III. LES ACTUALITÉS DU CONSEIL DE L'EUROPE ET DE SON ASSEMBLÉE PARLEMENTAIRE
A. LE RAPPORT D'ACTIVITÉ DU BUREAU ET DE LA COMMISSION PERMANENTE
L'ouverture de chaque partie de session est traditionnellement consacrée à l'examen du rapport d'activité du Bureau et de la Commission permanente.
Le rapporteur, M. Christopher Chope (Royaume-Uni - CE), a d'abord évoqué le conflit en Ukraine et appelé au respect de l'accord de Minsk par l'ensemble des parties. Il a regretté le gel de la situation en Crimée et rappelé que son annexion illégale par la Russie constituait une violation flagrante du droit international. À cet égard, il a souligné le rôle du Bureau de l'Assemblée et du Comité des présidents pour parvenir à une solution pacifique en Ukraine dans le cadre d'un dialogue avec les autorités russes et ukrainiennes. Il a exprimé sa déception devant la réaction des autorités russes qui refusent de reconnaître que leurs troupes sont engagées sur le territoire de l'Ukraine ou que du matériel russe y est déployé. Il s'est également inquiété des atteintes portées aux droits de l'Homme en Crimée et du non-respect du cessez-le-feu en Ukraine. Par ailleurs, il a appelé l'attention de l'Assemblée sur les conséquences, notamment la réduction du budget du nouveau groupe, des modifications intervenues dans la composition du groupe politique des démocrates européens, devenu celui des conservateurs européens, et a contesté l'interprétation donnée du Règlement sur ce point.
B. LES MISSIONS D'OBSERVATION DES ÉLECTIONS
L'examen du rapport d'activité du Bureau et de la Commission permanente donne lieu à un débat relatif aux missions d'observation électorale qui ont eu lieu depuis la précédente partie de session. Trois élections ont été observées par des membres de l'Assemblée parlementaire depuis octobre 2014, deux en Tunisie et une en République de Moldova.
1. Les élections législatives en Tunisie (26 octobre 2014)
Le rapporteur de la commission ad hoc du Bureau sur l'observation des élections législatives en Tunisie, qui ont eu lieu le 26 octobre 2014, M. Andreas Gross (Suisse - SOC), a mis en évidence le bon déroulement de la procédure électorale qui traduit le succès de la transition post-révolutionnaire, le caractère véritablement démocratique du scrutin donnant au nouveau Parlement tunisien une grande légitimité. Selon le rapporteur, il s'agit d'un succès sans précédent que l'on pourrait comparer avec le printemps des peuples de 1848, en Europe. Il s'est en particulier félicité de ce que tous les partis ont joué le jeu, y compris ceux d'inspiration islamique. Il a indiqué que son rapport mentionnait quelques perfectionnements possibles : amélioration des listes électorales, financement plus transparent des campagnes, augmentation du nombre de débats publics et transparents. Enfin, il a conclu sur les défis à relever à l'avenir, en particulier sur le fonctionnement transparent des nouvelles institutions tunisiennes et sur le caractère inclusif du processus démocratique en Tunisie.
M. René Rouquet (Val-de-Marne - SRC), président de la délégation française , a salué le bon déroulement de la première transition démocratique dans un pays du « Printemps arabe » et a souligné la forte implication de la société civile et le sens des responsabilités de la classe politique dans ce pays. Il a estimé que la réussite du scrutin était à mettre sur le compte de la politique de dialogue national et du professionnalisme des autorités responsables de l'organisation des élections et a considéré que ce succès constituait un espoir pour le pourtour méditerranéen dans son ensemble. Puis il est revenu sur quelques aspects lui paraissant particulièrement importants pour l'avenir de la Tunisie. Il a d'abord évoqué le score du parti islamique Ennahdha, qui a obtenu 69 élus, restant ainsi la deuxième force politique du pays, ce qui lui permettra de continuer de jouer un rôle important dans la vie politique tunisienne. Il s'est toutefois dit confiant car la société civile, et les femmes en particulier, avaient montré au moment de l'Assemblée constituante sa capacité à contrer toute tentative d'islamisation de la Tunisie. Il a ensuite souligné la rupture entre le nord et le sud du pays révélée par la cartographie des votes, qui doit être prise en considération par les autorités tunisiennes. Il a également abordé la situation économique qui, elle, n'est pas satisfaisante et a insisté à la fois sur la nécessité pour l'Europe et le monde d'investir en Tunisie, se félicitant que la France restait de loin le premier partenaire commercial du pays, et sur l'indispensable soutien aux réformes économiques. Enfin, il a pointé la question de la jeunesse, rappelant que les moins de quarante ans représentent 40 % de la population et a regretté l'absence de ce thème au cours de la campagne électorale.
