-Léonce Dupont, fait au nom de la commission des finances et de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, « Autonomie immobilière des universités : gageure ou défi surmontable ».

* 3 Rapport d'information n° 547 (2012-2013) de Dominique Gillot et Philippe Adnot, au nom de la commission de la culture et de la commission des finances, « Financement des universités : l'équité au service de la réussite de tous ».

* 4 La Cour des comptes avance, en effet, quatre autres raisons :

« - une maîtrise et une appropriation encore faibles des outils d'analyse financière ;

« - une appréhension insuffisante des conséquences futures de ces investissements sur les budgets de fonctionnement ;

« - une faiblesse ou une inexistence des programmes pluriannuels d'investissement s'appuyant sur des plans de financement solides ;

« - une difficulté technique à réaliser les programmes d'investissement inscrits dans les budgets primitifs ».

* 5 Loi n° 2012-347 du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique.

* 6 Rapport d'information précité de Dominique Gillot et Philippe Adnot, sur le bilan consolidé des sources de financement des universités.

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