C. UNE RÉPARTITION DES LIEUX DE CULTE LIÉE AUSSI AUX CARACTÉRISTIQUES DES TERRITOIRES
L'état des lieux des religions dans les territoires fait bien apparaître les dynamiques démographiques et sociales de la diversité cultuelle de notre pays. Mais cette répartition tient aussi à des dynamiques territoriales . La croissance urbaine , la désertification des campagnes ainsi que l'arrivée et la stabilisation de populations immigrées , souvent non catholiques, sont les tendances lourdes de la recomposition territoriale, démographique et religieuse de la France depuis 1905.
Ces constats s'appliquent notamment à la répartition des édifices cultuels sur le territoire national . L'édifice cultuel est un facteur important de l'identité de nos territoires , car il représente un élément de visibilité d'une religion et contribue en ce sens à « l'intégration des minorités religieuses » et à « l'enracinement de populations sur un territoire 67 ( * ) ». Votre délégation constate que les évolutions et les besoins varient en fonction des territoires , comme le démontrent les résultats de l'étude quantitative réalisée à sa demande par TNS Sofres.
1. Les métropoles et les grandes villes sont des territoires d'expansion des cultes, en particulier des cultes minoritaires
Dans les grandes villes, l'Observatoire du patrimoine religieux (OPR) constate que les cultes minoritaires , notamment musulman et évangélique, sont, d'une part, surreprésentés par rapport à leur poids démographique sur l'ensemble du territoire et, d'autre part, en forte croissance .
Les métropoles concentrent un patrimoine cultuel récent et les constructions s'y poursuivent . Ce constat est valable pour tous les cultes, y compris le culte catholique. Ainsi, huit projets de construction d'églises et douze projets de rénovation sont aujourd'hui en cours, en région parisienne, dans le cadre des Chantiers du Cardinal 68 ( * ) .
2. Les petites et moyennes villes connaissent une prédominance de l'immobilier catholique et un développement lent de l'immobilier musulman
L'étude de TNS Sofres fait apparaitre une très large prédominance des édifices catholiques dans nos communes : 75 % des communes possèdent au moins une église 69 ( * ) , 14 % en comptent deux, et 8 % en comptent trois ou plus. Par ailleurs, dans 73 % des communes au moins, une église est la propriété de la commune. À l'inverse, les autres édifices religieux sont en réalité très peu présents dans nos communes : seulement 5 % possèdent un temple protestant, 3 % une mosquée, 3 % un temple évangélique, 1 % une synagogue, 1 % un temple bouddhiste et 1 % une église orthodoxe.
L'Observatoire du patrimoine religieux (OPR) soulignait devant votre délégation que « si le patrimoine cultuel catholique tient une place prépondérante dans les villes de nos territoires , un patrimoine musulman s'y développe toutefois à un rythme régulier » . L'OPR constate ce phénomène notamment dans l'est du pays et en Bourgogne. D'ailleurs, si les élus locaux consultés 70 ( * ) jugent dans leur immense majorité que le nombre d'édifices religieux, toutes religions confondues, est suffisant dans leur commune , c'est pour la religion musulmane qu'ils sont les plus nombreux à considérer que ce nombre est insuffisant 71 ( * ) .
L'Association des petites villes de France (APVF), quant à elle, relève que dans les villes de 2 000 à 20 000 habitants, les cultes minoritaires rencontrent des difficultés dans la recherche de lieux de culte , alors que ces communautés minoritaires peuvent représenter un groupe important de fidèles. Concrètement, l'APVF remarque que « les mosquées et les temples bouddhistes ne sont pas légion dans nos petites villes, alors qu'il est possible de trouver l'un ou l'autre dans chaque métropole régionale ».
