DÉBAT SUR LES ORIENTATIONS DU RAPPORT
(mardi 10 juin 2014)
M. Charles Guené , président. - A l'exception des deux réunions que nous devons encore tenir, le 17 juin et le 2 juillet prochains, nous avons réalisé l'ensemble de nos auditions. Pour des raisons propres au calendrier que nous avons choisi, on peut dire que le rythme a été assez soutenu, avec plus de onze réunions et de vingt personnes ou organismes auditionnés.
Je pense que nous avons, les uns et les autres, progressé sur le sujet qui nous était imparti, qui n'est pas simple. Nous avons eu, en face de nous, des interlocuteurs très intéressants.
Nous avons souhaité faire un point sur le rapport lui-même, afin de ne pas nous opposer de façon frontale.
Je vais laisser la parole à notre rapporteure, Michèle Demessine. Nous essaierons ensuite de déterminer si nous pouvons cheminer sur la voie qu'elle nous propose ou, éventuellement, l'amender.
Mme Michelle Demessine , rapporteure. - Monsieur le président, mes chers collègues, nous avons beaucoup travaillé ces deux derniers mois et, sans vouloir prétendre à l'exhaustivité, nous avons entendu, dans une conception assez large de notre sujet, et avec une volonté forte de pluralisme, la plupart des acteurs et des analystes du dossier.
Il s'agit d'un sujet technique, qui nécessitait un certain investissement, mais je pense que nous sommes aujourd'hui en mesure de débattre ensemble des orientations du rapport de la mission.
Dans un premier temps, je pense que nous pourrons partager le constat qui a mené à cette politique, celui d'un chômage massif des salariés les plus faiblement qualifiés et de la volonté de favoriser leur accès à l'emploi en baissant le coût du travail, tout en préservant les fondements de notre modèle social : un salaire minimum qui garantisse un véritable revenu et un standard élevé de protection sociale, conçu comme un salaire différé et dont le financement est assis sur les salaires.
Les politiques de l'emploi, depuis 1993, se sont développées autour de formes diverses et ont notamment couvert la question de la promotion sociale, de la reconversion des salariés dans les secteurs économiques en difficulté, auxquels on peut ajouter le développement de la formation professionnelle des jeunes - lois Rigoux de 1982 - de la formation en alternance, et la création du FNE.
Plus loin encore, cette politique de l'emploi a été marquée par la création de l'ANPE, à la fin des années 1960, par Jacques Chirac, et de l'Unedic, à la fin des années 1950, ou encore par la mutualisation des dépenses de formation, par le biais de la taxe d'apprentissage.
Certains de nos partenaires économiques, en particulier l'Allemagne, ont fait le choix d'un ajustement par les salaires avec, pour conséquence le développement d'un salariat pauvre, dont les effets sociaux mais aussi économiques seraient inacceptables dans notre pays.
Deuxième observation : les allégements de cotisations ont fortement contribué, via les mécanismes de compensation, à une réforme déjà engagée -mais largement implicite- du financement de la protection sociale.
Nous avons au demeurant souvent rencontré cette interrogation au fil des auditions : s'agissait-il uniquement d'une politique de l'emploi ou d'un changement d'assiette de la protection sociale avec un effet plus indirect sur l'emploi ? Ce double aspect est de nouveau présent dans les compromis du Pacte de responsabilité.
Les dépenses de protection sociale, qui étaient financées à 80 % par des cotisations en 1980, ne le sont plus qu'à 63 % aujourd'hui, avec des flux très importants, via les impôts et taxes affectés, la CSG, mais aussi la TVA, entre le budget de l'Etat et les finances de la sécurité sociale.
Je pense que nous pourrions nous rejoindre sur la nécessité d'une clarification des flux de financement des différents régimes, et réaffirmer, au minimum pour certains risques, la nécessité d'un financement par des cotisations.
Pour en revenir au coeur de notre sujet -l'impact sur l'emploi- une remarque liminaire s'impose : cette politique publique a fait l'objet d'évaluations nombreuses, qu'elles soient institutionnelles ou qu'elles émanent d'organismes de recherches. Nous disposons ainsi d'évaluations macro-économiques ex ante , intégrant différents paramètres, en particulier celui du financement, mais aussi d'évaluations micro-économiques sur ce qui s'est passé dans les entreprises.
Nous avons entendu la plupart des auteurs de ces études. Il peut paraître peu satisfaisant pour l'esprit que ces évaluations conduisent à des résultats très différents, du simple au double, en fonction des méthodes retenues -mais notre objet se prête peu à l'évaluation. Il s'agit d'une politique instable, dont les paramètres ont beaucoup bougé.
Sur la période, des réformes importantes, comme les 35 heures, puis la convergence des Smic sont intervenues : le Smic, comme les prélèvements sociaux ont augmenté. Nous avons alors assisté à une véritable explosion des allégements.
De ce fait, les allégements ne sont considérés comme véritablement « évaluables » que sur leur première période, entre 1993 et 1998, avec un relatif consensus sur le niveau des créations d'emplois, avec une fourchette large entre 200 000 et 400 000 emplois, et une stabilisation de la part de l'emploi non-qualifié dans l'emploi total, sans que ces emplois soient nécessairement occupés par des personnes non-qualifiées.
Sur les périodes suivantes, toutes les évaluations concluent à un effet sur l'emploi pour les bas salaires, mais avec des écarts beaucoup plus importants. Je crois que l'honnêteté commande de dire que nous ne savons pas précisément combien d'emplois ont pu être créés ou sauvegardés, ni à quelle politique ils sont précisément imputables. Néanmoins, il nous a été souvent dit qu'une suppression brutale pourrait conduire à la disparition de 800 000 emplois -sans que ceci soit réellement appuyé par des études.
