N° 344
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015
Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 mars 2015 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur l' avenir de France Télévisions ,
Par Mme Catherine MORIN-DESAILLY et M. Jean-Pierre LELEUX,
Sénateurs.
(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Morin-Desailly , présidente ; MM. Jean-Claude Carle, David Assouline, Mmes Corinne Bouchoux, Marie-Annick Duchêne, M. Louis Duvernois, Mmes Brigitte Gonthier-Maurin, Françoise Laborde, Claudine Lepage, M. Jacques-Bernard Magner, Mme Colette Mélot , vice-présidents ; Mmes Françoise Férat, Dominique Gillot, M. Jacques Grosperrin, Mme Sylvie Robert, M. Michel Savin , secrétaires ; MM. Patrick Abate, Pascal Allizard, Maurice Antiste, Dominique Bailly, Mmes Marie-Christine Blandin, Maryvonne Blondin, MM. Philippe Bonnecarrère, Gilbert Bouchet, Jean-Louis Carrère, Mme Françoise Cartron, MM. Joseph Castelli, François Commeinhes, René Danesi, Alain Dufaut, Jean-Léonce Dupont, Mme Nicole Duranton, MM. Jean-Claude Frécon, Jean-Claude Gaudin, Mme Samia Ghali, M. Loïc Hervé, Mmes Christiane Hummel, Mireille Jouve, MM. Guy-Dominique Kennel, Claude Kern, Pierre Laurent, Jean-Pierre Leleux, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Lozach, Jean-Claude Luche, Christian Manable, Mmes Danielle Michel, Marie-Pierre Monier, MM. Philippe Nachbar, Jean-Jacques Panunzi, Daniel Percheron, Mme Christine Prunaud, MM. Stéphane Ravier, Bruno Retailleau, Abdourahamane Soilihi, Alain Vasselle, Hilarion Vendegou . |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
La loi n° 2013-1028 du 15 novembre 2013 relative à l'indépendance de l'audiovisuel public a modifié les modalités de nomination des dirigeants des sociétés de l'audiovisuel public en confiant, à nouveau, cette responsabilité au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA).
L'article 47-4 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication tel qu'il a été modifié par l'article 12 de la loi du 15 novembre 2013 prévoit que : « Les présidents de la société France Télévisions, de la société Radio France et de la société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France sont nommés pour cinq ans par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, à la majorité des membres qui le composent. Ces nominations font l'objet d'une décision motivée se fondant sur des critères de compétence et d'expérience. Les candidatures sont présentées au Conseil supérieur de l'audiovisuel et évaluées par ce dernier sur la base d'un projet stratégique. Les nominations des présidents de la société France Télévisions, de la société Radio France et de la société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France interviennent trois à quatre mois avant la prise de fonctions effective. »
Afin de mettre en oeuvre ces nouvelles dispositions, le CSA a prévu que les candidats pourraient se déclarer du 9 au 26 mars 2015 en lui faisant parvenir leur lettre de candidature accompagnée de leur projet stratégique pour France Télévisions. La date du 9 mars doit permettre aux candidats de tenir compte des préconisations pour l'avenir de France Télévisions qui ont été arrêtées par le Gouvernement suite à la remise du rapport de la mission interministérielle sur l'avenir de France Télévisions confiée par le Gouvernement à M. Marc Schwartz, conseiller référendaire à la Cour des comptes et ancien directeur général adjoint de France Télévisions. Le président du CSA, M. Olivier Schrameck, a indiqué, lors de son audition par votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication, que le Conseil serait attentif à ce que le projet stratégique des candidats soit compatible avec les priorités fixées par le Gouvernement.
À l'issue du dépôt des candidatures, le Conseil auditionnera une liste restreinte de candidats. Lors de son audition par votre commission, le président du CSA a indiqué que « cette liste sera rendue publique, sauf si l'une des personnes visées s'y opposait pour des raisons professionnelles ou personnelles » . Il a également déclaré que « ce système permet de faire appel aux compétences les plus variées, tout en respectant le principe d'égalité » . La nomination du nouveau président de France Télévisions devrait être annoncée entre le 22 avril et le 22 mai 2015 pour une prise de fonction le 22 août 2015.
Alors qu'en application de l'article 13 de la Constitution le Parlement est de plus en plus souvent sollicité pour confirmer des nominations réalisées par le chef de l'État, c'est un autre choix qui a été retenu par le législateur en 2013 concernant la désignation des dirigeants des sociétés de l'audiovisuel public en confiant cette responsabilité au CSA. Si le Parlement n'est donc pas en charge de la procédure de nomination, pour autant, il doit nécessairement être associé à la définition du projet de France Télévisions, ne serait-ce que parce que la loi lui reconnaît une compétence pour examiner la stratégie du nouveau président. Le cinquième alinéa de l'article 47-4 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication prévoit en effet que « dans un délai de deux mois après le début de leur mandat, les présidents mentionnés au premier aliéna transmettent au président de chaque assemblée parlementaire et aux commissions permanentes compétentes de ces mêmes assemblées un rapport d'orientation. Les commissions permanentes chargées des affaires culturelles peuvent procéder à l'audition des présidents mentionnés au premier alinéa sur la base de ce rapport ».
