B. DÉBAT

Mme Françoise Férat, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement agricole

Mon collègue Jean-Claude Carle, rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement scolaire, m'a priée de vous soumettre ses questions.

Sur le principe de la réforme et l'apprentissage des fondamentaux, il ne faut pas oublier qu'une proportion élevée d'élèves entrant en 6 e présente des lacunes graves dans les apprentissages fondamentaux. Notre collège ne parvient pas à résorber ces difficultés. Or, on sait aujourd'hui que le destin scolaire des élèves est scellé très tôt, dès la fin du cycle 2.

Plutôt que d'uniformiser par le bas les apprentissages au collège, notamment en détruisant les filières d'excellence, en supprimant les options de langues anciennes ou en imposant une seconde langue vivante dès la classe de 5 e , ne faudrait-il pas plutôt concentrer les efforts sur l'école élémentaire, afin que tous les élèves, à l'issue de celle-ci, maîtrisent pleinement les savoirs fondamentaux ?

Notre rapporteur pour avis est particulièrement préoccupé par un des grands principes de cette réforme : réduire les temps d'enseignement disciplinaire au profit de l'accompagnement personnalisé et des enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI). Si, en apparence, le volume global horaire demeure peu ou prou identique, 20 % de ce temps sera consacré à l'accompagnement personnalisé et aux projets interdisciplinaires. Je ne suis pas opposée à l'accompagnement personnalisé et aux projets, mais ceux-ci doivent venir en complément des enseignements et non s'y substituer. Quelle est votre position à ce sujet ? Ne faudrait-il pas plutôt consacrer davantage de temps aux apprentissages fondamentaux et notamment au français dont le volume horaire est en diminution constante depuis quarante ans ?

Quelle est la pertinence d'introduire des EPI au collège ? Ces derniers rappellent les itinéraires de découverte (IDD) au collège ou les travaux pratiques encadrés (TPE) au lycée, qui n'ont pas connu un franc succès... Leur intérêt n'est-il pas conditionné par la maîtrise des acquis disciplinaires et par une solide culture générale, choses rares en classe de 5 e ? Ne risquent-ils pas justement de ne bénéficier qu'aux bons élèves ?

En matière d'orientation, la réforme prévoit la suppression des options de découverte professionnelle, au profit du parcours individuel d'information, d'orientation et de découverte du monde économique et professionnel (PIIODMEP). Ce parcours ne bénéficie d'aucune dotation horaire spécifique et devra donc être organisé sur du temps disciplinaire. L'avenir des classes de troisième « prépa-pro » paraît également compromis. Tout semble fait pour éloigner davantage les élèves de la voie professionnelle qui, derrière les beaux discours, semble plus que jamais dévalorisée par l'éducation nationale.

Ne faudrait-il plutôt pas permettre l'individualisation des parcours, plutôt de s'arc-bouter sur le collège unique et y enfermer les élèves qui n'y sont pas à l'aise ?

Quel regard portez-vous sur les nouveaux projets de programmes ? Vous paraissent-ils satisfaisants ?

En tant que rapporteur pour avis des crédits de l'enseignement agricole, mon questionnement complète celui de mon collègue Jean-Claude Carle. Certaines dispositions introduites par le décret et l'arrêté sont déjà mises en oeuvre dans l'enseignement agricole, à l'instar de l'accompagnement personnalisé ou de l'autonomie pédagogique. Cependant, cette autonomie pédagogique s'y accompagne d'une vraie autonomie de gestion, au service d'un véritable projet. Ne pourrait-on pas s'en inspirer davantage ?

Enfin, l'orientation demeure le grand absent de cette réforme. L'article 6 de l'arrêté y fait allusion en prévoyant que les EPI contribuent à la mise en oeuvre du PIIODMEP. Si ce n'est un projet de référentiel publié par le CSP, il y a six mois, rien n'est prévu pour sa mise en oeuvre - et surtout, aucun horaire ! Faudra-t-il donc ponctionner les disciplines pour organiser ce parcours ?