2. L'élection présidentielle en Tunisie (23 novembre et 21 décembre 2014)
M. Jean-Marie Bockel (Haut-Rhin - UDI-UC) , rapporteur de la commission ad hoc du Bureau sur l'observation de l'élection présidentielle en Tunisie , dont les deux tours ont été organisés, respectivement, les 23 novembre et 21 décembre 2014, a insisté sur la grande qualité du travail effectué par l'instance supérieure indépendante pour les élections. Il s'est félicité de ce que l'élection présidentielle s'était déroulée sans incidents majeurs, dans un climat serein et respectueux. Il a considéré que cette élection présidentielle marquait une nouvelle étape dans la transition démocratique de la Tunisie. Il a indiqué que les citoyens tunisiens attendaient de leur nouveau président qu'il soit le garant du bon fonctionnement et de la stabilité des institutions et qu'il s'engage dans une collaboration fructueuse avec l'assemblée et le gouvernement. Il a formé le voeu que les améliorations du processus électoral qui restent à apporter à l'avenir - il a cité la disposition de la Constitution prévoyant que le président soit automatiquement musulman - bénéficient, dans la mesure du possible, de l'expertise de la Commission de Venise, qui a d'ailleurs déjà oeuvré en ce sens. Il a mis en évidence certaines évolutions souhaitables telles que le meilleur encadrement du financement des candidats et de la campagne électorale, avec un contrôle de l'utilisation de ces financements, ou encore la prévention des abus des ressources administratives durant les campagnes électorales. Il a conclu sur la nécessité pour l'Assemblée parlementaire de continuer de soutenir les Tunisiens dans leurs efforts de consolidation de la démocratie, en particulier grâce à la coopération interparlementaire dont les autorités tunisiennes sont demandeuses.
M. Bernard Fournier (Loire - UMP) a noté qu'en élisant de façon démocratique, pour la première fois depuis 1956, un président à l'issue de deux tours de scrutin - ce qui, en soi, illustrait une pratique de débat pluraliste rompant avec les habitudes de la période Ben Ali et de bien des régimes politique arabes -, les Tunisiens avaient entièrement renouvelé les structures de l'État. Il s'est félicité de ce que l'élection présidentielle, dont les résultats étaient clairs sans être plébiscitaires, mettait fin, après les élections législatives, à une phase de transition parfois chaotique, et a mis en avant le caractère pacifique de la passation des pouvoirs. Il s'est voulu rassurant sur le risque, soulevé par certains, d'une possible dérive autoritaire. Il a toutefois relevé que les défis que le nouveau chef de l'État devait relever étaient considérables. Rappelant que la révolution de 2011 avait surtout été provoquée par le chômage et la misère, il a fait observer que ceux-ci restaient endémiques et que la croissance était atone. Il a également indiqué que la Tunisie était confrontée à d'importants problèmes sécuritaires à ses frontières, la chute des régimes Ben Ali et Kadhafi en Libye ayant transformé des zones traditionnellement marginalisées en sources d'instabilité croissante pour le pays. Il a ainsi rappelé qu'à l'ouest, près de la frontière algérienne, les escarmouches entre forces de sécurité et brigades djihadistes s'intensifiaient depuis 2013 et avaient provoqué la mort de dizaines de soldats. Il a noté que la lutte contre l'islamisme radical s'était accentuée, mais que les autorités tunisiennes étaient confrontées à deux difficultés majeures : la fragmentation de la mouvance djihadiste, qui rend les contrôles plus délicats, et les liens de plus en plus étroits entre les djihadistes et les trafiquants d'armes et de drogues, au point qu'une alliance durable entre eux pourrait se traduire par un contrôle territorial des djihadistes sur des portions de frontière avec l'Algérie. Il a indiqué qu'au sud et à l'est, la Tunisie était directement concernée par l'effondrement de l'État en Libye, plus de 600 000 Libyens s'étant installés dans le pays depuis la chute de Kadhafi. Il s'est félicité de ce que la Tunisie n'avait pas basculé dans le chaos, la violence ou la répression, contrairement à bien des pays du « printemps arabe », et qu'elle confirmait ainsi son rôle historique.
3. Les élections législatives en République de Moldova (30 novembre 2014)
M. Jean-Claude Mignon (Seine-et-Marne - UMP) , rapporteur de la commission ad hoc du Bureau sur l'observation des élections législatives en République de Moldova , qui se sont déroulées le 30 novembre 2014, a constaté avec satisfaction l'évolution de la situation de la Moldova, qui est en bonne voie vers la démocratisation. Il a salué le travail effectué par la commission électorale centrale. Il a souligné les difficultés rencontrées par les Moldaves de Transnistrie pour participer au scrutin. Il a également exprimé des regrets sur le caractère incomplet des modifications apportées à la loi électorale et sur la décision de la Cour suprême qui, trois jours avant le scrutin, avait contraint une liste à se retirer, même s'il a estimé que cela n'avait probablement pas altéré la sincérité du scrutin ni le résultat des élections. Il a rappelé que la campagne électorale s'était polarisée sur une question d'apparence binaire : la Moldavie penche-t-elle du côté de l'union douanière proposée par la Russie ou du côté de l'Union européenne et de l'accord d'association qu'elle offre ? Il a fait observer que les résultats étaient certes étroits, mais avaient fait apparaître une majorité claire. Rappelant que le parlement moldave devait désormais élire un nouveau président, il a appelé de ses voeux la constitution rapide d'un nouveau gouvernement dont le pays a bien besoin.