Le nouveau président de France Télévisions aura également la responsabilité de concevoir avec le Gouvernement le futur contrat d'objectifs et de moyens (COM) qui devra être soumis à l'examen de votre commission pour examen avant sa signature définitive, conformément aux dispositions de l'article 53 de la loi du 30 septembre 1986 : « avant leur signature, les contrats d'objectifs et de moyens ainsi que les éventuels avenants à ces contrats sont transmis aux commissions chargées des affaires culturelles et des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat et au Conseil supérieur de l'audiovisuel. (...) Ils peuvent faire l'objet d'un débat au Parlement. Les commissions peuvent formuler un avis sur ces contrats d'objectifs et de moyens dans un délai de six semaines » .
Avant même l'adoption du nouveau COM de France Télévisions qui pourrait n'intervenir qu'en 2016, des variables essentielles pour l'avenir de France Télévisions auront été arrêtées par le Gouvernement et le Parlement dans le cadre de la loi de finances pour 2016. Dans le cadre de la loi de finances pour 2015, le montant des recettes de France Télévisions s'élève à 2,37 milliards d'euros au titre de la contribution à l'audiovisuel public (CAP) auxquels s'ajoutent 160 millions d'euros de dotation budgétaire. Le Président de la République ayant annoncé début octobre 2014 une réforme de la CAP afin d'en élargir l'assiette et le Gouvernement ayant indiqué que la dotation budgétaire disparaîtrait d'ici 2017, ce sont à la fois le volume de crédits disponibles et la nature de ces crédits qui pourraient évoluer prochainement tandis que des objectifs nouveaux d'économies pourraient être fixés au groupe public afin de répondre au souci plus général d'économies budgétaires.
Les choix financiers à réaliser engloberont également la question de la publicité sur les chaînes de France Télévisions, aujourd'hui proscrite de 20 heures à 6 heures, ce qui a eu pour conséquence de ramener le montant des recettes de 441 millions d'euros en 2010 à environ 340 millions d'euros en 2015. Les éventuelles évolutions concernant le volume de publicité présent sur France Télévisions ne manqueraient pas d'avoir des conséquences directes sur le modèle économique de l'entreprise mais aussi sur ses programmes et son identité. Réduire encore la place de la publicité sur le service public de l'audiovisuel, ou, au contraire, l'augmenter supposerait une modification de la loi. Il conviendra également de tenir compte de l'impact de l'évolution de la publicité sur l'ensemble de l'écosystème : toute augmentation de la publicité sur France Télévisions aurait des conséquences négatives sur l'ensemble des chaînes privées qui ne bénéficient pas de la CAP et qui doivent déjà faire face à une crise sans précédent du marché publicitaire, dans un environnement économique dégradé. Une telle déstabilisation aurait probablement des conséquences à la fois sur l'avenir de ces chaînes mais également sur leurs investissements, notamment dans la création.
L'équation du financement de l'audiovisuel public promet donc d'être complexe à résoudre, c'est d'ailleurs pour cela que votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication a lancé avec la commission des finances une mission d'information sur le financement de l'audiovisuel public qui devrait rendre ses conclusions d'ici au mois de juillet 2015.
L'autre sujet majeur relatif à l'avenir de France Télévisions concerne plus généralement les valeurs du service public de l'audiovisuel. Alors qu'un débat existe sur l'identité des chaînes et sur l'insuffisante différenciation des programmes par rapport à l'offre des chaînes privées, le projet stratégique du candidat choisi par le CSA devra apporter des réponses fortes concernant le renforcement de la légitimité de la télévision publique en matière de traitement de l'information, de création, d'éducation et de divertissement.
À noter que la question des programmes ne saurait être fondamentalement disjointe de celle du modèle économique puisque le financement de la production dépend aussi de la capacité que pourrait avoir, à l'avenir, le groupe public à mieux valoriser ses investissements, ce qui devrait passer par une modernisation de la réglementation sur les parts de coproduction 1 ( * ) et sur les mandats de commercialisation mais également par une réflexion sur la possibilité pour les diffuseurs d'augmenter leur présence au capital des sociétés de production ou, piste alternative, à voir la proportion de production « dépendante » s'accroître par rapport au quota de production indépendante.
