III. LA RÉSERVE SANITAIRE : UN ATOUT INDÉNIABLE DONT L'EFFICIENCE POURRAIT ÊTRE RENFORCÉE
A. LA MONTÉE EN PUISSANCE DE LA RÉSERVE SANITAIRE
1. L'accroissement du nombre de réservistes
Au moment de la mission de contrôle de notre ancien collègue Jean-Jacques Jégou en 2009, la réserve sanitaire - créée par la loi du 5 mars 2007 précitée en même temps que l'EPRUS - n'en était qu'à ses balbutiements. Portée par une volonté politique forte 25 ( * ) , elle a connu depuis un essor important.
Le nombre de réservistes - c'est-à-dire de contrats signés avec l'EPRUS et en cours de validité - est ainsi passé d' environ 500 fin 2010 à plus de 2 000 fin 2014 , tandis que le nombre de candidats réservistes se situe aux alentours de 5 000. Sur ces quelque 2 000 réservistes, environ 120 contrats étaient « actifs » et concernaient des volontaires mobilisés en mai 2015.
Évolution du nombre de volontaires et des coûts de gestion de la réserve sanitaire
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat (à partir des données transmises par l'EPRUS)
La réserve est constituée en majorité de salariés et de retraités . Les médecins ne viennent qu'en seconde position parmi les différentes catégories professionnelles de réservistes, derrière les professions paramédicales. La réserve compte également des agents techniques et administratifs. Les étudiants sont quant à eux très peu nombreux, compte tenu des conditions assez restrictives de leur participation.
Le nombre de 2 000 réservistes apparaît peu élevé au regard de l' objectif de 10 000 volontaires, cité au moment de la création de la réserve sanitaire. Pour autant, selon les analyses de l'EPRUS et de la DGS, une réserve de 2 000 personnes apparaît aujourd'hui « globalement suffisante » 26 ( * ) pour répondre à plusieurs crises simultanées. Pour l'année 2015, l'EPRUS a par conséquent décidé de ralentir les opérations de recrutement, en les ciblant sur certaines spécialités rares (épidémiologistes, médecins de santé publique, hygiénistes, techniciens de lutte antivectorielle...), et de se concentrer sur le renouvellement des contrats - d'une durée de trois ans - des réservistes actuels. Un autre argument évoqué en faveur d'une stabilisation du nombre de réservistes est le maintien de leur motivation par une probabilité d'un départ prochain en mission.
Les conditions requises pour devenir réserviste de l'EPRUS Selon l' article R. 3132-1 du code de la santé publique , peuvent entrer dans la réserve sanitaire les personnes volontaires appartenant à l'une des catégories suivantes : - professionnels de santé ; - anciens professionnels de santé ayant cessé d'exercer leur profession depuis moins de trois ans ; - les internes en médecine, en odontologie et en pharmacie ; - les personnes répondant à des conditions d'activité, d'expérience professionnelle ou d'un certain niveau de formation (par exemple, les ingénieurs du génie sanitaire, les vétérinaires, les personnels des établissements publics nationaux à caractère sanitaire). Les étudiants poursuivant des études médicales, odontologiques, pharmaceutiques ou des études de sages-femmes ou d'auxiliaires médicaux qu'à condition d'avoir atteint un niveau d'études suffisant. Par ailleurs, l' article 3111-4 du code de la santé publique prévoit certaines conditions d'immunisation contre l'hépatite B, la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite, la grippe ou encore, pour certains, la fièvre typhoïde. |
2. La multiplication des opérations en France et à l'étranger
Aux termes de l'article L. 3132-1 du code de la santé publique, la réserve sanitaire a vocation à compléter les moyens « habituels » d'intervention des établissements de santé, des agences régionales de santé, des services de l'État et des collectivités territoriales, en cas de situation sanitaire exceptionnelle . Des membres de la réserve sanitaire peuvent également être mobilisés pour l'accomplissement de missions à l'étranger , notamment à la demande du centre de crise du ministère en charge des affaires étrangères.
Depuis sa création, la réserve sanitaire de l'EPRUS a réalisé une cinquantaine de missions, dont environ 35 à l'étranger . On observe une multiplication du nombre de missions en 2014 et sur le premier semestre de l'année 2015, principalement en raison de la multiplication des maladies vectorielles en outre-mer et de l'épidémie d'Ebola en Afrique de l'Ouest.