Pourtant et paradoxalement , comme l'indique l'étude TNS Sofres, les élus locaux interrogés, considèrent , dans leur immense majorité (97 %) qu'il n'est pas vraiment nécessaire (21 %) ou même pas du tout nécessaire (76 %) de construire de nouveaux lieux de culte dans leur commune , l'opposition à l'édification de nouveaux lieux de culte étant encore plus forte dans les communes de moins de 1 000 habitants (99 %). Les élus locaux jugent même à 86 % que l'édification de nouveaux édifices religieux est une question secondaire , seulement 3 % considérant qu'elle est importante mais pas prioritaire . Ils confirment à cet égard, qu' ils sont peu ou pas du tout confrontés à des demandes de nouveaux lieux de culte de la part des communautés religieuses , les deux religions les plus concernées étant la religion catholique (10 %) et la religion musulmane (6 %), les demandes pour cette dernière étant surtout en région parisienne et dans les communes les plus peuplées.
3. La France rurale est confrontée au poids des enjeux financiers de l'immobilier catholique
Selon l'OPR, la France rurale est essentiellement marquée par le culte catholique ou même par l'absence de culte . Le cas de l'Alsace et de ses synagogues construites dans les campagnes fait exception. Mais ces synagogues sont presque toutes abandonnées ou transformées, en raison de la diminution constante des communautés juives locales.
Dans les petites communes rurales, aux capacités financières limitées, l'enjeu de l'immobilier cultuel est crucial car l'église représente bien souvent le seul bâtiment public remarquable du village et, en même temps, le premier poste budgétaire . Une situation confirmée par l'étude TNS Sofres, qui montre que les besoins de rénovation ou d'aménagement des lieux de culte concernent principalement les églises (73 %), loin devant les mosquées (52 %), les temples protestants (46 %) et les églises évangéliques (7 %).
Votre délégation a conscience de l'enjeu considérable que représente la sauvegarde du patrimoine cultuel pour nos territoires . En pratique, les élus locaux doivent souvent gérer des églises en mauvais état en arbitrant sur le caractère raisonnable ou non de consacrer plus de la moitié d'un budget municipal à un édifice cultuel, alors que celui-ci est moins utilisé par ses habitants. Les décisions des élus locaux peuvent d'ailleurs susciter de véritables passions locales et, paradoxalement, il peut s'avérer plus simple de mobiliser des fonds pour la restauration d'une église, unique dépense d'envergure de la commune .
Votre délégation observe qu'il n'est pas rare que les habitants s'opposent aux décisions de destructions d'édifices religieux décidées par les conseils municipaux avec l'aval de l'affectataire . Les élus n'ont souvent d'autre choix que de consulter la population locale (cf. encadré ci-dessous), ce que votre délégation ne peut qu'encourager puisque les travaux de restauration représenteront, quoi qu'il arrive, une somme importante qui se traduira soit par des hausses d'impôts, soit par des équipements en moins, et il apparait logique que nos concitoyens puissent se prononcer.
La conservation ou la destruction des églises : une occasion de recourir au référendum local Selon l'OPR, 200 églises seraient menacées de vente ou de destruction en France métropolitaine, sans compter les milliers d'autres qui attendent une restauration. Dans un contexte de budgets contraints pour les mairies et de baisse de la pratique religieuse, de nombreuses municipalités doivent faire face à de lourdes dépenses excédant leurs capacités pour assumer l'entretien des lieux de culte, principalement les églises. Lorsque les bâtiments ne sont pas classés, les municipalités ne peuvent pas bénéficier de l'intervention de l'État. On remarque qu'en dépit des oppositions politiques locales dans certaines communes, la protection fait le plus souvent consensus parmi les habitants . Certaines municipalités ont soumis au référendum la question de la conservation ou de la destruction d'une église . Ainsi en est-il de la mairie de Plouagat, dans les Côtes-d'Armor, qui a décidé, avant d'engager de coûteux travaux de restauration de l'église communale, de soumettre la question à l'approbation des 2 016 électeurs de la commune. Ceux-ci ont voté à 80 % pour la restauration, lors d'un scrutin qui a rassemblé un peu de plus de 50 % des électeurs. Le ministère de la Culture reconnaît que la destruction d'églises représente une perte regrettable du patrimoine des communes . L'OPR, auditionné par votre délégation, redoute de son côté la disparition de 5 000 à 10 000 édifices religieux d'ici 2030. |
Votre délégation note que peu d'églises sont désaffectées 72 ( * ) dans les territoires ou sont l'objet de reconversion. Quand elles le sont, c'est le plus souvent pour accueillir des expositions d'art, des concerts ou encore des visites touristiques, à la différence de certains de nos voisins étrangers (Québec, États-Unis, Grande-Bretagne, etc.) où il n'est pas rare que ces lieux, soient vendus pour devenir des logements, des bibliothèques, des commerces, ou encore des salles de sport.
