C. ATTAQUES TERRORISTES À PARIS : ENSEMBLE POUR UNE RÉPONSE DÉMOCRATIQUE
À la suite des attentats qui ont endeuillé la France au début du mois de janvier 2015, l'Assemblée parlementaire, sur proposition du Bureau, a décidé de tenir un débat selon la procédure d'urgence sur le thème « Attaques terroristes à Paris : ensemble pour une réponse démocratique ».
M. Jacques Legendre (Nord - UMP), rapporteur de la commission des questions politiques et de la démocratie , a rappelé que les attaques terroristes perpétrées à Paris, les 7, 8 et 9 janvier 2015, causant la mort de 17 personnes, n'étaient pas les premières en Europe et a cité les assassinats commis quelques mois plus tôt au musée juif de Bruxelles, les meurtres de Toulouse ainsi que les attentats qui avaient touché Londres et Madrid. Il a considéré que les attentats de Paris avaient visé au coeur l'idée que l'on se fait, en Europe, de la liberté, de la tolérance, de la culture et de la civilisation et que l'assassinat de douze journalistes avait pour objectif de les punir des caricatures dont ils étaient les auteurs - soit une remise en cause radicale de la liberté de la presse et de la liberté d'expression. Il a également fait observer que quatre clients d'un magasin casher avaient été abattus parce que supposés de confession juive. Enfin, il a rappelé que deux policiers avaient aussi été tués parce qu'ils portaient la tenue des forces de l'ordre, parce qu'ils incarnaient l'autorité et l'État de droit. Il a estimé que, parce que les attentats de Paris visaient au coeur la culture européenne, la réponse devait être à la hauteur de l'agression. Il a dénié tout fondement à un quelconque complot et rappelé que les auteurs de ces attaques étaient connus et leurs inspirateurs identifiés, l'un des terroristes ayant déclaré agir au nom de Daech et Al-Qaida s'étant revendiquée en inspirateur de l'action. Il a estimé que ces faits nécessitaient une réflexion approfondie. Il a insisté sur le fait que la motivation religieuse dévoyée des assassins ne rendait pas les fidèles de l'islam coupables de leurs crimes. Il a fait observer que la liberté de la presse et de l'information était un des piliers de notre société et que, si cette liberté n'excusait pas l'insulte et ne permettait pas la diffamation, c'était à la justice d'être saisie et de condamner, s'il y a lieu, la diffamation ou l'incitation à la haine raciale ou religieuse. Il a considéré que le refus absolu d'excuser le recours au terrorisme n'interdisait pas de s'interroger sur les causes de la radicalisation d'hommes et de femmes, souvent jeunes, qui se fourvoient dans le djihad, l'objectif de cette réflexion étant de mieux prévenir et, en aucun cas, d'excuser l'inexcusable. Il a conclu en rappelant que le Conseil de l'Europe avait été institué selon une haute idée de l'Europe, libre, démocratique et tolérante et en appelant au rassemblement de manière à témoigner de la résolution à ce que le terrorisme ne devait jamais faire reculer l'Europe sur ces valeurs essentielles.
M. René Rouquet (Val-de-Marne - SRC), président de la délégation française, s'exprimant au nom du groupe socialiste , rappelant qu'en 1825 fut adoptée en France une loi sur le sacrilège religieux qui prévoyait la peine de mort pour la profanation des hosties consacrées, mais qu'elle ne fut cependant pas appliquée, les jurys acquittant systématiquement les accusés, a fait observer que l'on entendait dire que les journalistes de Charlie Hebdo assassinés pour blasphème seraient allés trop loin ou qu'ils devraient appliquer l'autocensure. Citant le polémiste Félicité de Lamennais pour illustrer son propos, il a estimé qu'admettre le rétablissement, en droit ou en fait, du blasphème, qu'il concerne le Christ, très souvent caricaturé par Charlie Hebdo , ou Mahomet, serait revenir aux temps les plus sombres de l'Histoire. Il a considéré que la seule limite à la liberté d'expression se trouvait dans la nécessité de ne pas appeler à la haine et au meurtre et a insisté sur le fait qu'attaquer, même injustement, même avec excès, des idées et des croyances était consubstantiel de la liberté d'expression. Il a appelé à réfléchir à des solutions, par exemple en invitant tous les États membres à ratifier la convention du Conseil de l'Europe sur la prévention du terrorisme, et en promouvant le dialogue interculturel, en prenant des mesures pour combattre la marginalisation, l'exclusion sociale, la discrimination et la ségrégation.