La nature des opérations est assez hétérogène . Au cours de ses premières années d'existence, la réserve sanitaire a principalement été employée pour des missions humanitaires ou de rapatriement de ressortissants français, à la demande du ministère des affaires étrangères. À partir de 2011, des réservistes sanitaires ont également été mobilisés dans le cadre de dispositifs prévisionnels de secours de grandes manifestations internationales organisées en France ou à proximité (sommet du G 20, jeux olympiques de Londres etc.). Ce n'est que récemment (hiver 2012), que la réserve sanitaire est mobilisée pour répondre à des tensions sur l'offre de soins ou à des situations de crise sur le territoire français , en particulier en outre-mer (épidémies de dengue et de chikungunya). Il convient notamment de relever la mobilisation de réservistes de l'EPRUS pour soutenir la plateforme téléphonique du centre interministériel des relations avec les familles de victimes des attentats du 7 au 9 janvier 2015, ainsi que le renfort de quatre réservistes auprès du centre hospitalier de Sens pendant l'épidémie de grippe saisonnière qui a touché la France en février et en mars 2015.
Le nombre de réservistes par mission est également très variable ; il est allé de un, pour certaines missions d'expertise ou de renfort ponctuel, à 80 réservistes au maximum à la suite du tremblement de terre en Haïti.
Afin de maintenir la réserve sanitaire opérationnelle, l'EPRUS réalise également des exercices de terrain périodiques , dont le dernier en date a eu lieu du 10 au 12 juin 2015.
Missions réalisées par la réserve sanitaire depuis sa création
Date |
Lieu |
Type de mission |
Nombre de réservistes |
Décembre 2008 |
Bangkok, Thaïlande |
Rapatriement |
4 |
Décembre 2008 |
Bombay, Inde |
Rapatriement à la suite d'attentats |
1 |
Janvier 2009 |
Gaza, Territoires palestiniens |
Aide humanitaire à la suite de conflits |
14 |
Printemps 2009 |
Nairobi, Kenya |
Renfort médical à la suite de conflits |
4 |
Août 2009 |
Polynésie française |
Renfort médical et soignant (grippe A) |
10 |
Janvier 2010 |
Port-au-Prince, Haïti et Fort-de-France |
Renfort médical à la suite de catastrophe naturelle ; expertise psychologique des enfants en cours d'adoption |
80 |
Février 2010 |
Concepcion, Chili |
Soins et soutien psychologique aux ressortissants français à la suite d'un séisme |
2 |
Octobre 2010 |
Port-au-Prince, Haïti et Fort-de-France |
Renfort médical et appui de sensibilisation à l'hygiène à la suite de l'épidémie de choléra |
9 |
Décembre 2010 |
Port-au-Prince, Haïti et Fort-de-France |
Rapatriement médical d'enfants adoptés |
12 |
Février 2011 |
Tunisie et Égypte |
Rapatriement et évacuation à la suite de troubles politiques |
6 |
Février-mars 2011 |
Libye |
Rapatriement à la suite de troubles politiques |
16 |
Mars 2011 |
Tokyo, Japon |
Soutien psychologique et rapatriement à la suite du séisme et de l'accident nucléaire de Fukushima |
6 |
Avril 2011 |
Marrakech, Maroc |
Soutien psychologique et rapatriement à la suite d'attentats |
2 |
Avril 2011 |
Abidjan, Côte d'Ivoire |
Expédition et distribution de médicaments, soutien psychologique à la suite de troubles politiques |
10 |
Novembre 2011 |
Cannes, France |
Dispositif prudentiel dans le cadre du sommet du G 20 |
20 |
Décembre 2011 |
Libye |
Renfort organisationnel, médical et chirurgical et rapatriement à la suite de troubles politiques |
44 |
Hiver 2012 |
France (15 villes) |
Renfort médical d'associations dans le cadre du plan « Grand froid » |
20 |
Mars 2012 |
Brazzaville, Congo |
Renfort médical et expédition de médicaments à la suite de conflits |
19 |
Été 2012 |
Nord de la France |
Renfort médical et soignant dans le cadre des Jeux olympiques de Londres |
20 |
Printemps 2013 |
Guyane, France |
Soins à la suite d'une épidémie de dengue. |
35 |
Date |
Lieu |
Type de mission |
Nombre de réservistes |
Juin 2013 |
Kivu, Congo |
Acquisition, conditionnement et livraison de 2 tonnes de médicaments |
1 |
Hiver 2013 |
France (15 villes) |
Renfort médical d'associations dans le cadre du plan « Grand froid » |
20 |
Décembre 2013 |
Papeete, Polynésie |
Expertise et appui organisationnel à la suite d'une épidémie de dengue et de zika |
4 |
Février 2014 |
