PROGRAMME DE LA TABLE RONDE

Ouverture de la table ronde
Mme Chantal Jouanno, présidente

Intervention de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense

Présentation de la table ronde :
Mme Françoise Gaudin, haut fonctionnaire à l'égalité du ministère de la Défense

1 re séquence : la vocation militaire et la formation

Introduction de Mme Françoise Gaudin sur les recrutements actuels

4 participantes : un lieutenant chef de section à l'ESM de Saint-Cyr
et trois élèves (de l'ESM de Saint-Cyr, de l'École de l'Air et de l'École navale)

Lieutenant

Clémence

BESNAULT

Chef de section à l'ESM de Saint-Cyr

Élève-officier

Mégane

THIZY

ESM de Saint-Cyr

Élève-officier

Lauriane

LE TROADEC

École de l'Air

Aspirant

Alexandra

ADAMS

École navale

2 ème séquence : les missions opérationnelles - la présence des femmes en OPEX

Introduction du colonel Olivier Ducret , représentant de l'État-major des armées , sur la place des femmes militaires dans les opérations extérieures

6 participantes : représentantes des trois armées,
du Service du commissariat des armées et du Service de santé des armées

Colonel

Anne-Cécile

ORTEMANN

Armée de Terre

Adjudant-chef

Nathalie

DELAHAYE

Armée de Terre

Commandant

Gaëlle

MOYEN

Armée de l'Air

Capitaine de frégate

Christine

RIBBE

Marine nationale

Commissaire en chef

Dominique

MOREAU

Service du commissariat des armées

Médecin principal

Laure

NAVARRO

Service de santé des armées

3 ème séquence : le déroulement de carrière ; existe-t-il un « plafond de verre » ?

Introduction de Mme Françoise Gaudin sur les conditions d'accès au cursus d'excellence (École de guerre et Centre des hautes études militaires - CHEM),
sur le nombre de femmes officiers généraux
et sur le déroulement de carrière des femmes officiers

5 participantes : représentantes des trois armées,
du Service de santé et de la Direction générale de l'armement (DGA)

Amiral

Anne

CULLERE

Marine nationale

Ingénieur général de l'armement

Blandine

VINSON-ROUCHON

Direction générale de l'armement

Médecin-chef de service

Maryline

GENERO

Service de santé des armées

Colonel

Dominique

VITTE

Armée de Terre

Colonel

Maroussia

RENUCCI

Armée de l'Air

COMPTE RENDU DE LA
RENCONTRE AVEC DES FEMMES DE LA DÉFENSE, ORGANISÉE À L'OCCASION DE LA JOURNÉE INTERNATIONALE DES DROITS DES FEMMES,
LE 5 MARS 2015

Introduction de la Rencontre
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense

Participants à la table ronde

Mme Françoise Gaudin, administrateur général,
haut fonctionnaire à l'égalité des droits

1 ère table ronde : La vocation militaire et la formation

Lieutenant Clémence Besnault, chef de section à l'ESM de Saint-Cyr
Élève-officier Mégane Thizy, École spéciale militaire (ESM) de Saint-Cyr
Élève-officier Lauriane Le Troadec, École de l'Air
Aspirant Alexandra Adams, École navale

2 ème table ronde : La présence des femmes dans les opérations extérieures

Colonel Olivier Ducret, État-major des armées
Colonel Anne-Cécile Ortemann, armée de Terre
Adjudant-chef Nathalie Delahaye, armée de Terre
Commandant Gaëlle Moyen, armée de l'Air
Capitaine de frégate Christine Ribbe, Marine nationale
Commissaire en chef Dominique Moreau, Service du commissariat des armées
Médecin principal Laure Navarro, Service de santé des armées

3 ème table ronde :
Le déroulement de carrière : existe-t-il un « plafond de verre » ?

Amiral Anne Cullerre, Marine nationale
Ingénieur général de l'armement Blandine Vinson-Rouchon,
Direction générale de l'armement
Médecin-chef de service Maryline Genero, Service de santé des armées
Colonel Dominique Vitte, armée de Terre
Colonel Maroussia Renucci, armée de l'Air

(5 mars 2015)

Présidence de Mme Chantal Jouanno, présidente

Mme Chantal Jouanno, présidente . - C'est pour mes collègues de la délégation aux droits des femmes et moi-même un très grand plaisir d'accueillir aujourd'hui, pour cette table ronde sur le thème des femmes dans les armées, quinze femmes militaires, officiers-généraux, officiers, élèves-officiers ainsi qu'un sous-officier accompagnées d'une représentante du Secrétariat général pour l'administration, Françoise Gaudin, et d'un officier de l'État-major des armées, le colonel Olivier Ducret.

Monsieur le Ministre, je voudrais vous dire à quel point nous sommes sensibles au fait que, malgré un agenda très chargé, vous ayez pris le temps de venir jusqu'à nous pour nous présenter la problématique des femmes dans les armées qui nous réunit aujourd'hui, sujet qui, je le sais, vous tient particulièrement à coeur.

Comme vous le savez tous et toutes, cette table ronde est organisée à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes, que le calendrier nous a conduits à célébrer cette année avec quelques jours d'avance.

Je voudrais dire que dès les premières réflexions sur l'élaboration de notre programme de travail pour 2014-2015, la délégation aux droits des femmes a décidé à l'unanimité de mettre à l'honneur, cette année, les femmes qui ont choisi le métier des armes.

Ce choix nous a semblé la suite logique de travaux que notre délégation a conduits l'an dernier à l'initiative de Brigitte Gonthier-Maurin, qui a présidé la délégation de 2011 à 2014 et que je salue. Grâce à notre ancienne présidente en effet, notre délégation a investi des domaines qui ne lui étaient pas familiers.

En novembre 2013, dans le cadre d'un travail sur les violences faites aux femmes dans les conflits armés, nous avons eu l'occasion d'aborder la problématique de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies et de la place des femmes militaires dans les opérations extérieures.

C'était le premier contact de la délégation avec Françoise Gaudin, qui a été ces dernières semaines une interlocutrice aussi efficace qu'incontournable pour l'organisation de notre table ronde. Soyez remerciée, Madame la haute fonctionnaire à l'égalité, pour votre implication et votre disponibilité.

Puis le 22 mai 2014, nous avons reçu, avec votre accord, Monsieur le Ministre, les membres de la mission d'enquête que vous avez diligentée sur les cas de harcèlement, agressions et violences sexuels dans les armées. Nous avons alors pu apprécier - des collègues présents aujourd'hui, et notamment Brigitte Gonthier-Maurin, pourront en témoigner - votre implication personnelle sur ce sujet et l'engagement du ministère de la Défense pour traiter ce problème.

Enfin, le 27 mai 2014, lors de la Première Journée nationale de la Résistance, un colloque organisé par la délégation sur les femmes résistantes a montré, si c'était encore nécessaire, la capacité des femmes à prendre les armes pour défendre notre pays et ses valeurs.

Vous comprendrez donc que le thème de notre réunion d'aujourd'hui s'inscrit dans une certaine continuité !

J'ajoute que le contexte international invite plus encore que d'habitude les parlementaires et la nation toute entière à manifester concrètement le respect et l'admiration que mérite notre armée.

En organisant cette table ronde, notre souhait était donc de donner la parole aux femmes militaires, des trois armées et d'anciennetés différentes, pour qu'elles nous parlent concrètement d'un métier que certains d'entre nous connaissent très mal, mais avec lequel nous avons envie de faire connaissance à travers le regard qu'elles portent sur leur engagement.

J'ai l'impression - je m'adresse aux sénatrices et aux femmes militaires - que, si nous faisons les unes et les autres des métiers très différents - il est rare en effet que l'on risque sa vie dans notre hémicycle - nous avons des choses en commun !

Nous avons réussi les unes et les autres à investir des domaines d'activité en lien avec le pouvoir ou l'autorité qui n'étaient pas d'emblée conçus pour les femmes.

Par exemple, la vie de parlementaire a, comme la vie militaire d'ailleurs, des conséquences importantes pour la famille. Nous sommes contraintes comme vous à de fréquents déplacements et à nous absenter très souvent de chez nous...

J'aimerais que vous nous fassiez partager votre quotidien ; je suis certaine que vous saurez toutes nous communiquer votre enthousiasme et votre passion pour votre métier...

J'ai pu observer, sur le plan politique, le retour d'un discours de contestation des droits des femmes. Dans ce domaine, il me semble que les acquis sont toujours à consolider : qu'en est-il de la féminisation de l'armée ? J'aimerais avoir votre sentiment sur ce point.

Signe de notre intérêt pour le sujet qui nous réunit ce matin, le rapport que publiera la délégation pour présenter la synthèse de nos échanges sera porté par autant de rapporteures qu'il y a de groupes politiques au Sénat : Corinne Bouchoux pour le groupe Écologiste, Hélène Conway-Mouret pour le groupe socialiste, Brigitte Gonthier-Maurin pour le groupe communiste républicain et citoyen (CRC), Françoise Laborde pour le groupe du Rassemblement démocratique et social européen (RDSE), Vivette Lopez pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire (UMP) et moi-même pour le groupe de l'Union des Démocrates et Indépendants (UDI-UC). Ce choix souligne l'intérêt unanime que nous portons, par-delà les sensibilités politiques qui sont les nôtres, à votre engagement.

Quelques mots encore pour présenter les sénateurs et sénatrices qui participent à cette réunion.

La délégation a souhaité associer à cette manifestation nos collègues de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées dont certains, d'ailleurs, sont également membres de la délégation aux droits des femmes. J'ajoute que certains d'entre nous ont suivi une session de l'Institut des hautes études de Défense nationale (IHEDN) et que cela a été pour eux un moment très fort.

Monsieur le Ministre, vous avez la parole.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense . - Madame la Ministre, je veux d'abord vous remercier pour avoir eu l'initiative d'organiser cette rencontre entre des sénatrices et sénateurs et des femmes militaires. C'est une nouvelle fois pour la délégation que vous présidez l'occasion de témoigner son attachement et son intérêt pour l'institution militaire et plus particulièrement pour les femmes qui en font partie.

Vous savez que j'accorde moi-même la plus grande attention à la place des femmes au sein de mon ministère. Elles représentent aujourd'hui plus de 15 % des effectifs de nos forces, ce qui fait de l'armée française l'une des plus féminisées parmi les armées occidentales. Au 31 décembre 2014, près de 32 000 femmes servaient ainsi au sein de notre Défense. Au regard de la féminisation de ses forces, l'armée française, après avoir occupé le premier rang parmi les armées européennes, se place désormais en deuxième position derrière l'armée hongroise, ce qui constitue d'ailleurs en quelque sorte un défi !

Au-delà de la question du nombre, ces femmes occupent de plus en plus de responsabilités importantes. Plus de 14 % de nos officiers sont des femmes et ce pourcentage - je tiens à le souligner - progresse sensiblement, d'année en année. La proportion des femmes parmi les sous-officiers, aujourd'hui de 17,25 %, évolue de la même manière.

Pour vous donner un dernier chiffre, je veux rappeler que près de 1 400 femmes ont été engagées en opérations extérieures au cours de l'année passée - c'est d'ailleurs le cas de certaines des femmes militaires présentes ici - soit près de 10 % de plus qu'en 2013.

Le statut de 1972 avait posé le principe de l'égalité entre les femmes et les hommes dans les armées. Puis une évolution très positive s'est faite avec l'ouverture progressive de toutes les écoles et de toutes les spécialités, sans qu'il n'y ait plus le moindre quota pour limiter la proportion de femmes.

L'impulsion doit se poursuivre parce qu'il s'agit d'un combat permanent ! Mais la féminisation est désormais un fait acquis, sur lequel nous pouvons travailler afin de construire des armées à la fois plus performantes encore et plus en phase avec les réalités de la société. Je m'attache à y contribuer et y mets toute ma détermination. Les ministres de la défense se succèdent : si mon passage pouvait être marqué de cette pierre-là, j'en serais extrêmement fier.

C'est pourquoi, pour moi, pour nous tous, le combat continue. Il est désormais celui de la pleine reconnaissance de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. À compétences égales, à disponibilités égales, une femme militaire doit bénéficier des mêmes déroulements de carrière et des mêmes opportunités que son homologue masculin.

Dans cette perspective, depuis 2012, j'ai demandé aux armées d'améliorer les conditions d'accès des femmes militaires aux dispositifs de formation et d'être vigilantes sur les conditions d'avancement qui leur sont proposées.

J'ai également souhaité que des signes forts soient donnés, car les symboles contribuent aussi à changer la réalité dans un sens positif. Je pense en particulier à l'accès pour les femmes à des commandements ou à d'autres postes de responsabilité reconnue. Je pense également au doublement du taux de femmes promues officiers généraux d'ici 2017, selon l'objectif qui a été fixé.

D'ores et déjà, sans attendre cette échéance, plusieurs femmes ont été nommées officiers généraux depuis mon arrivée. Deux d'entre elles sont avec nous aujourd'hui : le contre-amiral Anne Cullerre et l'ingénieure générale de l'armement Blandine Vinson Rouchon. Mais je pense également à l'ingénieure générale de l'armement Monique Legrand Larroche, première femme quatre étoiles, ou encore au général de brigade Isabelle Guion de Méritens, première femme officier général dans la gendarmerie, qui commande actuellement la gendarmerie maritime et qui est donc pour emploi placée sous mes ordres.

Je veux souligner ici combien la promotion de femmes étoilées n'est pas une question de mode ou d'affichage politique. C'est en premier lieu la reconnaissance de mérites et de compétences dont l'encadrement des armées a besoin. Mais c'est aussi un enjeu pour le lien entre les armées et la nation, parce que cette dernière, composée d'hommes et de femmes, a besoin de pouvoir compter sur des forces qui ressemblent à ce qu'elle est aujourd'hui : l'armée doit être le reflet de la nation dans sa diversité.

Les objectifs de féminisation que je viens d'évoquer complètent les mesures mises en oeuvre au sein de mon ministère pour mieux concilier vie privée et vie professionnelle, qu'il s'agisse d'aides aux familles ou bien de la gestion des personnels, des affectations, des dates de mutations... Ce sont là des sujets d'importance pour la condition du personnel, féminin mais aussi masculin. La première fois que le sujet des crèches dans les garnisons a été évoqué, cela a suscité de l'étonnement, mais des mutations culturelles s'opèrent. On y parvient petit à petit.

Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, à travers cette rencontre, vous faites aujourd'hui honneur à ces quinze femmes militaires qui représentent toutes les composantes de nos armées. Elles s'exprimeront sur leur engagement, leur vécu, mais aussi sur les difficultés qu'elles peuvent rencontrer et, bien sûr, sur le lien qui les unit à la Défense.

Je voudrais leur dire que je souhaite qu'elles s'expriment avec la plus grande liberté de parole au cours de cette rencontre : la liberté d'expression est importante au sein d'une assemblée parlementaire.

Vous constaterez ainsi leur valeur, la somme de compétences et d'excellence qu'elles représentent, les responsabilités qu'elles peuvent occuper ou encore leur expérience dans les dernières opérations extérieures. Certaines d'entre elles étaient au Mali il y a quelques jours encore : leur retour d'expérience n'en sera que plus précieux. Vous verrez également qu'au-delà de ces carrières bien remplies, la plupart sont également mères de famille : leur témoignage, à cet égard, sera très utile.

Je veux donc profiter de cette occasion pour leur exprimer toute ma reconnaissance, et rendre hommage, à travers elles, à leurs 32 000 camarades qui partagent un même engagement pour notre pays.

Vous avez souhaité que trois sujets soient abordés en particulier au cours de vos échanges : leur vocation et leur formation, leur participation aux opérations extérieures et de façon plus générale, le déroulement de leur carrière.

Je n'ai pas évoqué, Madame la Présidente, tous les sujets que vous avez mentionnés à l'instant, et notamment la question du harcèlement, à laquelle bien entendu j'attache comme vous le savez une importance particulière.

Participeront à vos échanges Françoise Gaudin, haut fonctionnaire à l'égalité des droits au sein du ministère de la Défense, qui m'interpelle très régulièrement - et elle a raison - sur les sujets de sa compétence, ainsi que le colonel Olivier Ducret, de l'État-major des armées. Ils pourront l'un et l'autre compléter les témoignages des femmes militaires que vous mettez à l'honneur aujourd'hui.

Je vous remercie une nouvelle fois d'avoir eu l'initiative de cette rencontre.

Mme Chantal Jouanno, présidente, co-rapporteure . - Comme l'a rappelé M. le Ministre, trois séquences jalonneront notre matinée. La première sera consacrée à la vocation militaire et la formation. Dans un second temps, nous aurons un échange sur les missions opérationnelles et la présence des femmes dans les OPEX. Enfin, nous aborderons la question du déroulement de carrière.

Pour introduire ces tables rondes, je donne la parole à Françoise Gaudin.

Mme Françoise Gaudin, administrateur général, haut fonctionnaire à l'égalité des droits au ministère de la Défense . - Merci Madame la Présidente. Vous aurez remarqué que toutes les armées sont représentées aujourd'hui. Nous accueillons des personnels officiers de l'armée de Terre, de la Marine et de l'armée de l'Air, mais également de la Direction générale de l'armement (DGA), du Service du commissariat et du Service de santé des armées. Je précise par ailleurs que ma mission s'adresse aux femmes du ministère de la Défense et non du ministère de l'Intérieur. C'est pour cette raison que notre table ronde ne comprend pas de représentantes de la Gendarmerie, celle-ci faisant l'objet d'une autre feuille de route et d'autres mesures d'accompagnement.

Pour ces tables rondes, nous avons sélectionné des femmes officiers ainsi qu'une femme sous-officier. Pour apporter les témoignages les plus riches possibles et assurer la plus grande liberté dans la parole, nous avons en effet souhaité entendre des femmes appartenant à des catégories qui ont accès à des carrières longues. Vous constaterez que la sous-officier de l'armée de Terre que nous accueillons aujourd'hui présente un parcours professionnel particulièrement riche.

Nous avons mis l'accent sur les femmes officiers pour une autre raison : c'est pour elles en particulier que les acquis en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans les armées restent à consolider. Pour les femmes sous-officiers, les déroulements de carrière et les responsabilités sont relativement comparables à ceux de leurs homologues masculins. Pour les militaires du rang, une place au sein des armées est souvent synonyme d'émancipation et d'ascenseur social, avec une très forte plus-value pour les femmes sous ce statut. En revanche, les femmes officiers ont encore une place à acquérir au sein de l'institution. Aussi les femmes que nous recevons ici sont-elles, dans une certaine mesure, des pionnières.

Sans plus attendre, je propose d'ouvrir notre première séquence.

Première table ronde : la vocation militaire et la formation.

Mme Françoise Gaudin, haut fonctionnaire à l'égalité au ministère de la Défense . - Au cours de cette première séquence, nous insisterons sur la vocation des jeunes femmes que nous accueillons, en d'autres termes, sur ce qui les a poussées à présenter l'un des concours les plus exigeants que l'État organise. Nous nous intéresserons également à la manière dont elles envisagent leur déroulement de carrière.

Nous observons aujourd'hui un tassement des recrutements féminins dans les armées. Ainsi, les femmes ne représentent que 12 % des recrutements alors que la proportion de l'effectif féminin global dans les armées est de 15 %, comme l'a rappelé M. le Ministre. À ce rythme, nous ne pourrons pas maintenir à terme notre taux actuel de féminisation dans les armées.

Il est intéressant de constater que le taux de recrutement féminin n'est pas identique d'une catégorie de personnels à l'autre. Il est plus élevé pour les personnels officiers, pour lesquels les femmes représentent 20 % des recrutements, ce qui permettra d'accroître l'encadrement féminin des armées. Nous comptons par ailleurs 23 % de femmes dans les recrutements de sous-officiers. En revanche, le taux de recrutement féminin de militaires du rang est extrêmement faible, ce qui contribue à expliquer le tassement global des recrutements féminins.

Cette table ronde est aussi destinée à illustrer un objectif défini par le ministre, celui de féminiser l'encadrement des écoles, en particulier de Saint-Cyr. L'École de l'air et l'École navale ont déjà beaucoup progressé sur ce point.

Nous entendrons les témoignages du lieutenant Besnault, chef de section à l'École spéciale militaire (ESM), ainsi que de trois jeunes élèves officiers de Saint-Cyr Coëtquidan, de l'École de l'air et de l'École navale, dans l'ordre habituel chez nous : « terre, air, mer ». Je leur laisse la parole.

Lieutenant Clémence Besnault . - Je suis actuellement chef de section à l'École Spéciale Militaire (ESM) de Saint-Cyr, où j'encadre des élèves de première année. Il me revient l'honneur de livrer le premier témoignage de la matinée et je vous en remercie.

J'articulerai mon propos en trois temps. Tout d'abord, je présenterai brièvement ma vocation et mon début de carrière. J'aborderai ensuite les points forts de mon parcours et les difficultés que j'ai rencontrées, que ce soit pendant mon cursus ou en début de carrière. Je terminerai par un comparatif entre ma vision des choses en tant qu'élève et celle que j'ai développée en tant que cadre à Saint-Cyr Coëtquidan, en soulignant les évolutions que j'ai pu noter entre mes années d'études et l'époque actuelle.

Je suis aujourd'hui en tenue militaire ; je pense avoir une vocation militaire. Le métier des armes m'a toujours attirée. Je ne suis pas issue d'une famille de militaires, mais ma famille a toujours montré un attachement fort pour les valeurs militaires et je pense que c'est de là que provient ma vocation. Je parle de vocation, car le métier des armes est un métier particulier, notamment pour une femme. Il exige certains sacrifices : le sacrifice ultime bien sûr, mais également des sacrifices au quotidien. Le métier de militaire demande une grande disponibilité et doit être exercé avec coeur. C'est un métier dans lequel on ne peut pas mentir et pour lequel on doit être très investi. J'avais la volonté de servir et de défendre mon pays et j'ai fait le choix d'une carrière militaire dans l'armée de Terre, celle qui m'a paru me correspondre le plus.

À l'issue du baccalauréat, j'ai choisi de faire une classe préparatoire dans un lycée militaire, à Saint-Cyr-l'École, pour préparer le concours d'entrée de Saint-Cyr et m'adapter le plus tôt possible au milieu militaire. J'ai intégré l'ESM en 2008. Mes trois années à Saint-Cyr ont parfois été austères, car il n'y était pas toujours évident d'être une femme. J'ai ensuite choisi les transmissions, une arme à la fois technique, opérationnelle et stimulante intellectuellement. Elle offre une grande diversité de spécialités, de responsabilités et de missions ainsi qu'une grande autonomie en tant qu'officier.

J'ai eu la chance de servir deux ans en régiment de transmissions. Dans ce cadre, j'ai réalisé une mission commune à tous les régiments de l'armée de Terre en Polynésie française pendant cinq mois, sous les ordres de l'amiral Cullerre, puis une opération extérieure au Tchad en renfort de la mission Serval pour l'installation des réseaux qui ont permis à l'opération Barkhane de voir le jour.

J'ai ensuite été mutée aux Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan en tant que cadre en septembre 2014. Lors de ma prise de poste, j'ai demandé à servir au 3 e Bataillon, pour encadrer les élèves de première année de l'ESM, la formation qui fut la mienne. Il s'agissait pour moi de transmettre à mon tour ce que j'avais reçu lors de ma formation.

Cette mutation est intervenue de manière quelque peu prématurée, un an plus tôt que le calendrier prévu et avant même que je ne renseigne ma fiche de desiderata de mutation. La précocité de cette mutation tient au fait que je suis une femme. Dans une démarche de féminisation de leur encadrement, les Écoles de Saint-Cyr s'étaient adressées aux femmes issues de la promotion précédant la mienne, mais aucune d'entre elles n'avait donné suite à leur proposition. Si, à l'origine, je n'avais pas envisagé cette mutation, par la suite j'ai donné mon accord.

Je développerai à présent quelques points forts de mon parcours ainsi que les difficultés que j'ai pu rencontrer, en tant qu'élève puis en tant que cadre, à travers les thèmes du commandement, des relations humaines et des responsabilités.

L'École Spéciale Militaire est un milieu qui peut être relativement « aride ». Si l'on peut parfois y trouver une certaine réticence à l'égard des femmes, celle-ci s'explique à mon sens par un manque de maturité de certains élèves et par la persistance de clichés tenaces. Pour autant, les mentalités ont vocation à évoluer et j'ai moi-même noté des évolutions positives en tant qu'élève puis cadre. Étonnamment, ces années passées à Saint Cyr m'ont permis de m'épanouir dans mon métier. La formation académique, humaine et militaire qui y est délivrée est extrêmement riche et je considère qu'évoluer dans un milieu parfois difficile m'a permis d'être mieux armée pour la suite. Mon expérience dans cette école fut pour moi une force et une chance.

Je dispose d'une brève expérience en tant que chef de section. Je tiens à souligner la richesse des relations humaines qu'un chef de section peut tisser, tant avec ses supérieurs qu'avec ses subordonnés, non seulement en régiment mais aussi en mission, en France ou à l'étranger. Un chef de section est responsable d'une trentaine de personnes, sous-officiers et militaires du rang, chacune issue de parcours très divers. Sa position lui impose de se remettre en question en permanence, s'agissant des aspects pédagogiques, mais également opérationnels, lorsqu'il doit gérer des événements imprévus avec les ressources, notamment humaines, dont il dispose. Au-delà du commandement, être chef, c'est aussi gagner la confiance de ses supérieurs et de ses subordonnés. Cette confiance, une fois acquise, est extrêmement valorisante. Elle est cruciale dans l'évolution professionnelle.

À l'âge de vingt-six ans, j'exerce aujourd'hui des responsabilités qui ne sont pas souvent celles des personnes de mon âge évoluant dans le civil. Lors de notre arrivée en régiment, à vingt-trois ou vingt-quatre ans, nous avons des hommes sous nos ordres. Nous gérons leurs carrières et, en mission, nous avons leurs vies entre nos mains.

À Saint-Cyr, je suis responsable de la formation de jeunes élèves, futurs officiers. Cette responsabilité impose une certaine maturité, car il faut être conscient que la formation délivrée aujourd'hui se répercutera demain au combat. Cette responsabilité est lourde mais extrêmement valorisante. C'est pour l'exercer, pour apporter ma pierre à un vaste édifice que j'ai choisi ce métier.

En tant que femme cadre à Saint-Cyr, il me faudra éventuellement faire mes preuves auprès de certains élèves éventuellement réticents à l'idée d'être commandés par une femme, mais également être particulièrement vigilante face aux problèmes susceptibles de survenir entre des élèves hommes et femmes. Cette responsabilité ne doit pas être prise à la légère. À ce jour, je n'ai été confrontée à aucune difficulté particulière à cet égard et n'ai observé aucun comportement déviant. L'encadrement y est d'ailleurs très vigilant. De même, je n'ai jamais ressenti de malaise en lien avec mon statut de lieutenant au milieu de capitaines masculins.

Je note ainsi une évolution positive des mentalités, tant chez les élèves que chez les cadres. L'établissement a posé des mots sur le problème de la place des femmes dans le milieu militaire et a dégagé des moyens importants pour l'améliorer. La promotion actuellement en première année compte cinq filles et trois encadrants féminins. Pour le moment, les choses se passent bien.

Élève-officier Mégane Thizy . - Je suis élève-officier à l'ESM de Saint-Cyr, en deuxième année et donc au 2 e Bataillon. J'ai pour ma part choisi l'armée pour les trois composantes que sont le commandement, la gestion et l'instruction, dans l'objectif de servir mon pays et d'être utile aux autres.

J'ai choisi l'armée de terre pour les relations humaines qui s'y exercent et l'École de Saint-Cyr, une école d'officiers, pour les dimensions de commandement et de gestion.

Après un baccalauréat scientifique, j'ai intégré une classe préparatoire en lycée militaire afin d'être au plus tôt dans le milieu militaire. Le concours de Saint-Cyr est le seul que j'ai présenté. Je l'ai réussi à mon deuxième passage et mon cursus à Saint-Cyr se déroule bien.

Je suis investie dans ma promotion. En tant qu'élève-officier féminin, je ne ressens aucune difficulté à m'investir au même titre que mes camarades masculins, que ce soit dans les projets de promotion ou dans les « challenges sportifs » qui sont organisés.