S'agissant d'une mesure générale, bénéficiant à toutes les entreprises, sans distinction de taille, ni de secteurs, des effets d'aubaine sont forcément présents et l'on peut s'interroger, comme nous l'avons souvent fait au cours des auditions, sur la question du ciblage, en fonction de la taille des entreprises ou du secteur.
De facto, ainsi que nous l'avons constaté, les allégements bénéficient aux petites entreprises et majoritairement aux secteurs des services, où les salaires sont moins élevés. Cette politique a bien eu des effets sur l'emploi en permettant, sinon une création nette très significative, au moins une sauvegarde d'emplois.
À l'évidence, elle n'a pas suffi à enrayer la catastrophe du chômage de masse, ni à éviter la dualité croissante du marché du travail. Nous n'avons certes pas de mini-jobs mais nous avons des travailleurs à temps très partiels, des salariés en contrats de très courte durée, des jeunes qui enchaînent des stages sans lendemain, sans accéder à l'emploi stable ni aux contrats à durée indéterminée. Cette politique a probablement eu certains effets pervers. Même s'il n'est pas démontré, le risque de trappes à bas salaires ou à basses qualifications me semble bien réel.
Parmi les personnes que nous avons entendues, beaucoup ont en outre déploré cette focalisation sur les bas salaires, qui favoriserait une mauvaise spécialisation de notre économie, alors qu'un pays développé comme le nôtre doit se positionner sur des segments de l'économie à forte valeur ajoutée.
À l'évidence, nous sommes placés devant un constat peu satisfaisant : nous avons toujours un problème de chômage des peu qualifiés, qui justifie une mobilisation politique forte, mais nous sommes aussi confrontés à l'urgence des questions de compétitivité hors prix, telles que l'innovation et la montée en gamme de notre économie, d'où l'impérieuse nécessité de l'investissement et de la recherche.
Dès lors, nous sommes face à un dilemme : des mutations de la politique d'allégements sont à l'évidence nécessaires, mais elles ne pourront être que progressives. Surtout, interrogeons-nous sur leur continuelle extension, alors même que les résultats sont peu probants à long terme.
La stratégie du Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (Cice) et du Pacte de responsabilité, qui cherchent à avoir un effet sur l'industrie, semble s'en éloigner. Le Cice, que nous avons souhaité inclure dans notre champ d'études, est-il une politique de l'emploi ? À court terme, il est permis d'en douter ! L'emploi est un objectif parmi beaucoup d'autres. Il s'agit davantage d'une mesure à caractère fiscal, destinée, en cette période difficile, à susciter la confiance et redonner des marges de manoeuvre aux entreprises et dont l'effet -emploi est plus limité que celui des allégements. Il comporte en outre un effet de seuil considérable à 2,5 Smic, où la réduction de 6 % de la masse salariale disparaît brutalement. Cet instrument pourrait évoluer avec, au minimum, un lissage de l'effet de seuil.
Les dix nouveaux milliards d'euros d'allégement se répartissent entre une mesure « bas salaires » et une mesure plus générale. Ils se caractérisent par une volonté de toucher aussi le secteur de l'industrie et par un financement gagé sur des économies.
Cette politique, qui s'apparente à une forme de dévaluation, ne devrait pas être menée isolément et devrait être accompagnée, me semble-t-il, d'une politique d'investissements dans trois directions :
- la qualification des salariés, qu'elle résulte de la formation initiale ou continue ;
- le soutien à l'investissement dans l'appareil productif des entreprises, ce qui pose la question de leur accès au crédit et de l'impact de leurs choix de financement ;
- le dialogue social comme garant du bon emploi des marges de manoeuvre données aux entreprises, au service de leur développement et de leur avenir.
Nous avons vu que la notion de conditionnalité ou de contrepartie était complexe, surtout si elle se déploie autour de nombreux objectifs, qu'elle devait s'apprécier branche par branche - et même entreprise par entreprise. Le Cice est accompagné d'un dispositif d'évaluation intéressant, mais qui demande néanmoins à être mis en oeuvre. Cette démarche nouvelle, qui témoignerait d'un nouvel état d'esprit, pourrait peut-être être étendue aux allégements.
Telles sont, monsieur le président, mes chers collègues, les principales observations que je souhaitais apporter à notre débat d'aujourd'hui.
Je vous remercie de votre attention.
M. Charles Guené , président. - Merci, madame la rapporteure.
Votre rapport ne me choque pas particulièrement, même s'il comporte quelques éléments dont on pourrait discuter. Cela correspond assez bien à ce que nous avons entendu les uns et les autres.
M. Dominique de Legge . - Madame la rapporteure, en vous écoutant, je me faisais la remarque qu'il faudrait peut-être essayer d'établir une clarification sémantique. Vous avez parlé de salaire différé ; cela fait en effet partie de la thèse soutenue par un certain nombre d'organisations syndicales -et l'on se souvient que si le Cice a été préféré à un allégement pur et simple, c'est précisément parce qu'on a considéré qu'il fallait voir dans les cotisations sociales un salaire différé.
Mais, dans le même temps, on a l'habitude -et vous-même, dans votre exposé, avez repris cette formule- de couvrir un risque : on est donc dans un système assurantiel. Je suis toujours mal à l'aise lorsqu'on parle de ces questions : les cotisations sociales, pour prendre le générique, ont-elles une finalité de salaire différé ou correspondent-elles au financement d'un risque sous une logique assurantielle ? J'avoue qu'on tourne un peu en rond -moi le premier- autour de cette question en employant indifféremment les deux termes.
