II. QUELLE PRÉVENTION DES CONFLITS ?
A. UNE RESPONSABILITÉ PREMIÈRE DES ETATS
1. La pierre d'achoppement habituelle de la prévention des conflits
Comme le rappelle la résolution adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies le 21 août dernier, la prévention des conflits demeure une responsabilité première des Etats .
Or contrairement au Golfe d'Aden, nous ne sommes pas , dans le Golfe de Guinée, devant des Etats « faillis » . Il n'est donc pas possible de « monter » de toute pièce une opération du type Atalante. La coopération avec les autorités nationales est primordiale pour trouver des solutions ; celles-ci ne pourront pas être imposées par la communauté internationale. Il s'agit bien évidemment du problème le plus aigu ayant toujours entravé les différents efforts de prévention des conflits, partout dans le monde.
L'importance de s'appuyer sur des Etats est encore plus forte devant une guerre asymétrique , dans laquelle les mouvements criminels ou terroristes sont implantés parmi la population, avec ou contre son gré, et utilisent le plus souvent des méthodes de guérilla. Même si quelques attaques de Boko Haram ont pu être spectaculaires, elles sont souvent le fait de quelques combattants faiblement armés et se déplaçant en motos, 4x4 ou pick-up .
En outre, les pays de la région connaissent encore d'importants contentieux frontaliers, notamment liés à la découverte de champs pétroliers, même si plusieurs questions ont d'ores et déjà été réglées (par exemple, entre le Tchad et le Nigeria ou entre le Nigeria et le Cameroun à propos de la péninsule de Bakassi).
2. Le Nigeria, un Etat sourcilleux sur sa souveraineté mais souffrant de la corruption
C'est en particulier le cas avec le Nigeria, pays très sensible sur les questions de souveraineté et sur ses propres prérogatives. Le pays a été profondément marqué par la guerre du Biafra, entre 1967 et 1970, pendant laquelle le pont aérien mis en place pour secourir les populations locales a pu apparaître, aux yeux des responsables nigérians, comme une ingérence internationale.
Dans le même temps, les structures administratives y sont gangrenées par la corruption - les analystes appellent cela pudiquement un « déficit de gouvernance »... -, ce qui limite en pratique les capacités de coopération . Dans certaines opérations de sauvetage de navires piratés, les pays occidentaux préféraient ne pas interagir avec les garde-côtes de peur qu'ils ne préviennent les preneurs d'otages... Par ailleurs, une bonne part du budget du ministère de la défense « s'évapore » et n'arrive jamais jusqu'aux soldats.
Différents indicateurs internationaux classent le Nigeria dans un niveau de « gouvernance » préoccupant : selon l'indice Mo Ibrahim de la gouvernance africaine, le pays est 41 ème sur 52 ; 147 ème sur 189 pour le classement Doing Business ; ou encore 144 ème sur 177 selon Transparency International .
Il est clair que Boko Haram n'a pu atteindre un tel point de menace que par la faiblesse de l'Etat nigerian et son incapacité à construire un gouvernement pleinement légitime aux yeux de tous.
Pour autant, on a bien vu en ce début d'année que le Nigeria évolue puisqu'il a accepté l'intervention sur son sol de troupes étrangères, en particulier tchadiennes, ce qui est loin d'être anodin pour l'avenir. Or, les tensions frontalières ont été importantes entre le Nigeria et ses voisins et qu'elles ont parfois donné lieu à des affrontements armés, comme avec le Cameroun au sujet de la péninsule de Bakassi.
En outre, le processus de transition en cours à la suite des élections du 28 mars est, à ce jour, encourageant. Nul ne peut dire si le nouveau Président sera plus efficace que son prédécesseur mais le processus en lui-même montre une société plus moderne et moins divisée que l'on ne pouvait le craindre. Il est cependant encore beaucoup trop tôt pour se réjouir pleinement.
Il est en effet incroyablement difficile de se « défaire » d'un système gangrené par la corruption, d'autant que le niveau actuel du prix du pétrole ne laisse aucune marge de manoeuvre budgétaire.