Sous-lieutenant Lauriane Le Troadec . - Je suis en troisième et dernière année de l'École de l'air. Si je revenais aux origines de ma vocation, j'indiquerais que, petite fille, le premier métier dont j'ai parlé à mes parents était celui de pilote d'avion rose ! Ma vocation a ensuite légèrement évolué. Aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours voulu être pilote de chasse.

Cette vocation, qui tenait d'abord du rêve a mûri au fil des années. J'ai réalisé que j'étais avant tout attirée par le métier militaire. Ainsi, je n'ai jamais hésité entre ce métier et celui de pilote de ligne en compagnie aérienne, qui ne m'attire absolument pas.

J'ai grandi dans un milieu de marins. Mon père est officier marinier et mon frère aîné a intégré l'École navale. J'ai moi-même passé cinq ans au lycée naval de Brest, en classes de lycée puis en classe préparatoire. J'ai envisagé de m'orienter vers l'aéronavale, mais j'ai finalement choisi l'armée de l'Air. J'ai intégré l'École de l'air en 2012, en tant qu'élève pilote.

Ma promotion compte 68 élèves, dont 16 femmes. Sur les 43 élèves pilotes de ma promotion, sept sont des femmes. La promotion est divisée en quatre brigades. Je suis moi-même la représentante élue de la première brigade, signe qu'il n'y a pas de discrimination à cet égard.

Je débute ma formation de pilote l'été prochain. Je l'appréhende, non pas parce que je suis une femme mais parce qu'il s'agit d'une formation difficile. D'ailleurs, je ne pense pas qu'il existe de difficulté particulière à être une femme dans la formation de pilote.

Si j'ai la chance de devenir pilote de chasse, j'aimerais devenir pilote de Mirage 2000D. Dans ce métier, je suis avant tout attirée par l'aspect opérationnel, par la possibilité d'être engagée dans des opérations pour servir mon pays de manière concrète.

Sur le long terme, je n'ai pas aujourd'hui de volonté ou de projet de reconversion. Je sais que les carrières dans l'armée de l'Air se vivent au jour le jour.

Aspirant Alexandra Adams . - Je suis en deuxième année à l'École navale. Je suis issue d'une famille de militaires : mon grand-père était pharmacien général du Service de santé des armées, mon père lieutenant-colonel dans l'armée de l'Air. J'ai pour ma part préféré la Marine. De la sixième à la terminale, j'ai fréquenté l'internat de l'École des pupilles de l'air. J'ai ensuite effectué ma classe préparatoire au lycée militaire d'Aix-en-Provence, également en internat. J'ai présenté et réussi le concours de l'École navale.

J'ai observé une différence entre la perception des femmes dans l'armée en lycée militaire et en école d'officiers. Lorsque j'étais au lycée militaire, j'ai pu constater les réticences de certains élèves à l'égard des femmes dans l'armée, même si elles semblent moindres à Aix-en-Provence que dans d'autres lycées. Ces années en lycée militaire ont véritablement forgé mon caractère et ma ténacité. J'ai pris conscience que j'évoluerais dans un milieu essentiellement masculin et qu'il me faudrait prouver que j'y ai ma place.

À l'École navale, la situation est bien différente. Lorsque nous sommes en uniforme, il n'y a plus de sexe. Quand on est performant, on est reconnu, que l'on soit homme ou femme. Je sais aujourd'hui que je peux m'épanouir en tant que femme et en tant qu'officier.

J'ai été élue par ma promotion pour encadrer militairement la promotion des « Première année ». Il me semble que je suis la première femme à être élue pour assurer cette responsabilité. Ainsi, si l'on fait ses preuves, on est reconnu.

À mon sens, dans l'armée, les femmes ne doivent pas mettre en avant leur féminité : en uniforme elles sont, comme les hommes, des individus.

Mme Chantal Jouanno, présidente, co-rapporteure . - Merci pour vos témoignages. Je suis certaine que mes collègues auront, comme moi, de nombreuses questions à vous poser.

Mme Annick Billon . - À travers ce dernier témoignage, j'ai le sentiment que les femmes ressentent une obligation de performance pour ne pas être jugées en tant que femmes. En d'autres termes, toute défaillance serait mise sur le compte de leur statut de femme. Le confirmez-vous ?

Amiral Anne Cullerre . - J'aimerais vous livrer ma perception du sujet, après une carrière de trente-et-un ans dans la Marine. C'est à double tranchant : il est vrai que l'on sera prompt à juger une femme si elle trébuche : « C'est normal, c'est une femme ». Cependant, à l'opposé, celle-ci sera extrêmement valorisée lorsqu'elle réussit, également parce qu'elle est une femme. Notre statut de femme peut nous nuire, mais également nous servir.

Aspirant Alexandra Adams . - En ce qui concerne l'obligation de performance, il me semble que la pression ne provient pas toujours des hommes. En tant que femmes évoluant dans un milieu masculin, nous-mêmes nous mettons une pression pour prouver notre valeur.

Mme Hélène Conway-Mouret, co-rapporteure . - Vos témoignages sont extrêmement touchants, car ils soulignent un sens du collectif très fort et une détermination incroyable. Le monde politique et le monde universitaire, que je connais bien, sont également des mondes où les femmes doivent prouver qu'elles sont capables de faire aussi bien que les hommes. Je ne sais si cela répond à une image qui nous est renvoyée ou si nous nous l'imposons à nous-mêmes.

Comment pouvons-nous contribuer à faire évoluer cette culture qui fait qu'aujourd'hui encore l'égalité reste un combat pour les femmes, en l'occurrence dans les armées ?

Mme Laurence Cohen . - Merci pour vos témoignages. Je suis sensible au fait que vous défrichiez un terrain qui, s'il évolue et se féminise, demande encore des efforts importants. Nous mesurons le chemin qu'il reste à parcourir.

En politique comme dans le domaine militaire ou dans tout autre domaine, parce que l'on est femme, on doit encore et toujours prouver sa compétence. On parlera d'ailleurs davantage de compétences lorsqu'il s'agit de promouvoir une femme que lorsqu'il est question de promouvoir un homme, comme si la promotion d'un homme, à telle ou telle étape de sa carrière, s'appuyait sur une compétence tellement naturelle que l'on n'en parle même pas.

Vous avez souligné un écart dans la perception des femmes dans les lycées militaires et les écoles d'officiers. Les choses seraient plus difficiles dans les lycées militaires. Il serait intéressant de savoir plus précisément à quoi vous êtes confrontées, afin de mesurer à quel niveau il serait pertinent d'intervenir pour faire évoluer les choses.

Mme Maryvonne Blondin . - Madame la haute fonctionnaire à l'égalité, vous avez évoqué un tassement des recrutements féminins, à l'exception des officiers. Quelles sont les raisons de la baisse constatée des recrutements de femmes parmi les militaires du rang ?

Mme Françoise Gaudin . - Ce tassement ne traduit pas une volonté de limiter la place des femmes dans les armées. Le ministère de la Défense entreprend depuis quelques années un vaste mouvement de restructuration. Depuis 2010 en particulier, en raison de la réorganisation du soutien, avec la création des bases de défense et la « civilianisation » de certaines fonctions de soutien, certains postes traditionnellement ouverts essentiellement à des personnels féminins ont disparu ou ne sont plus confiés à des militaires. De nombreux postes ont ainsi été réorientés et les recrutements en cours sont avant tout ciblés vers le métier des armes.

En ce qui concerne les militaires de rang engagés, nous avons constaté un véritable engouement parmi les jeunes femmes au début des années 2000, en particulier dans l'armée de l'Air. Près de 60 % des recrutements de militaires techniciens de l'air (MTA) étaient alors féminins. La diminution des recrutements pour ce type de personnels a conduit mathématiquement à une baisse du taux de recrutement féminin.

En revanche, nous comptons toujours une part considérable de femmes présentant les concours d'écoles d'officiers. Elles représentent environ 18 à 20 % des candidats, ce qui se traduit par un taux de recrutement féminin du même ordre.

Capitaine de frégate Christine Ribbe . - Pour ma part, je n'ai pas fréquenté de lycée militaire mais je suis allée en classe préparatoire au lycée Sainte-Geneviève. À mon entrée à l'École navale, j'ai découvert un nouvel univers. J'ai constaté avec surprise que certains camarades masculins, une minorité certes, étaient opposés à la présence des femmes dans l'armée. La logique de la preuve par la compétence est réelle.

Il m'arrive de croiser d'anciens camarades de l'École, à l'époque réticents à l'égard des femmes militaires, qui ont changé d'avis depuis. Lorsque nous rencontrons une personne qui marque une résistance, je considère qu'il est de notre responsabilité de l'aider à évoluer, sans se braquer, avec souplesse et en utilisant éventuellement l'humour. Les idées préconçues sont finalement assez faciles à désamorcer avec le temps.

Mme Hélène Conway-Mouret, co-rapporteure . - Vous avez évoqué, Madame Gaudin, des acquis à consolider. Quels sont-ils ?

Mme Françoise Gaudin . - Ils tiennent en premier lieu à la proportion de femmes dans les armées. Comme je l'indiquais, la réorganisation des armées a abouti à la disparition de certains métiers qui étaient auparavant essentiellement ouverts aux femmes.

Ces acquis à consolider tiennent par ailleurs à la présence de femmes aux différentes étapes qui jalonnent la carrière militaire. Il convient de les encourager à franchir les grandes étapes du cursus d'officier que constitue par exemple le passage à l'École de Guerre ou au Centre de Hautes études militaires (CHEM). Aujourd'hui, on compte moins de dix femmes ayant fait le CHEM.

Comme vous le savez, nous devons opérer des déflations d'effectifs, en particulier d'officiers. Dans ce contexte, j'ai pu constater que lorsque se pose la question d'un départ anticipé, on retient moins les femmes.

Mme Michelle Demessine, vice-présidente de la commission des affaires étrangères . - Effectivement, nous pouvons constater que les réformes, quelles qu'elles soient, ont souvent eu pour effet indirect de contrer les efforts réalisés en faveur de la féminisation. Il conviendrait, avant toute réforme des armées, d'apprécier ses conséquences sur la situation des femmes et sur l'égalité entre hommes et femmes.

Je tiens à vous faire part à toutes de mon admiration pour la détermination sans faille dont vous faites preuve et qui ressort clairement de vos témoignages.

Mme Françoise Gaudin . - La volonté du ministre de la Défense est celle d'une politique d'égalité entre les hommes et les femmes, à compétences et à disponibilité égales. Nous nous refusons à mettre en place des mesures de discrimination positive à l'égard des femmes qui se retourneraient totalement contre elles.

L'objectif annoncé par le ministre d'un doublement, à l'échéance de 2017, du taux de femmes promues officiers généraux vise avant tout à rendre les évolutions visibles. Il est évident que les directions des personnels ne promeuvent pas de femmes dont les compétences risqueraient d'être remises en cause. La parité dans les armées sera atteinte progressivement et par petites touches.

Capitaine de frégate Christine Ribbe . - Mon mari et moi avons fait l'École de Guerre la même année. Nous avons deux enfants et j'ai moi-même navigué en ayant des enfants.

Plusieurs étapes jalonnent une carrière militaire. Si l'on manque une étape du parcours, il est très difficile de la rattraper. Dans ce contexte, la décision d'avoir des enfants représente un véritable pari et conduit à opérer des choix parfois difficiles. Nombre de mes camarades femmes ont dû faire le choix de ne plus naviguer lorsqu'elles ont eu des enfants.

Il se trouve que plusieurs moments clés de la vie d'un officier se cumulent entre trente et trente-cinq ans. Dans cette période, il faut avoir fait ses preuves, navigué et préparé l'École de Guerre. Mais c'est aussi la période où l'on fait généralement des enfants. La situation se complique lorsque, comme dans mon cas, les deux personnes composant le couple franchissent ces grandes étapes de carrière en même temps.

Mme Françoise Gaudin . - Sur ce point, M. le Ministre a demandé aux directions des personnels d'envisager des reports des limites d'âge pour l'École de Guerre, pour les personnes qui ont été en disponibilité pour suivre leur conjoint ou en congé parental. Cette mesure s'adresse aux femmes comme aux hommes.

Colonel Dominique Vitte . - Voilà une dizaine d'années, j'ai réalisé une étude sur la féminisation des armées, qui révélait que plus de 50 % des officiers féminins avaient renoncé à la maternité pour poursuivre leur carrière. Nous constatons que ce n'est plus vrai aujourd'hui et que les jeunes femmes n'opèrent pas de choix exclusif entre leur carrière et leur vie de famille.

Lors d'un colloque en 2000 avec le ministre de la Défense, Alain Richard, la réalité du coût de la garde des enfants avait déjà été évoquée. Cela constitue une question toujours importante du choix des familles. Plus les couples bénéficient de salaires élevés, moins la question se pose.

Pendant mon temps de commandement de chef de corps, j'ai pu observer à quel point parfois les individus, femmes et hommes, souhaitaient faire reposer sur le commandement des situations d'ordre privé. Compte tenu des situations familiales de monoparentalité, de divorces multiples ou de familles recomposées plusieurs fois, il arrive que les administrés sollicitent des facilités du commandement, voire expriment des exigences en termes d'affectations. Or, le commandement ne peut prendre en charge de telles situations pour l'ensemble du personnel équitablement. Et le statut impose la mobilité. C'est aux individus d'assumer leurs situations privées.

Capitaine de frégate Christine Ribbe . - Je tiens, pour ma part, à saluer l'action de la direction du personnel militaire de la Marine qui m'a apporté un réel soutien, une écoute et un suivi particulier lorsque j'ai choisi d'avoir des enfants.

Mme Françoise Gaudin . - Pour rebondir sur les propos du colonel Vitte, je précise que 60 % des femmes militaires sont épouses de militaires. Nous mesurons bien ici les problèmes qui peuvent se poser en cas de mutations concomitantes, en particulier lorsque les deux personnes du couple ne servent pas dans la même armée. Nous devons travailler à ce que les différentes directions du personnel communiquent et se coordonnent pour régler ces situations.

Médecin-Chef de service Maryline Genero . - Étant dans l'armée depuis trente-huit ans, je tiens à souligner les grands progrès réalisés. Il y a plusieurs années, les femmes s'entendaient dire, lorsqu'il était question de leur carrière : « Qui est le moteur dans votre couple ? C'est bien votre mari ? Par conséquent, vous suivrez votre mari ou vous vous mettrez en disponibilité, n'est-ce pas ? » Aujourd'hui, lorsque j'entends qu'un couple fait en même temps l'École de Guerre, je trouve cela magnifique, même si je suis consciente des difficultés que cela peut poser.