Incontestablement, me semble-t-il, un certain nombre de mécanismes sociaux peuvent être financés par le salaire, sous forme de salaire différé, donc de cotisations sociales. Je pense aux accidents du travail, au chômage, à l'apprentissage, à la formation. On est bien dans un lien avec le monde du travail et, pour partie, sur une logique assurantielle.
En revanche, pour d'autres prestations, j'avoue que je m'interroge sur le lien entre le risque que l'on veut couvrir, le fait qu'il s'agit de couvrir l'ensemble de la population française, et celui de faire reporter majoritairement le financement sur le seul travail. Je ne suis donc pas certain que l'on puisse véritablement parler de salaire différé, que ce soit pour l'employeur ou pour le salarié.
C'est là ma première réflexion. Même si je n'ai pas le sentiment, ce faisant, de faire avancer le problème, je veux simplement essayer de clarifier les éléments.
En second lieu, le sujet général de la mission porte bien sur les cotisations sociales ; vous avez évoqué le Cice, qui est un crédit d'impôts. Ceci montre bien le lien entre les cotisations sociales et l'impôt.
C'est un peu un faux problème : l'important est d'avoir un mécanisme de protection sociale qui couvre chacun. Que ce soit financé par les salaires ou par l'impôt, ce sont bien les mêmes contribuables - en l'occurrence les entreprises. Ceci nous permettrait toutefois peut-être de sortir du carcan dans lequel nous sommes à propos du point de savoir si les cotisations sociales constituent un salaire différé, une assurance, une charge. Le budget de l'Etat représente environ 350 milliards d'euros, celui de la sécurité sociale environ 550 milliards d'euros. Comment équilibre-t-on ces deux budgets, et comment assure-t-on la meilleure prestation au meilleur coût, en essayant de faire en sorte que salariés et entreprises paient le moins possible pour avoir le meilleur service ?
Voilà les quelques observations que je voulais faire. Peut-être me suis éloigné un peu du rapport, n'ayant pas été d'une assiduité totale.
M. Charles Guené , président. - Je ne serai pas aussi critique !
S'agissant de votre première remarque, Madame la rapporteure a manifesté une ouverture en disant qu'il fallait effectivement apporter une clarification du flux des financements, et en estimant que l'on pourrait être plus performant en termes de « tuyauterie » !
Par ailleurs, même si votre seconde réflexion est quelque peu éloignée de ce que nous avons fait, nous avons-nous-mêmes introduit la problématique des Cice, et l'on voit bien qu'il existe un rapport direct entre les systèmes.
Globalement, le schéma qui a été présenté me convient assez bien ; je pense qu'il reflète les auditions que nous avons eues. J'appuierai peut-être plus sur certains points que sur d'autres. La plupart de nos interlocuteurs ont signalé les singularités de notre système, qui comporte un Smic fort, un système de protection sociale assis sur les salaires et le travail, auquel nous sommes attachés ; en outre, le standard de protection sociale est très élevé par rapport aux pays qui nous environnent.
C'est pourquoi il convient de corriger le coût du travail direct. Comme l'a signalé Mme la rapporteure, notre problématique porte aussi bien sur les coûts que sur notre compétitivité hors coûts. La mission a permis de s'apercevoir que ces éléments posent tous deux problèmes dans notre pays.
Même si l'on peut dire qu'il est très difficile d'en évaluer les effets - à l'exception de la période des exonérations de charge, de 1993 à 1998 - on est indéniablement obligé de se rejoindre pour reconnaître qu'il existe un effet.
A contrario , si cela n'avait pas d'effet, on pourrait le supprimer et voir ce qui se passe ! C'est la boutade que j'avais lancée à un moment donné. La chose est toutefois difficile à apprécier. Ce n'est pas aussi simple qu'on veut bien le croire. On sent qu'il existe une marge assez grande dans les effets des charges, à l'exception de la période de départ.
De la même manière, je partage l'idée qu'il existe des effets d'aubaine, des effets pervers, des effets de trappe, etc., mais je pense que les aspects positifs sont jusqu'à présent plus importants que les aspects négatifs.
Au cours de la mission, nous nous sommes rendu compte qu'il existait un choix entre les créations d'emplois et la compétitivité, mais on agit sur des salaires non-qualifiés. Il faut être inventif pour aller plus loin. On rejoint là la compétitivité hors coût. Le Cice constitue une autre approche, même si l'on sait que son instauration n'était pas dénuée d'idéologie. On a voulu trouver un autre système, mais il a au moins l'avantage de s'adresser à des salaires plus élevés. On entre dans la compétitivité, mais l'effet de seuil exige malgré tout un lissage.
Je mettrai un autre aspect davantage en exergue : notre mission nous a appris que, même si on essaye de monter en gamme, il est nécessaire d'y associer la formation continue, la qualification, et le dialogue social.
Nous n'avons peut-être pas assez évoqué le financement. Peut-être pourrons-nous poser la question à M. Sapin, lorsque nous l'auditionnerons. Il serait intéressant de savoir si les mesures s'autofinancent partiellement ou totalement. Chacun a à l'esprit la TVA sociale, qu'on n'a jamais voulu évoquer ici, ou d'autres propositions bien plus audacieuses, comme celle de M. Dassault, ici présent, qui nous font toucher du doigt des mécanismes divers.