Compte tenu des enjeux qui entourent la nomination du prochain président de France Télévisions, votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication a souhaité conduire un large échange sur l'avenir du groupe de télévision.
Le 4 février 2015, elle a ainsi organisé une table ronde réunissant des personnalités d'horizons divers afin d'examiner la situation du groupe France Télévisions et ses perspectives d'évolution au regard de ses investissements dans la production, de sa stratégie de développement numérique et des pratiques des autres groupes européens de télévision publique.
Cette table ronde a été précédée par la présentation d'une enquête réalisée par la société Harris Interactive sur « Les Français et la télévision publique » 2 ( * ) . Parmi les principaux enseignements de cette enquête, on peut mentionner le fait que si les Français continuent à voir une différence entre les chaînes publiques et privées, celle-ci a fortement baissé concernant la perception des programmes en une dizaine d'années 3 ( * ) . Par ailleurs, si l'image des chaînes publiques est plutôt satisfaisante pour 61 % des sondés, celle des chaînes privées n'est pas mauvaise pour 54 % d'entre eux, ce qui rend plus ardue encore la différenciation. Une difficulté particulièrement mise en exergue par cette enquête tient au fait que les Français n'associent pas les chaînes publiques aux valeurs de modernité, d'indépendance, d'originalité et d'innovation.
Cette relative faiblesse à se projeter dans l'avenir coïncide avec le vieillissement de l'audience de France Télévisions qui constitue une préoccupation évoquée par l'ensemble des membres de votre commission lors de l'audition de M. Rémy Pflimlin, président de France Télévisions, le 4 février après-midi. Lors de son audition, le 5 février, le président du CSA, Olivier Schrameck, a estimé que « les spectateurs de 50 ans et plus représentent 71 % du public de France 2,76 % de celui de France 3, 42 % de celui de France 4 et 72 % du public de France 5 » .
Alors que le président de France Télévisions a insisté sur la nécessité pour France Télévisions de pouvoir mettre en oeuvre de nouveaux projets porteurs pour les valeurs du service public à l'image d'une chaîne d'information sur la télévision numérique et sur la télévision connectée, le président du CSA a estimé que « si le législateur souhaite lui donner les moyens de ses ambitions, il pourra compter sur le soutien du CSA » .Lors de son audition par votre commission, Marc Schwartz a expliqué que la question de la création d'une chaîne d'information continue était posée et devrait trouver sa réponse dans le projet stratégique des candidats à la présidence de France Télévisions.
Les présidents du groupe public et du régulateur ainsi que Marc Schwartz se sont également retrouvés pour considérer que les obligations faites au service public étaient sans doute trop nombreuses. Rémy Pflimlin a ainsi indiqué que « notre cahier des charges fait plus de 70 pages, notre contrat d'objectifs et de moyens énonce plus de 70 objectifs » , le président du CSA ayant estimé pour sa part que ces clauses pouvaient avoir des « effets parfois inhibiteurs » . Interrogé également sur ce point, Marc Schwartz a indiqué que le cahier des charges de la British Broadcasting Corporation (BBC) était plus court et plus synthétique que celui de France Télévisions alors même que le groupe britannique regroupe les activités d'audiovisuel, de radio et d'audiovisuel extérieur de l'audiovisuel public britannique.
Au-delà des questions relatives à la nomination du futur président de France Télévisions et de sa feuille de route, les membres de votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication ont souhaité s'interroger au final sur la meilleure façon de renforcer l'indépendance de l'audiovisuel public et donc la confiance dont doivent bénéficier ses dirigeants afin de pouvoir conduire dans la durée leur projet. Ils ont ainsi auditionné M. Jean-Paul Philippot, administrateur général de la Radio-télévision belge de la communauté française (RTBF) depuis douze ans qui a pu expliquer comment il avait mutualisé les ressources et réduit les effectifs de 30 % en dix ans ce qui, compte tenu des augmentations de la production, avait permis à la RTBF d'accroître ses gains de productivité de 45 %. Cet exemple a démontré que la télévision publique avait un avenir à la mesure de sa capacité à se réformer.
MERCREDI 4 FÉVRIER 2015
* 1 L'article 29 de la loi du 15 novembre 2013 a ouvert la possibilité pour les diffuseurs ayant financé une part substantielle de l'oeuvre de détenir des parts de coproduction dans des conditions déterminées par décret. À la date du 13 mars 2015, la publication du décret d'application, bien que prévue pour juin 2014, était toujours annoncée.
* 2 La synthèse de cette enquête est présentée en annexe du présent rapport.
* 3 Alors que 54 % des sondés considéraient qu'il y avait une différence au niveau des programmes entre chaînes publiques et privées en 2005, cette proportion était tombée à 38 % en 2014.