Colonel Maroussia Renucci . - Plusieurs générations de femmes militaires sont présentes aujourd'hui. Je suis heureuse de constater que les choses ont évolué positivement. Il y a quelques années, il n'était pas possible d'envisager les aménagements évoqués par Mme Gaudin. Les difficultés que rencontrent les femmes dans les armées pour concilier vie familiale et vie professionnelle sont réelles, mais se rapprochent à mon sens de celles que rencontrent les femmes dans le secteur privé, dès lors qu'elles exercent des responsabilités de cadre.

Il me semble que pour une femme militaire, être mariée à un militaire représente plutôt un avantage, car il existe des possibilités de rapprochement des conjoints, lorsque les aspirations personnelles et celles de l'institution sont compatibles. Dans la configuration où l'une des deux personnes du couple exerce dans le privé, gérer les mutations est souvent très difficile, voire impossible lorsque l'autre conjoint est officier. En effet, la fréquence des mutations de l'officier n'est alors pas compatible avec la possibilité pour l'autre conjoint de mener une carrière dans le secteur privé avec une telle fréquence de changement de poste.

Ingénieure générale de l'armement Blandine Vinson-Rouchon . - Il existe effectivement des cas où il est strictement impossible de gérer deux carrières en même temps sans consentir de sacrifices. Mon mari a effectué une carrière dans le domaine civil. Lui comme moi avons dû renoncer à certaines opportunités. Finalement, nous avons chacun pu suivre des parcours qui nous ont permis de concilier nos deux carrières et de préserver - c'était essentiel - la stabilité géographique de la famille.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, co-rapporteure . - Nous observons bien souvent, dans la vie civile, que les femmes renoncent à des opportunités professionnelles pour suivre leur conjoint ou gérer leur vie familiale. Disposez-vous d'éléments sur cet aspect de la vie personnelle dans le milieu militaire ?

J'ai été frappée par votre témoignage, lieutenant, lorsque vous indiquiez qu'au-delà du « sacrifice ultime », le métier militaire demande des sacrifices quotidiens. C'est un métier, disiez-vous, « dans lequel on ne peut pas mentir » . Cela m'a beaucoup frappée.

À l'écoute de vos témoignages, nous voyons que la situation des femmes dans les armées s'améliore, mais qu'il convient aussi de faire en sorte que ne survienne pas de nouveau recul. Quelles seraient les mesures à mettre en oeuvre ou à recommander pour améliorer encore la situation ? Je pense notamment aux écoles militaires ou à l'orientation.

Enfin, je salue l'exigence de rigueur dont vous témoignez ainsi que votre sens de la responsabilité. Je mesure le « parcours du combattant » qu'est celui d'une femme dans le milieu militaire.

Lieutenant Clémence Besnault . - Le sens du sacrifice et de la responsabilité est celui de tout militaire, qu'il soit homme ou femme. Comme une femme, un homme devra partir plusieurs mois en opérations et laisser sa famille. Pour autant, il est vrai que la situation d'une femme militaire est particulière. À un moment de sa vie, elle devra éventuellement choisir entre deux sacrifices : retarder ou suspendre son projet de maternité ou sacrifier une mission, un poste ou une opportunité de carrière pour donner la vie.

Le métier militaire est extrêmement exigeant. Il demande une grande disponibilité : à tout moment, en week-end ou en permissions, le militaire peut être appelé. Lors de l'intervention au Mali, certains militaires ont été mobilisés en l'espace de trois jours, sans connaître exactement la nature de leur action, ni sa durée.

Néanmoins, au-delà des sacrifices, la carrière militaire reste une affaire de choix. Dès le début, en école d'officier, on nous apprend à prendre des décisions et à prendre nos responsabilités dans des situations complexes. Les sacrifices existent, mais ils sont connus et consentis. J'aime mon métier et si j'ai accepté des sacrifices, je l'ai fait en toute conscience et je ne le regrette pas aujourd'hui.

Deuxième table ronde : La présence des femmes dans les opérations extérieures (OPEX).

Colonel Olivier Ducret . - À l'État-major des armées, je suis chargé d'un des deux aspects de la dimension du genre au sein du ministère de la Défense, celui relatif aux femmes dans les opérations, qui recouvre deux problématiques : celle des femmes militaires en tant qu'acteurs des opérations d'une part et celle des femmes victimes, parmi les populations civiles, d'autre part. C'est au titre du premier aspect que j'introduirai cette deuxième table ronde, en livrant quelques chiffres relatifs à la présence des femmes dans les OPEX et en abordant la formation, particulière ou non, qui leur est délivrée pour préparer la projection.

La France, à l'instar de la plupart des nations, ne pratique pas l'application de quotas relatifs à la participation des femmes dans les opérations. Mêmes les pays les plus avancés en matière d'égalité entre les femmes et les hommes, notamment les pays nordiques, n'appliquent pas de quotas dans ce domaine. Ainsi, au niveau des armées françaises, aucune spécificité féminine n'est prise en compte pour les opérations, à quelques exceptions près, individuellement identifiées et pour lesquelles la plus-value opérationnelle liée à la présence de femmes serait avérée. Par exemple, nous avons constaté en Afghanistan que pour accéder à une partie de la population locale, il fallait pouvoir s'appuyer sur des femmes. Nous pouvons imaginer par ailleurs que dans le cadre d'un bâtiment de la Marine nationale qui procède à l'évacuation de ressortissants, le contact féminin soit plus approprié pour accueillir et encadrer des populations fragilisées, de femmes et d'enfants notamment.

Si, comme l'a indiqué M. le Ministre, les femmes constituent 15,4 % des effectifs des armées en 2014, elles ne représentent que 6,3 % des militaires engagés dans les OPEX, en légère baisse par rapport à 2013 (environ 7 %). En d'autres termes, les femmes sont 2,4 fois moins représentées en OPEX qu'elles ne le sont dans les armées françaises.

Le taux de représentation des femmes dans les OPEX varie très schématiquement en fonction de trois facteurs principaux :

- la nature de l'opération : le taux de féminisation est moindre dans les opérations terrestres : or les opérations actuelles sont pour la plupart à dominante terrestre ;

- la nature des unités projetées : l'infanterie et la cavalerie qui constituent la majorité des effectifs en opération sont extrêmement peu féminisées, à hauteur de 0,5 % ;

- le moment de l'opération : le taux de féminisation peut varier selon qu'il s'agit d'une phase d'intervention, nécessitant des troupes combattantes, ou d'une phase de stabilisation, qui donne lieu à d'autres types d'actions, civiles ou militaires.

L'approche française relative à la place des femmes dans les OPEX consiste à privilégier les aspects opérationnels des missions et à répondre à un besoin spécifique, la plupart du temps, non sexué.

Au ministère de la Défense et à l'État-major des armées, nous considérons que l'application de quotas de femmes en OPEX n'est pas souhaitable, pour trois raisons principales :

- elle serait susceptible de déstructurer la cohésion d'une unité déjà constituée et qui se prépare ;

- elle serait techniquement complexe à réaliser, alors que près de 20 000 soldats français sont engagés dans des opérations intérieures et extérieures et que la relève doit être organisée tous les trois ou quatre mois ;

- elle serait même contre-productive, car si l'on appliquait un tel quota aux unités extrêmement peu féminisées (infanterie ou cavalerie par exemple), les mêmes femmes devraient partir plus souvent en opération, ce qui semble difficilement réalisable et peu souhaitable pour elles, entraînant un effet d'épuisement de cette ressource.

Aucune préparation spécifique n'est destinée aux femmes projetées en opération. La préparation à l'engagement s'adresse à l'ensemble des soldats projetés. Il peut exister certaines formations relatives aux actions qui seront menées par les femmes engagées sur un théâtre d'opération donné (par exemple, pour le contact avec les populations locales dans le cas de l'Afghanistan), mais la préparation reste commune à tous les soldats.

Six témoins interviendront au cours de cette table ronde : cinq officiers et un sous-officier. Grâce à leurs témoignages, vous aurez une vision de l'ensemble des opérations conduites par les armées françaises ces vingt dernières années, qu'elles soient aériennes, maritimes ou terrestres, depuis l'intervention à Sarajevo en 1994. Vous pourrez donc entendre des témoignages sur l'ex-Yougoslavie, le Tchad, le Liban, la Côte d'Ivoire, la Centrafrique, le Mali et l'Afghanistan.

Je propose de laisser la parole à notre interlocutrice la plus gradée, le colonel Anne-Cécile Ortemann.

Colonel Anne-Cécile Ortemann . - Je suis actuellement le Chef de corps du 40 e Régiment de transmissions, à Thionville. Le témoignage que je livrerai aujourd'hui n'engage bien évidemment que moi. Je me suis engagée en 1990, à l'âge de dix-neuf ans. Aujourd'hui j'ai quarante-quatre ans et je suis mariée avec un sous-officier, ce qui peut sembler original dans un couple de militaires. Comme le capitaine de frégate Ribbe, je remercie ma direction des ressources humaines qui a toujours été bienveillante et conciliante à notre égard. Actuellement je suis mutée tous les deux ans et mon mari me suit. Il doit faire des sacrifices sur le plan professionnel, mais nous avons choisi de privilégier l'unité de notre structure familiale. Nous avons deux filles, de huit ans-et-demi et douze ans.

Je suis très attachée au code du soldat, que je cite souvent à mes propres soldats. Dans son article premier, il est écrit : « Au service de la France, le soldat lui est entièrement dévoué, en tout temps et en tout lieu » . Les OPEX constituent la véritable concrétisation de cet article. J'ai eu la chance de partir cinq fois en opération.

J'ai été projetée deux fois en Bosnie, en 1996 à vingt-cinq ans, près de Sarajevo en tant que lieutenant et jeune chef de section, puis en 1998 à Mostar, en tant que capitaine, chef des moyens de transmission. En 2000, je suis partie à Mitrovica, au Kosovo, où je commandais une unité opérationnelle dans le domaine des transmissions. En 2011, à quarante ans, j'ai été engagée six mois en Afghanistan (j'étais alors chef du Bureau opération-instruction du 40 e Régiment de transmissions), en charge du Centre de mise en oeuvre des systèmes d'information et de communication. Enfin, à quarante-deux ans, je suis partie à Bamako, en tant que colonel et chef de corps du groupement transmission. J'y ai passé Noël en 2013.

Pour un soldat, les opérations extérieures durent généralement quatre mois. Les civils me demandent souvent si je reviens régulièrement auprès de ma famille en cours de mission. À mon sens, il vaut mieux ne pas rentrer, car le retour en opération est ensuite beaucoup plus difficile. Il faut être entièrement dévolu à sa mission.

Le code du soldat me guide depuis de nombreuses années. Tout y est dit, en termes de vocation, d'investissement et d'exemplarité. Cette exemplarité n'est pas un attribut masculin ou féminin : elle est liée au métier de soldat que nous avons choisi. Le postulat selon lequel une OPEX serait plus difficile pour une femme me semble erroné. Certes, des difficultés existent mais chaque OPEX est différente. Elle peut très bien se dérouler ou être plus difficile, en fonction de la mission, de la préparation, du contexte, ou encore du chef.

Lorsque j'ai eu mes enfants, je me suis bien sûr interrogée sur mon avenir dans l'armée. Mes questions ont vite été balayées par mon conjoint. Grâce à lui, je peux partir sereinement en mission en sachant qu'il s'occupera parfaitement de nos enfants. Il est en effet essentiel de pouvoir partir l'esprit totalement dévolu à sa mission pour la remplir pleinement et ne pas faire porter de risque aux autres.

Finalement, l'une des premières difficultés pour une femme militaire tient peut-être au regard des autres. En tenue civile et les cheveux lâchés, lorsque je déclare que je suis chef de corps d'un régiment, mes interlocuteurs ont du mal à l'imaginer. Les choses seraient certes différentes si je mesurais 1m90 pour 95 kilos, avec les cheveux rasés ! À ce titre, une femme doit certainement affirmer davantage de volonté.

Aujourd'hui, je commande 874 hommes et femmes, ainsi que 134 réservistes. J'exerce en quelque sorte un rôle de chef d'entreprise, traitant du volet ressources humaines, (parfois à la limite de l'assistante sociale vers laquelle je renvoie certains de mes personnels), de la logistique (je vérifie les conditions de logement des militaires et m'assure de l'accueil de leurs enfants dans les écoles et de l'ouverture à tous des activités culturelles, sportives et associatives), et de l'infrastructure. Je suis également responsable de la préparation opérationnelle des militaires, de la formation des jeunes recrues et de l'instruction. Pour partir en opération, je me prépare comme tous les militaires du régiment.

Pour faire évoluer le regard porté sur les femmes dans les armées, il est important de montrer qu'il est possible pour une femme de réussir une carrière militaire et qu'elle est capable, au même titre qu'un homme, de marcher plusieurs dizaines de kilomètres avec son régiment, de courir avec des rangers, de tirer et de réaliser tous les pré-requis demandés à un homme.

Le régiment qui m'est confié compte à ce jour 14 % de femmes et quatre femmes officiers. Mais au-delà des chiffres, je considère que la féminisation des armées ne doit pas être vue comme une fin en soi. L'essentiel est de combattre le cliché selon lequel une femme serait moins apte qu'un homme à une carrière militaire afin de donner sa chance à chacune et à chacun, toujours en fonction des compétences.

Adjudant-chef Nathalie Delahaye . - J'ai quarante-huit ans, je suis mariée depuis vingt-quatre ans et mère de trois enfants.

Je me suis engagée il y a trente ans à l'École nationale des sous-officiers d'active, basée à Saint-Maixent. Je sers actuellement au 27 e Bataillon de chasseurs alpins. Je vous livrerai mon expérience à travers deux missions qui, pour moi, ont été importantes : la Bosnie et l'Afghanistan.

