(Mardi 3 avril 2012)
Audition de M. Cédric Musso, directeur des relations
institutionnelles
de l'UFC-Que Choisir
M. Serge Larcher, président
Nous poursuivons nos auditions sur le thème de la vie chère outre-mer en souhaitant la bienvenue à M. Cédric Musso, directeur des relations institutionnelles de l'UFC-Que Choisir.
M. Cédric Musso, directeur des relations institutionnelles d'UFC-Que Choisir
Créée en 1951, l'UFC-Que Choisir constitue la doyenne des associations de consommateurs en France et en Europe. Il s'agit d'une fédération de 160 associations locales réparties en France hexagonale et dans les outre-mer. Notre présence outre-mer apparaît néanmoins limitée puisque nous ne sommes pas représentés en Guadeloupe, ni en Martinique. À La Réunion, notre association locale dénombre 250 adhérents. En Nouvelle-Calédonie, elle en regroupe 1 000. Au total, l'UFC-Que Choisir rassemble 160 000 adhérents. La revue éditée par l'association compte environ 500 000 abonnés.
L'UFC-Que Choisir s'est bien entendu penchée sur la question de la vie chère outre-mer, en particulier au moment de la crise de 2008-2009. Nous avons d'ailleurs participé à ce titre aux travaux préalables à la loi pour le développement économique des outre-mer (LODEOM) avec le cabinet d'Yves Jégo et à bon nombre de réunions, y compris au Sénat, et demandé, avec succès, l'encadrement des produits de première nécessité.
Les associations locales de l'UFC-Que Choisir assurent deux missions principales. La première concerne le règlement amiable des litiges de consommation. La seconde consiste en un contrôle des marchés à travers un observatoire de la consommation. Dans le cadre de cette seconde activité, nous complétons l'action de la DGCCRF par des « enquêtes mystère » en magasin portant à la fois sur le prix et sur le conseil. Ces enquêtes ne peuvent pas systématiquement être réalisées par nos associations locales en outre-mer, où nous ne disposons pas toujours des mêmes professionnels que dans l'hexagone. Nous sommes d'ailleurs contraints à un traitement spécifique pour les associations ultramarines, y compris pour l'enquête prix en grande distribution, puisque les produits hexagonaux ne se retrouvent pas en outre-mer.
Mme Catherine Procaccia
Pourriez-vous préciser les modalités de création des associations locales en outre-mer ? Se créent-elles spontanément ? Vous indiquez l'absence d'associations locales dans les Antilles...
M. Cédric Musso
Nous recevons un grand nombre de demandes d'affiliation à l'UFC-Que Choisir, y compris en Guadeloupe et en Martinique. La procédure d'affiliation vise à vérifier la représentativité et, surtout, l'indépendance réelle des candidats. Il ne doit exister aucun lien direct ou indirect avec une quelconque autre activité commerciale ou syndicale. À ce jour, nous n'avons pas identifié aux Antilles d'interlocuteur satisfaisant à ces critères pour être affilié à l'UFC-Que Choisir, même si nous avons bon espoir d'y parvenir dans les années qui viennent.
M. Serge Larcher
Qu'en est-il de l'appréciation globale portée par votre fédération sur le niveau des prix ?
M. Cédric Musso
Nous dénonçons régulièrement l'important écart entre les prix relevés dans l'hexagone et ceux relevés en outre-mer. À l'occasion de la dernière enquête prix d'UFC-Que Choisir, réalisée entre le 15 septembre et le 1 er octobre derniers, les prix d'un panier de vingt-huit produits ont été relevés à la fois dans l'hexagone et outre-mer. Il en ressort un écart tarifaire de 67 % entre La Réunion et l'hexagone et de 50 % entre la Nouvelle-Calédonie et l'hexagone. Ce constat est récurrent : en 2008 déjà, les écarts respectifs étaient de 74 % et 58 %. La diminution est légère mais l'on se situe toujours au-delà des deux tiers en ce qui concerne La Réunion.
Mme Catherine Procaccia
De quel type de produits s'agit-il dans ce panier ?
M. Cédric Musso
Il s'agit exclusivement de produits alimentaires.
Mme Catherine Procaccia
Les produits des producteurs locaux sont-ils pris en compte ?
M. Cédric Musso
La mesure est effectuée à produits constants. Le panier comprend vingt-huit produits disponibles à la fois dans l'hexagone et en outre-mer.
L'encadrement des prix des produits de première nécessité a abouti à un triste constat : les produits dont les prix ont été encadrés font rapidement et comme par hasard l'objet d'une rupture de stock. En outre, l'on peut s'étonner qu'il y ait encore une attractivité des produits hexagonaux par rapport aux produits ultramarins. Songeons à l'eau minérale en bouteille dont le prix à La Réunion est de 1,3 euro lorsqu'elle est importée contre 1,49-1,60 euro lorsqu'il s'agit d'une production locale...
M. Michel Vergoz, co-rapporteur
Que pensez-vous de l'affirmation selon laquelle il existe un sentiment de vie chère à La Réunion ou en Nouvelle-Calédonie ? Vous ne pouvez pas contredire les chiffres de l'INSEE ou de la DGCCRF !
M. Cédric Musso
Ce ne serait pas la première fois que les enquêtes de l'UFC-Que Choisir ne corroborent pas l'indice de l'INSEE ou les enquêtes de la DGCCRF ! Nos enquêteurs sont indépendants et formés ; leurs résultats ne sont pas une vue de l'esprit.
M. Michel Vergoz
Vos chiffres sont provocateurs !
M. Cédric Musso
L'Autorité de la concurrence n'a pas hésité à affirmer qu'il existait un écart tarifaire situé entre 43 et 74 %. Les résultats de l'enquête d'UFC-Que Choisir s'inscrivent parfaitement dans cette fourchette officielle.
M. Michel Vergoz
Vous faites se batailler les services de l'État entre eux mais je vous remercie de votre approche critique !
De quoi le panier de votre enquête est-il constitué ? Il ne s'agit bien souvent que de produits issus de la grande distribution.
M. Cédric Musso
Effectivement, ce panier ne comporte que des produits de la grande distribution. La question de l'inclusion du hard discount se pose.
M. Michel Vergoz
Les produits choisis permettent-ils des comparaisons objectives ?
M. Cédric Musso
Oui, les enquêtes se font à produits constants. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle elles ne sont pas contestées.
M. Michel Vergoz
Les habitudes alimentaires ne sont pas les mêmes entre l'hexagone et l'outre-mer. Comment comparez-vous des choses qui ne sont pas comparables ? N'avez-vous pas songé à constituer un panier hexagonal et un panier local ultramarin ?
M. Cédric Musso
Les associations locales disposent sans doute de leurs propres enquêtes. Mais l'enquête prix réalisée en grande distribution ne porte effectivement que sur les seuls produits disponibles à la fois en métropole et en outre-mer.
M. Michel Vergoz
Cette liste n'est pas secrète ?
M. Cédric Musso
Notre protocole est public mais la liste exhaustive des produits ne l'est pas. Nous modifions périodiquement notre panier à la marge pour qu'il soit réellement représentatif car il arrive que nos enquêteurs se fassent démasquer et que la grande distribution prenne connaissance de cette liste. Nous changeons également les dates des enquêtes d'une période à l'autre.
M. Serge Larcher
Pouvez-vous néanmoins nous communiquer la nature des produits ?
M. Cédric Musso
Oui, la nature des produits est connue. Il s'agit des produits de consommation courante (lait, eau minérale, huile, farine, produit vaisselle, etc.).
Mme Catherine Procaccia
Comment votre fédération évalue-t-elle la réalité des prix ?
M. Cédric Musso
L'UFC Que-Choisir considère que l'Autorité de la concurrence est l'institution la plus à même d'évaluer avec précision les écarts tarifaires en raison de son accès privilégié à certains documents. Je pense que la vérité des écarts se situe dans la fourchette définie par cette autorité, soit entre 43 et 74 %.
M. Serge Larcher
Comment la mesure peut-elle être cohérente d'une enquête à l'autre si vous faites évoluer le panier ?
M. Cédric Musso
Le panier évolue à la marge et nous apprécions l'inflation annuelle sur le dénominateur commun des produits constituant le panier.
M. Serge Larcher
Ce que vous avez constaté au sujet de l'eau à La Réunion vaut également pour les Antilles. Le prix de l'eau importée est moins élevée que le prix de l'eau locale.
M. Cédric Musso
À La Réunion se pose également le problème de l'octroi de mer.
En ce qui concerne la grande distribution, nous avons souligné le problème posé par la structure oligopolistique du marché. Notre enquête prix de 2008, qui inclut le hard discount, a démontré la domination de Leader Price, acteur omniprésent à La Réunion et en Nouvelle-Calédonie dans ce domaine. Les dérives tarifaires peuvent s'expliquer par la concurrence défaillante.
