Clôture du
colloque :
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Merci à Mesdames Fleury et Chombart de Lauwe pour leur dernier mot qui, je l'espère, sera entendu des plus jeunes, pour ce message d'engagement que vous savez si bien nous transmettre. Nous étions avec Mme Chombart de Lauwe, il y a peu, avec beaucoup de jeunes, dans mon ministère. Ils m'ont écrit par la suite que votre rencontre les a inspirés pour longtemps.
Madame la Présidente de la délégation aux droits des femmes, chère Brigitte, Mesdames et Messieurs, je suis vraiment ravie d'avoir pu vous rejoindre pour la fin de cette dernière séquence et d'avoir entendu ces propos.
Il y a 71 ans exactement, Jean Moulin réunissait pour la première fois le Conseil national de la Résistance au 48 rue du Four, dans le 6 ème arrondissement de Paris, à quelques mètres d'ici. Ce 27 mai 1943, Jean Moulin et toutes les personnalités qu'il avait réussi à fédérer décidèrent de se rassembler ensemble autour des valeurs de la République et de créer l'acte fondateur qui allait impulser l'organisation de la Résistance française et susciter tant d'espoirs chez les femmes et les hommes de notre pays. Aujourd'hui on célèbre très officiellement la création du CNR, grâce à cette Journée de la Résistance, et c'est l'occasion de rendre hommage - je souhaitais m'y associer - à ces femmes, à ces hommes qui, au nom de la liberté et de leur attachement indéfectible aux valeurs républicaines, au nom de leur amour de la France aussi, ont combattu pour la libération de leur pays.
Ce message d'engagement citoyen, au nom de valeurs, est évidemment un exemple pour tous et en particulier pour notre jeunesse. Nous ne sommes pas à n'importe quel moment : je pense que ce message doit être entendu. Merci d'avoir associé les collégiens et les lycéens à cette journée, que je sais avoir été l'occasion d'un travail collectif sur les valeurs de courage, de tolérance, de solidarité, de progrès social, autant de mots qui trouvent toute leur résonnance en ce moment.
Je veux en particulier remercier Brigitte Gonthier-Maurin, car c'est elle qui a eu l'initiative de consacrer ce colloque, en cette journée d'anniversaire, aux femmes résistantes, ces grandes oubliées de l'histoire. « Sans elles, la moitié de notre travail eût été impossible » : ce sont les mots du colonel Rol-Tanguy à la Libération. Ces femmes, dont le rôle a été trop souvent occulté, dont la place dans notre société n'était pas reconnue, ont pourtant eu un rôle décisif dans la victoire. Elles s'appelaient - permettez-moi de les nommer à nouveau - Danielle Casanova, Denise Vernay, Marie-Madeleine Fourcade, Madeleine Riffaud, Germaine Tillion, Marie-Claude Vaillant-Couturier, Lucie Aubrac, Marie-José Chombart de Lauwe, et d'autres encore...
Elles n'étaient, à cette époque, que des citoyennes de seconde zone, sans droit de vote, soumises légalement à leur père ou à leur époux. Et pourtant, ce sont elles qui s'engagèrent pour leur pays, en faisant oublier cette maxime populaire selon laquelle la guerre serait une « affaire d'hommes ».
Le résistant et historien Daniel Cordier, secrétaire particulier de Jean Moulin, a souvent raconté comment s'était constituée la Résistance. Je le cite : « Les femmes s'occupaient de tout. La Résistance n'aurait jamais existé sans les femmes. Les femmes étaient partout, et elles étaient la structure interne de la Résistance. C'était elles que l'on utilisait comme courriers pour aller de la zone libre à la zone occupée » .
Et en effet, au sein des réseaux, c'étaient les femmes qui exerçaient dans la clandestinité, au péril de leur vie, les travaux de secrétariat, d'agents de liaison, de services. Cacher, héberger, nourrir, approvisionner, telles étaient leurs missions principales. N'oublions pas qu'en cette époque tragique, rien de tout cela n'était anodin : celles qui étaient arrêtées au cours de ces missions risquaient l'emprisonnement, la déportation, pour certaines l'exécution. Et ce fut le destin tragique d'Olga Bancic, décapitée à la hache le jour de son trentième anniversaire à Stuttgart, seule femme membre du réseau « Manouchian » lors du simulacre du procès des 23 résistants qui figuraient sur la célèbre Affiche Rouge. Elle fut la seule à être décapitée, en application du droit criminel de la Wehrmacht qui interdisait de fusiller les femmes.