Guadeloupe et Saint-Martin |
Expertise et appui à la suite d'une épidémie de chikungunya |
2 |
Avril-mai 2014 |
Conakry, Guinée |
Expertise et appui au ministère de la santé guinéen à la suite de l'épidémie d'Ebola |
2 |
Juin 2014 |
France |
Mission de médicalisation du « train des vétérans » à l'occasion des cérémonies du 70 ème anniversaire du débarquement |
4 |
Juin 2014 |
Normandie, France |
Renfort prudentiel de l'offre de soins (déploiement du poste sanitaire mobile de l'EPRUS) |
8 |
Juin 2014 |
Martinique, France |
Expertise et appui organisationnel à la suite d'une épidémie de chikungunya |
2 |
Juin-juillet 2014 |
Guadeloupe, France |
Expertise et appui organisationnel à la suite d'une épidémie de chikungunya |
2 |
Juillet 2014 |
Guadeloupe, France |
Renfort de l'offre de soins à la suite d'une épidémie de chikungunya |
7 |
Juillet-septembre 2014 |
Mayotte, France |
Renfort de l'offre de soins en gynécologie obstétrique |
12 |
Juillet 2014 |
France |
Renfort de la plateforme téléphonique du centre de crise du ministère des affaires étrangères à la suite du crash d'un avion d'Air Algérie |
5 |
Août-septembre 2014 |
Martinique, France |
Renfort de l'offre de soins à la suite d'une épidémie de chikungunya |
9 |
Septembre 2014 |
Conakry, Guinée |
Expertise et évaluation à la suite de l'épidémie d'Ebola |
5 |
Octobre 2014 |
Irak |
Rapatriement de réfugiés irakiens |
2 |
Septembre-novembre 2014 |
Conakry, Guinée |
Préparation de l'ouverture du centre de traitement Ebola à Macenta |
1 |
Novembre 2014 |
France |
Médicalisation du « train du centenaire Paris-Arras dans le cadre des cérémonies du centenaire de la guerre 1914-1918 |
1 |
Date |
Lieu |
Type de mission |
Nombre de réservistes |
Hiver 2014-2015 |
Macenta, Guinée |
Soins dans le cadre du centre de traitement de la Croix-Rouge française |
31 |
Hiver 2014-2015 |
Macenta, Guinée |
Mise en place et fonctionnement du laboratoire de biologie Pasteur |
15 |
Novembre 2014 |
Conakry, Guinée |
Expertise en collaboration avec l'Établissement français du sang |
3 |
Hiver 2014-2015 |
Conakry, Guinée |
Expertise et appui de contrôle sanitaire aux frontières |
28 |
Hiver 2014-2015 |
Bamako, Mali |
Expertise et évaluation à la suite de l'épidémie d'Ebola |
5 |
Hiver 2014-2015 |
Bamako, Mali |
Expertise et appui de contrôle sanitaire aux frontières |
13 |
Hiver 2014-2015 |
Conakry, Guinée |
Renfort de l'état-major de l'ambassade de France |
1 |
Décembre 2014 |
France |
Mission de renfort de la plateforme téléphonique du centre de crise du ministère des affaires étrangères à la suite d'un accident de car |
2 |
Décembre 2014, janvier 2015 |
France |
Renfort de la plateforme de classement et d'expertise des cas suspects d'Ebola |
2 |
Janvier 2015 |
Paris, France |
Renfort de la plateforme téléphonique du centre interministériel des relations avec les familles des victimes |
8 |
Janvier 2015 |
Guinée Équatoriale |
Préparation sanitaire en vue de la Coupe d'Afrique des Nations |
4 |
Janvier-février 2015 |
Roissy, France |
Contrôle sanitaire aux frontières à la suite de l'épidémie d'Ebola |
4 |
Janvier-février 2015 |
Guinée Équatoriale |
Appui du dispositif sanitaire dans le cadre de la Coupe d'Afrique des Nations |
4 |
Hiver 2015 |
Macenta, Guinée |
Étude de l'Inserm sur l'antiviral Favipiravir contre le virus Ebola |
1 |
Mars 2015 |
Sens, France |
Renfort de l'offre de soins à la suite d'une épidémie de grippe (plan ORSAN) |
4 |
Février-mars 2015 |
Kerouané, Guinée |
Préparation de l'ouverture d'un centre de traitement Ebola |
1 |
Avril 2015 |
Katmandou, Népal |
Soins et rapatriement à la suite d'un tremblement de terre |
5 |
Mai-septembre 2015 |
Conakry, Guinée |
Renfort du centre de traitement des soignants atteints d'Ebola |
10 |
Source : EPRUS, 2015
3. La définition récente d'un cadre d'emploi
Préconisée par la Cour des comptes dès 2010 27 ( * ) ainsi que dans le cadre des débats sur la proposition de loi « Fourcade » portant modification de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital 28 ( * ) , la définition d'un cadre d'emploi de la réserve sanitaire, établissant la « doctrine » de mobilisation des réservistes selon les différents types d'événement et les objectifs de recrutement, n'a été formalisée qu'à la fin de l'année 2013 .