Mme Josette Durrieu (Hautes-Pyrénées - SOC) a rappelé que la Moldova était un petit pays, enclavé et amputé d'une partie de son territoire, la Transnistrie qui est gangrénée par la corruption, et qu'elle était à la recherche d'une stabilité intérieure sans jamais pour autant sombrer dans le chaos. Elle a souligné son positionnement important, à la fois géographique et stratégique. Elle a indiqué que les partis pro-européens, le Parti démocrate et le Parti libéral-démocrate, avaient obtenu une majorité relative, soit 42 sièges sur 101, et avaient constitué une coalition qui porte le nom de « Pour une Moldova européenne ». Elle a noté que cette coalition avait le soutien du Parti communiste sans que ce dernier fasse partie de la coalition et malgré le fait qu'il soit le perdant de cette élection. Elle a toutefois considéré que le véritable gagnant était le parti des socialistes pro-russe, qui a obtenu 20 % des suffrages et qui se trouve dans l'opposition. Elle s'est interrogée sur la capacité du pays à modifier, enfin, la Constitution afin de pouvoir élire le Président de la République et d'empêcher l'instabilité politique de devenir chronique. Elle a considéré que l'accord d'association signé à Vilnius par la Moldova représentait un partenariat choisi avec l'Union européenne, mais n'excluait absolument pas les relations avec la Russie, d'autant plus que, compte tenu de l'Histoire, les relations avec ce puissant voisin vont de soi. À ce titre, elle a appelé de ses voeux des progrès pour redéfinir les relations avec la Russie afin de tendre à un véritable partenariat.
M. Jean-Claude Frécon (Loire - SOC) s'est félicité de ce que le scrutin s'était globalement bien déroulé, en dépit de quelques problèmes liés à l'indépendance des médias et aux règles applicables au financement des partis politiques et des campagnes électorales. Il a rappelé que ces élections législatives intervenaient à un moment crucial pour la Moldova, confrontée à de fortes tensions régionales liées aux événements en Ukraine, alors que les Européens peinaient à définir une vision commune de leur politique à l'est, demeurant en particulier divisés quant à l'attitude à adopter vis-à-vis de la Russie. Il a indiqué que, dans ce contexte incertain, la Moldova restait en quête d'un arrimage régional et qu'elle devait parvenir à un équilibre subtil entre ses relations privilégiées avec la Russie et l'intégration européenne, en fonction de facteurs complexes, à la fois intérieurs et extérieurs. À l'intérieur, le pays reste économiquement fragile en dépit d'une croissance dynamique. Ses échanges extérieurs se font majoritairement avec les marchés européens, mais ses liens avec la Russie demeurent puissants, en particulier dans le domaine énergétique, et du fait de la forte présence en Russie de travailleurs émigrés moldaves, dont les transferts de fonds représentent près d'un quart de la richesse nationale. À l'extérieur, la Moldova est soumise à diverses influences : roumaine, russe, ukrainienne, européenne. M. Jean-Claude Frécon a considéré que la Moldova aspirait à la stabilité et que la victoire des formations politiques pro-européennes devrait lui permettre de poursuivre sur la voie d'une intégration européenne accrue. Il s'est toutefois inquiété des difficultés à former un gouvernement et de leurs conséquences sur la crédibilité du projet européen aux yeux des citoyens moldaves. Il a conclu en souhaitant que le Conseil de l'Europe et son Assemblée parlementaire apportent leur concours à la Moldova, qui entend respecter ses valeurs et adopter ses normes.
M. Frédéric Reiss (Bas-Rhin - UMP) a nuancé la victoire des trois partis pro-européens, l'entrée en force de 25 élus du Parti socialiste ouvertement pro-russe au Parlement mettant en évidence la division persistante du pays sur son avenir. Il a regretté que, un mois et demi après les élections, ces trois partis n'avaient pas réussi à s'entendre pour former un gouvernement. Il s'est interrogé sur les conséquences de la constitution d'un gouvernement minoritaire, en particulier sur la majorité dont disposera le nouveau Premier ministre pour poursuivre la politique pro-européenne engagée par son prédécesseur. Il a rappelé que, si la Moldova avait signé un accord d'association comportant une zone de libre-échange approfondi et complet avec l'Union européenne, son processus d'intégration exigeait encore des réformes importantes qui ne pourront se faire qu'avec une majorité claire au Parlement et un gouvernement stable. Il a indiqué que la lutte contre la corruption constituait un enjeu important pour une amélioration de la situation socio-économique du pays et a noté la réalisation de progrès dans ce domaine. Il a appelé les politiques moldaves au sens des responsabilités afin d'éviter au pays une crise politique, voire une vacance de pouvoir, comme le pays en avait trop souvent connue ces dernières années, qui remettrait en cause les efforts accomplis depuis 2013. Il a exprimé ses craintes que, dans le contexte du conflit en Ukraine, les pressions russes conduisent à une déstabilisation du pays, sans institutions fortes et unies. Il s'est réjoui de ce que le peuple moldave ait choisi majoritairement de se tourner vers Bruxelles plutôt que vers Moscou et a dit espérer qu'il cueille les fruits de ses engagements pro-européens.