Dans le cadre de la première OPEX à laquelle j'ai participé, ma désignation, ma préparation et mon départ se sont déroulés dans des conditions particulières. En 1995, je venais d'être mutée dans un bataillon de chasseurs alpins quand le chef de corps m'a annoncé qu'il souhaitait que j'aille en Bosnie avec le bataillon. J'étais inquiète, car je connaissais très peu le milieu alpin, les mentalités et les traditions. L'infanterie ne comptait alors qu'1 % de femmes. À l'époque, mon mari était en déplacement à Tahiti avec son escadron de gendarmerie et son retour n'était prévu qu'un mois après mon départ. Notre fils aîné avait alors trois ans. J'ai compris que pour m'intégrer rapidement dans mon bataillon, je ne pouvais refuser la mission, et puis j'attendais cela depuis dix ans.

La Gendarmerie a accepté que mon mari rentre plus tôt d'opération. C'était frustrant pour lui de ne pas achever sa mission et de ne pas avoir montré une réelle disponibilité à sa hiérarchie. C'était contrariant pour moi de partir dans de telles conditions. À cela se sont ajoutées les difficultés liées à la séparation d'avec mon fils, aux conditions de vie rustiques sur le camp, à des moyens de communication limités avec la France et à la dangerosité du mandat. J'étais la seule femme au sein du détachement et il m'a fallu trouver ma place, ce qui n'était pas facile au vu de mon jeune âge à l'époque et de mon manque d'expérience.

Cette première expérience s'est déroulée dans des conditions difficiles, mais elle a été très formatrice pour le reste de ma carrière.

En 2011, mon bataillon a été désigné pour partir en Afghanistan. Alors chef du secrétariat du Bureau opérations-instruction, il était tout naturel que je parte avec lui. Mon travail consiste au traitement du courrier au quotidien, à la gestion du personnel et du matériel et de l'organisation de la vie courante. En exercice, je suis responsable de la mise en place du centre opérationnel. L'OPEX en Afghanistan a nécessité une préparation opérationnelle intense, de onze mois, marquée par de nombreuses absences de la maison. La famille était de ce fait déjà conditionnée. L'Afghanistan était un théâtre d'opérations dangereux. Nous étions en vallée de Kapisa sur la FOB ( Forward operational base ) de Tagab. Nous avons subi de nombreuses attaques et malheureusement déploré la perte de camarades.

La vie sur FOB est cloisonnée. Dans un tel environnement de stress et de tension permanente, la place de la femme me semble importante. La sensibilité des femmes est à mon sens un facteur d'apaisement. Je pense par ailleurs que la complémentarité des hommes et des femmes augmente la performance opérationnelle d'une unité.

Il n'est pas facile pour un militaire d'effectuer un mandat de plusieurs mois (encore moins pour une mère de famille). Bien remplir sa mission nécessite une bonne préparation physique et mentale, associée à une « base arrière » solide. Comme le disait le colonel Ortemann, cette base arrière est le conjoint. J'ai moi aussi la chance d'avoir un mari « opérationnel », qui sait tout faire à la maison, ce qui facilite grandement les départs et les absences et me permet de remplir mes missions avec sérénité.

Aujourd'hui encore, certains continuent de penser que l'homme doit protéger la femme qui, elle, est vouée à assurer la descendance. Les mentalités ont certes évolué par rapport à la définition de ces rôles traditionnels mais je ne sais si, pour autant, la société serait prête à accepter la mort d'une femme au combat.

Commandant Gaëlle Moyen . - Je suis pilote d'hélicoptère dans l'armée de l'Air.

Je suis entrée dans l'armée de l'Air en 1999, en tant que sous-officier et en qualité de contrôleur aérien. J'ai très rapidement présenté le concours de l'École militaire de l'Air (EMA), que j'ai réussi à mon premier essai.

J'ai entamé un cursus pour devenir pilote de chasse, mais j'ai dû me réorienter, pour des questions d'ordre physique, vers le cursus de pilote d'hélicoptère. À l'issue de ma formation, j'ai intégré en 2008 l'escadron d'hélicoptère « Parisis » sur la base aérienne de Villacoublay. J'y suis aujourd'hui très épanouie.

L'escadron Parisis a pour mission principale d'appliquer les mesures actives de sûreté aérienne en région parisienne. Il assure également des missions de recherche et de sauvetage en cas de crash aérien. Lorsque l'escadron est projeté en OPEX, il exerce essentiellement une mission de renseignement, plus particulièrement des reconnaissances d'itinéraires pour les troupes au sol, ainsi que des prises de photographies d'objectifs pour d'éventuelles actions ultérieures.

J'ai eu l'occasion en 2009 de partir en Guyane dans le cadre de l'opération Harpie pour la lutte contre l'orpaillage. En 2010 et en 2011, j'ai été engagée en Côte d'Ivoire dans le cadre de l'opération Licorne. En 2012, j'ai été projetée sur l'île de La Réunion, dans le cadre d'un renfort pour la recherche et le sauvetage en montagne. En 2013, j'ai fait une pause car j'ai eu mon premier enfant. Enfin, en 2014, j'ai participé à l'Opération Sangaris en République centrafricaine pendant laquelle j'avais pour mission d'appuyer les troupes au sol, que ce soit en termes de renseignement ou d'appui-feu, puisque nos hélicoptères sont équipés d'un canon de 20 mm.

Les femmes ont évidemment leur place en OPEX. J'ai moi-même été projetée dans chacune de ces opérations en tant que chef de détachement. Il a fallu pour cela que je fasse mes preuves et que je gagne la confiance de ma hiérarchie.

Lors de ma dernière opération en Centrafrique, l'une des principales difficultés tenait à la rusticité des conditions de vie. Pendant trois mois, nous avons dormi dans des tentes et utilisions des douches et toilettes de campagne. Mon détachement était particulièrement féminisé (trois femmes pilotes et une mécanicienne sur un équipage de vingt personnes), ce qui nous a permis de constituer une tente féminine et de conserver un minimum d'intimité.

Je considère qu'il existe une réelle plus-value à compter du personnel féminin dans le cadre de la projection d'un équipage. En OPEX, il nous arrive de nous poser dans des villages totalement isolés. La population est généralement très surprise et émerveillée de voir des femmes piloter des hélicoptères. J'ai déjà eu l'occasion de discuter avec des petites filles qui me demandaient comment devenir pilotes. Je crains malheureusement qu'elles n'aient pas les moyens, notamment financiers ou techniques, de suivre une telle formation mais j'espère au moins avoir pu leur permettre de se projeter dans des futurs autres que le seul destin de mère de famille.

Les femmes présentes ici, et plus généralement celles qui ont une carrière et de hautes responsabilités, ont forcément beaucoup de caractère. À l'image de la société, le monde militaire est parfois machiste. S'il est vrai que les femmes doivent faire un peu plus que les hommes pour gagner la confiance de leur hiérarchie et de leurs pairs, une fois cette confiance donnée, on ne la leur retire pas.

Capitaine de frégate Christine Ribbe . - Je suis entrée à l'École navale à dix-neuf ans, en 1999. Dès le début de ma carrière, j'ai eu à coeur la logique de la preuve par la compétence.

En sortie de l'École navale, j'ai été affectée sur Aviso alors que ce bâtiment s'ouvrait aux femmes pour la première fois. J'ai ensuite eu la chance de partir très rapidement en opération, dans le Golfe de Guinée, ce qui m'a permis d'être plus rapidement reconnue dans cet environnement. La situation s'est ensuite dégradée en Côte d'Ivoire et nous y avons été engagés.

Lors du déclenchement de cette opération « Licorne », malgré les compétences dont j'avais fait preuve et que reconnaissait ma hiérarchie, des marins du bord ont suggéré au commandant de ne pas envisager une opération « risquée » me concernant (j'étais alors chef de brigade de protection du bâtiment). Bien que consciente qu'ils cherchaient alors à me protéger, j'ai mal vécu ce moment : la compétence seule ne suffit pas toujours.

L'année suivante, j'ai été affectée sur un pétrolier ravitailleur en tant qu'officier opérations. Nous sommes très rapidement partis en opération dans l'océan Indien. L'année précédente, une femme de l'équipage avait estimé et écrit avoir été mal notée parce qu'elle était une femme. À mon arrivée à bord, lors de mon premier entretien avec mon commandant, celui-ci a déclaré : « Je ne sais pas si je suis misogyne, je vais le découvrir avec vous » . Il m'a en outre signalé que par principe, lors de nos entretiens dans son bureau, il laisserait toujours la porte ouverte. En novembre de cette même année, lorsque le commandant a reçu une information très confidentielle, j'ai été la seule à qui il en a fait part (ce qui était parfaitement logique compte tenu de mes fonctions d'officier opérations). Lorsqu'il m'a convoquée dans son bureau, il m'a demandé de fermer la porte : c'était pour moi la plus grande marque de reconnaissance humaine dont il pouvait me témoigner. J'ai gagné cette confiance parce que j'ai eu la chance d'être en opération et que j'y ai fait mes preuves.

Je suis devenue commandant d'un bâtiment école à vingt-six ans. Dès ce moment, je ne me suis plus posé de question. Je savais que j'étais légitime et les personnes qui étaient sous mes ordres voyaient en moi le commandant avant la femme. Mon commandant en second, un officier marinier qui a une fille d'à peu près mon âge - ce point illustre l'écart générationnel - m'a déclaré être « contre » la présence de femmes dans les armées, mais m'a assuré de sa loyauté et de son professionnalisme, et notre collaboration a été remarquable.

J'ai ensuite été affectée à terre et j'ai décidé de suivre un cursus d'ingénieur. J'ai quitté momentanément le monde des opérations, avec l'espoir de pouvoir naviguer ultérieurement. De peur que l'on ne me ferme des portes, j'ai alors fait des choix personnels très discutables. Sans que jamais l'institution ne me le demande, j'ai systématiquement écourté mes congés maternité, si bien que mon corps n'a plus suivi.

Je suis parvenue à surmonter les difficultés et à repartir en opération. Je le dois moi aussi à ma formidable « base arrière », mon mari, qui est de la même promotion que moi et qui dans tous les moments de doute m'a poussée à continuer. Alors que mes enfants avaient un an-et-demi et trois ans-et-demi, j'ai passé deux ans à bord d'une frégate féminisée depuis longtemps. Être une femme à bord était une « non affaire » : le temps et l'habitude sont des atouts précieux, en complément de la compétence.

La principale difficulté pour ma famille ne tient pas aux départs en OPEX mais à l'absence de visibilité sur mon programme. Ainsi, lorsque je suis partie quatre mois dans l'océan Indien, mes enfants ont très bien réagi et n'ont pas été déstabilisés. En revanche, trois ou quatre jours après mon retour, j'ai dû repartir en mer pour quelques jours afin de remplacer une unité indisponible. Mes enfants l'ont alors extrêmement mal vécu et leur maîtresse m'a ensuite convoquée pour s'assurer que je ne repartirais pas immédiatement.

Mes enfants sont encore jeunes et j'observe qu'ils vivent plus difficilement les départs de leur mère que ceux de leur père. Peut-être cela changera-t-il à l'adolescence. Il m'a été proposé de commander cet été un bâtiment pour me permettre de suivre une trajectoire à trois commandements. J'ai refusé cette proposition en partie pour des raisons de limite d'âge (un troisième commandement me concernant étant inévitablement après la limite d'âge car après le troisième commandement de mon époux...). Par ailleurs, j'ai choisi de « stabiliser la famille » : cette année est la première année où les enfants ont leurs deux parents affectés à terre. J'ai donc demandé à commander « seulement » une deuxième fois (une frégate), mais dans deux ou trois ans. Ma hiérarchie me soutient parfaitement dans ces choix.

Commissaire en chef Dominique Moreau . - À la différence des autres témoins de ce matin, je suis officier des services et non des armes. Le choix de l'armée s'est imposé à moi assez jeune. À l'origine, je souhaitais entrer à l'École de Saint-Cyr mais j'ai pensé qu'il serait difficile de concilier ma vie professionnelle avec une vie familiale en étant officier des armes. J'ai finalement opté pour des études de droit et j'ai rencontré celui qui deviendrait mon mari. Par raison plus que par passion, j'ai choisi de devenir commissaire de l'armée de l'air, alors que ma vocation première était de devenir officier des armes. Aujourd'hui, je ne regrette pas ce choix.

J'ai rejoint l'armée en 1998. J'ai effectué deux ans d'école dont trois mois à Saint-Cyr, au 3 e Bataillon. Étant issue d'un milieu civil et d'une filière de formation comptant davantage de femmes que d'hommes, mon passage à Saint-Cyr a été un véritable choc. Certains de mes camarades refusaient d'adresser la parole à leurs homologues féminins. Je n'en ai pas spécialement souffert, dans la mesure où chacun savait que je n'étais présente que pour trois mois et où la légitimité des femmes en tant qu'administrateur militaire n'a jamais véritablement posé question.

À l'issue de ma formation, avec un grade de lieutenant, j'ai été affectée dans une direction régionale, en Ile-de-France. Cette période ne fut pas la plus palpitante sur le plan professionnel. Il s'agissait avant tout de consolider nos acquis pour prendre ensuite un poste de chef de service en régiment. J'ai profité de cette période relativement calme pour me marier.

À l'âge de vingt-huit ans, avec un grade de capitaine, j'ai eu la chance de servir comme chef de service dans le 1 er Régiment d'artillerie de Marine, à Laon. J'étais à l'époque la seule femme officier du régiment. Cette période fut extrêmement enrichissante : je gérais alors soixante-dix personnes et j'ai eu la chance de partir en OPEX.

Cette période fut également relativement délicate. Alors que je n'avais pas vraiment prévu d'avoir un enfant à ce moment-là, deux semaines après mon arrivée en régiment j'ai dû annoncer à mon chef de corps que j'étais enceinte. L'accueil fut plus que glacial : ce fut l'un des plus difficiles moments de ma carrière ! J'ai néanmoins été énormément soutenue par les collègues de mon service qui ont parfaitement su gérer mon absence. Je me reconnais dans le témoignage précédent. Moi aussi, je voulais prouver mes compétences et ma disponibilité. Je devais « tout donner ». Certaine d'aller bien, j'ai travaillé jusqu'à la fin de ma grossesse, contre l'avis de mon médecin. J'ai finalement accouché en urgence et mon fils est né prématuré. Aujourd'hui, il ne souffre heureusement d'aucune séquelle.