M. Michel Vergoz
Leader Price appartenant au groupe Casino, les magasins se font concurrence à eux-mêmes.
M. Cédric Musso
C'est ce que nous dénonçons : il existe une corrélation entre l'intensité concurrentielle et le niveau des prix plus élevé qu'ailleurs. Or, en outre-mer, la concurrence fait clairement défaut, notamment entre les discounters. Il faut donc développer la concurrence dans tous les secteurs. Les décisions de l'Autorité de la concurrence montrent que bon nombre de prix jugés prohibitifs s'expliquent par l'insuffisance concurrentielle. Songeons au secteur aérien où quatre compagnies pétrolières ont été condamnées pour entente dans l'approvisionnement en carburant d'Air France ou encore au secteur des télécommunications où des demandes d'accord ont également abouti à des condamnations de « SFR » qui pratiquait des tarifs différents selon qu'il s'agissait d'appels « off net » ou « on net ». Il faut clairement développer la concurrence si l'on veut combattre la vie chère, en outre-mer peut-être plus qu'ailleurs.
Mme Catherine Procaccia
Quelles sont les raisons avancées par l'UFC-Que Choisir au défaut de concurrence outre-mer ?
M. Serge Larcher
En ce qui concerne la Martinique, il faut garder à l'esprit les raisons historiques. Ceux qui étaient les grands propriétaires terriens se sont convertis dans le transport et le commerce. Ils se partagent aujourd'hui le marché en se mettant d'accord, même s'ils possèdent des enseignes différentes (Carrefour et Casino notamment). L'un d'entre eux assure le rôle de centrale et distribue au même prix que les autres. Ce sont des franchises.
Au-delà de l'histoire, il faut rappeler qu'il est difficile de faire jouer la concurrence sur un petit territoire. C'est pourquoi nous avons demandé depuis longtemps qu'il y ait des prix encadrés, voire administrés, en particulier pour les produits de première nécessité.
M. Abdourahamane Soilihi
C'est la même chose à Mayotte où il n'existe que deux distributeurs qui se partagent le marché.
M. Michel Vergoz
On a beaucoup entendu dire qu'il était difficile d'introduire la concurrence sur un petit territoire. Mais vous dites également qu'il existe des ententes. La société réunionnaise de produits pétroliers (SRPP) a par exemple été condamnée à 20 ou 40 millions d'euros d'amendes en appel. Je pense que l'exiguïté n'est pas la seule cause du défaut de concurrence. Il existe des cas d'ententes manifestes. Le groupe Casino englobe Leader Price. Donc le hard discount qui est censé venir accroître la concurrence ne le fait pas. Il s'approvisionne à la maison mère, dans la même centrale d'achat.
M. Cédric Musso
Je souligne néanmoins que le défaut de concurrence existe également en métropole, où l'Autorité de la concurrence a par exemple dénoncé, dans un avis rendu à la demande de la ville de Paris, la position dominante de Casino dans le commerce de proximité.
Dès la loi LME, nous avions demandé que l'Autorité de la concurrence ait le pouvoir de redistribuer les cartes, comme cela avait été fait pour les autoroutes. Dans les cas problématiques de défaut de concurrence, lorsqu'un groupe possède 80 à 90 % du marché, la cession d'une partie des enseignes devrait pouvoir être imposée.
M. Michel Vergoz
Votre solution ne peut pas être pérenne. À La Réunion, après avoir été racheté par Jacques de Chateauvieux à un groupe très présent sur le continent africain, Score a énormément augmenté ses surfaces de vente, jusqu'à dépasser le plafond autorisé par la loi, de l'ordre de 20 %, avant de retomber dans le giron de Casino. Ne pourrait-on pas songer à une autre solution que l'interdiction pour un même groupe de grande distribution de disposer d'un taux de surface supérieur à un certain pourcentage légal ? Aujourd'hui, dans le cadre du CAC 40, les groupes s'interpénètrent sans que vous le sachiez... En l'espace d'une semaine, Jacques de Chateauvieux a rétrocédé au groupe Casino ses vingt-trois magasins Score...
M. Cédric Musso
L'Autorité de la concurrence ne s'arrête pas au nom des enseignes mais analyse leurs liens capitalistiques pour juger de la position dominante d'un groupe sur le marché. Nous réclamons un renforcement des pouvoirs de l'Autorité de la concurrence afin qu'il y ait une dynamisation de l'intensité concurrentielle, tant en outre-mer que dans l'hexagone. Dans le prolongement de l'avis sur l'intensité concurrentielle de la grande distribution à Paris, l'Autorité de la concurrence sollicitait elle-même des moyens renforcés pour mieux vérifier la relation entre les enseignes présentes et le niveau de prix et pour qu'elle puisse intervenir pour redistribuer les cartes en cas d'abus.
M. Serge Larcher
Quelle est votre position sur les niveaux de vie et de revenu ?
M. Cédric Musso
L'UFC-Que Choisir est très attachée à la problématique du pouvoir d'achat mais sous le seul angle de la décomposition des prix. Étant une association de consommateurs et non un syndicat, nous n'avons pas la légitimité pour prendre position sur la question des revenus.
M. Serge Larcher
Quelle est votre analyse du processus de formation des prix ?
M. Cédric Musso
Dans ce domaine, nous nous posons davantage de questions que nous ne disposons de réponses. Nos associations locales mènent des enquêtes et nous avons donc connaissance des prix finaux payés par les consommateurs. Cependant, à ce stade nous n'avons pas les moyens d'une expertise permettant une analyse des coûts et une identification des véritables dysfonctionnements.
En tout état de cause, nous constatons que l'octroi de mer, qui permet des sur-marges sur la somme finale payée par le consommateur à l'issue de la chaîne de formation des prix, constitue l'une des explications d'ordre structurel apportées à la question de la vie chère.
M. Serge Larcher
Il existe un débat sur la question de la sortie du fret de l'octroi de mer. Avez-vous réfléchi à l'option qui consisterait à tarifer le fret non pas au volume mais par rapport à la valeur ?
M. Cédric Musso
Nous n'avons pas réfléchi à cette question mais pouvons le faire très rapidement.
M. Serge Larcher
Nous avons longuement réfléchi à l'octroi de mer. Il ne constitue pas le seul élément d'explication de la vie chère. Les représentants de la grande distribution que nous avons reçus hier affirmaient que leurs marges étaient, à un point près, les mêmes que dans l'hexagone. Cherchez l'erreur... Chacun donne des chiffres différents !
Le fait pour les outre-mer de s'approvisionner uniquement en métropole et non pas dans leurs zones géographiques respectives n'est-il pas une cause du renchérissement ? Dans les Antilles par exemple, nous pourrions davantage faire appel à la viande de boeuf produite au Brésil à des coûts moindres. Or, cette viande nous arrive après un détour par Marseille où elle est estampillée « CE »... Un problème de normes se pose. La situation apparaît aberrante en Guyane, qui pourrait s'approvisionner en carburant sur le continent américain à moindre coût mais qui est tenue de consommer le carburant en provenance des Antilles puisque ce carburant est aux normes européennes. En Martinique, la petite raffinerie se voit contrainte de s'approvisionner en Brent en Europe du Nord alors que le Venezuela ou Trinidad sont voisins. Cela pose la question de l'intégration des économies insulaires de nos régions respectives dans leurs zones géographiques.
Mme Karine Claireaux
La question est également liée au statut de la collectivité en question. En tant que DOM, la Martinique constitue une région ultrapériphérique (RUP) et est donc tenue aux normes européennes qui sont évidemment contraignantes. La problématique est assez particulière s'agissant de Saint-Pierre-et-Miquelon car le bassin est tellement minuscule que l'on comprend tout de suite pourquoi les écarts de prix sont si élevés avec l'hexagone. En ce qui concerne les carburants, les normes de construction et certaines normes électriques, nous nous sommes rendu compte qu'avoir des produits dont l'origine serait exclusivement européenne ne serait pas supportable. Saint-Pierre-et-Miquelon a un statut de pays et territoire associé, avec les inconvénients que cela représente dans d'autres domaines. L'ouverture sur la région du Canada permet un accès facile aux produits de ce pays. En revanche, l'ouverture sur la zone géographique voisine ne permet pas de bénéficier de prix plus abordables. Il est vrai que nous ne nous situons pas dans la même zone de développement que les autres territoires ultra-marins, le Canada pratiquant déjà des prix assez élevés.
Mme Catherine Procaccia
J'ai pu constater qu'à l'inverse de ce que l'on observe pour la Nouvelle-Calédonie, les prix australiens sont identiques sur les îles et le continent alors que la distance entre ces îles et l'Australie continentale est équivalente, voire supérieure, à celle entre l'Australie et la Nouvelle-Calédonie. Celle-ci importe de la viande en provenance du Vanuatu. Il doit y avoir quelque chose de spécifique au système français.
