II. EXPÉRIMENTER EN FRANCE POUR GÉNÉRALISER EN EUROPE

La mise en place de ce système implique de modifier plusieurs dispositions du droit national , principalement au sein du code général des impôts (CGI), et du droit international , notamment les dispositions relatives aux colis postaux de la Convention postale universelle 73 ( * ) .

Surtout, le système devrait être mis en place au niveau européen, pour atteindre une « masse critique » permettant son succès : il sera donc nécessaire de modifier le droit de l'Union européenne, et notamment la « directive TVA » n° 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée. L'article 206 de la directive précise notamment que « tout assujetti qui est redevable de la taxe doit payer le montant net de TVA lors du dépôt de la déclaration de TVA », ce qui est incompatible avec le prélèvement à la source. Il faudrait en outre modifier les règles européennes et nationales pour :

- déplacer l'exigibilité de la taxe au moment du paiement et non plus à la cession du droit de disposer d'un bien comme propriétaire ;

- modifier les règles applicables au droit à déduction ou à récupération de la taxe ;

- modifier les règles de territorialité de la TVA, et plus particulièrement le régime applicable aux ventes à distance ;

- enfin, s'agissant des importations, déplacer l'exigibilité de la taxe au moment du paiement et non plus du dédouanement.

Il s'agit là de modifications importantes, qui sont par ailleurs soumises à la règle de l'unanimité des vingt-huit États membres.

Toutefois, l'article 395 de la directive « TVA » permet aux États membres d'expérimenter, de façon dérogatoire, des modes alternatifs de perception de la TVA . Cet article dispose en effet que « le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission, peut autoriser tout État membre à introduire des mesures particulières dérogatoires à la présente directive, afin de simplifier la perception de la taxe ou d'éviter certaines fraudes ou évasions fiscales. Les mesures destinées à simplifier la perception de la taxe ne peuvent influer, sauf de façon négligeable, sur le montant global des recettes fiscales de l'État membre perçues au stade de la consommation finale ». Lors de sa rencontre avec le groupe de travail, le commissaire européen Pierre Moscovici a rappelé que la Commission était ouverte à toutes propositions en ce sens.

C'est en application de cette disposition que l'Italie a obtenu, le 14 juillet 2015, l'autorisation d'expérimenter le paiement scindé de la TVA sur ses marchés publics (cf. encadré). La France, et le cas échéant d'autres États membres volontaires, pourraient quant à eux ouvrir la voie s'agissant des échanges sur Internet .

L'expérience italienne du « paiement scindé »
de la TVA sur les achats publics

L'Italie est un pays particulièrement touché par la fraude fiscale, et notamment par la fraude à la TVA. Dans son étude de 2015 sur le manque à gagner en matière de TVA (« VAT Gap », cf. supra ), la Commission européenne estime ainsi que l'Italie a perdu près de 48 milliards d'euros de recettes de TVA, soit 33,6 % des recettes potentielles, au cinquième rang de l'Union européenne 74 ( * ) . L'administration fiscale italienne a constaté que le problème se posait notamment en matière d'achats publics, les fournisseurs et prestataires omettant souvent de reverser la TVA collectée . Ainsi, le croisement entre les données bancaires des fournisseurs et leurs déclarations fiscales a fait apparaître une différence de 24 %, d'après les informations transmises au groupe de travail.

Par décision du 14 juillet 2015, la Commission européenne a donc autorisé l'Italie, à sa demande, à introduire un mécanisme dérogatoire de « paiement scindé » de la TVA sur les livraisons de biens et de services destinés aux autorités publiques 75 ( * ) . La dérogation accordée par la Commission européenne porte sur une période de 18 mois à compter du 1 er janvier 2015.

Concrètement, la décision prévoit que la TVA payée sur les achats de biens et de services par les autorités publiques doit être directement versée par l'acheteur public sur un compte de l'administration fiscale , au lieu d'être collectée par le vendeur. Les virements ont lieu à chaque facture ou de façon périodique, selon les administrations. Une mention spécifique doit être portée à cet effet sur les factures émises par les vendeurs.