M. Jean-Claude Mignon (Seine-et-Marne - UMP) , s'exprimant au nom du groupe PPE/DC , a noté que les djihadistes auteurs des attaques terroristes à Paris appartenaient à une inquiétante nébuleuse se réclamant d'un islam radical, qui, presque partout dans le monde, se livre à de lâches et odieux attentats. Il a relevé que des jeunes, pourtant nés et éduqués dans des pays européens tolérants, partaient rejoindre les terroristes, alors même que quitter l'islam pour une autre religion, l'apostasie, est une infraction pénalement sanctionnée dans nombre d'États. Il a rappelé que l'islam était aujourd'hui une religion de la plupart des États européens et que la plupart des musulmans n'aspirent qu'à pratiquer en paix leur religion, comme l'ont montré de nombreuses réactions après les attentats. Il a appelé à se garder de tout amalgame. Faisant observer que l'islam des terroristes était avant tout celui de la pauvreté, de l'inculture et de l'échec et aussi celui d'Internet, il s'est interrogé sur les sources de financement de cet islam dévoyé, venant de pays partisans d'un intégrisme d'autant plus radical qu'ils oppriment leurs populations dans le cadre de régimes dictatoriaux, corrompus, arriérés, mais disposant d'importantes richesses naturelles. Il a estimé qu'il ne fallait surtout pas transiger sur les valeurs que sont la liberté d'expression, la neutralité de l'État à l'égard des religions, la démocratie et respecter la liberté de culte de toutes les religions et les traiter également, en permettant et facilitant l'établissement de lieux de culte officiels nettement préférables à des lieux clandestins autoproclamés. Se basant sur des exemples fournis par le rapport, il a cité des actions qui pouvaient être entreprises au niveau du Conseil de l'Europe, grâce à la convention sur la prévention du terrorisme ou le dialogue sur les religions, sans transiger ni sur les principes ni sur les valeurs.
M. François Rochebloine (Loire - UDI) a exprimé son profond attachement à la liberté sous toutes ses formes et a considéré que les attentats à Paris constituaient une attaque contre nos valeurs fondamentales. Selon lui, la défense du vivre ensemble et de la liberté d'expression est un devoir impérieux pour tout démocrate. Rappelant les termes de la grande loi républicaine de 1881 sur la liberté de la presse, il a indiqué que ce principe demeurait essentiel, quel que soit le support de cette libre expression. Il a formé le voeu que tous les États membres le respectent, ce qui, selon lui, n'est pas encore le cas. Il a estimé que la liberté d'expression était la condition nécessaire d'une vie sociale équilibrée et démocratique et qu'elle devait s'exercer dans le respect de l'autre. S'il a fermement condamné l'assassinat de la rédaction de Charlie Hebdo , il a jugé que le parti pris constant d'agression antireligieuse, d'une grossièreté assumée par ses auteurs, n'était pas la meilleure illustration de la liberté de penser et d'écrire, l'accumulation de telles agressions finissant par devenir une atteinte au vivre ensemble et à rendre difficile, pour ne pas dire impossible, le dialogue.
Mme Josette Durrieu (Hautes-Pyrénées - SOC) a fait observer que les attentats de Paris avaient été précédés d'autres attentats, en particulier ceux de Toulouse et de Belgique. Elle a noté que le slogan Je suis Charlie , qui a été traduit dans deux cents langues, avait marqué un moment d'émotion et de sidération et symbolisé un besoin spontané d'être dehors, ensemble, de marcher et de se taire. Elle a estimé que ce grand moment de concorde nationale et de conscience démocratique conservait une part de mystère. Elle a insisté sur l'importance du « vivre ensemble » dont l'humour fait partie, tout comme la culture - les dessins et les caricatures sont un genre littéraire qui revendique le droit à l'irrespect, à l'insolence, au blasphème. Elle s'est désolée de constater que la France n'avait pas réussi l'intégration. Elle a estimé que le « vivre ensemble » exigeait deux conditions : le respect fondamental de l'autre et le respect absolu de la liberté de pensée, de croyance et de conscience. À cet égard, elle a rappelé l'importance en France du concept de laïcité.
M. Pierre-Yves Le Borgn' (Français établis hors de France - SRC) a rappelé que les 17 personnes ayant perdu la vie dans les attentats à Paris étaient mortes soit parce qu'elles incarnaient la liberté d'expression, soit parce qu'elles étaient juives, soit parce qu'elles accomplissaient leur métier avec un sens admirable du devoir. Il a estimé que l'origine de ces drames se trouvait dans l'obscurantisme, le fanatisme et la haine, et non dans l'islam, dont les représentants avaient trouvé les mots et les actes justes pour dire leur solidarité avec les victimes et avec la communauté nationale à laquelle ils appartiennent pleinement. Il s'est félicité de ce que les terroristes, ayant voulu abattre des valeurs qui sont aussi celles du Conseil de l'Europe, aient été désavoués par une réaction instantanée, bouleversante et réconfortante en Europe et dans le monde, résumée dans cette affirmation : « Je suis Charlie ». Il a insisté sur la nécessaire protection de la liberté d'expression, dont l'outrance fait partie, et a estimé que c'est au juge seul qu'il appartient de sanctionner un éventuel abus. Il s'est élevé contre la persistance de l'antisémitisme, qui n'est pas une opinion, mais un délit. Il a appelé à lutter contre le djihadisme et le lavage de cerveau pratiqué sur les réseaux sociaux, qui mène à la radicalisation, sur fond d'exclusion sociale, d'échec scolaire et de ségrégation urbaine. Il a conclu sur la nécessité pour les démocraties de protéger les libertés dans le respect du droit et le dialogue interculturel.