M. Michel Vergoz
Vous affirmez que l'octroi de mer peut servir à masquer des sur-marges.
Quel regard portez-vous sur les pouvoirs publics en outre-mer ? Certains disent que l'État est en villégiature, d'autres que sa performance est élevée... Quelles sont les critiques que vous pourriez formuler ?
M. Cédric Musso
À La Réunion, l'effectivité du contrôle des marchés doit être saluée. Sur les produits de marque distributeur ou les produits hard discount, l'évolution des prix n'est pas aussi importante que l'évolution des prix de marque nationale, notamment en raison de la loi de 2009 et de ses suites.
En revanche, la logique de prix encadrés apparaît parfois contre-productive dès lors qu'un encadrement ou un plafonnement en l'absence de concurrence se fait au détriment du consommateur, tous les opérateurs s'alignant sur le montant du plafond. Dans le secteur bancaire par exemple, il a été question de plafonner le montant des frais d'incident de paiement, ce qui a eu pour conséquence que tous les établissements s'alignent sur le montant du plafond décrété. Dans les situations de défaut de concurrence, l'encadrement des prix cautionne donc plutôt les prix élevés. Dans ces conditions, il faudrait une inflation de décrets plafonnant les prix pour permettre une véritable baisse des prix.
M. Michel Vergoz
Que pouvons-nous faire pour attirer les concurrents ?
M. Cédric Musso
Il faut regarder, pour une zone de chalandise donnée, quelle est la position d'un groupe et, si un groupe est en position dominante, prévoir la cession d'une ou de plusieurs de ses surfaces à un concurrent.
M. Michel Vergoz
C'est un rêve éveillé ! Entre 1996 et 2006, l'on stérilisait les terres pour permettre l'installation de la grande distribution.
M. Cédric Musso
Je ne dis pas qu'il faut construire plus.
M. Michel Vergoz
Que pensez-vous du double affichage des prix ?
M. Cédric Musso
Encore faudrait-il qu'il soit lisible et valoriser l'information pertinente, c'est-à-dire le prix au kilo. Les normes européennes sur le conditionnement ne jouent guère en faveur de cette meilleure lisibilité. Nous allons lancer une enquête sur ce problème de lisibilité et de double affichage.
M. Michel Vergoz
Quelles seraient, selon vous, les mesures déterminantes à prendre pour remédier au problème de la vie chère ? Il est clair pour vous que la vie chère n'est pas qu'une impression ?
M. Cédric Musso
Elle ne correspond pas qu'à une impression. Le manque d'intensité concurrentielle ne concerne pas que la grande distribution. La mesure phare est la surveillance des marchés et la concurrence, et donc le renforcement des pouvoirs de l'Autorité de la concurrence pour garantir que la concurrence soit libre et non faussée.
M. Michel Vergoz
Et si la concurrence n'est pas une mesure efficace ?
M. Cédric Musso
Il est alors possible de recourir à des mesures que nous avons soutenues mais qui ne sont pas des réponses structurelles au problème de la vie chère : l'encadrement des prix, un pis-aller.
Mme Catherine Procaccia
Que manque-t-il à l'Autorité de la concurrence ?
M. Cédric Musso
Des moyens législatifs et réglementaires pour accroître ses pouvoirs, notamment d'injonction. La loi LME n'a pas permis d'avancer sur ce point, malgré les demandes de l'Autorité de la concurrence elle-même. Les élus locaux devraient pouvoir la saisir en cas de projet d'implantation d'une grande surface sur leur territoire. Je rappelle que six groupes se partagent actuellement 90 % du marché des produits alimentaires.
Mme Karine Claireaux
Nous savons que certaines grandes enseignes se retirent de certaines zones, y compris en France hexagonale, parce qu'elles considèrent qu'elles ne sont pas rentables dans les endroits où elles se sont installées. Comment imaginer dans ces conditions que l'on puisse appeler à davantage de concurrence outre-mer où les bassins de population demeurent somme toute restreints ?
M. Cédric Musso
La réalité économique évolue très rapidement, y compris dans l'hexagone. Il y a cinq ou six ans, on nous demandait de nous émouvoir de la disparition du commerce de proximité. Aujourd'hui, on nous invite à nous intéresser à la nouvelle tendance que représentent le retour du commerce de proximité et la mort des hypermarchés. Étant d'un naturel optimiste, nous pensons qu'en éradiquant les maux que sont les positions dominantes et abus liés aux structurations oligopolistiques, nous pourrons enfin faire jouer la concurrence là où elle n'existe pas.
M. Éric Doligé
Pensez-vous qu'en matière de concurrence la volonté de l'administration soit différente en outre-mer qu'en métropole ? On le voit en matière de contrôles fiscaux par exemple, où certains systèmes appliqués dans l'hexagone ne le sont pas en outre-mer.
M. Cédric Musso
Nous observons des différences de situation économique mais ne constatons pas de différences en matière d'application des lois, de contrôles et de sanctions. L'activité abondante de l'Autorité de la concurrence outre-mer, secteur par secteur, permet d'assainir la situation. Le renforcement de ses pouvoirs permettrait de combattre encore davantage les maux de la vie chère, comme dans le domaine des télécommunications par exemple. À ce jour, l'on a surtout invoqué l'insularité et le problème du transport alors qu'il faudrait surtout combattre le défaut de concurrence.
M. Éric Doligé
Si les conditions de concurrence ne sont pas réunies, les marges sont plus fortes. Or, selon les dires des grands distributeurs, leurs marges ne sont pas supérieures outre-mer. Existe-t-il des endroits de perte de marges dans la chaîne de formation des prix ?
M. Cédric Musso
Le même discours nous a été tenu lorsque nous dénoncions l'effet cliquet dans le cadre de la variation des prix agricoles. Quand ces derniers baissaient, les prix en rayon ne baissaient pas et vice-versa. La création d'un observatoire des prix et des marges a permis de dénoncer les marges indues. Il est en effet aisé de masquer des marges indues par un artifice économique consistant à les faire transiter par des filiales ou autres prestataires. L'observatoire qui a été créé a pu mettre à jour ce phénomène pour les produits alimentaires.
M. Michel Vergoz
Le prix des carburants est administré depuis 1988, le dernier décret intervenu en la matière remontant à 2008. Tous les acteurs affirment que le secteur de l'énergie fait l'objet d'une situation monopolistique avérée. Comment expliquer, selon vous, cet état de fait qui perdure ? Avez-vous déjà eu entre les mains, à La Réunion, la convention du 7 mars 1997 signée entre la chambre de commerce et d'industrie de La Réunion (CCIR) et la société réunionnaise de produits pétroliers (SRPP) ? Quatre avenants ont été apportés à cette convention. Or, jamais au cours des douze dernières années quiconque n'a examiné ce texte. Comment pouvons-nous parler du problème des carburants à La Réunion sans avoir analysé ce document ?
M. Cédric Musso
Je n'ai pas connaissance de ce texte. J'en note les références.
M. Serge Larcher
Le problème se pose également en Martinique et plus généralement dans les Antilles.
Je tenais à rappeler que sur les petits territoires la concurrence constitue une vertu importante mais insuffisante car il faut également combattre les ententes. Avoir des prix administrés ne constitue peut-être pas la situation idéale mais ne s'oppose pas à la présence de plusieurs marques pour un produit de même nature. Quant à la Martinique, les associations de consommateurs qui avaient constaté que certains produits BCBA avaient disparu ont réussi à les faire revenir en exerçant une pression importante. L'administration des prix peut donc être une réponse de court terme, notamment pour les produits de première nécessité. Je remercie Cédric Musso de sa participation.
Audition de Mme Anne Bolliet, inspectrice générale des finances
M. Serge Larcher, président
Nous accueillons désormais Anne Bolliet, inspectrice générale des finances, dont je rappelle qu'elle avait déjà été auditionnée lors de nos travaux, en 2009, notamment sur la question du prix des carburants.
M. Éric Doligé
Je suis ravi que nous puissions échanger avec Anne Bolliet, qui pourra peut-être nous apporter son éclairage sur la composition et le mode de formation des prix en outre-mer.
Mme Anne Bolliet, inspectrice générale des finances
Je n'ai pas la prétention de faire la synthèse de toutes les évaluations et études déjà effectuées dans le domaine de la vie chère en outre-mer. Je n'ai évidemment pas de solution miracle à apporter et je ne pense pas qu'il en existe. Dans le cadre des audits et missions de l'IGF, de nombreux secteurs concernant l'outre-mer ont été examinés : le carburant, le logement, le prix des liaisons aériennes, etc. mais je note que l'Inspection générale des finances (IGF) n'a jamais été saisie d'une mission spécifique sur la formation des prix.