Plus généralement, il me semble que cette réforme s'inscrit dans la continuité d'une logique à l'oeuvre au sein de l'éducation nationale et que je dénonce depuis plusieurs années : celle qui considère qu'il convient de retarder le plus possible l'orientation des élèves, et d'en orienter le plus grand nombre vers les filières générales, souvent sans considération de leur niveau scolaire et de leurs aspirations. Ceci relève d'une vision dépassée d'une hiérarchie des savoirs et des intelligences qui demeure particulièrement prégnante. J'ai entendu que l'orientation se fait désormais en classe de seconde. Cela me paraît un peu tard pour avoir une orientation intelligente.

M. Jacques-Bernard Magner

Les points de vue des représentants des trois associations de parents vont dans un sens positif et confirment le vrai partenariat avec les parents d'élèves qui sont, avec les personnels de l'éducation nationale et les collectivités, les trois piliers de la construction de l'école et du collège. Je regrette simplement que le travail de ces associations ne soit pas toujours considéré au niveau national et territorial comme il mériterait de l'être.

Vos associations respectives ont largement contribué, aux côtés du Gouvernement et des parlementaires, à la discussion sur la refondation de l'école. Sont-elles prêtes à s'impliquer dans la mise en oeuvre de la réforme du collège pour en préciser les éléments, notamment le passage de l'enseignement primaire à l'enseignement secondaire, qui ne va pas sans difficultés ?

M. Jacques Grosperrin

Il est important d'entendre des parents d'élèves qui ne s'expriment pas d'une seule voix. Je considère que les associations ne doivent pas avoir un rôle de transmetteur ou d'accélérateur de la réforme du collège et l'on peut regretter que certaines d'entre elles soient en de très bons termes avec le Gouvernement. Je vous entends cependant et peux comprendre vos convictions.

Nous sommes d'accord avec le principe d'autonomie des établissements et sur l'enseignement interdisciplinaire, même si, comme Jean-Pierre Chevènement, ancien ministre de l'éducation nationale, je pense que pour faire de l'interdisciplinaire, il faut d'abord maîtriser le disciplinaire.

Quel est votre sentiment sur les classes bilangues et la suppression du latin ? Ne va-t-on pas vers une suppression de la différenciation des parcours, de la méritocratie et de l'élitisme ? La question du collège unique a-t-elle encore un sens à ce jour ? Ne serait-il pas intéressant de proposer des voies diversifiées ? En supprimant le latin et en imposant l'espagnol, ne va-ton pas créer davantage d'inégalités ?

Compte tenu des lacunes en lecture et du niveau d'expression orale en français de certains élèves à l'entrée en 6 e , est-il judicieux de leur imposer une deuxième langue vivante ?

Les établissements privés ne vont-ils pas être les bénéficiaires de cette réforme en finançant sur leurs fonds propres les enseignements dont le Gouvernement propose la suppression ? Le latin, par exemple, est une discipline exigeante et je crains que la suppression de son enseignement fragilise le système éducatif public.

Quelles sont les craintes des parents d'élèves ? Quelles modifications souhaiteraient-ils apporter à la réforme du collège ?

Mme Corinne Bouchoux

Vos associations respectives présentent des points de vue très différents qui, nonobstant les critiques et réserves formulées, considèrent que cette réforme va dans le bon sens.

La diversité des points de vue des parents d'élèves ne tient-elle pas au fait que le travail en équipe, au demeurant à la base des textes de la réforme, fait partie de la vie réelle et que la seule question qui se pose est de savoir comment assurer, dans la réalité, la réussite pour tous à l'école ?

En ce qui concerne la place des parents dans l'institution scolaire, que peut-on concrètement améliorer dans les conseils d'administration pour que ces instances importantes ne soient pas uniquement des chambres d'enregistrement, mais des lieux de dialogue où l'on peut ensemble intervenir sur le terrain d'une manière constructive et non pas aléatoire ?

Tout le monde veut le bonheur des élèves mais chacun perçoit différemment le texte d'un même décret.

Mme Valérie Marty

Les parents d'élèves sont favorables à la diminution des heures consacrées aux apprentissages des disciplines traditionnelles. Ils préfèrent faire mieux que plus, qu'il y ait de l'accompagnement et que les enseignants essayent de personnaliser leur enseignement afin d'aider les élèves à progresser. Ce n'est pas en faisant plus d'heures qu'on va faire mieux !