À mon retour de congé maternité, j'ai eu le temps de faire mes preuves. Je suis très rapidement partie en OPEX, en Côte d'Ivoire, ce qui fut difficile à vivre étant mère d'un enfant de quelques mois. Mais j'ai moi aussi la chance d'avoir un mari formidable qui sait tout faire à la maison. Le plus difficile tenait peut-être au regard culpabilisateur que l'on portait sur moi y compris au sein de ma famille proche : j'avais choisi de partir en opération en « laissant » mon enfant.

J'ai ensuite été mutée à Paris, où j'ai servi à l'École militaire. Durant cette période, j'ai pu rester auprès de ma famille. Nous avons eu un deuxième enfant et je suis entrée à l'École de Guerre. J'ai réussi ma formation, encore une fois grâce à l'appui de mon mari qui s'est beaucoup occupé de nos enfants.

À l'issue de ma scolarité, j'ai été mutée, en famille, en Nouvelle Calédonie pendant deux ans. Mon mari, fonctionnaire de police, est parti en disponibilité pour me suivre. À l'occasion de toutes les rencontres auxquelles il était invité, il était constamment félicité pour le courage dont il avait fait preuve en acceptant de suivre son épouse. Du courage pour mener la vie très agréable que nous avions là-bas... le mot ne me semble pas très approprié ! Étonnamment, les épouses de mes camarades, qui elles aussi avaient mis leur carrière entre parenthèses pour suivre leur conjoint, ne recevaient pas tant d'honneurs...

J'ai de nouveau été mutée à Paris à la Direction centrale du service du commissariat des armées. J'ai vu deux de mes camarades partir en OPEX en moins de dix jours. Lorsque mon chef m'a suggéré de partir également, je lui ai indiqué qu'il me fallait pouvoir maîtriser mon calendrier, choisir le lieu et la période de départ. J'ai eu la chance de pouvoir le faire. J'ai été projetée de septembre 2014 à janvier 2015 à Gao, au Mali, dans une mission de soutien administratif à l'opération Barkhane.

Au cours de cette opération, les conditions de vie étaient extrêmement difficiles. Nous étions huit personnes par tente, sans beaucoup d'intimité. Les blocs sanitaires étaient mixtes et dans un état de propreté très limité. Nous ne disposions pas d'eau chaude, ce qui peut paraître anodin, mais ne l'est pas tant que cela lorsque l'on a les cheveux longs.

J'étais chef d'un petit service assez féminisé, comptant une moitié de femmes. Néanmoins, sur l'ensemble du site de Gao, qui regroupait 1 000 militaires, j'étais la seule femme officier supérieur.

L'une des particularités du site de Gao est le confinement. Le contexte est tel que personne ne sort du camp, sauf pour mener une mission particulière. Lors des périodes de repos, les militaires n'ont accès à aucune activité, à aucun loisir. En conséquence, pour évacuer la pression, de nombreux soldats boivent de l'alcool et peuvent alors avoir des comportements inappropriés. Dans mon service, j'ai été confrontée à des problèmes de discipline liés à l'alcool ; l'un d'entre eux m'a amenée à renvoyer chez lui un sous-officier, renvoi assorti d'une sanction conséquente à son retour. Certains de ses camarades ont essayé de m'intimider pour que je revienne sur ma décision, ce qui ne se serait certainement pas produit avec un colonel masculin. Lorsqu'un sous-officier d'1m90 se place à dix centimètres de votre figure pour vous faire changer d'avis, il faut avoir du caractère pour ne pas se laisser impressionner. Je n'ai pas cédé.

Des sous-officiers féminins m'ont indiqué sentir qu'elles devaient cacher leur féminité. Le simple fait de se lâcher les cheveux et de se parfumer en sortant de la douche était vécu comme une provocation par les autres sous-officiers. Les deux premiers mois, elles faisaient l'objet de simples réflexions sans conséquence, mais au bout de quatre mois d'enfermement, les codes changent et la pression s'accroît, à tel point que les femmes ont fini par rester entre elles et par fuir la compagnie de leurs autres camarades.

Sous l'effet conjugué de la pression, de l'enfermement, de l'absence de loisirs, de l'alcool et parfois de l'ennui et de la lassitude, les femmes se sont senties tenues de cacher leur féminité et de passer inaperçues.

Dans un registre plus léger, avec dix postes de télévision pour 1 000 soldats, je vous laisse imaginer le tollé suscité lorsqu'une femme cherchait, pour une fois, à changer de chaîne pour regarder autre chose que du football.

Sur cette OPEX, mon adjoint était également une femme. À mon retour, un de mes chefs sur le terrain a estimé que mon directeur central avait fait un « pari osé » en envoyant deux femmes à la tête de ce service sur l'opération. Ainsi, les mentalités n'ont pas encore totalement évolué.

Médecin principal Laure Navarro . - Je suis médecin responsable de l'antenne médicale du Fort Neuf à Vincennes. J'ai trente-trois ans. J'ai intégré l'École du Service de santé des armées de Bordeaux en 2000 et j'ai effectué mon internat de médecine générale à Marseille, au sein de l'Hôpital d'Instruction des armées Laveran. J'ai occupé mon premier poste de médecin des forces en 2009 à Besançon, où j'ai passé quatre ans.

Le Service de santé des armées est très féminisé. Ma promotion comptait ainsi près de 60 % de femmes.

Le rôle des médecins femmes en mission est particulier, car il leur revient souvent d'examiner les femmes civiles qui n'auraient pas accepté d'être prises en charge par un homme.

En OPEX, les femmes ne représentent que 6 à 10 % des personnes sur un camp. En conséquence, nous pouvons avoir le sentiment que nos moindres faits et gestes sont détaillés et qu'il nous faut davantage prouver nos compétences.

En tant que médecins, nous sommes garants du secret médical. L'infirmerie peut représenter en quelque sorte un « sas de décompression » pour les soldats, pour qui l'écoute féminine de l'infirmière ou du médecin peut être utile. Ils savent qu'en tant que femmes nous ne serons pas dans le jugement ou dans la compétition, et qu'ils n'auront pas à prouver leur force comme ils peuvent vouloir le faire face à leurs collègues masculins. Les échanges que nous avons avec eux sont très riches et nous permettent de comprendre les difficultés qu'ils peuvent rencontrer.

En termes de missions, j'ai été projetée au Liban en janvier 2010 puis en 2011, au Kosovo en 2012 et en Centrafrique en 2013. En tant que jeune médecin capitaine, j'ai ressenti qu'il fallait que je m'affirme davantage qu'un homme dès le départ pour être prise au sérieux, aller vers eux, car ce n'est pas eux qui feront la démarche de se présenter à nous, notamment lors des réunions de « point de situation » au cours desquelles nous sommes conseillers au commandement sur le plan médical.

Dès lors que les a priori sont dépassés, il est très satisfaisant de constater que l'on gagne la confiance de ses collègues. La plus grande satisfaction, lorsque l'on manage une équipe, est d'être parvenue à créer un équilibre entre l'écoute et l'autorité, pour remplir pleinement sa mission.

En mission, il est particulièrement intéressant de discuter avec des femmes militaires servant dans des armées étrangères. Étant peu nombreuses en OPEX, les femmes cherchent spontanément à se rencontrer pour échanger leur expérience. Il s'agit là d'un formidable champ d'exploration.

Je terminerai en indiquant qu'être une femme militaire, c'est opérer un mélange subtil de responsabilité, d'autorité, d'authenticité et d'une sensibilité qui nous est propre.

Je salue les très belles carrières des femmes militaires ici présentes. Je les admire toutes.

Mme Chantal Jouanno, présidente, co-rapporteure . - Merci beaucoup. Je propose que nous prenions les questions des sénatrices et sénateurs.

Mme Hélène Conway-Mouret, co-rapporteure . - Je vous félicite pour vos parcours et pour la liberté de parole dont vous faites preuve. Vos témoignages s'inscrivent au coeur de l'humain et vous décrivez votre expérience avec honnêteté et franchise.

Vous avez chacune parlé de votre rôle de chef avec beaucoup de passion. Pensez-vous que vous exercez la gestion de votre équipe de la même manière qu'un homme le ferait ? Faites-vous preuve par exemple d'une vigilance particulière sur certains comportements ? Existe-t-il une solidarité entre les femmes ou, au contraire, celles-ci sont-elles plus exigeantes avec les autres femmes qu'elles ne le seraient avec les hommes ?

Mme Maryvonne Blondin . - Mme Moreau a évoqué les facteurs qui entraînent, sur le camp, des comportements inappropriés. Nous n'avons pas abordé la problématique du harcèlement moral ou sexuel que des femmes subissent parce qu'elles sont femmes 17 ( * ) . Y avez-vous été confrontées personnellement ou en avez-vous eu connaissance ? Vous diriez-vous « protégées » par votre qualité de cheffes ?

Docteur Navarro, en tant que médecin et dans le cadre du « sas d'écoute et de décompression » que vous décriviez, avez-vous eu connaissance de telles situations ?

Mme Vivette Lopez, co-rapporteure . - Comment vos enfants, notamment adolescents, vivent-ils vos absences ? Lorsque vous revenez d'OPEX après plusieurs mois, avez-vous le sentiment que leur comportement à votre égard ait changé ?

Mme Laurence Cohen . - À travers vos paroles, nous mesurons bien à quel point, nous les femmes, pouvons intérioriser la pression que nous renvoie la société. Je pense en particulier aux situations où vous expliquiez vous être vous-mêmes fait violence en n'écoutant pas les signaux de votre corps, pour chercher à prouver que vous étiez en capacité de tout faire.

Au sujet des comportements déviants et du harcèlement, avez-vous constaté que les femmes qui n'ont pas un statut d'officier s'adressaient plus facilement à vous, parce que vous êtes des femmes, pour dénoncer de tels comportements ou de telles pratiques ?

Mme Annick Billon . - Nous vivons dans une société qui culpabilise les femmes. Les femmes elles-mêmes se mettent d'ailleurs une pression terrible pour respecter les codes imposés.

J'ai moi-même été directrice commerciale pendant dix ans. J'étais absente de mon domicile du lundi au vendredi alors que mes enfants étaient très jeunes. Ils sont grands aujourd'hui et je sais qu'ils n'en ont absolument pas souffert. Je pense qu'il est extrêmement stimulant pour les enfants de voir leurs parents aller au bout de leur passion et assumer leurs convictions. Si j'ai un message de notre part à vous adresser, c'est de ne ressentir aucune culpabilité.

Mme Françoise Gaudin . - Je propose pour commencer que le commissaire Moreau et le médecin principal Navarro vous apportent des réponses sur la question du harcèlement.

Commissaire en chef Dominique Moreau . - Je n'ai pas été confrontée personnellement à ces situations de harcèlement. Je pense que le statut de chef et de gradé protège énormément de ce risque. Je précise par ailleurs que les comportements déviants que j'ai évoqués en lien avec l'alcool n'étaient pas des cas de harcèlement.

En tout état de cause, le commandement est extrêmement attentif à ces situations. À mon arrivée à Gao, il y a eu un cas de suspicion de harcèlement sexuel. Sur la seule base de cette suspicion, le présumé coupable a dû quitter le camp.

Par ailleurs, lorsque je suis arrivée à Gao, les tentes étaient mixtes afin de maintenir une cohésion de groupe. Certains débordements ont été constatés, mais ont pu être réglés très simplement en installant des tentes non mixtes.

Colonel Anne-Cécile Ortemann . - Lors de mon opération au Mali, nous avons fait le choix assumé de conserver des tentes mixtes, afin de ne pas séparer les unités et de maintenir un rythme de travail commun. Dans ce contexte, il est essentiel d'édicter des règles très claires dès le départ et de prévoir, en amont, les sanctions qui seront assorties à tout type de débordement.

À mon sens, il est dommage de se limiter à la problématique homme/femme lorsqu'on parle de harcèlement. J'ai été frappée par un documentaire diffusé récemment sur les « souffre-douleur » et le harcèlement dans le milieu scolaire. Il convient d'être lucide : lorsque l'on gère une équipe de 900 personnes, on n'est pas à l'abri de tels comportements. Par exemple, en ce moment, nous traitons un cas de harcèlement moral entre garçons. Ici aussi, les règles et les sanctions doivent être clairement établies en amont pour éviter que de telles situations ne surviennent ou, du moins, pour les traiter au mieux le cas échéant.

Médecin principal Laure Navarro . - Depuis que j'exerce, je n'ai pas eu affaire à des problèmes de harcèlement sexuel en opération extérieure.

Capitaine de frégate Christine Ribbe . - Lors d'une de mes affectations, j'ai connu des cas d'hommes se faisant plus que « taquiner » sur leur prétendue homosexualité. Or il me semble que face à une femme, les hommes ont davantage conscience que de tels comportements ne sont pas tolérés.

Colonel Anne-Cécile Ortemann . - Pour répondre à votre question sur les différences entre un management masculin ou féminin, j'indiquerais que les personnels que j'ai eu l'occasion de gérer ne semblent percevoir aucune différence avec leurs précédents commandements, si ce n'est celles tenant à la personnalité de leurs différents chefs. C'est rassurant, me semble-t-il, car l'essentiel est de se concentrer sur sa mission.

De même, je ne pense pas être plus dure ou exigeante avec mon personnel féminin. Un chef a le devoir d'être le plus équitable et le plus impartial possible.

Enfin, s'agissant des enfants, j'ai déjà entendu des paroles extrêmement culpabilisantes : « Certes, elles vont bien aujourd'hui, mais vous verrez dans quelques années ! » . Lorsque mes enfants me reprochent de ne pas être souvent là, je les invite à calculer le nombre de fois où je suis présente à leurs cours d'équitation ou de karaté et leur rappelle toutes les activités que nous faisons lorsque nous sommes ensemble. Quand je suis présente, je le suis à 100 %.

Troisième table ronde : Le déroulement de carrière. Existe-t-il un « plafond de verre » ?

Mme Françoise Gaudin, haut fonctionnaire à l'égalité des droits au ministère de la Défense . - En matière de déroulement de carrière, une étude réalisée avec le Contrôle général des armées révèle que les conditions d'avancement et le temps moyen de changement de grade, à disponibilité et à compétences égales, sont tout à fait comparables entre les hommes et les femmes, officiers, sous-officiers et militaires du rang.

En revanche, la comparaison des durées moyennes de service au moment du départ de l'institution soulève des questions avec, ici, des différences importantes selon les catégories de personnels.