Des approches, certes pragmatiques, sont possibles. Ainsi, dans le cadre d'une mission de l'IGF qui a porté sur la TVA dite « non perçue récupérable » (NPR), nous avions pu procéder avec les directions des douanes et de la concurrence, à des relevés de prix permettant de comparer les prix à l'importation et avec les prix de vente au consommateur final. L'échantillon n'était peut-être pas totalement représentatif mais nous avions constaté que les marges des entreprises distributrices, sur un certain nombre de produits, étaient importantes.
Lors de la mise en place de cette TVA, dans les années 1950, de nombreuses exonérations avaient été décidées avec pour objectif d'en faire bénéficier le consommateur final. Pour permettre la répercussion de cette exonération sur le consommateur final, les intervenants dans la chaîne de fabrication et de commercialisation étaient autorisés à déduire la TVA qu'il n'avait pas acquittée, ce qui équivalait en réalité à une subvention de l'ordre du taux de la TVA (soit 8,5 % actuellement sauf en Guyane). Mais ce dispositif s'est peu à peu transformé au point qu'il a été perçu par les entreprises comme une subvention à l'entreprise. Je vous renvoie sur ce point au rapport que l'IGF a réalisé.
L'Autorité de la concurrence a formulé, depuis, des avis très documentés sur la formation des prix en outre-mer.
M. Éric Doligé, co-rapporteur
En dépit des crises successives liées à la vie chère, on s'aperçoit qu'aucun document n'analyse la décomposition du prix par types de produits. On se heurte à la disparité des études effectuées et à l'absence de référentiel en la matière.
M. Michel Vergoz, co-rapporteur
S'agissant des carburants, je m'étonne qu'une entreprise privée, la SRPP, qui a un accord de distribution avec l'État, en charge de l'administration du prix, puisse refuser de communiquer au préfet sa comptabilité analytique, qui seule permettrait de porter un jugement sur les marges réalisées.
Mme Anne Bolliet
Dans les DOM, l'État administre le prix des carburants, mais pas l'ensemble de la filière pétrolière, et notamment pas le prix d'approvisionnement ni les taxes qui sont appliquées aux prix de bases. Avec la Diecct, l'État dispose d'agents à même d'étudier la formation des prix. Cette direction dispose de l'ensemble des informations nécessaires, en discute avec les entreprises pétrolières, même si l'ensemble de ces informations ne sont pas rendues publiques du fait du secret des affaires.
Les observatoires des prix, quant à eux, n'ont pas les pouvoirs de l'Autorité de la concurrence, donc rien n'oblige Total, par exemple, à leur transmettre des informations relevant du secret des affaires. Les entreprises n'ont pas non plus pour obligation de publier leur comptabilité analytique. Quand nous avons fait notre mission sur les carburants, nous avons obtenu toutes les informations de la SARA mais nous ne pouvions pas toutes les rendre publiques.
M. Michel Vergoz
L'État joue un rôle central dans le secteur des carburants et nous avons le sentiment qu'il se défausse de sa responsabilité et que les parlementaires sont démunis. La transparence est absolument nécessaire. Il en va de la crédibilité du rôle joué par l'État !
M. Éric Doligé
Nous avons besoin de savoir comment sont formés les prix. Est-ce qu'on a les moyens de les décomposer ? Comment débusquer le poids des marges dans le surcoût des produits en outre-mer ?
Mme Anne Bolliet
On peut toujours faire des enquêtes, comme celles de l'IGF ou via les commissions des finances, en comparant le prix à l'entrée et le prix de vente au consommateur. L'Autorité de la concurrence a, pour sa part, le pouvoir d'investiguer même si elle est tenue au respect du secret des affaires dans ses rapports publics. Il faudra sans doute aller plus loin que la création ou le renforcement d'observatoires des prix ou d'un nouveau panier de la ménagère et utiliser les outils dont dispose déjà l'Autorité de la concurrence.
S'agissant du transport aérien, par exemple, rien n'imposait à Air France de divulguer le niveau de sa marge sur un Paris-Cayenne ou sur un Paris-Papeete. Mais cela n'interdit pas de progresser dans l'approche des marges des entreprises.
Il y a une mesure des États généraux de l'outre-mer, reprise dans les décisions du Conseil interministériel de l'outre-mer (CIOM), qui n'a pas été mise en oeuvre. C'est la proposition de l'atelier n° 1 de mutualiser la logistique pour l'approvisionnement en outre-mer. Il me semble que c'est une des propositions la mieux à même d'agir sur le montant des marges. Pour les carburants, c'est un peu différent. La question se pose davantage en termes de régulation d'un marché étroit, sur lequel il serait très couteux de pénétrer par de nouveaux investissements, plus que de concurrence. C'est le cas notamment des installations de stockage.
M. Michel Vergoz
Vous dites que les marchés sont trop étroits mais l'exemple de l'île Maurice, d'aussi petite taille, où l'essence est moins chère, montre que ce n'est pas une fatalité !
Mme Anne Bolliet
Mais les normes européennes ne s'appliquent pas à l'île Maurice ! Ça change tout ! C'est un super tanker, bien plus gros que le navire qui ravitaille La Réunion, qui dessert l'île Maurice, Madagascar et les Comores. Cela réduit le coût du fret et le coût unitaire par litre de carburant par rapport à l'approvisionnement de La Réunion en provenance de Singapour...
M. Michel Vergoz
S'agissant des normes européennes, le problème du prix des carburants se posait déjà dans les années 90, alors que les normes européennes n'existaient pas encore. L'État décide de tout dans cette matière, par l'intermédiaire du préfet. Tout est dans la convention passée entre l'État, la Chambre de commerce et la SRPP. L'État a signé un avenant à cette convention en 2008 pour la prolonger jusqu'en 2030 alors qu'elle devait s'achever en 2015 et ce, en pleine crise du prix du carburant à La Réunion ! On est en train de jouer avec le feu !
M. Serge Larcher
Tant que nous ne disposons pas de la décomposition exacte des prix, on ne peut les faire baisser. Je peux prendre l'exemple de la viande de boeuf, qui pourrait venir, à moindre frais, du Brésil si les départements français d'Amérique étaient mieux intégrés à leur zone géographique.
M. Claude Domeizel
Quels remèdes doivent être administrés pour corriger les dérives ? Existent-ils ?
Mme Anne Bolliet
Ce que je pourrais préconiser n'engage que moi. Certains économistes, qui travaillent sur le fonctionnement des petites économies insulaires, considèrent que le niveau des salaires se répercute sur le niveau des prix. Ils mettent ainsi en évidence le poids des surrémunérations : les distributeurs s'aligneraient en préférant vendre avec des marges élevées à un petit nombre de consommateurs ayant un fort pouvoir d'achat plutôt que de réduire leurs marges unitaires pour toucher une population plus nombreuse mais moins aisée qui consomme moins. Je vais vous communiquer les références utiles, celles d'un économiste, B. Poirine, ou d'un récent rapport du Sénat.
Les études de l'INSEE parues à l'été 2010 montrent que le plus fort écart de prix avec la métropole porte sur les produits alimentaires. Cela accrédite l'idée que ce sont les consommateurs avec les revenus les plus élevés qui tirent les prix vers le haut.
On peut administrer le prix d'un grand nombre de produits, comme c'est fait en Polynésie française par exemple par cette collectivité (compétence locale). Cela débouche d'une certaine manière sur une dualité de marchés de consommation : le premier, celui des produits de première nécessité pour les populations dont le pouvoir d'achat est faible, et le second, destiné aux personnes ayant un pouvoir d'achat plus élevé, avec des prix plus élevés.
Mme Karine Claireaux
En effet, certaines contraintes spécifiques à l'outre-mer pèsent nécessairement sur le niveau des prix. L'entreposage, par exemple, coûte cher. En revanche, les coûts du fret et les droits de douane sont largement une légende. Il me semble qu'on bute sur la vérité et qu'on ne va pas au fond des choses sur chaque élément constituant le prix.
Mme Anne Bolliet
L'entreposage est effectivement beaucoup plus important en outre-mer qu'en métropole. Souvent, les distributeurs indiquent avoir besoin de constituer un mois de stocks pour des raisons d'éloignement notamment. De tels stocks sont aujourd'hui atypiques, ce qui est très onéreux.
Mme Karine Claireaux
Il y a parfois des aberrations : les fournisseurs canadiens, situés juste à côté de Saint-Pierre-et-Miquelon, refusent de nous fournir et nous disent de le faire en métropole car nous sommes Français ! Et, en métropole, on nous fournit mais à des tarifs internationaux donc plus chers !
Mme Anne Bolliet
C'est un des problèmes identifiés lors des États généraux de l'outre-mer. Les produits de marque organisent leurs circuits commerciaux sans tenir compte de l'outre-mer. Par ailleurs, une entreprise installée au Brésil aura des difficultés pour vendre, par exemple, en Guyane. Il faudra donc aller chercher le produit en métropole. Ainsi, par exemple, j'avais noté dans une mission (un peu ancienne certes) que toute l'eau minérale de Saint-Pierre-et-Miquelon provenait d'un commerçant installé en Poitou-Charentes et était transportée, dans des bouteilles de verre, sur des milliers de kilomètres !