Le cadre d'emploi établit les principes suivants :
- en France métropolitaine , la réserve sanitaire ne constitue qu'une ressource de deuxième voire de troisième niveau et les professionnels de santé retraités, non exerçants ou étudiants doivent être mobilisés en priorité. Plus précisément, dans le cadre d'événements sanitaires à « cinétique lente », la réserve sanitaire peut venir directement en renfort des structures sanitaires locales. En revanche, la réponse aux situations sanitaires exceptionnelles à « cinétique rapide » ne relève pas de l'EPRUS mais en premier lieu des SAMU. Pour ce type d'événement, la réserve sanitaire ne peut être utilisée que pour venir en renfort des structures de soins mobilisées par l'événement ;
- dans les départements et les collectivités d'outre-mer et à l'étranger , la réserve sanitaire peut être mobilisée « en première intention ». Pour ce type d'opération, il est fait appel en priorité à des professionnels en activité , salariés ou libéraux.
La distinction entre événements
sanitaires à « cinétique lente »
Les événements sanitaires à « cinétique lente » désignent principalement les phénomènes infectieux épidémiques (grippe, chikungunya, dengue...) ou les événements climatiques extrêmes et durables (canicule, grand froid) susceptibles d'entraîner des tensions sur l'offre de soins. Les événements sanitaires à « cinétique rapide » sont des catastrophes naturelles, des accidents technologiques ou des attaques terroristes entraînant un nombre élevé de victimes en un temps réduit et nécessitant, par conséquent, une aide médicale urgente. Source : cadre d'emploi de la réserve sanitaire, EPRUS, 2013 |
La formalisation de la doctrine d'emploi de la réserve sanitaire est essentielle afin d' éviter de désorganiser les établissements de santé par la mobilisation de réservistes . En effet, pour les salariés, l'engagement dans la réserve sanitaire n'est pas soumis à l'accord de l'employeur ; ce dernier ne peut s'opposer à l'absence du salarié réserviste que pour les missions d'une durée supérieure à cinq jours et uniquement « en cas de nécessité inhérente à la poursuite de la production de biens et de services ou à la continuité du service public » 29 ( * ) . Par ailleurs, l'article L. 3134-2-1 du code de la santé publique permet à l'EPRUS de conclure directement des conventions de mise à disposition de professionnels de santé nécessaires avec des établissements de santé lorsque les ressources de la réserve sanitaire ne sont pas adaptées ou suffisantes. Ces conditions ont pu entraîner, par le passé, certaines tensions, en particulier avec des SAMU, mais la situation semble s'être apaisée. De plus, le projet de loi relatif à la modernisation de notre système de santé prévoit désormais l'obligation pour le réserviste de requérir l'accord de son employeur avant toute absence 30 ( * ) .
*
Dans l'ensemble, les personnes entendues par votre rapporteur spécial ont jugé l'action de la réserve sanitaire très efficace. La capacité de l'EPRUS à mobiliser, dans des délais très brefs, des professionnels de santé formés aux situations de crise, couplée à la livraison de produits de santé et d'équipements, est l'une des principales réussites de l'établissement . Dans le cadre des opérations sanitaires internationales, la réserve sanitaire gérée par l'EPRUS est ainsi devenue un véritable outil de « diplomatie sanitaire » , même si certaines marges de manoeuvre semblent exister pour améliorer son efficience.
La possibilité donnée aux directeurs généraux d'ARS ou d'ARS de zone de sécurité et de défense de faire directement appel à des réservistes sanitaires qui ne sont pas en activité, prévue par le projet de loi de modernisation de notre système de santé, doit également être soutenue afin de développer le rôle d'appui de l'EPRUS à ces structures et aux établissements de santé de la réserve sanitaire (cf. supra ).
* 25 Cf. notamment l'instruction ministérielle du 2 novembre 2011 relative à la préparation de la réponse aux situations exceptionnelles dans le domaine de la santé.
* 26 Réponse au questionnaire de votre rapporteur spécial.
* 27 Communication de la Cour des comptes sur les comptes et la gestion de l'EPRUS depuis sa création, septembre 2010.
* 28 L'article 10 de cette proposition de loi prévoyait en particulier une adaptation des dispositions législatives relatives à la réforme sanitaire. Loi n° 2011-940 du 10 août 2011 modifiant certaines dispositions de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.
* 29 Article L. 3133-3 du code de la santé publique.
* 30 Article 42 quater du projet de loi relatif à la modernisation de notre système de santé.