Nous constatons depuis quinze ans qu'en moyenne, les femmes militaires du rang restent plus longtemps en service que leurs homologues masculins : de l'ordre de trois ou quatre ans de plus.

S'agissant des personnels sous-officiers, les carrières sont longues et leur durée est comparable entre les hommes et les femmes. Nous notons toutefois qu'à la différence des hommes, les femmes sous-officiers servent généralement jusqu'à la limite d'âge et n'envisagent souvent pas de reconversion à l'issue de leur carrière militaire.

En ce qui concerne les officiers, nous constatons depuis près de dix ans que l'ancienneté moyenne au moment du départ est moitié moindre pour les femmes. Elle s'élève à 12,6 ans pour celles-ci, contre 24,7 ans pour les hommes, toutes catégories d'officiers confondus. Cela s'explique en partie par la féminisation relativement importante des officiers sous contrat, une catégorie de personnels qui quitte l'institution beaucoup plus tôt que les personnels de carrière.

Cet écart de 50 % entre les hommes et les femmes officiers implique pour l'institution des pertes de compétences et une moindre rentabilité des formations. Aujourd'hui, nous travaillons à commuter ce phénomène en permettant aux militaires de mieux concilier vie privée et vie professionnelle et en encourageant les femmes à s'engager dans une carrière, en accédant notamment à l'École d'État-major, à l'École de Guerre et au CHEM.

Aujourd'hui, 14 % des officiers sont des femmes. Néanmoins, elles ne représentent encore que 5 % des officiers généraux. Il existe certes une problématique de vivier, la suppression des quotas limitant l'accès des femmes à certains postes ne datant que de 1998. Je rappelle à ce titre que l'École de l'Air, Saint-Cyr et l'École navale ne se sont ouvertes aux femmes qu'en 1976, 1983 et 1992 respectivement, avec à l'époque, des quotas limitant la place des femmes.

Au-delà de la question du vivier, il convient de prendre des dispositions pour encourager les femmes à poursuivre leur carrière, éventuellement avec des rythmes légèrement décalés qui permettraient de concilier, dans une carrière, des temps d'activité et des temps de repos.

En tout état de cause, il est essentiel de maintenir les compétences féminines au sein de l'institution et de donner toutes les chances aux femmes de faire carrière.

Amiral Anne Cullerre . - Je suis probablement la plus ancienne des officiers et sous-officiers représentées ici et suis actuellement en fin de carrière. J'ai la chance aujourd'hui d'être en lice pour obtenir une troisième étoile d'ici la fin de l'année.

À la différence de beaucoup de mes camarades ici présentes, c'est le hasard qui m'a conduite à devenir militaire. Quand j'étais petite fille, le bus qui passait devant chez moi était emprunté par des femmes en uniforme, des femmes de l'armée de l'Air. Je trouvais cela formidable et j'ai gardé cette idée en tête. Après des études de langues qui ne me plaisaient que très moyennement, j'ai décidé de rejoindre l'armée. Le hasard a très bien fait les choses, car, avec le recul, en me retournant sur ma vie professionnelle, je trouve qu'elle a été extraordinaire.

Au-delà du hasard, j'ai également eu beaucoup de chance car j'ai souvent été au bon endroit, au bon moment. Je suis entrée dans la Marine au moment même où les portes s'ouvraient aux femmes. Ainsi, j'ai passé le concours des corps techniques et administratifs des armées et suis devenue officier des corps techniques et administratifs de la Marine (OCTAM) l'année où pour la première fois, la Marine a décidé de permettre aux femmes d'obtenir des postes d'encadrement et d'état-major.

Lorsqu'en 1993 l'embarquement s'est ouvert aux femmes, je me suis immédiatement portée volontaire et j'ai pu embarquer. C'est ainsi que j'ai appris, sur le tas, mon métier d'officier embarqué. J'ai ensuite décidé de préparer le concours de l'École de Guerre, à l'époque nommée le Collège interarmées de défense (CID), que j'ai réussi à mon deuxième passage à force de travail et de motivation.

Sans la confiance de mes chefs, il est clair que je n'aurai pas pu atteindre le grade qui est le mien aujourd'hui. Je citerai deux exemples, deux moments forts qui ont profondément changé ma carrière. Un premier tournant est intervenu lorsque, quelques mois après mon embarquement, mon premier commandant de la frégate sous-marine sur laquelle j'étais embarquée m'a demandé si j'avais songé, un jour, à commander un bateau. Je me souviens parfaitement de ce moment car honnêtement, je n'y avais jamais pensé. J'ai vécu un autre tournant plus récemment, lorsque voilà deux ans, le chef d'État-major de la Marine m'a dit : « Je vous verrais bien sous-chef opérations de la Marine » . Encore une fois, cela ne m'était pas venu à l'esprit.

Si je dois ma carrière au hasard, à la chance et à la confiance de mes chefs, il a bien sûr fallu énormément de travail personnel, d'envie et de détermination. Je n'aurais pas pu avoir ce parcours sans le support de ma famille. J'ai eu un premier mari, puis un second mari et un enfant. Leur soutien a été primordial.

J'identifie quelques axes forts pour améliorer la place des femmes dans les armées.

On sait depuis toujours que les femmes ont des enfants, mais on peut dire que l'institution commence tout juste à le prendre en compte. Je me félicite de constater que dans la Marine, nous avons adopté une gestion presque au cas par cas des situations, comme le montre l'un des précédents témoignages. La Marine a adopté dès 2009 un Plan Mixité, grâce auquel la gestion des carrières et les situations des couples et des familles sont véritablement gérées.

Je considère que nous devons travailler sur la question des limites d'âge, aussi bien pour les hommes que pour les femmes. Quand un homme ou une femme prend un congé parental, il serait normal que la limite d'âge puisse être décalée d'autant.

Il conviendrait par ailleurs d'avancer sur l'aménagement du temps de travail, question qui aujourd'hui encore reste taboue. Bien sûr, dans une carrière militaire les opérations imposent une disponibilité en tout temps, mais il existe probablement des moments où le temps partiel est possible.

Ce type de mesures d'accompagnement a été mis en place en Australie. Après un scandale sexuel au sein d'une école d'élite, l'armée australienne a ouvert les yeux sur la carrière des femmes dans sa marine pour réaliser qu'elle ne comptait aucune femme officier général.

Enfin, des efforts restent à accomplir en matière d'accompagnement des familles. La mobilité professionnelle phénoménale qui caractérise les armées et que l'on ne retrouve dans aucun autre corps de métier doit absolument être accompagnée.

Ingénieur général de l'armement Blandine Vinson-Rouchon . - Je compte maintenant trente-quatre ans de service. Après des études à l'École Polytechnique, promotion 1981, je suis entrée dans le corps des ingénieurs de l'armement, dans l'idée de concilier un parcours technique et scientifique et le service de mon pays.

Au sein de l'institution, le corps des ingénieurs de l'armement présente la particularité d'offrir des parcours professionnels et des métiers totalement asexués. Toute femme peut y réaliser une carrière semblable à celle d'un homme.

À l'issue d'un premier tiers de carrière très technique, j'ai décidé de donner un tournant opérationnel à ma carrière. J'ai suivi la formation de l'École de Guerre, le CID à l'époque, et j'ai servi ensuite deux ans dans l'armée de Terre. J'ai ensuite repris des fonctions opérationnelles de direction d'un programme, ce qui m'a amenée à déployer des moyens de télécommunications sur vingt-sept stations en Outre-mer et en Afrique. Ce temps fort de ma carrière a impliqué des sacrifices personnels parfois difficiles. J'étais très souvent en déplacement alors que mes enfants étaient encore très jeunes.

À l'époque, j'avais déjà cinq galons. Je me souviens avec amusement que lorsque j'arrivais sur un site avec mon officier de programme, un lieutenant-colonel, il n'était pas rare que tout le monde se précipite pour le saluer, sans prêter attention à la femme qui se trouvait à ses côtés. Après un instant de confusion, les choses se rétablissaient.

Le troisième tiers de ma carrière est plus traditionnel. J'exerce depuis quelques années des fonctions de direction de services et d'administration centrale.

Je souhaite à mon tour insister sur l'importance de gagner la confiance de sa hiérarchie et sur la grande satisfaction qui en résulte. J'ai moi-même vécu un grand moment lorsque l'on m'a demandé de créer un service de toutes pièces, avec une totale liberté de moyens et d'action.

Je ne suis pas de la première génération de femmes dans une carrière militaire. À chaque fois, les portes se sont ouvertes juste avant mon passage. Ainsi, l'École Polytechnique était ouverte aux filles depuis neuf ans lorsque j'y suis entrée. Je n'ai pas subi, comme les premières générations, d'accusation d'avoir « volé » la place d'un homme. J'étais ensuite la troisième femme à entrer dans le corps des ingénieurs de l'armement et la seconde femme officier général. Il ne m'a pas déplu d'éviter toute la médiatisation qui a accompagné les grandes pionnières.

En matière de conciliation entre vie professionnelle et personnelle, il est clair que rien n'aurait été possible si mon mari ne m'avait pas apporté un soutien sans faille. Nous exerçons chacun deux professions très différentes et avons toujours assuré les charges familiales chacun à notre tour.

J'ai deux enfants. À la naissance de mon fils aîné, j'ai pris un congé maternité, mais j'ai cru bon de renoncer à mes permissions cette année-là. Avec le recul, je pense que cela n'était pas forcément nécessaire. La naissance de mon deuxième enfant a été plus difficile. Ma fille a été hospitalisée durant quatorze mois après sa naissance. En l'absence de possibilité d'aménagement du temps de travail et ne pouvant envisager d'arrêter de travailler, j'ai dû poursuivre mon travail à temps plein. J'ai vécu ces années en apnée. Je considère que sur certains postes et en certaines circonstances, il devrait être possible d'aménager le temps de travail.

Je ne pense pas avoir rencontré de difficultés différentes de celles que rencontre toute femme qui exerce des responsabilités de cadre. Le fait d'encadrer des hommes ne m'a personnellement jamais posé de problème. J'ai néanmoins deux cas conflictuels à l'esprit, qui m'ont conduite à devoir exfiltrer des collaborateurs. A posteriori , j'ai compris qu'eux-mêmes étaient réticents à l'idée d'être encadrés par une femme.

Je ne pense pas qu'il existe de plafond de verre au sein de la DGA. J'observe par ailleurs que la Direction a atteint le niveau de féminisation commun aux populations d'ingénieurs. Environ 20 % des cadres de niveau 1 sont des femmes, ce qui se rapproche des ratios habituels dans les métiers techniques et scientifiques du secteur civil.

Il serait selon moi très dommageable de mettre en place des quotas pour encourager la féminisation. De manière générale, nous devons être vigilants à ce que la volonté de promouvoir les femmes, notamment à travers les objectifs affichés voire la discrimination positive, ne les expose pas à des procès en légitimité extrêmement difficiles à vivre.

Médecin-chef de service Maryline Genero . - Je suis issue de la quatrième promotion féminine de l'École de santé de l'armée. J'ai connu l'époque où nous portions des jupes étroites qui nous empêchaient de monter dans les bus et où nous dormions dans des tentes mixtes, ce qui pouvait poser quelques difficultés. J'appartiens à cette génération de femmes qui a « défriché le terrain ». Ce matin, j'ai été chagrinée d'entendre dire qu'aujourd'hui encore, il restait du terrain à défricher.

J'ai effectué une carrière basée essentiellement sur les concours. En septième année d'École, lorsqu'étant major de promotion j'aurais dû être désignée pour être porte-drapeau, on a commencé par me le refuser, parce que j'étais une femme. Le médecin général inspecteur Valérie André a intercédé et, grâce à elle, je suis devenue la première porte-drapeau de l'École.

J'ai ensuite été l'une des premières femmes chefs de service hospitalier puis professeure agrégée du Service de santé des Armées. Mon président de jury m'a plus tard rapporté avoir dû expliquer aux autres membres du jury que les « trous » dans la liste de mes publications correspondaient à des périodes de grossesse.

Je suis devenue officier général à cinquante ans, un âge relativement jeune pour obtenir ce grade dans le Service de santé des armées. On m'a proposé mon premier commandement deux ans plus tard mais je l'ai refusé pour des raisons familiales.

Je suis, depuis septembre 2014, directeur de l'hôpital d'instruction des armées de Bégin. Depuis ma prise de poste, j'ai eu à gérer la crise Ebola, l'attentat de la Porte de Vincennes et, à présent, la restructuration de l'hôpital, dont la fermeture de la maternité m'expose régulièrement sur le plan médiatique. J'ai bénéficié d'une confiance totale de la part de mes chefs dans chacun de ces contextes.

Je ne pense pas qu'il existe de plafond de verre pour les femmes au Service de santé des Armées, mais je constate que nous sommes face à des « murs de verre » au quotidien. Si l'on n'est pas tout à fait au meilleur, c'est évidemment parce qu'on est une femme et quand on est promue, c'est aussi parce qu'on est une femme. Il faut passer outre cela.

Le Service de santé des armées compte peu de femmes officiers généraux. En effet, nous sommes peu nombreuses à rester au sein de l'institution suffisamment longtemps pour accéder à ce grade. Le premier effort doit porter sur la gestion des carrières pour que les femmes aient l'envie et la possibilité de rester dans l'institution.

J'ai eu un sentiment d'inquiétude lorsque tout à l'heure, le ministre a évoqué l'égalité entre hommes et femmes des armées « à compétences et à disponibilité égales ». Il ne faudrait pas que les grossesses et les congés maternité constituent des éléments à charge contre les femmes en termes de disponibilité. Les politiques ont un rôle à jouer en la matière, notamment en agissant sur les limites d'âge pour les concours ou l'École de Guerre. De manière plus simple, il conviendrait déjà de mettre à la disposition des femmes des uniformes de grossesse, afin qu'une militaire n'ait pas l'impression de perdre son statut et son grade lorsqu'elle est enceinte. Le fait de devoir renoncer à l'uniforme pendant sa grossesse est très frustrant pour une militaire. En outre, cela n'aide pas à améliorer la manière dont sont considérées les femmes dans l'institution.

Il existe des réseaux féminins, essentiellement de soutien et de solidarité. Le jour où existeront des réseaux féminins d'influence et de pouvoir, nous aurons franchi un grand pas. La féminisation de l'encadrement est très importante à cet égard, pour « coacher » nos jeunes consoeurs sur ce point.