Mme Karine Claireaux
Maintenant, nous avons des bouteilles en plastique. En revanche, le prix du fret est devenu plus élevé que celui de la marchandise...
M. Serge Larcher
Vous avez identifié le problème des rémunérations plus élevées, mais ce constat, vrai dans le secteur public, ne l'est pas dans le secteur privé.
Mme Anne Bolliet
Je pense que l'essentiel du travail à faire porte sur les circuits de distribution. Il faudrait développer les relations commerciales entre chaque territoire d'outre-mer et sa zone géographique. Cependant, une telle évolution - souvent souhaitée par les responsables d'outre-mer - peut buter sur l'existence de normes, notamment européennes, et la nécessité de prévoir, par exemple, des notices en français sur les produits. Toutes ces normes de commercialisation pérennisent aujourd'hui les courants d'affaires anciennement installés et rendent plus difficile l'émergence d'une concurrence.
M. Serge Larcher
Je pensais justement que les traités européens autorisaient des dérogations pour les DOM.
Mme Anne Bolliet
Ce sujet est d'une grande importance. C'est l'application de la réglementation européenne sur les carburants qui, en 2008, à l'issue d'un contentieux initié par des concessionnaires automobiles, a posé problème en Guyane et a été un des éléments à l'origine du conflit social.
Audition de Mme Virginie Beaumeunier, rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence, et de MM. Etienne Pfister, rapporteur général adjoint, et Jérôme Vidal, conseiller
M. Serge Larcher, président
Nous poursuivons nos travaux sur la vie chère outre-mer. Nous accueillons Mme Virginie Beaumeunier, rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence, ainsi que MM. Étienne Pfister, rapporteur général adjoint, et Jérôme Vidal, conseiller.
M. Éric Doligé, rapporteur
Nous nous posons de nombreuses questions sur la vie chère outre-mer. Nous avons des difficultés à cerner le problème car les réponses qui nous sont fournies sont contradictoires. Nous espérons donc beaucoup de cette audition, de nombreuses personnes ayant parlé devant nous de l'Autorité de la concurrence comme d'une institution allant particulièrement loin dans ses réflexions en matière de prix.
Au coeur de la problématique de la vie chère, il y a bien entendu celle des prix avec ses deux aspects, celui de leur niveau et celui de leur constitution. Or, nous éprouvons des difficultés à nous faire une idée précise des mécanismes de constitution des prix : les différentes composantes sont connues, mais il semble difficile de déterminer la part de chacune d'entre elles. Par ailleurs, la situation ne semble pas identique d'un produit à l'autre et d'un territoire à l'autre. Globalement, on constate que les prix sont plus élevés outre-mer, avec probablement des raisons objectives, mais nous pensons qu'il existe certainement des possibilités d'action afin de réduire certaines composantes de ces prix.
Est-ce que les moyens de l'Autorité de la concurrence sont importants outre-mer et peuvent participer à cette connaissance du niveau et de la composition des prix ? L'activité récente de l'Autorité lui a-t-elle permis de tirer certaines conclusions sur la composition des prix ? Les événements récurrents dans les outre-mer concernant la vie chère vous ont conduit à effectuer des analyses et à formuler des propositions depuis 2009 : ces dernières ont-elles été suivies d'effets ?
Mme Virginie Beaumeunier, rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence
L'Autorité de la concurrence s'est beaucoup intéressée à l'outre-mer au cours des trois dernières années. Elle n'est pas présente en tant que telle en outre-mer, mais, compte tenu de l'importance de nos investigations sur ces territoires, nous avons désigné un « correspondant » qui coordonne les interventions de l'Autorité outre-mer.
Pour travailler outre-mer, l'Autorité s'appuie sur les services déconcentrés de l'État, à savoir les directions des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIECCTE) : d'une part, elles nous transmettent les informations portant sur d'éventuelles pratiques anticoncurrentielles et, d'autre part, l'Autorité sollicite leur concours et leur connaissance du terrain à l'occasion d'enquêtes. Nous nous appuyons en ce moment sur les DIECCTE dans le cadre d'une enquête sur la réparation automobile et le prix des pièces détachées, portant sur l'ensemble du territoire national mais avec un focus spécifique sur les DOM.
Quelques chiffres sur notre activité portant sur l'outre-mer :
- 9 décisions contentieuses depuis 2008, concernant directement l'outre-mer ;
- 5 décisions en matière de concentration, concernant uniquement des entreprises situées outre-mer ou des opérations dont l'impact comportait une dimension ultramarine forte. Dans ces cinq cas, l'Autorité a demandé des engagements visant à améliorer la concurrence alors que la proportion de décisions en matière de concentration assorties d'engagements s'établit généralement à 5 %. Ces opérations concernent la grande distribution, à l'exemple de la reprise de magasins Cora par le groupe Bernard Hayot, ou le secteur du rhum, avec le rachat de Quartier Français Spiritueux par la COFFEP ;
- 6 avis concernant l'outre-mer, auquel j'ajoute donc le « focus outre-mer » dans le cadre de notre avis sur la réparation automobile, qui sera rendu la semaine prochaine ;
- 9 dossiers concernant l'outre-mer sont en cours d'instruction, à la suite à des saisines issues de plaintes ou d'auto-saisines, à la suite d'investigations consécutives à des avis rendus.
L'Autorité de la concurrence a plus particulièrement travaillé sur deux secteurs très sensibles outre-mer : la grande distribution et les carburants. Je précise, en réponse à vos préoccupations portant sur la décomposition des prix, qu'il ne s'agit pas de notre métier premier. Nous sommes amenés à travailler sur la structuration des prix à l'occasion de dossiers contentieux et nous l'avons fait également à la demande du Gouvernement en 2009. Cependant nous ne pouvons pas nous substituer aux organismes présents sur place, tels que l'INSEE ou les observatoires des prix et des revenus.
M. Étienne Pfister, rapporteur général adjoint de l'Autorité de la concurrence
L'Autorité de la concurrence s'est donc intéressée en 2009, à la demande du Gouvernement, aux secteurs des carburants et de la grande distribution. Elle a rendu deux avis portant sur le fonctionnement de ces secteurs dans les DOM.
S'agissant des carburants, il s'agit d'un marché très particulier : on a en amont ce qui peut être assimilé à des monopoles naturels, en matière de fret, de stockage, de distribution et de raffinerie. Selon le territoire, le monopole naturel s'étend sur l'ensemble de la chaîne ou seulement sur une partie. Le Gouvernement a mis en place une régulation afin d'éviter que ces monopoles ne conduisent à des sur-marges. L'Autorité a cependant relevé une dérive des marges réalisées en amont, non justifiées par le coût d'approvisionnement. Elle a donc recommandé de modifier le mode de régulation des prix amont, en les basant non plus sur une formule communiquée au préfet par les groupes pétroliers mais sur les indices d'approvisionnement locaux, ceci afin que le prix soit plus proche des conditions réelles d'approvisionnement. Le Gouvernement a pris en 2009 et 2010 des décrets qui suivent les grandes lignes de cette recommandation.
Un monopole naturel existant en matière de stockage, il convient de surveiller les modalités d'accès des distributeurs de détail aux capacités de stockage. L'Autorité a donc recommandé une filialisation de l'activité de stockage afin que la concurrence entre distributeurs repose uniquement sur les mérites, et non pas sur le fait qu'un groupe est actionnaire d'une société de stockage. Cependant, le contexte n'a pas permis une évolution de ce type : à La Réunion, l'un des actionnaires de la société réunionnaise de produits pétroliers (SRPP) souhaite se retirer de la zone Afrique ; aux Antilles, la société anonyme de raffinerie des Antilles (SARA) connaît des difficultés.
S'agissant de l'aval, c'est-à-dire de la distribution, l'État a tenté de réguler les prix en fixant des prix maximum de détail ; mais ceux-ci sont rapidement devenus des prix de référence partout semblables, que la station-service soit implantée dans une zone de forte chalandise ou soit isolée avec des coûts fixes élevés. Mais, politiquement, il est délicat de revenir sur ce mode de régulation par le prix maximum.
L'Autorité de la concurrence a enfin observé qu'existent beaucoup d'opérateurs indépendants dans ce secteur, qui sont en réalité étroitement liés aux groupes pétroliers, ce qui fige la situation de la concurrence. Elle a donc recommandé que ces relations soient assouplies : les groupes pétroliers ont fait des progrès significatifs, en raccourcissant la durée des contrats ou en supprimant les clauses de préférence lors de la revente des stations-services.