Au demeurant, on sait bien que les lacunes des élèves qui arrivent au collège ne seront jamais comblées et que leur niveau scolaire risque même de s'abaisser, ce qui constitue une vraie difficulté. Les parents ne perçoivent pas comment la réforme va aider les élèves à réussir leur passage au collège, en prenant en compte la grande diversité des élèves.

S'agissant des enseignements interdisciplinaires, les parents sont plutôt favorables aux parcours de découverte. Parfois, dans certains collèges, ils ont un peu perdu de leur sens et on ne voit plus trop l'intérêt de ce dispositif. Par contre, au niveau du lycée, les TPE sont très intéressants et les élèves y apprennent beaucoup de choses. La fragilité de la mise en oeuvre des EPI est là : comment gérer ces enseignements interdisciplinaires au sein des établissements scolaires, comment l'éducation nationale va réussir à accompagner les équipes d'enseignants ? On pointe le problème de la gouvernance : comment réussir une réforme, comment la mettre en oeuvre et comment aider les enseignants à trouver un sens et un intérêt pour les élèves ?

Les grandes fédérations de parents que nous sommes font le même constat : il est temps de nous réformer, de mieux répondre aux attentes des parents, de proposer une nouvelle forme d'animation afin que nous ayons toujours notre place au sein de la communauté éducative. Nous participerons, bien sûr, au dialogue avec le ministère.

Quant à la liaison CM2/6 e , les parents n'y sont pas associés et donc c'est assez invisible pour nous.

M. Hervé Jean

Nous partageons en grande partie les propos de Mme Marty.

S'agissant du débat entre EPI et apprentissages fondamentaux, il est difficile d'y voir clair. Nous ne sommes ni des spécialistes, ni des experts. Nous pensons simplement que le nombre d'heures au collège se situe au-dessus de la moyenne observée dans beaucoup de pays de l'OCDE. Nous avons beaucoup d'heures et les programmes sont très chargés. Quelle est la part des choses entre la somme de ce qui est enseigné et la somme de ce qui est retenu ? Peut-être faut-il un peu moins d'enseignement disciplinaire sur le papier, mais avec une meilleure efficacité et une meilleure réussite des élèves. Nous privilégions une approche plus qualitative que quantitative. Nous avons discuté de ces EPI au sein de la communauté éducative avec les chefs d'établissements et les enseignants et nous avons un avis positif. Il se fait déjà des choses intéressantes dans ce domaine-là qui mériteraient d'être mieux connues et qui pourraient servir d'exemple.

Nous partageons l'idée que tout se joue au niveau du cours élémentaire, l'important est de pouvoir agir dès qu'un enfant a des difficultés.

Nous sommes très investis dans le domaine de l'orientation depuis quarante ans. Nous essayons de faire en sorte que cette éducation au choix soit développée très tôt, dès le primaire.

La liaison CM2/6 e est également un point important et qui peut être amélioré surtout pour les élèves un peu fragilisés, qui manquent de confiance en eux. Le manque de confiance des élèves est une difficulté propre à notre système éducatif, criante par rapport à d'autres.

Nous regrettons la suppression des classes bilangues et du latin. Notre conception du collège n'est pas celle d'un collège uniforme pour tous mais celle d'un collège qui permette la réussite de tous. Ainsi, la suppression des classes bilangues et européennes ne peut être la traduction de la volonté de ne pas proposer plus à celui qui peut faire plus.

Concernant la place des parents, notre association a été, dès 1967, à l'origine de la notion de communauté éducative. Il est important que les parents puissent être partie prenante des réflexions sur la vie de l'établissement.

Mme Sylvie Fromentelle

Pour nous, le changement de pédagogie est très important, de même que la formation. Il y a deux ans, nous avons accompli un travail de fond avec les départements et les conseils locaux autour du collège. Nous n'avons pas attendu que le ministère publie son projet pour avoir une position sur le sujet.

La réforme du collège fait partie d'un tout qui inclut la modification des programmes en primaire, avec pour objectif la réussite des enfants.

Lorsque l'interdisciplinarité est mise en oeuvre, elle fonctionne bien. En outre, nous avons des enseignants innovants.