Colonel Dominique Vitte . - Je suis entrée à Saint-Cyr en 1986. À l'époque, l'Armée de terre comptait 360 000 militaires. La diminution drastique du format des armées en trente ans impacte fortement la place des femmes, leur rôle et leur acceptation au sein de l'institution.

À l'issue de ma formation, j'ai servi pendant plusieurs années dans le renseignement. Puis je suis entrée à l'École de Guerre, dont je suis sortie en 2000.

À cette époque, lors d'un colloque sur la place des femmes dans les armées auquel j'ai participé, nous parlions déjà de repousser les limites d'âge pour passer les concours et d'assouplir le séquencement des parcours des officiers et sous-officiers. Quinze ans plus tard, ces mesures n'ont toujours pas été mises en place. De même, cinq à six ans plus tard, des propositions émanant du Service de santé des armées sur l'aménagement du temps de travail, et qui concernaient autant les hommes que les femmes, n'ont pas été adoptées.

Je suis heureuse d'être parmi vous ce matin et d'apporter mon témoignage mais je remarque que depuis presque trente ans nous répétons beaucoup la même chose. Je suis également heureuse d'entendre les témoignages des jeunes générations. Je salue votre engagement, votre sens du service, votre volonté de servir la patrie et votre souci de compétence. Nous étions comme vous, finalement rien n'a vraiment changé.

En 2009, l'armée de Terre m'a confié le commandement d'un régiment des forces, avec pour mission sa dissolution. La dissolution d'un régiment de 1 000 hommes est une mission complexe car elle traite essentiellement de problématiques humaines. Ce sont autant de situations personnelles, de déchirures individuelles et collectives qu'il faut gérer. Celles-ci sont en lien avec des dimensions propres à l'armée de Terre, la fraternité d'armes et une certaine humanité qui sous-tendent l'ensemble des relations de commandement.

J'ai ensuite été nommée adjointe au secrétaire général du Conseil supérieur de la fonction militaire puis professeur à l'École de Guerre pendant deux ans. J'ai pu observer la manière dont, collectivement, on y appréciait les potentiels des officiers. Nous étions deux cadres professeurs féminins dans un collège d'une trentaine d'hommes. Nous avons évidemment eu l'occasion d'entendre des paroles empreintes de clichés au cours des échanges entre professeurs que nous parvenions à pointer et à désamorcer avec humour.

S'il est admis aujourd'hui que les femmes peuvent, comme les hommes, réussir l'École de Guerre, il faut bien avoir à l'esprit que la notion de chef conserve une dimension d'essence masculine, psychiquement masculine.

Lorsque nous évaluons le potentiel d'un officier, nous apprécions notamment la manière dont il continuera à progresser dans un système collectif, où la dimension principale reste et restera masculine. Toutes les femmes qui ont eu de hautes responsabilités dans les armées, ou qui en auront demain, ont dû ou devront accepter cette dimension. Celles qui, pour se fondre pleinement dans la mission générale des armées, auront renoncé à une féminité affichée et revendiquée, seront toujours appréciées sur leurs compétences.

Je voudrais également aborder la notion de courage intellectuel. S'il existe un courage physique, qui a été évoqué lors des débats par certaines d'entre vous, il existe aussi un courage intellectuel qui est reconnu dans les armées. J'ai eu l'occasion, en état-major, de rédiger des rapports et d'en assumer tout le contenu, qui ne correspondait pas nécessairement à l'esprit du moment. Je pense que cela a été porté à mon crédit professionnel par mes chefs, même si sur le moment, ce n'était pas évident.

Enfin, l'armée de Terre m'a de nouveau témoigné sa confiance en m'inscrivant l'année dernière au CHEM et comme auditeur de l'IHEDN. J'étais la seule fille de ma promotion à Saint-Cyr sur 165 personnes mais je suis dans la dizaine d'élèves de cette promotion à avoir fait le CHEM. Si l'on s'en tient à ces chiffres, il n'y a pas matière à parler de « plafond de verre ».

Aujourd'hui, je suis sous-directeur en administration centrale. Ma sous-direction compte 250 personnes. J'évolue toujours dans un milieu à dominante masculine, à des seuils différents selon les bureaux. À titre d'anecdote, un de mes bureaux est ainsi particulièrement féminisé, comptant cinq femmes pour un homme. Ce dernier peut d'ailleurs parfois être taquiné par ses subordonnés féminins. Cette dimension de « collectivité mixte », avec des seuils différents qui crée aussi des rapports de force différents, est une donnée permanente du commandement.

Pour ma part, je n'ai pas le sentiment d'avoir eu à faire des sacrifices dans ma vie. Comme toute personne, que ce soit en milieu militaire ou civil, j'ai eu à faire des choix tout simplement.

La spécificité de gestion des ressources humaines militaires tient au fait que l'on n'entre pas dans la carrière à un grade d'officier supérieur, comme cela s'observe dans d'autres secteurs professionnels pour les populations sortant de grandes écoles, mais au pied de la hiérarchie des officiers, pour y dérouler un parcours plus ou moins long. Elle tient aussi à la durée des carrières et à leur séquencement autour d'examens, de concours et de temps de commandement, qui font, qu'à de nombreuses occasions, un officier, quel que soit son sexe, peut sortir du chemin ascendant. Certaines directions du personnel ont la volonté de promouvoir les femmes et de les amener à un certain stade, dans un accompagnement permanent et avec les aléas dus aux grossesses. Ce n'est pas le cas de toutes les directions. Dans tous les cas, l'application de quotas ne me semble pas être une approche adaptée. L'essentiel est de laisser aux femmes la possibilité de faire leurs preuves opérationnelles, très tôt dans la carrière, au même titre que les hommes. Dans cette perspective, la projection en OPEX est une véritable opportunité et les premières années de service sont cruciales pour acquérir une véritable expérience opérationnelle.

Je terminerai en soulignant que la question de l'accessibilité aux grades d'officier général se pose indifféremment aux femmes et aux hommes. Compte tenu du rétrécissement des listes dites d'aptitude, la concurrence est très forte entre candidats masculins.

Colonel Maroussia Renucci . - Je commande une base aérienne dans le Sud-Ouest de la France, qui constitue le pôle national en matière de maintien en conditions opérationnelles (MCO) du matériel d'environnement aéronautique.

Issue de l'École de l'air, je compte vingt-deux années de carrière dans l'armée de l'Air, au cours desquelles j'ai connu onze mutations. J'ai effectué ma scolarité de l'École de Guerre en Allemagne, à Hambourg. Je suis mariée et j'ai deux enfants.

Lorsque je suis entrée à l'École de l'air, l'accès des femmes y était encore limité par des quotas et toutes les spécialités ne leur étaient pas ouvertes. Il était par exemple impossible de devenir pilote par ce recrutement de l'École de l'air pour une femme. Nous étions trois filles sur une promotion de cent élèves-officiers, sachant que la promotion qui nous précédait ne comptait aucune élève-officier féminin. Je me félicite qu'aujourd'hui toute jeune fille qui souhaite faire une carrière d'officier en intégrant l'École de l'air puisse s'orienter vers la spécialité de son choix, sur des critères de compétences et de classement au concours, sans être bloquée par des quotas. On constate d'ailleurs aujourd'hui, et cela a été confirmé par les témoignages de nos jeunes camarades, qu'il n'y a plus de problème à ce niveau-là.

Je développerai les points forts de ma carrière dans trois grands domaines.

Le premier domaine se rattache à l'expérience de terrain et aux aspects opérationnels qui occupent aujourd'hui les deux-tiers de ma carrière. En tant qu'officier mécanicien, j'ai encadré et commandé des mécaniciens de toutes spécialités travaillant sur l'avion. L'ensemble de ma carrière opérationnelle s'est déroulé dans le domaine du transport aérien militaire, essentiellement sur l'avion de transport C160 Transall, en passant par tous les niveaux de responsabilité possibles pour un officier mécanicien : de jeune officier mécanicien responsable des services techniques d'un escadron de transport (80 personnes) jusqu'à commander l'unité de maintenance des C160 Transall (300 personnes) sur la base aérienne 123 d'Orléans, tout en préparant cette unité à accueillir la maintenance des A400M.

J'ai eu la chance de participer à de nombreuses OPEX, au Tadjikistan et surtout en Afrique, au Tchad, en Centrafrique, où le Transall était largement positionné. Je rejoins les témoignages de ce matin en ce qui concerne la preuve par les compétences. Dans les postes qui ont été les miens, on considère que dès lors que l'on a l'occasion de montrer ses compétences, le fait d'être une femme ou un homme ne fait aucune différence. La seule difficulté que j'aie rencontrée n'est absolument pas d'ordre professionnel : l'arrivée de mes enfants a engendré la nécessité d'une organisation de pointe afin de tout concilier, d'autant plus que mon conjoint, militaire également, participe aussi à de nombreuses OPEX. Avec une bonne organisation et une anticipation des problèmes éventuels, tout cela se gère très bien et nous n'avons pas eu de difficultés majeures.

J'ai par ailleurs eu la chance de participer à des échanges internationaux, au Canada et en Allemagne, qui ont enrichi encore cette carrière opérationnelle et mon expérience professionnelle de terrain.

Outre la dominante opérationnelle, ma carrière a été marquée par trois affectations moins intenses au niveau opérationnel, mais extrêmement riches. J'ai tout d'abord été affectée deux ans sur la Base aérienne 118 de Mont-de-Marsan au Centre d'expérimentation de l'armée de l'Air. J'ai d'ailleurs profité de cette période relativement plus calme pour avoir mon premier enfant. J'ai ensuite eu la chance d'effectuer l'École de Guerre en Allemagne, à Hambourg. Si je ne suis pas une pionnière de l'armée de l'Air française, j'étais la première femme à suivre l'École de Guerre en Allemagne. Mon expérience à Hambourg m'a permis de constater qu'il était encore compliqué pour les officiers féminins allemandes d'atteindre le stade qui est le nôtre aujourd'hui. J'ai d'ailleurs pu mesurer le chemin parcouru en France et ne doute pas que nos camarades allemands prendront le même, la féminisation des armées y étant arrivée plus tardivement. J'ai eu mon second enfant à cette époque.

Troisième affectation passionnante : j'ai passé deux ans auprès du chef d'État-major de l'armée de l'Air, en tant que conseiller pour les personnels officiers, en charge de lui faire part de l'état du moral des officiers et des problématiques qui les concernent. Ce domaine était totalement différent de toutes mes expériences précédentes et ces deux années furent intenses et particulièrement exaltantes.

Le troisième point fort de ma carrière que je dégagerais est mon affectation actuelle. J'ai en effet l'immense joie et l'honneur de commander une base aérienne depuis septembre 2014. Pour moi, il s'agit véritablement de l'aboutissement de toutes mes expériences passées et j'espère que cela durera le plus longtemps possible. La base que je commande a la particularité d'être orientée vers une activité industrielle tout en étant au plus proche des forces et de leurs besoins opérationnels. Elle compte 50 % de personnels civils, ce qui constitue un élément nouveau dans ma carrière, dont j'apprécie chaque jour la diversité et la richesse. Cette mixité militaire/civil est particulièrement intéressante et permet de valoriser les compétences et savoir-faire de chacun.

Pendant ces vingt-deux années, ma principale satisfaction tient aux retours, toujours sincères et réalistes, qu'ont exprimés les femmes et les hommes que je commandais. La richesse des relations humaines représente, encore aujourd'hui, ma plus grande satisfaction et ma priorité. Le commandement, la responsabilité des hommes et femmes que j'ai sous mes ordres ont jalonné toute ma carrière et constituent mon plus grand bonheur, mes plus grandes satisfactions.

J'ai également la satisfaction d'avoir dépassé ce qui me semblait possible de faire personnellement. Je m'étais moi-même fixé des barrières que j'ai pu surmonter en prouvant mes compétences, en travaillant sérieusement au quotidien et en donnant le meilleur de moi-même pour gagner la confiance de mes chefs. Dès lors que cette confiance est gagnée, les armées ouvrent toutes les portes.

Je ne qualifierai pas ces années dans l'armée de l'Air de combat au quotidien. Je n'ai pas rencontré de difficultés insurmontables au cours de ma carrière. Il est vrai qu'il m'a fallu parfois « mettre un pied dans la porte » pour éviter qu'elle ne se referme, mais ce ne fut qu'à de rares occasions, tout simplement pour ne pas perdre ce que d'autres avant moi avaient chèrement acquis. Aujourd'hui, pour une femme officier, il faut certes gagner sa place, mais sans surjouer, ce n'est pas nécessaire : les paliers se franchissent en prouvant ses compétences, que l'on soit homme ou femme. C'est la même règle, elle est juste et équitable. Je n'ai pas rencontré d'injustices dans ce domaine, ni à titre personnel, ni au poste que je tenais précédemment, et qui m'a permis d'avoir une vision globale des carrières actuelles d'officiers.

Finalement, la seule différence par rapport aux hommes tient au fait qu'étant peu nombreuses, nous sommes plus visibles et sommes donc jugées plus rapidement au début de notre carrière. Nous ne pouvons pas nous fondre dans la masse. Dans ce contexte, peut-être avons-nous moins le droit à l'erreur.

L'un des principaux défis pour une militaire se rapporte à la gestion de la vie personnelle et du « calendrier des naissances ». Si l'on suit un projet de carrière, il faut être lucide sur l'exigence de partir en opération dans les premières années, ce qui est susceptible de retarder quelque peu le projet d'enfant. Pour autant, il reste largement possible de concilier ces deux projets. Au final, la principale difficulté que j'ai rencontrée résulte de la pression et des barrières que moi-même je m'étais posées.

Il me semble que, pour assurer l'égalité entre les hommes et les femmes dans les armées, l'essentiel est d'offrir à chacun et à chacune la possibilité de se réaliser et de s'épanouir dans ce qu'il souhaite faire.

Mme Chantal Jouanno, présidente, co-rapporteure . - Merci beaucoup pour vos témoignages, tous d'une grande franchise. Je pense que nous avons tous pu apprécier votre professionnalisme, votre sens du service, votre sens de l'engagement en même temps que vos grandes qualités humaines.


* 17 Ce point a fait l'objet d'une audition, en mai 2014, des deux co-auteurs de la mission d'enquête diligentée par le ministère de la Défense.

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