Globalement, il y a donc eu des progrès en matière de régulation : en amont, elle est plus objective, en étant basée sur les prix d'approvisionnement ; en matière de distribution, les contrats sont plus souples, permettant aux stations de changer de groupe d'affiliation, et donc de faire jouer la concurrence entre ces groupes.
Deuxième secteur pour lequel l'avis de l'Autorité de la concurrence a été sollicité : l'importation et la distribution des produits de grande consommation, en particulier alimentaires. Une des premières missions de l'Autorité a été d'analyser si le niveau plus élevé des prix constaté outre-mer était dû aux frais d'approche (fret et octroi de mer notamment) ou s'il dérivait de comportements de sur-marges, dus à une structure concurrentielle insuffisante.
Il existe bien des raisons objectives à ce niveau élevé des prix : le fret, l'octroi de mer, ainsi qu'un circuit d'approvisionnement spécifique. En métropole, les fabricants vendent directement au distributeur ; un acteur supplémentaire intervient outre-mer : le grossiste-importateur qui mutualise les achats avant de vendre au distributeur. Au-delà de ces facteurs objectifs, l'Autorité de la Concurrence a conclu à l'existence de comportements de surprix qui demeurent difficiles à localiser. Plusieurs exemples illustrent l'existence de ces comportements :
- en considérant des produits parfaitement comparables, comme un produit de marque nationale et un produit de marque de distributeur, on constate que, alors que ces deux types de produits devraient avoir le même surprix, puisqu'ils subissent les mêmes contraintes, le différentiel de prix est beaucoup plus élevé pour les produits de marque nationale que pour les produits de marque de distributeur ;
- pour certains produits, on a pu mesurer objectivement les frais de transport et les frais d'octroi de mer. Pour la plupart de ces produits, ces frais ne couvrent pas la totalité du différentiel de prix par rapport au prix métropolitain ;
- la Guadeloupe et la Martinique ont le plus souvent des frais d'approche similaires. Or on constate des différentiels de prix entre ces deux territoires.
Une des explications de ce surprix est la concentration au stade du détail : globalement, dans les DOM, les quatre premiers opérateurs concentrent entre 60 et 70 % des parts de marchés. Une autre explication est l'existence du grossiste-importateur : il est difficile de déterminer s'il réalise des marges indues. Ses marges paraissent plus élevées que celles réalisées par les grossistes en métropole, mais son travail n'est pas totalement identique. L'Autorité a cependant observé que ces grossistes disposent d'exclusivités sur certains produits, ce qui limite les marges de manoeuvre des distributeurs alors contraints de s'adresser à eux ou directement au fabricant. Mais dans ce dernier cas, le distributeur-importateur sera confronté à des délais de livraison plus importants et ne pourra bénéficier ni d'économies d'échelle sur les frais de transport ni de tarifs préférentiels tels ceux consentis aux grossistes.
L'Autorité de la concurrence a formulé plusieurs recommandations : tout d'abord réduire le degré de concentration au stade du détail, ou du moins faire en sorte qu'il soit stabilisé, ceci notamment par un abaissement du seuil de notification. En métropole, pour qu'un magasin racheté fasse l'objet d'une notification auprès de l'Autorité de la concurrence, cette dernière examinant si le rachat conduit à une réduction de la concurrence, le chiffre d'affaires du magasin doit être supérieur à 15 millions d'euros. En outre-mer, ce seuil est trop élevé par rapport au chiffre d'affaires réalisé par de nombreux magasins. Afin de disposer d'un réglage plus fin, l'Autorité a donc recommandé que le seuil de notification soit abaissé de moitié, pour s'établir à 7,5 millions d'euros, ce qui a été pris en compte par le Gouvernement.
Grâce à cette modification, de nombreuses opérations de rachat sont désormais notifiées à l'Autorité. Cela nous permet de vérifier que la concurrence n'est pas diminuée par le rachat, mais aussi d'étudier, à l'occasion de telles opérations, le fonctionnement du secteur concerné et, le cas échéant, de demander des engagements. Ainsi, dans le cadre du rachat d'un hypermarché Cora par le groupe Bernard Hayot, l'Autorité a constaté l'existence de relations d'exclusivité entre le groupe et certains fabricants, ainsi que le rôle de grossiste joué par le groupe Bernard Hayot pour ses magasins ainsi que pour ceux de ses concurrents. L'Autorité a donc demandé et obtenu la fin de l'exclusivité de fait et l'instauration de modalités de vente par le groupe à ses propres magasins qui ne constituent plus un avantage par rapport aux autres magasins.
Comme dans le secteur des carburants, l'Autorité de la concurrence a négocié, à l'occasion de son avis, des engagements informels. En Guadeloupe ainsi, où il n'existe que quatre hypermarchés, l'un d'entre eux était détenu conjointement par les deux principaux groupes de distribution, à savoir les groupes Huyghues Despointes et Bernard Hayot. Elle a obtenu le décroisement de l'actionnariat afin que cet hypermarché soit un réel facteur de concurrence entre les deux groupes.
Au-delà de la grande distribution et des carburants, l'action de l'Autorité de la concurrence a porté également sur le domaine des télécommunications, dans lequel elle a rendu quatre décisions au cours de la seule année 2009. Les prix des télécommunications étaient en effet très supérieurs outre-mer et l'action de l'Autorité a contribué à rendre ce secteur, caractérisé par l'existence d'un acteur en position dominante, plus concurrentiel.
M. Éric Doligé, rapporteur
Plusieurs questions : les prix ont-ils baissé dans les secteurs des télécommunications ou de la grande distribution à la suite de l'intervention de l'Autorité de la concurrence ? Des marges indues existent certainement outre-mer : mais une marge indue est-elle illégale ? Certaines marges ne sont-elles pas liées à l'organisation du marché ?
M. Étienne Pfister
Les abus constatés dans le secteur des télécommunications ne consistaient pas en des prix excessivement élevés, mais en des abus structurels visant à empêcher le développement des concurrents. Ces obstacles ont été levés et les concurrents peuvent se développer plus facilement. Un certain temps sera nécessaire avant de percevoir un impact sur les prix pour les consommateurs.
Il est en effet complexe de déterminer le caractère indu d'une marge, car une marge correspond à un certain travail, à un investissement et à un risque, paramètres difficiles à quantifier. Comme je l'ai indiqué, il est ainsi délicat de comparer les marges des grossistes métropolitains et celle des grossistes-importateurs outre-mer, qui ne font pas exactement le même métier.
Il faut se garder de toute tentative de régulation excessive des prix dont les conséquences peuvent être difficiles à prévoir. En revanche, il est important d'observer les phénomènes des prix et s'interroger : pourquoi, par exemple, l'importation en direct n'est-elle pas plus fréquente ? On s'est également aperçu qu'un même grossiste pouvait détenir plusieurs produits concurrents : lorsqu'il les revend, il n'a pas intérêt à les mettre en concurrence. Les observatoires des prix et des revenus peuvent jouer un rôle en matière de surveillance : face à ce type de phénomènes, ils pourront alerter les services d'enquête locaux, qui, le cas échéant, saisiront l'Autorité de la concurrence.
Mme Virginie Beaumeunier
Le rôle de l'Autorité de la concurrence est de vérifier qu'il existe une pression concurrentielle suffisante pour que les marges ne deviennent pas excessives. Il s'agit donc d'agir sur les structures et les comportements en escomptant que cette action aura un effet sur les prix à terme.
Cette action sur les structures n'a qu'un caractère préventif et l'Autorité ne peut corriger les phénomènes antérieurs à l'opération de rachat ou de fusion : elle intervient pour éviter une concentration aggravée mais pas sur la situation préexistante. Dans un avis portant sur la ville de Paris, l'Autorité a préconisé, pour le secteur de la distribution et dans les cas où la concentration est trop forte, de disposer d'un pouvoir d'injonction structurelle lui permettant de déconcentrer en dehors même du constat d'un abus. Il s'agirait d'un pouvoir important, conçu comme un instrument préventif, mais de telles actions structurelles permettraient de peser sur les prix.
Les mesures de contrôle des prix, prévues dans certains cas par le code de commerce, peuvent être positives. Cependant, dans le secteur du détail, de telles mesures induisent des effets pervers. Le contrôle des prix ne s'opère pas sur tous les produits et de façon permanente : le risque est donc celui d'un rattrapage sur d'autres produits ou à la sortie du contrôle des prix. Nous recommandons donc ce type de mesures uniquement dans le cas de monopoles naturels ou dans des circonstances de crise aiguë ponctuelle. Elles ont ainsi été mises en oeuvre à deux occasions : d'une part, dans le contexte de la première guerre du Golfe pour les carburants et, d'autre part, à la suite du cyclone Hugo à la Guadeloupe pour les produits alimentaires et les produits de reconstruction (briques, ciments).