Je pense que nous ne sommes pas en contradiction avec ce que nous avons entendu. Il est sûr que certains insisteraient probablement davantage sur certains aspects que sur d'autres.
Je prétends que le Smic est élevé, que l'ensemble est assis sur des cotisations sociales ; vous dites que l'on pourrait davantage clarifier les financements : c'est une manière plus élégante de le dire ! Certains interlocuteurs, pourtant favorables à la préservation de notre système de protection sociale, ont reconnu que l'on mettait souvent en place des « tuyauteries » qui contournent quelque peu l'assise que l'on a sur le salaire réel. Peut-être pourrait-on mettre l'accent sur des comparaisons internationales -même si l'on ne peut se comparer aisément.
Mme Michelle Demessine , rapporteure. - Ce débat est intéressant. Notre rapport n'a pas vocation à proposer un nouveau système de financement de la sécurité sociale. C'est un sujet dans le sujet. La mission commune d'information porte sur la mesure de la réalité de l'impact sur l'emploi des exonérations sociales, qui sont de toute façon compensées en grande partie par le budget de l'Etat. On est donc dans une démarche de contrôle.
M. Charles Guené , président. - Il ne s'agit en effet pas de prospective !
Mme Michelle Demessine , rapporteure. - Il faut bien entendu se poser la question, mais nous n'avons pas à la traiter. Il nous serait certainement compliqué de le faire ! Le Haut conseil de la protection sociale, qui travaille sur ces questions, a réuni autour de la table tous les partenaires sociaux. Ceci donnera lieu à un vrai débat. Laissons au Haut conseil le soin de le mener !
Notre motivation principale, tout au long des auditions, a été de vérifier si les objectifs assignés à cette politique d'exonération, qui joue sur la notion de coût du travail, notamment non-qualifié, a réellement atteint ses objectifs. Nous avons entendu différentes thèses et avons pu nous forger une opinion sur la question. Depuis 1993, j'ai calculé que 370 milliards d'euros ont été consacrés aux politiques de l'emploi, avec un résultat qui, selon moi, n'est pas forcément à la hauteur de l'investissement public qui a été réalisé. Ceci mérite que l'on s'interroge !
Les différents points de vue qui figureront dans le rapport permettront à chacun de s'y retrouver. Ils démontrent bien que ce débat existe et qu'il faut le mener, surtout si l'on continue à utiliser cet outil de manière importante. On en est arrivé à 20 milliards d'euros ; avec le Cice - même s'il concerne des publics et des objectifs beaucoup plus larges - on va atteindre des sommes très importantes.
M. Charles Guené , président. - Avec les deux, on va être à 50 milliards d'euros...
Mme Michelle Demessine , rapporteure. - Les chiffres qui sortent sont bien plus importants ! Il y a des recoupements qui ne figurent pas forcément dans le rapport. Ces estimations ont parfois été citées.
La question qui ressort du débat sur les non-qualifiés portes sur le fait de savoir si cette politique n'est pas contradictoire avec la nécessaire montée en gamme et la rénovation de notre politique industrielle. C'est une vraie question ! Certes, les outils ne sont pas suffisamment développés, mais l'on s'aperçoit globalement que cela contribue à tirer les qualifications vers le bas - sans parler des salaires ! On a également beaucoup entendu dire - ce que j'ai trouvé très intéressant - que si cette politique n'est pas menée conjointement avec d'autres - qualification de l'emploi, formation, recherche, investissement, notamment dans l'innovation - elle n'apportera pas les résultats escomptés. Cette politique à court terme empêchera seulement le chômage de filer à certains moments.
Ce sont autant de sujets intéressants, qui nous permettent de réfléchir. On n'en connaît véritablement l'efficacité que sur la période comprise entre 1993 et 1998. Faute d'outils, on n'a aucune étude fiable permettant de déterminer ce qui a été ou non efficace.
Ne doit-on pas faire évoluer cette politique ? L'argent investi ne pourrait-il pas être plus efficace à long terme s'il était orienté d'une autre manière ? C'est le sens vers lequel peuvent tendre nos propositions. Ce débat existe chez les experts mais, si l'on s'en réfère au débat qui commence à l'Assemblée nationale, il a aussi lieu entre un grand nombre de parlementaires, qui se posent la question de savoir s'il ne faut pas faire évoluer notre politique de soutien à l'économie.
Cette politique a de tout temps globalement bénéficié à l'ensemble des secteurs de manière uniforme ; elle a fini par être considérée comme un acquis, mais a-t-elle suffisamment stimulé les politiques d'emploi ou de modernisation ? C'est une question que l'on peut se poser ! Elle n'est pas simple. Un des moyens de rendre tout cela bien plus dynamique est peut-être de travailler les contreparties, qui ne sont pas forcément chiffrées en termes d'emplois, les entreprises n'embauchant qu'en cas de demandes. On pourrait examiner cette politique en la conditionnant à une dynamique forte autour des questions de qualification, d'investissement, et de modernisation.
Je vous propose donc que ceci puisse se faire dans le cadre d'un dialogue social renforcé, permettant des échanges et dans un débat avec l'entreprise elle-même, qui rende la question plus transparente, et donc plus dynamique. C'est sur ce point que j'aimerais que nous avancions, avec un certain nombre de propositions qui restent à travailler.
Comme je le disais dans mon exposé, le Cice, qui a été si controversé, a instauré des outils nouveaux dans le domaine de la transparence et de l'examen citoyen des contreparties. Ne pourrait-on avancer en procédant à un examen plus dynamique des allégements ?