Certains ont évoqué l'organisation des lycées agricoles. J'observe que le chef d'établissement n'est pas forcément le président du conseil d'administration. L'implication des parents est aussi plus importante. Nous avons des leçons à en tirer.

L'orientation doit s'accompagner d'un vrai travail d'explication et d'accompagnement des familles et des jeunes, en particulier, de ceux qui sont en difficulté.

La transition entre CM2 et 6 e est une période importante car c'est souvent en 6 e que les enfants décrochent. Je regrette que les parents ne participent pas aux conseils école-collège.

La FCPE soutient beaucoup les familles défavorisées. La question de la mixité sociale est très importante. Le travail collaboratif en classe doit aussi être favorisé.

Nous souhaitons obtenir un statut de parent délégué pour mieux travailler et participer à toutes les commissions existantes.

Au total, nous estimons qu'il faut rendre confiance aux enfants et aux parents.

Mme Françoise Cartron

Je remercie les représentants des parents d'élèves pour la qualité de leurs interventions. Que ressort-il des enquêtes que vous menez auprès de vos adhérents par rapport aux difficultés rencontrées par les collégiens - manque de confiance en soi, souffrance, ennui ? Quelle est votre analyse de ces aspects négatifs et que pourrait améliorer cette réforme ?

M. Michel Savin

L'objet même de cette réforme est de s'attaquer à la problématique des enfants en échec scolaire. Ma question s'adresse au représentant de l'APEL et à la représentante de la FCPE. Existe-t-il une différence importante en termes de pourcentage d'élèves en échec scolaire entre l'enseignement libre et l'enseignement public ? Ma seconde question s'adresse à la FCPE. Quelles sont vos propositions pour aider les familles rencontrant des difficultés ou étant dans l'incapacité d'accompagner leurs enfants pendant leur scolarité ?

Mme Sylvie Fromentelle

Tous les parents souhaitent la réussite de leurs enfants quelle que soit leur situation sociale et économique. En associant les parents, tous les enfants peuvent réussir. Nous travaillons depuis des années sur cette question avec notamment ATD Quart Monde, Prisme ou encore la PEEP. Nous menons des actions de terrain, afin d'impliquer les parents les plus éloignés, de les défendre et de les représenter. Car pour ces parents, l'école est fréquemment une institution qui fait peur.

M. Hervé Jean

La question de Mme Cartron sur le manque de confiance des enfants souligne un point très important. Elle pose celle du sens de l'apprentissage. Beaucoup d'élèves ne perçoivent pas l'utilité de l'école, ni l'intérêt d'apprendre. D'où la nécessité de concilier l'approche théorique de certains enseignements, qu'il faut conserver, et une approche concrète qui redonnera sans doute du sens à l'école et de la confiance aux élèves. Il faut aussi réfléchir à des approches pédagogiques différentes. Nous avons récemment participé à un colloque sur les intelligences multiples. Il y a là un domaine que nous n'exploitons pas suffisamment et qui constitue une des voies de progrès de notre système.

Monsieur Savin, bien sûr, l'enseignement catholique compte des enfants en échec scolaire. Leur pourcentage ? En a-t-on plus ou moins que dans l'enseignement public ? Je n'ai pas la réponse. Ce qui est certain c'est qu'il est de notre devoir de faire en sorte que chaque enfant s'inscrive dans une dynamique de réussite. La question n'est pas quantitative mais qualitative.

Par ailleurs, nous avons développé ce que nous appelons les rencontres « parents-école », pour les familles de parents les plus éloignés de l'école. Nous essayons de faire réfléchir ces parents et de les conforter dans leur capacité à accompagner leurs enfants.

Mme Valérie Marty

Il faudra plus d'une réforme pour résoudre les problèmes de la difficulté, la souffrance et l'ennui rencontrés par les collégiens. En attendant, il est certain que la réforme du collège actuelle ne pourra se faire que si elle est comprise par les parents. Et s'il n'y a pas de défiance entre l'école, les institutions et les familles. Aujourd'hui, ils ne comprennent pas en quoi cette réforme va aider les élèves en difficulté et faire progresser les bons élèves.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente

Je vous remercie. J'en profite pour vous informer que notre collègue Marie-Annick Duchêne conduit à l'heure actuelle une mission sur les conseils d'école.

MERCREDI 3 JUIN 2015

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