L'action de l'Autorité de la concurrence est une action de long cours, dont l'impact en matière de prix n'est pas immédiat. Il n'y a, pour l'heure, pas eu de lourdes décisions de sanction dans les DOM dans le secteur de la distribution. Mais l'Autorité de la concurrence y a sanctionné des pratiques anticoncurrentielles dans le secteur des télécoms, et a récemment sanctionné une entente dans le secteur des travaux publics à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Sur les télécommunications, nous estimons que l'amélioration de la pression concurrentielle a permis de réduire les excès : le prix des communications électroniques outre-mer (en dehors des communications entre l'outre-mer et la métropole) n'est ainsi désormais pas plus élevé qu'en métropole.
M. Serge Larcher
Disposez-vous de suffisamment de moyens outre-mer ? Seriez-vous demandeur de nouvelles prérogatives ?
Mme Virginie Beaumeunier
Comme je vous l'indiquais, nous n'avons pas de moyens spécifiques dédiés à l'outre-mer. Toute administration souhaite avoir plus de moyens, mais je pense que nous avons aujourd'hui les moyens de fonctionner, en nous appuyant sur les DIECCTE notamment.
S'agissant du renforcement de nos pouvoirs, je pense principalement à l'injonction structurelle dans le secteur de la grande distribution. La situation de concentration existant à Paris n'est pas très différente de celle de certains territoires ultramarins : ce type de pouvoir aurait un effet préventif - voire correctif - utile.
M. Michel Vergoz
S'agissant de la grande distribution, quelles références utilisez-vous pour effectuer vos analyses de différentiels de prix ? Le « panier » de l'INSEE ? Le « chariot-type » d'UFC-Que choisir ou d'une autre association locale ?
M. Étienne Pfister
Notre avis de 2009 n'avait pas pour objectif de mesurer l'écart de prix. Sur cette question, l'INSEE, dont c'est le métier, a produit une étude en 1992 et une nouvelle étude très récemment. Notre objectif était d'analyser un échantillon d'une centaine de produits afin de déterminer s'il existait des anomalies tendant à indiquer que le différentiel de prix avec la métropole n'équivalait pas aux simples frais d'approche. Il s'agissait non pas de conclure à l'existence de marges indues, mais d'observer si, par rapport à un niveau de marges donné, on observait une structure de marché permettant aux acteurs de s'abstraire d'une pression concurrentielle normale. La réponse est très complexe : cela dépend du type de produit, cela dépend de l'histoire du marché dans chaque DOM.
M. Michel Vergoz
Une véritable concurrence existe-t-elle dans le domaine des carburants ou le secteur est-il « verrouillé » ? La question du prix de l'énergie est très sensible outre-mer.
La situation est-elle « verrouillée » de façon à ce qu'il ne puisse pas y avoir de concurrence ? Le bateau Tamarin, qui approvisionne l'île de La Réunion à partir de Singapour, a-t-il été acheté en défiscalisation pure ? Impossible d'avoir une réponse à cette question. Toujours à propos de ce bateau : est-il possible de trouver un acheminement moins onéreux ? Si oui, pourquoi les acteurs privés n'ont-ils pas choisi d'autres bateaux ?
Connaissez-vous la convention signée le 7 mars 1997 entre la Chambre de commerce et d'industrie de La Réunion (CCIR) et la SRPP sur les conditions d'exercice du monopole en matière de carburants ? Ce document majeur est au centre des négociations qui peuvent se tenir sur ce dossier. Autre question : qui investit sur le domaine public en matière de stockage à La Réunion ? Je pense qu'il s'agit des usagers, via les taxes payées. J'aimerais connaître votre point de vue sur cette question. Dernière question : êtes-vous au courant de la prorogation dès 2008 de la convention jusqu'en 2030, ce qui excéderait largement les délais d'amortissement ? Les investissements s'amortissent en effet d'ordinaire sur une période de douze à quinze ans, mais on a prorogé par anticipation la validité d'un contrat qui aurait permis de négocier la transparence.
Mme Virginie Beaumeunier
Je ne suis pas certaine de disposer des réponses à toutes vos questions. Sur la question du fret, nous avons constaté qu'il est nécessaire qu'un seul bateau approvisionne La Réunion. Nous n'avons pas étudié le financement du bateau utilisé actuellement. Y aurait-il une autre manière de faire venir le carburant ? Je ne sais pas.
Sur la convention entre la CCIR et la SRPP, nous n'avons pas d'éléments précis. Lorsque notre Président est allé récemment à La Réunion, les représentants de la CCIR ont évoqué un projet d'importation parallèle de carburants et des difficultés d'accès aux capacités de stockage de la SRPP : si c'est le cas, il faut nous transmettre les informations utiles, car il s'agit d'infrastructures essentielles. Nous n'avons pas connaissance de cette convention et de sa reconduction : c'est un document que nous pourrions étudier au regard du droit de la concurrence.
Notre avis de 2009 comprend une réponse à cette situation : la séparation de la SRPP en deux, avec, d'une part, l'activité de stockage et, d'autre part, l'activité de distribution. Les problèmes que vous évoquez sont dus à l'absence de filialisation : comme il n'y a pas de séparation claire, on ne sait pas qui finance quoi. Nous avons fait pression sur les deux actionnaires de la SRPP pour que cette filialisation ait lieu : Total y est favorable, mais l'autre actionnaire, Shell, souhaite se séparer de son activité raffinage-distribution en Afrique, zone dans laquelle est incluse La Réunion. Le repreneur de la participation de Shell aura donc à se prononcer sur cette question. Le sujet n'avance pas pour l'instant, alors qu'il s'agit d'un préalable à toute régulation efficace de ces activités.
M. Michel Vergoz
Dans cette convention, il apparaît que la CCIR dispose de larges pouvoirs, en matière de stockage notamment. Je m'étonne cependant que personne n'utilise cette convention pour peser dans les négociations tendant à ménager davantage de transparence. Autre question : est-ce qu'un organisme comme la CCIR peut proroger bien avant son terme et pour une très longue durée une convention sans passer par une décision publique ?
Mme Virginie Beaumeunier
Je m'interroge également : il faut que nous regardions cela de près. N'hésitez pas à me transmettre des éléments sur cette question.
Audition de M. Pascal Ferey, vice-président de la
Fédération nationale
des syndicats d'exploitants agricoles
(FNSEA)
M. Serge Larcher, président
Nous accueillons, pour clore cette journée d'auditions, M. Pascal Ferey, vice-président de la FNSEA. Nos deux rapporteurs, MM. Éric Doligé et Michel Vergoz, vont vous interroger sur la vie chère en outre-mer.
M. Éric Doligé, co-rapporteur
Nos questions portent sur plusieurs points : comment la FNSEA est-elle organisée en outre-mer ? Pouvez-vous nous décrire vos filières agricoles ? Quelle est votre appréciation sur les coûts des intrants ? Enfin, pouvez-vous nous parler des relations entre les producteurs et les grandes surfaces ?
M. Pascal Ferey, vice-président de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles
La FNSEA a des structures syndicales dans les cinq DOM. Leur mission essentielle est de représenter les agriculteurs, mais aussi d'être nos correspondants permanents sur les dossiers difficiles.
Dans la zone Océan Indien, La Réunion est peut-être le DOM le plus « métropolitain » s'agissant de l'organisation des filières. La filière sucre notamment, est très bien organisée. En revanche, nous avons beaucoup plus de mal à organiser la filière des fruits et légumes. Malgré nos efforts, 80 % de cette filière est entre les mains de producteurs qui ne sont pas toujours bien organisés.
Aux Antilles, la situation est différente. En Martinique, les grosses filières sont la banane, le rhum et le sucre. Nous sommes dans l'expectative des décisions européennes sur ses politiques sectorielles. La Guyane souffre encore des séquelles de son « plan vert » de 1979. La filière riz a été développée, mais pas suffisamment. Notre projet de mettre en place une usine à décortiquer le riz n'a pas abouti pour des raisons budgétaires, ce qui oblige à conditionner le riz au Surinam. Le développement des productions et l'autonomie alimentaire, en fruits, en légumes et en viande, posent encore problème. Nos efforts ont été des échecs, entre autres sur la structuration de l'offre en viande bovine, avec par exemple la construction d'un abattoir qui fonctionne difficilement.
Les Antilles ont été brutalement marquées par les événements de 2009. L'évasion des touristes a eu des conséquences directes sur la production agricole locale, du rhum et des cultures vivrières. On a assisté à une fuite des capitaux. Les agriculteurs ont dû affronter la hausse des prix sur les intrants et le carburant. Les filières dites dédiées, fruits et légumes, et production carnée, sont en grande difficulté. L'administration territoriale a passé des contrats avec la Chambre d'agriculture pour permettre aux agriculteurs non seulement de bénéficier d'aides, mais d'essayer de s'organiser. La situation aux Antilles peut se résumer à la formule : trop pour la banane et le sucre, rien pour le reste. Dans la perspective de la renégociation des programmes européens, il faut inverser la démarche : d'abord essayer d'organiser les producteurs avant de raisonner en termes de structuration d'une offre de services. Ensuite, les productions vivrières ne tiendront pas aux Antilles si le premier acheteur, c'est-à-dire les collectivités territoriales, n'honorent pas leurs factures. Leur défaut de paiement provoque en ce moment la faillite d'une coopérative fruitière, et, plus largement, dissuade les producteurs de s'organiser. On doit se contenter d'une agriculture de proximité, qui n'est pas en mesure de livrer des produits locaux de façon pérenne et régulière, alors qu'il y a un vrai marché.