Le fait que cette politique soit mise en oeuvre sans ciblage est une vraie question. Cela ne permet pas forcément de dynamiser les secteurs qui en ont le plus besoin. Même si ce sont les petites et moyenne entreprises (PME) et les très petites entreprises (TPE) qui en bénéficient le plus, on voit bien que cette politique a très peu profité au secteur industriel et à son renouveau, qui est nécessaire à notre pays, ainsi que chacun s'accorde, je pense, à le reconnaître !
Les leviers sont-ils là où ils sont nécessaires ? C'est une question fondamentale, qui nous impose une manière de réfléchir différente. Je ne propose pas de rupture, inimaginable, mais d'avancer dans cette voie.
Enfin, la notion du coût du travail s'est également révélée très présente : tout est basé sur ce critère et non sur la compétitivité hors prix. On laisse tout ce domaine hors du champ de la réflexion, en se référant uniquement à cette notion.
M. Charles Guené , président. - Si je partage la philosophie générale de votre intervention, on ne peut pas non plus dire qu'on doive rester sur l'impact que les réductions de charges ont pu avoir sur l'économie. On sait qu'on a du mal à les apprécier mais, en même temps, vous proposez de regarder si l'on ne peut faire autrement. Dès lors, on est obligé de se poser la question de la raison de ces exonérations. On en revient forcément à la singularité française, qui consiste à avoir un salaire minimum très hauts et l'essentiel de la protection sociale assis sur le travail et le salaire.
50 milliards d'euros, ce n'est pas neutre. On doit se poser la question de savoir si, sur le plan international, on est vraiment sur la bonne voie. Il faut en effet, malgré tout, tenir compte de ce qui se fait chez nos voisins, car nous évoluons dans un monde soumis à la compétitivité. Je partage toutefois l'idée que la France, depuis un certain temps, axe peut-être beaucoup trop la recherche de solutions sur la compétitivité et les coûts directs, alors qu'on a un très large problème en termes d'innovation, d'investissements, etc. Il y a peut-être là un gisement à exploiter.
Quant aux aides, il est vrai qu'elles comportent des effets d'aubaine, mais il faut savoir que certaines ont plus particulièrement ciblé certaines filières, et que l'Union européenne a obligé quelques entreprises à rembourser les plus importantes.
Je rappelle que ces exonérations de charges, à l'origine, étaient très largement destinées à compenser les 35 heures, qui ont augmenté le coût du travail de 11 %.
Pourquoi les mécanismes évoluent-ils ? On a, selon moi, dû protéger des pans des entreprises. Cette protection se révélant à présent insuffisante, il faut qu'on évolue. On a préservé les coûts directs, mais s'aperçoit aujourd'hui qu'on a besoin de qualification, et que c'est un domaine où l'on n'a peut-être pas assez évolué.
La parole est aux commissaires.
M. Aymeri de Montesquiou . - Je vous prie d'excuser mon retard, mais la commission des finances auditionnait M. Michel Barnier, et j'avais quelque intérêt, dans le contexte actuel, à assister à cette réunion.
Je partage les interrogations de Mme Demessine, mais je pense qu'il faut les pousser plus loin : notre paradigme n'est-il pas totalement faux ? Les Japonais ont pratiqué le ciblage il y a très longtemps, alors que leur industrie était totalement ravagée. N'a-t-on pas besoin d'une politique industrielle, qui n'existe pas vraiment ? L'effritement de l'industrie dans notre PIB est extrêmement inquiétant.
En France, on compense les choses : lorsqu'il y a du chômage -et c'est une réalité terrible pour les chômeurs- il faut y mettre un pansement ! Les 35 heures coûtent trop cher : il faut les compenser ! Les charges sont trop élevées : il faut les compenser ! Les impôts sont très élevés : il faut les compenser ! Ne peut-on avoir une vision plus simplificatrice ?
Aujourd'hui, les Etats-Unis ont atteint la production industrielle qu'ils avaient en 2008, ce qui n'est pas le cas ni de l'Union européenne, ni de la France. Ne pourrait-on s'inspirer de ce qui se fait ailleurs et qui est porteur ? L'un de mes amis est maire d'une commune jumelé avec une ville de Caroline du Nord. Ce n'est pas un Etat américain extrêmement industrialisé. On ne peut imaginer la révolution qui est intervenue dans l'économie de cet Etat ! Ne faut-il pas adopter un autre concept ? Notre vision n'est-elle pas un peu trop poussiéreuse ? Un des axes majeurs que nous suivons ne consiste-t-il pas à compenser les erreurs que l'on a pu faire ? Il nous faudrait quelque chose de bien plus simple, de bien plus lisible, et essayer de s'appuyer sur les pays qui ont réussi !
Aujourd'hui, on parle beaucoup trop souvent de la spécificité française, façon de mettre en avant toutes nos faiblesses ! Les spécificités françaises sont rarement un plus, souvent un moins !
Je suis tout à fait d'accord avec les questions que vous posez, en particulier en matière d'aide au travail, notre niveau technologique restant modeste, sinon faible. On ne sera jamais compétitif par rapport aux pays à bas coût -Bangladesh, Pakistan, pays d'Afrique du Nord. Il y a une absence de stratégie industrielle totale ! Pourquoi ne pas s'inspirer de ceux qui ont réussi ? Nous, nous n'avons pas réussi. Ce n'est pas un problème de Gauche ou de Droite : on est tous à peu près sur le même concept, et je pense qu'il faut absolument créer une rupture -que Mme Demessine refuse. Les ruptures sont toujours difficiles. Il faut beaucoup de courage. Cela provoque forcément des oppositions, toutes tendances politiques confondues, mais l'on voit que le système ne fonctionne pas. La part de l'industrie dans notre économie est passée de 30 à 17 % en trente ans. Le constat est atterrant !