Dans ce contexte, votre délégation se félicite que les parlementaires , élus de terrains, se soucient pleinement de l'avenir de ces lieux faisant partie intégrante de l'identité et de l'histoire de nos territoires 73 ( * ) , à travers la mobilisation de ressources issues de la « réserve parlementaire 74 ( * ) ».
En 2013, la réserve de l'Assemblée nationale était de 90 millions d'euros, soit 130 000 euros par député en moyenne. Les lieux de culte 75 ( * ) ont pu bénéficier de la réserve des députés, le mot « église » apparaissant 379 fois dans la liste publiée par l'Assemblée nationale, soit la deuxième plus forte occurrence en nombre de projets. Le Sénat, représentant des collectivités territoriales, a pu bénéficier quant à lui en 2013 d'une réserve d'un montant de 54 millions d'euros, soit environ 155 000 euros par sénateur. Là encore, les « églises 76 ( * ) » ont pu bénéficier d'une aide avec 539 subventions accordées directement pour leur entretien, restauration, rénovation, mise aux normes, ou encore aménagement, soit un montant total de 3,3 millions d'euros .
* 67 Les relations des cultes avec les pouvoirs publics : rapport au ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire, Jean-Pierre Machelon, La Documentation française, septembre 2006, p. 19.
* 68 Association créée en 1931, aujourd'hui groupement d'intérêt économique, qui intervient dans les 8 diocèses franciliens et oeuvre à la construction d'églises.
* 69 Dans les communes de moins de 1 000 habitants, la proportion monte à 83 %.
* 70 Étude quantitative TNS Sofres, annexée au présent rapport.
* 71 8 % pour la religion musulmane contre 2 % pour la religion évangélique, 1 % pour la religion catholique, et 1 % pour la religion protestante.
* 72 Conformément au décret du 17 mars 1970 portant déconcentration en matière de désaffectation des édifices cultuels, la désaffectation des édifices cultuels communaux peut être prononcée par arrêté préfectoral à la demande du conseil municipal, lorsque l'affectataire a donné par écrit son consentement à la désaffectation. Pour le culte catholique, la personne affectataire ayant qualité pour se prononcer est l'évêque.
* 73 François Mitterrand, alors qu'il était candidat à l'élection présidentielle de 1981, avait ainsi fait de l'église devant laquelle il posait pour une photographie de campagne, un des symboles de « la force tranquille ».
* 74 La réserve parlementaire est une subvention d'État, votée en loi de finances, dont bénéficie chaque assemblée parlementaire. Les députés et les sénateurs utilisent ensuite individuellement ces dotations pour apporter des soutiens financiers à des collectivités territoriales, à des associations et à divers projets locaux d'intérêt général. Chaque groupe politique dispose d'une réserve en propre en plus de celle de chacun de ses membres. Des règles encadrent l'utilisation de la réserve parlementaire. Ainsi, le projet doit avoir été approuvé par le conseil municipal, et la dotation ne doit pas excéder 50 % du montant total du projet.
* 75 Au titre de la réserve des députés pour 2013, on peut citer comme associations bénéficiaires : l'Association cultuelle israélite de la Gironde, qui a reçu 10 000 euros pour ses dépenses de fonctionnement, et l'Association cultuelle Ouvèze-Payre, qui a reçu le même montant pour le remplacement de sa chaudière à gaz.
* 76 Au titre de la réserve des députés pour 2013, on peut citer comme projets bénéficiaires : la restauration de l'église Saint-Julien dans l'Hérault pour un montant de 2 277 euros et la rénovation de l''éclairage extérieur de l'église Sainte-Geneviève de la Trinité dans l'Eure pour un montant de 2 000 euros.