AUDITION DE M. RÉMY PFLIMLIN, PRÉSIDENT DE FRANCE TÉLÉVISIONS
La commission auditionne M. Rémy Pflimlin, président de France Télévisions.
A. INTERVENTIONS
Mme Catherine Morin-Desailly, présidente
Nous poursuivons à présent nos travaux sur l'avenir de France Télévisions. La préparation de la loi de finances pour 2015 a été l'occasion pour nous et, en particulier, pour notre rapporteur, Jean-Pierre Leleux, de nous poser la question du financement de l'audiovisuel public. Nous avons ainsi engagé, en lien avec la commission des finances, une mission d'information sur le financement de l'audiovisuel public. À l'heure où l'audiovisuel public français doit s'inscrire dans un cadre européen et mondial, nous nous interrogeons sur ses missions, sur la trajectoire de l'entreprise publique et sur son avenir, à la veille de la désignation par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) de son futur président.
M. Rémy Pflimlin, président de France Télévisions
Je suis heureux de débattre avec vous de ces questions, fondamentales pour l'avenir du service public audiovisuel, dans le prolongement des rapports produits par votre assemblée, celui notamment de M. Leleux et celui de M. Plancade sur les rapports entre producteurs et diffuseurs.
La question de fond à laquelle nous devons répondre est : à quoi sert l'audiovisuel public, dans un univers qui change à grande vitesse, en particulier depuis cinq ans ? Si nous ne sommes plus dans la situation d'alors, relativement statique, où l'offre était limitée, l'audiovisuel public est plus nécessaire que jamais, parce qu'il contribue à la cohésion nationale. Les événements que nous venons de vivre ont montré que les Français avaient besoin de liens, de références à leurs valeurs communes et que ces liens passent nécessairement par le lieu d'expression qu'est l'audiovisuel public.
Il en va de l'indépendance de la France par rapport aux industries américaines comme Google, Apple ou Facebook qui, dans les domaines de la production et de la diffusion de contenus, sont capables d'une empreinte très forte sur le pays. Cette indépendance est fondamentale pour notre capacité de création et de construction de notre imaginaire collectif.
L'enjeu est enfin démocratique : une information de référence nécessite des investissements mais elle n'est pas un facteur de rentabilité. Si la volonté publique fait défaut, nous n'aurons pas d'information indépendante.
Comment y parvenir ? En étant fidèles aux valeurs centrales d'universalité - nous devons pouvoir nous adresser à tous les publics, refléter la diversité des opinions et des origines -, de transparence, de qualité et d'innovation. C'est ainsi que nous ferons la différence et que nous consoliderons le pacte, fondé sur la confiance, qui lie l'audiovisuel public et nos concitoyens.
Nous sommes conscients de la permanence de nos grandes missions - informer, éduquer, divertir - même si elles ne peuvent avoir le même sens en 2015 qu'à l'époque où nous bénéficions de canaux exclusifs. Nous devons les assumer en continuant à privilégier la création qui est, dans notre pays, financée à 60 % par le service public. Nous devons continuer à jouer notre rôle, décisif, pour une offre culturelle différenciante - magazines, documentaires, spectacle vivant - sur lequel repose notre lien avec la population.
Nous avons également une mission fondamentale à remplir sur les territoires, de métropole ou d'outre-mer, où les autres médias ont du mal à se développer. Le travail de nos équipes d'information est à cet égard essentiel.
Pour atteindre ces objectifs, l'entreprise doit se transformer. Elle a déjà accompli, au cours des quatre dernières années, des mutations considérables. Nous ne connaissions en 2010 que les premiers balbutiements du numérique. Nous avons alors lancé la télévision de rattrapage. De 60 millions de vidéos vues en 2011, nous avons atteint 170 millions pour le seul mois de janvier 2015 et elles seront probablement plus de 1,5 milliard cette année. Nos plateformes dédiées à l'information, au sport, à l'éducation, à la culture, connaissent un essor considérable. Si vous y ajoutez l'arrivée des réseaux sociaux, vous aurez une vision du bouleversement en cours dans notre univers. Nous devons adapter notre diffusion de contenus : si l'audiovisuel public constitue le lien entre nos compatriotes, nous devons être présents sur les écrans qu'ils consultent.
Le deuxième élément de cette mutation a été la fusion de toutes les entreprises et la constitution d'une nouvelle entité. Elle s'est accompagnée d'un important effort d'économies. Nous avions signé, en 2011, un contrat d'objectifs et de moyens. Renégocié en 2012, il nous a conduits à prévoir 300 millions d'euros d'économies. Elles ont été effectivement engagées sur toutes les lignes prévues, qu'il s'agisse des frais généraux ou centraux, liés à la puissance d'achat, ou du coût des programmes, désormais soumis à des audits systématiques. En interne, nous avons négocié un nouveau contrat d'entreprise régissant la vie des salariés. Parmi les questions très importantes auxquelles il répond se trouve celle du temps de travail, que nous avons traitée en intégrant la notion de forfait-jour. J'ai appris la semaine dernière qu'EDF venait tout juste de l'aborder. Nous avons également traité la question des automatismes salariaux, dont dépend une grande partie des augmentations de salaires. C'est, cette fois, la SNCF, autre grande entreprise publique, que nous avons devancée.
Nous avons lancé notre programme de rapprochement des rédactions, qui s'est traduit de façon concrète depuis avril dernier par la construction d'un PC info, lieu unique de centralisation des éléments constitutifs de nos journaux.
Grâce à ces transformations, nous abordons le futur avec l'espoir de poursuivre nos gains de productivité, qui sont l'efficience de la maison : nous faisons le meilleur usage de l'argent qui nous est confié par les Français. Cette obligation d'efficacité économique doit néanmoins s'inscrire dans une perspective de financement claire et pérenne, sans laquelle nous ne pourrons continuer à assumer les missions cruciales qui nous incombent. La fragilité actuelle de nos financements est très perturbante non seulement pour le développement de l'entreprise, mais aussi pour la mise en oeuvre des process liés à ses fonctions. La création d'une fiction ou d'un documentaire s'étale sur plusieurs années. Les grands documentaires de William Karel sur la destruction des juifs d'Europe, oeuvre majeure que nous venons de diffuser, ont nécessité trois ans et demi de travail. Contrairement à une entreprise privée, en mesure d'adapter temporairement ses dépenses à ses moyens, nous ne pouvons remplir nos missions sans pérennité de nos financements. Notre entreprise, qui s'est profondément réformée, doit pouvoir organiser son travail dans la durée.