On a rêvé, à une époque, à une économie sans usine. C'est un délire d'inspecteur des finances, qui ne correspondait pas du tout aux besoins de notre pays ! Je crois qu'il faut être capable de procéder à des révisions ; elles seront forcément difficiles, mais sont absolument vitales !
M. Charles Guené , président. - Au cours de nos auditions, nous avons vu que nous sommes souvent compétitifs en termes de coûts industriels purs. En revanche, on l'est beaucoup moins en matière de compétitivité hors coût et d'innovation. Les services intégrés dans nos industries sont chez nous beaucoup plus chers qu'ailleurs. Il faut dire que nos amis américains ont un avantage énergétique qui les aide beaucoup !
M. Aymeri de Montesquiou . - Leurs coûts énergétiques sont inférieurs aux nôtres de 30 % !
M. Charles Guené , président. - Cela change beaucoup de choses !
M. Serge Dassault . - Tout d'abord, Madame la rapporteure, ai-je bien compris que vous soutenez que 370 milliards d'euros ont été dépensés en faveur de l'emploi ?
Mme Michelle Demessine , rapporteure. - En cumulé, depuis 1993 !
M. Aymeri de Montesquiou . - En vingt ans !
M. Serge Dassault . - Cela représente même plus !
Mme Michelle Demessine , rapporteure. - P our un objectif compris entre 200 000 et 400 000 emplois !
M. Serge Dassault . - Il y en a même pour 30 à 40 milliards d'euros par an, en pure perte ! Les 35 heures payées 39 heures coûtent 21 milliards d'euros par an, et ne servent strictement à rien, car l'Etat doit payer les charges supplémentaires à la place des entreprises. Ce coût vient augmenter le déficit budgétaire !
Si une entreprise est cotée en bourse, c'est qu'elle a du travail et donc du matériel compétitif à vendre. Or, aujourd'hui, en France, on n'est plus compétitif, en particulier parce que nos charges sur les salaires sont deux fois plus élevées qu'ailleurs. Je ne parle pas du niveau de salaires, mais des charges sur les salaires, comme le chômage, ou les retraites, sans compter tout ce qui concerne l'Etat - famille, maladie, formation, toutes choses qui n'ont rien à voir avec l'entreprise - tout cela parce qu'il y a vingt-cinq ou trente ans, quand on a lancé la sécurité sociale, quelqu'un a estimé qu'il suffisait de tout imputer sur les salaires !
Mme Michelle Demessine , rapporteure. - C'était Charles de Gaulle !
M. Aymeri de Montesquiou . - Il y a un peu plus de trente ans de cela !
M. Serge Dassault . - Peu importe !
L'entreprise française paie donc deux fois plus de charges sur les salaires que les autres. Elles paient presque 50 % du salaire net, les charges plus le salaire net doublant ce que l'entreprise paye aux salariés, alors que, dans les autres pays, ce chiffre est de 20 à 25 %.
Nous sommes donc en état de non-compétitivité, ce qui entraîne des délocalisations et des achats à l'étranger. Le meilleur exemple est Renault. On trouve extraordinaire que Renault fabrique en Roumanie des voitures qui « font un tabac » ! Oui, Renault construit des voitures, mais pas en France ! C'est dans son intérêt de fabriquer à l'étranger ! C'est plus facile que de changer les lois en France ! On trouve cela très bien, mais Renault délocalise cependant, et ce ne sont pas les Français qui travaillent !
L'Etat essaye de réduire les charges sur les salaires de 30 ou 40 milliards d'euros. Entre nous, on ne sait pas très bien où il va les prendre ! Il ne suffit pas de dire qu'on va supprimer les charges : encore faut-il que quelqu'un les paye ! Si c'est l'Etat, il faut qu'il emprunte, et on augmente ainsi le déficit budgétaire.
Aujourd'hui, les charges sur les salaires correspondant à la maladie et à la famille représentent environ 140 milliards d'euros. Retirer 20 à 30 milliards d'euros, c'est toujours mieux que rien, mais ce n'est pas ce qui va déclencher de nouvelles embauches ! Les embauches ne viennent que parce qu'on a quelque chose à vendre et qu'on est compétitif ! Or, on ne l'est pas !
Vous dites qu'il faudrait aussi moderniser l'outil de travail. Il y a là un autre problème, celui des impôts ! Aujourd'hui, l'ISF, les impôts sur les plus-values, sur les successions, sur le revenu font fuir ceux qui peuvent investir. Les jeunes estiment qu'ils n'ont plus d'avenir en France : dès qu'ils veulent travailler et gagner de l'argent, on le leur prend ! Ils s'en vont donc. Voilà le problème en France ! Pourquoi perd-on notre outil industriel ? Parce qu'il s'exporte et qu'on n'a plus d'industriels ! Il y en a encore quelques-uns de compétents et il faut les garder, mais on ne peut continuer cette politique de chasse aux riches sous prétexte que ce sont eux qui doivent financer toutes les opérations fiscales ! Il y a plus de pauvre que de riches, et ce sont les pauvres qui paient les impôts ! Les riches n'en payent qu'une petite partie, même si on leur prend tout !