Si les femmes étaient le plus souvent jugées incapables de se servir d'armes, elles étaient pourtant bel et bien les premières à effectuer les repérages des lieux ou à transporter les armes et les explosifs. Et je veux aussi ce soir rendre hommage aux femmes résistantes mortes durant leur action, saluer en particulier la mémoire d'Ariane Knout, dite « Régine », qui paya de sa vie une action de transport d'armes alors qu'elle était secondée par sa fille Betty, à l'époque âgée seulement de 16 ans. Saluer, là encore, la mémoire d'« Annette » Richtiger, 24 ans, qui remplaçait son mari Jean, FTP tué au combat, et qui fut déchiquetée, elle, par une bombe alors qu'elle assurait le transport de la seule mitrailleuse disponible dans le secteur entre Lens et Valenciennes. Que dire encore du rôle primordial joué par les femmes dans le sauvetage des enfants juifs ?
J'ai une pensée pour toutes ces femmes anonymes dont l'action a changé le cours de l'histoire, ces Justes qui restaurèrent la solidarité dans des moments où l'humanité était en train de vaciller. Résistantes, ces femmes incarnaient pleinement l'esprit de la Résistance. En résistant, elles transgressaient non seulement les lois du régime de Vichy, mais elles portaient aussi un coup aux conventions, à la représentation de ce que devait être une femme à cette époque-là. Le combat que nous menons encore aujourd'hui pour l'égalité entre les femmes et les hommes, elles avaient eu le courage, elles, de l'engager. Nous avons, nous tous et toutes réunis, l'ambition de le poursuivre, ce combat. Nous le devons, en hommage à ces pionnières, et nous le devons aussi aux jeunes générations.
Pour beaucoup de ces femmes, l'engagement était une évidence. Je suis, je vous l'avoue, toujours un peu surprise lorsque j'entends ou que je lis les témoignages de ces femmes résistantes. Interrogées sur leurs actions, elles font toujours preuve de beaucoup de modestie, de beaucoup de discrétion. Je vous en cite quelques extraits : « Vous savez, moi ce que j'ai fait c'était de la petite résistance. Les autres devaient être bien plus intéressantes que moi. Moi je n'ai pas fait grand-chose... » .
Oui, ce sont des mots que j'ai entendus, que vous avez dû entendre souvent, et c'est à ces femmes invisibles, ces « combattantes de l'ombre », qui ont péri sur le chemin de la liberté, que je veux rendre justice et hommage en cette Journée nationale de la Résistance. Leur engagement a été bien peu valorisé à la Libération : il a fallu attendre mai 1968 et la libération de la parole des femmes, pour que ces dernières commencent enfin à exister dans l'histoire de la Résistance. Je pense en disant cela en particulier au témoignage de Lucie Aubrac dans son livre Ils partiront dans l'ivresse , dans lequel elle nous a raconté les évènements de Caluire, et comment elle a pu libérer son mari de la Gestapo.
Vous l'avez vu au cours des échanges de cette journée, l'engagement, pour ces femmes, a continué très souvent après à la guerre. Là encore, c'est Lucie Aubrac qui disait : « Le verbe résister doit toujours se conjuguer au présent ». Eh bien, le message de ces résistantes, nous devons non seulement le célébrer aujourd'hui, mais surtout lui donner un écho dans notre société moderne de 2014. Cette année 2014, c'est précisément l'année de l'engagement, l'engagement au service de la société, au service des autres, pour une société plus juste, plus solidaire, plus « fraternelle », comme j'ai entendu tout à l'heure. Je ne doute pas qu'en célébrant cette grande cause nationale de l'engagement, nous serons fidèles à l'esprit de ces résistantes. Leur message, nous devons nous assurer qu'au-delà de cette seule journée, nous puissions le porter dans la durée. C'est évidemment le sens de la décision qu'a prise le Président de la République et qu'il a annoncée au Mont-Valérien l'an passé. Germaine Tillion et Geneviève de Gaulle-Anthonioz seront « panthéonisées » aux côtés de leurs homologues résistants Pierre Brossolette et Jean Zay. Deux femmes, et deux hommes, qui ont incarné les valeurs de la France quand elle était à terre. Réjouissons-nous qu'aux côtés de ces hommes, nous puissions enfin dire demain : « Aux grandes femmes, la patrie reconnaissante » .
Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes
Ce colloque s'achève. Il me reste à vous remercier pour votre participation, à remercier très chaleureusement les témoins, les femmes résistantes qui nous ont fait l'honneur de se déplacer pour participer à ce colloque. Je veux remercier aussi les autres intervenants et intervenantes ainsi que les animateurs et animatrices des tables rondes. Je crois que nous avons vécu un grand moment d'histoire, de mémoire, d'émotion et d'humanité.