Le mécanisme de paiement scindé de la TVA doit être différencié de l'autoliquidation , qui a d'ailleurs été refusée à l'Italie par la Commission européenne. En effet, alors que l'autoliquidation change le redevable légal de la taxe (l'acheteur au lieu du vendeur), le paiement scindé consiste seulement en un changement du mode de perception.

Lors du déplacement à Rome du groupe de travail le 10 septembre 2015, les représentants de l'administration fiscale italienne ont confirmé placer beaucoup d'espoirs dans ce dispositif. De fait, alors que les prévisions de recettes résultant de la mise en place du paiement scindé étaient évaluées à 988 millions d'euros dans le projet de budget 2015, elles ont d'ores et déjà été relevées à 2 milliards d'euros .

Les représentants des entreprises ont toutefois exprimé un certain nombre de réserves quant à ce dispositif. La principale critique porte sur son effet négatif sur la trésorerie des entreprises , ce qui peut être handicapant dans des secteurs tels que la construction. De fait, les entreprises qui ont beaucoup de clients publics collectent désormais peu de TVA, et se retrouvent donc créditrices vis-à-vis du Trésor plus souvent.

Le mécanisme italien de paiement scindé est toutefois de portée plus limitée que le dispositif proposé par le groupe de travail, pour deux raisons :

- d'une part, il s'agit d'un dispositif limité dans sa durée et dans son étendue . C'est en acceptant ces deux limites que l'Italie a obtenu l'accord de la Commission européenne, laquelle estime que « la mesure dérogatoire est donc proportionnée aux objectifs poursuivis, étant donné qu'elle est limitée dans le temps et vise uniquement un secteur posant des problèmes considérables de fraude fiscale ». L'Italie s'est engagée à ne pas demander sa reconduction. Par ailleurs, l'Italie a introduit en 2014 une obligation de facturation électronique qui, une fois pleinement opérationnel, devrait selon la Commission européenne rendre inutile tout système dérogatoire ;

- d'autre part, le dispositif mis en place par l'Italie n'implique pas l'intervention d'un établissement financier ou d'un tiers de confiance , lesquels sont en revanche nécessaires dans le cas du e-commerce, et d'une manière générale pour les échanges entre entreprises (B2B) ou les ventes à des particuliers (B2C).

Source : déplacement du groupe de travail à Rome le 10 septembre 2015.

Par ailleurs, on notera qu'un projet de dispositif technique de paiement scindé pour les opérations entre assujettis (c'est-à-dire en B2B), appelé « DAGTVA » (Dispositif Automatique de Gestion de la TVA) a fait l'objet d'un dépôt de brevet 76 ( * ) . Dans ce système, le vendeur transmet automatiquement et instantanément ses factures « toutes taxes comprises » à l'infrastructure informatique de la DGFiP, qui donne ensuite à la banque l'autorisation de procéder au paiement scindé (autorisation d'extraction de la TVA). Toutefois, ce système reste fondamentalement déclaratif, et ne permet pas de traiter le cas des vendeurs, notamment ceux qui situés à l'étranger, qui ne transmettraient pas leurs factures. À l'inverse, le système d' opt out proposé par le groupe de travail prélève d'office une taxe de 20 %, qui n'est minorée ou supprimée qu'en cas de démarche volontaire d'inscription au « Central ».


* 73 La convention postale universelle est un des actes de l'Union postale universelle (UPU), organisation internationale du système des Nations Unies constituée de 192 pays. Sa dernière version a été adoptée à Doha le 11 octobre 2012.

* 74 Source : Commission européenne, « Study to quantify and analyse the VAT Gap in the EU Member States », 4 septembre 2015. Pour mémoire, le « VAT Gap » de la France en 2013 est évalué à 14,1 milliards d'euros, soit 8,9 % des recettes potentielles de TVA.

* 75 Décision d'exécution n° 2015/1401/UE du Conseil du 14 juillet 2015.

* 76 Le brevet de « DAGTVA » a été déposé à l'institut national de la propriété intellectuelle (INPI) le 11 mai 2012.

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