Le deuxième problème est la compétitivité. Le coût des intrants, soumis au monopole de la distribution, est très élevé, 30 à 40 % plus chers que ceux de métropole. Une partie de ce surcoût n'est pas justifié par l'éloignement.
Ma troisième remarque est une alerte. Nous avions négocié la possibilité de relancer la filière des petits ruminants en Martinique. Nous nous heurtons à deux problèmes : l'absence de personnel pour encadrer l'ingénieur sur place, qui ne pouvait pas, de sa propre initiative, organiser la filière ; et un problème de disparité de statut des agriculteurs, dans la mesure où nombre d'entre eux ne sont pas reconnus en Martinique.
La Réunion est le département qui a peut-être le moins de difficultés à organiser sa production, sauf pour ce qui concerne les filières fruits, légumes, et fleurs. Le surcoût des intrants est assumé par la collectivité, ce qui permet à La Réunion d'être très proche de l'autonomie en oeufs, poulets, fruits et légumes locaux : l'organisation de ces productions, leur financement, les programmes européens, ont donné satisfaction. Des raisons culturelles, d'encadrement, ont permis ces résultats à La Réunion.
Néanmoins, les difficultés pour La Réunion et les Antilles sont, outre la disponibilité du foncier, et la concurrence de l'agriculture avec le photovoltaïque, d'assurer le renouvellement des générations. Les pistes d'avenir sont la formation, de qualité dans les lycées agricoles, et l'encadrement de l'agriculture, bien mené à La Réunion grâce à l'arrivée bénéfique d'ingénieurs et techniciens supérieurs, qui ont travaillé en osmose avec les agriculteurs. En revanche, aux Caraïbes, l'intégration de techniciens et d'ingénieurs venant de métropole n'est pas aisée, et l'encadrement local est insuffisant en qualité. On s'y contente des aides financières communautaires sans aller au-delà. L'exemple de la banane aux Antilles est significatif : après le dernier cyclone, la Martinique et la Guadeloupe n'ont pas exporté de bananes pendant six mois alors que le marché métropolitain existait bien. Au contraire, les groupements de producteurs antillais ont importé de la banane en provenance de la zone Caraïbes. Depuis, la production locale fonctionne de nouveau, mais cet exemple montre que l'Union européenne ne financera pas durablement ces productions. Il faut plutôt que les programmes communautaires financent une agriculture productive à destination du marché local. Les Antillais y aspirent. Il convient aussi d'initier des politiques, en liaison étroite avec les collectivités territoriales, en direction d'autres filières tombées en désuétude, que la banane et le sucre, déjà bien implantées.
Enfin, il faut tenir compte de l'environnement. On atteint les limites du système phytosanitaire aux Antilles. Le mitage urbain en milieu rural posera d'énormes problèmes.
Il faut conduire une réflexion sur le développement des filières vivrières locales, fruitières, légumières, mais aussi animales pour exploiter le potentiel antillais.
M. Éric Doligé, co-rapporteur
Merci pour ces réflexions d'ordre général. Pouvez-vous nous éclairer sur les prix et la relation des producteurs avec la grande distribution ? Quelle est le rôle de celle-ci ?
M. Pascal Ferey
D'une façon générale, on doit davantage associer les collectivités territoriales et la grande distribution. Les producteurs n'arriveront pas à s'organiser méthodiquement en l'absence de débouchés pérennisés par des contrats.
La relation avec la grande distribution est très difficile. La situation est celle d'un monopole, où la production locale ne fournit que des produits d'appel. La tomate métropolitaine arrive à un coût de 42 centimes, et est vendue 2,15 euros, ce qui lamine la tomate locale, vendue à 4,5 euros ! Les producteurs n'ont pas de place au sein de la grande distribution, et ne sont pas organisés pour permettre des débouchés permanents. Le vrai sujet est l'approvisionnement permanent, qui nécessite un coût supplémentaire, bien plus important qu'en métropole.
Pour contrebalancer le monopole de la grande distribution, il faut inciter à la contractualisation avec les hôpitaux et les collectivités locales, les cantines par exemple, même si les collectivités n'honorent pas leurs factures dans les délais. Elles doivent montrer l'exemple. J'avais proposé d'organiser des « états généraux de l'indépendance alimentaire », pour structurer de façon pérenne la production et les débouchés, rendre obligatoire la consommation de produits bio... Si on implique les collectivités locales, il est probable que la grande distribution suive l'exemple. De plus, le développement de la production locale favoriserait le tourisme.
Enfin, une petite partie de l'enveloppe des programmes communautaires POSEI (programmes d'option spécifiques à l'éloignement et à l'insularité) devrait être utilisée pour initier des programmes plus innovants pour l'organisation de la production, et mieux adaptés au terrain. Financer un abattoir ne sert à rien s'il n'y a pas de bétail. À cet égard, les fruits et légumes, et les petits ruminants, sont des filières prioritaires.
M. Éric Doligé
Et la pêche ?
M. Pascal Ferey
Hormis à Mayotte, les volumes pêchés sont de moins en moins importants, car c'est surtout la petite pêche artisanale qui s'est développée, vendue quasiment à la sortie du bateau. Il n'y a pas grand-chose à faire pour mieux organiser la filière, contrairement à l'agriculture terrestre.
M. Serge Larcher
On peut remplacer les fournisseurs anglophones et vénézuéliens qui nous approvisionnent. Il faudrait former nos pêcheurs pour qu'ils aillent en haute mer, afin que les Antillais soient au moins autosuffisants en poissons.
M. Pascal Ferey
Le problème est celui du financement. C'est aussi un problème de culture, et de concurrence avec la pêche de proximité.
Pour revenir à la vie chère, je crois qu'il faut initier d'autres voies pour l'approvisionnement de matières premières. Tout faire venir de la métropole pose des problèmes de compétitivité. Les gisements d'emplois sont dans le tourisme et l'agriculture. Cela suppose de chercher des solutions d'approvisionnement en intrants dans la zone Caraïbes. Pour améliorer l'exportation vers la métropole de certains produits phares comme les fleurs et l'ananas, ou encore le litchi réunionnais, il faut aussi trouver des solutions pour diminuer le coût du fret aérien.
M. Serge Larcher
Mais l'Amérique latine, notamment le Brésil, fournit aussi le marché ultra-marin en produits qu'on peut produire nous-mêmes. C'est le cas de l'avocat, des agrumes, des légumes.
M. Pascal Ferey
Le problème de la vie chère est celui de l'approvisionnement. On peut constater une stabilisation des prix, mais dès que la pression des pouvoirs publics se relâche, les prix remontent aussitôt. De plus, les baisses de prix dues aux décisions publiques sont anticipées, ce qui provoque, par un effet boomerang, une hausse des prix encore plus grande. La grande distribution doit se montrer plus citoyenne. Réglementer en permanence ne règlera pas le problème.
M. Michel Vergoz, co-rapporteur
Ne pensez-vous pas que cette question du coût de la vie vient du fait qu'on veut calquer la démarche continentale sur l'outre-mer ? La grande distribution n'est apparue que dans les années 1990 en outre-mer ; avant, pour les fruits et légumes, on avait une culture de marché forain. Le maître mot n'est-il pas d'organiser la production en gardant notre identité ultra-marine ?
M. Serge Larcher
Le marché forain ne peut pas être un modèle. On a besoin d'ouverture.
M. Michel Vergoz
C'est vrai.
M. Pascal Ferey
La culture des départements d'outre-mer en termes d'approvisionnement était en effet longtemps le marché forain. Le durcissement des règles d'hygiène pour le poisson et la viande a conduit à mettre en place des abris. Aujourd'hui, le marché forain aligne son prix, avec un coefficient, sur la grande distribution. De plus, les habitudes de consommation s'alignent sur celles de la métropole, ce qui favorise les produits importés au détriment des produits locaux. Les jeunes consommateurs ne vont plus sur le marché forain. Si on n'organise pas la production, on sera toujours dans la même situation dans vingt ans. Au-fur-et-à-mesure de l'arrivée à échéance des programmes communautaires, il faut dégager une partie des aides dans ce sens, et pas seulement en direction de la banane ou de la canne à sucre.
M. Serge Larcher
Il faut réorienter l'agriculture vers l'autosuffisance alimentaire, et l'exportation. Je vous remercie.