Je crois que cet objectif du Pacte de compétitivité ne va pas faciliter l'embauche dans les entreprises. Ce n'est pas comme cela que les choses se passent sur le terrain. On peut le regretter, mais c'est ainsi. En outre, c'est de l'argent perdu, financé on ne sait comment : ce sont des dépenses nouvelles que l'Etat règle par l'emprunt, comme les 35 heures. Il est facile pour l'Etat d'affirmer qu'il va supprimer les impôts et payer à la place des contribuables. Tout le monde est très content, mais cela rappelle la TVA sociale, acquittée par les consommateurs au lieu de l'être par les entreprises !
M. Charles Guené , président. - Je crois que tu as une proposition à ce sujet, mais on ne l'étudiera pas ici...
M. Serge Dassault . - Je ne la propose d'ailleurs pas aujourd'hui, afin de ne pas mélanger les genres. On en reparlera le 19 juin prochain.
M. Charles Guené , président. - Ce sera une alternative !
M. Yves Daudigny , rapporteur général de la commission des affaires sociales. - Je voudrais, comme l'un de nos collègues avant moi, dire que, dans une économie mondialisée, la course aux bas salaires est une course sans fin, que nous ne pourrons jamais gagner. À une certaine époque, on a connu la concurrence du Japon ; nous subissons maintenant celle de la Chine, mais même les Chinois sont à présent concurrencés par des pays où les salaires sont encore plus bas que chez eux !
Au-delà, il faut prendre conscience des grands bouleversements qui se produisent dans l'économie mondiale. Deux exemples me viennent à l'esprit. Il y a quelques années, lorsqu'on parlait de téléviseurs de qualité, on pensait très souvent à Sony ; aujourd'hui, Samsung va bientôt être le seul fabricant d'écrans de télévision plats dans le monde, et va se lancer dans la fabrication d'électroménagers et autres appareils, constituant ainsi un groupe en situation de monopole, pour un nombre important de produits utilisés couramment par toutes les familles sur tous les continents !
Mon second exemple concerne les réservations hôtelières à travers Internet : le « booking » est en train de bouleverser la façon de travailler des hôteliers français !
Lorsqu'on réduit le périmètre à l'Europe et aux pays voisins ou aux pays de la zone euros, la comparaison est plus riche encore de conclusions. Nous arrivons très souvent et plus facilement à aborder les questions de compétitivité hors coût, par exemple entre Français et Allemands, s'agissant de l'automobile.
On a évoqué la question des 370 milliards d'euros. Ces sommes ont-elles été utiles ? Aujourd'hui, si on supprimait ces aides -les 20 milliards d'euros du plan Fillon, les 20 milliards du Cice, etc.- le choc ne pourrait vraisemblablement pas être supporté par notre économie et les conséquences, en matière d'emplois, seraient désastreuses à court et moyen termes. Le système, à défaut d'être parfait, me paraît donc être au moins indispensable !
Deux questions sont entre autres posées. La première est celle du ciblage et me paraît très pertinente. Y a-t-il une possibilité de cibler ces exonérations, en fonction des activités des entreprises, et en fonction des secteurs ? L'Europe l'autorise-t-elle ? La législation française le permet-elle ? Je n'ai pas tous les éléments de réponse, mais je suis tenté de penser que le ciblage n'est pas simple à mettre en oeuvre, dans le respect des règles nationales et communautaires.
La deuxième question concerne les seuils. Il en existe au moins trois, un seuil à 1,6 Smic, un seuil à 2, 5 Smic et un seuil à 3,5 Smic. Quelle est la pertinence de trois seuils et de leur niveau ?
Une remarque sur le financement de la protection sociale. Mme la rapporteure l'a indiqué : ce n'est pas l'objet du travail de cette mission commune d'information d'imaginer un nouveau mode de financement ! Néanmoins, à chaque fois qu'on allège des cotisations sur le travail, que des exonérations sont compensées par l'Etat et très largement financées par la TVA -j'ai du mal à voir la différence avec la TVA sociale- on remplace du Bismarck par du Beveridge, du financement de prestations sociales sur le travail par du financement sur l'impôt ! Avec toutes ces mesures, notre système reste cependant encore très largement bismarckien, il faut l'avoir en tête, et dans des proportions de 60 ou 70 %. Ce sont donc des corrections, mais qui ne bousculent pas complètement le fondement de notre protection sociale.
Pour conclure, je dirais que cela ne fonctionne pas bien : le taux de chômage est encore élevé dans ce pays, notre compétitivité avec les pays étrangers étant aujourd'hui insuffisante. À mon sens, ce constat ne remet pas en cause l'essentiel des dispositifs qui ont été mis en place, qui le sont actuellement -comme le Cice- ou que vont l'être, à travers les nouvelles mesures d'allégement sur la branche famille ou en matière d'allégements généraux. Le travail qui a été accompli met bien en évidence le fait que, si ces mesures sont indispensables, elles ne sont pas suffisantes.
Chacun a évoqué -peut-être plus pertinemment que je ne pourrais le faire- les autres secteurs, comme celui de la formation, et le besoin d'innovation de nos entreprises. On fait souvent la comparaison avec les PME allemandes qui, lorsqu'elles fabriquent un produit qui connaît un grand succès, sont déjà à la recherche du produit suivant. Il y a, en Allemagne une culture de l'innovation que nous n'avons pas historiquement. C'est ainsi !
La création de filières est souvent évoquée, ainsi que l'existence de grands projets nationaux ; ce fut, à une certaine époque, le TGV, ou de grands projets européens, comme Airbus ou la fusée Ariane.
Les exonérations de charges sont certainement indispensables pour toutes les raisons qui ont été évoquées. Leurs modalités peuvent toujours être étudiées, précisées, interrogées, mais elles ne seront pas suffisantes pour redresser ce pays industriellement si d'autres mesures, peut-être encore plus importantes, ne viennent pas les accompagner !
M. Serge Dassault . - Je voudrais rassurer M. Daudigny : en France aussi, il y a des entreprises qui investissent et qui font de la recherche !
M. Yves Daudigny , rapporteur général de la commission des affaires sociales. - Je le sais bien !
M. Serge Dassault . - Vous sous-entendez que cela n'existe pas en France ! Je vais vous citer deux exemples. Dassault est en train de lancer deux nouveaux Falcon pour être encore plus compétitif -et nous les finançons seuls ! Par ailleurs Dassault Systèmes, qui est une filiale, investit en permanence pour l'avenir et cherche toujours à faire ce qu'il y a de mieux, de façon à être compétitif -et nous ne sommes pas les seuls !
M. Charles Guené , président. - Nous ne disconvenons pas du fait qu'il existe encore des entreprises très performantes en France, mais il est patent que notre outil industriel est vieillissant, et n'a pas toujours fait les efforts qu'il aurait dû faire.
Les spécialistes que nous avons auditionnés -mêmes les spécialistes internationaux- ont très souvent souligné la perte de marges qui existe dans les entreprises françaises, qui les empêche d'investir.
M. Aymeri de Montesquiou . - On a l'un des taux de marges les plus faibles de l'Union européenne, et c'est désastreux pour l'investissement, donc pour le travail !
Mme Michelle Demessine , rapporteure. - Nous avons les plus faibles marges parce que notre économie s'est appauvrie, notre secteur industriel ayant notamment décliné.
Vous ne prenez malheureusement pas en compte le fait que nous avions un des meilleurs taux de productivité jusqu'au début de la crise. C'est pourtant un instrument de mesure. D'ailleurs, un des résultats des 35 heures a été d'améliorer la productivité. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les employeurs n'ont, selon moi, pas réclamé leur suppression ! Elles ont été un facteur important d'augmentation de la productivité.
M. Charles Guené , président. - On ne va pas entamer ce débat ici ! Si l'on veut pouvoir sortir un rapport consensuel, il faut qu'on évite d'entrer dans certains affrontements, dans lesquels on peut facilement tomber.
Je pense souhaitable d'intégrer le plus possible les remarques que l'on a pu faire les uns et les autres ; je crois qu'il nous faudra nécessairement compléter le volet financement, à la suite des auditions qui nous manquent. Michel Sapin pourra nous apporter certains éléments.
M. Aymeri de Montesquiou . - Avec une interrogation : ces aides financières sont-elles efficaces ? A-t-on raison de financer les bas salaires, ce qui empêche d'investir dans la technologie ?
M. Charles Guené , président. - Il faut prendre garde à ne pas sortir de notre sujet. On peut également se demander pourquoi il existe tant d'exonérations de charges dans notre pays
Mme Michelle Demessine , rapporteure. - Je crois que l'on peut globalement se mettre d'accord sur les interrogations que nous portons.
Les choses seront peut-être plus difficiles concernant les propositions. Je sens que l'on diverge un peu sur la manière d'utiliser ces fonds et de les réorienter. J'entends bien qu'il faut faire plus, tout en gardant ce que l'on a. Ceci pose la question des moyens. Accorder 100 milliards d'euros d'aides diverses et variées aux entreprises, et y ajouter une politique de formation pour monter en gamme représente un effort encore plus lourd.
Je demande donc un moment de réflexion sur ce point.
M. Charles Guené , président. - Il me semble que nous nous opposons sur un point : vous partez du principe que les charges que l'on prélève sur les entreprises sont actées. Une autre école consiste à en demander moins aux entreprises et à ne pas redistribuer d'aides. Ceci accentue le financement par l'impôt, ce qui n'est pas forcément ce que vous souhaitez. Je pense que notre problématique est là.
Chacun est favorable à un système plutôt qu'à un autre. Il est toujours tentant, pour un gouvernement, de choisir le court terme au détriment de la compétitivité et du long terme, sachant qu'il n'en recueillera pas forcément les fruits, mais il faut essayer de montrer la diversité des positions.
Mme Michelle Demessine , rapporteure. - On peut partager certains constats !
M. Serge Dassault . - On peut s'accorder sur le fait que cette opération n'apporte pas grand-chose à l'emploi, et que ce n'est pas ce qui va permettre aux entreprises d'embaucher !
M. Charles Guené , président. - Cibler convenablement les salaires permet de mieux travailler la compétitivité. Agir sur des bas salaires n'est pas forcément une bonne solution, même si cela comporte des résultats immédiats.
M. Serge Dassault . - Il faut sortir les charges sur les salaires des dépenses incombant à l'Etat. Ce n'est pas à l'Etat de les payer, ni au contribuable, mais à l'entreprise. C'est ce que je propose, tout en tenant compte du fait que la compétitivité repose sur la recherche et l'innovation.
Tant qu'on n'aura pas admis qu'il faut réduire les impôts non seulement des pauvres, mais surtout des riches, qui conduisent l'économie, investissent et embauchent, on ne progressera pas ! Les Chinois l'ont bien compris : ils sont sortis du Communisme complètement exsangues ; Deng Xiaoping leur a dit : « Enrichissez-vous ! », et ils ont obéi !
M. Charles Guené , président. - Mes chers collègues, je vous remercie. Nous avons pu avoir un échange, qui permettra à Mme la rapporteure de trouver la substantifique moelle de son rapport ou, du moins, d'arrondir certains angles, afin que chacun s'y retrouve !