5. Conclusion de la rencontre

5.1. MME FRANÇOISE VERGÈS

Ces rencontres ne sont pas conçues comme des colloques. Elles sont l'occasion de croiser des regards, des méthodes, des disciplines afin de faire apparaître des figures et des événements dans toutes leurs dimensions. Elles visent à mettre en lumière des conflits de mémoire mais aussi des mémoires qui sont multidirectionnelles, c'est-à-dire qui ne sont pas liées à un seul groupe, un seul événement mais s'inscrivent, de manière directe ou imaginaire, dans des espaces et des temporalités différentes les unes des autres.

Plusieurs questions restent en suspens. Ainsi, nous pourrions poursuivre le débat sur la problématique de la dette et de la reconnaissance qui revient de manière insistante dans les débats sur les mémoires. Comment penser la dette et la reconnaissance tout en répondant à la question politique de la construction du bien commun ? Nous ne partons pas de rien, en effet toute une littérature s'est penchée sur ces notions de dette et de reconnaissance. Aujourd'hui, les débats sur la citoyenneté et la démocratisation se posent souvent en termes de dette et de reconnaissance, et moins en termes de bien commun, pourquoi ? Ou alors, est-ce une redéfinition du bien commun qui s'avère urgente ?

Les mémoires et les récits historiques qui surgissent dépendent des contextes sociaux et culturels et de ce que les sociétés sont prêtes à entendre. Depuis quelques années, les mémoires coloniales, esclavagistes, post-esclavagistes et post-coloniales ont investi l'espace public conduisant à une demande de révision du récit national, à des demandes d'inscription à travers des programmes d'enseignement, des stèles, des monuments, des musées. Dans ce contexte, il n'est pas surprenant, comme l'ont souligné des intervenants, que des mémoires soient instrumentalisées. Mais elles sont également une manière d'exprimer, pour certains groupes, la nécessité qu'une histoire soit non seulement reconnue mais aussi qu'elle montre, par son existence, des oublis, des effacements qui sont le produit d'une hégémonie culturelle. Ce sont des faits historiques qui sont pourtant appelés « mémoires » et non « histoires », le terme de mémoire cherchant à refléter un fait venant « d'en bas », de celles et ceux qui sont ignorés par la « grande » histoire par fait de racialisation, d'indifférence ou de mépris. Ils renvoient souvent à des itinéraires singuliers, faisant entendre la voix de l'acteur, du témoin qui se ferait par la mémoire et non par l'histoire, perçue comme outil des puissants. Cela ne signifie en rien l'abandon de la recherche historique et sa demande de rigueur mais, sans doute, un moins grand mépris pour ce qui s'exprime dans ces demandes de mémoire.

Ce dont il s'agit, c'est d'un élargissement de la démocratie et du peuple.

Dès lors, la question des réparations, qui soulève des débats émotionnels et des positions tranchées, ne peut être évitée. Il s'agit de débattre de la justice et de l'égalité. Il faut ouvrir le dossier, examiner les archives, s'inspirer des solutions trouvées dans d'autres pays, ne pas éviter par principe la solution monétaire qui, bien qu'elle soit dès l'abord controversée, mérite d'être débattue. De quoi pouvons-nous avoir peur ? L'enjeu est de parvenir à vivre ensemble tout en restant différents car s'identifier comme Guadeloupéen, Kanak, Tahitien, Réunionnais, Mahorais, Guyanais ou Martiniquais signifie s'identifier à des langues, des récits, des religions, des cultures, des histoires et des pratiques (et sur chaque territoire, on observe une multiplicité de ces formes et de ces expressions) qui ne peuvent être fondues dans un grand ensemble. Elles doivent trouver une place juste, place qui se renégociera inévitablement. Car l'inattendu et l'imprévisible, qui font l'histoire, agissent.

Ces récits méritent également d'être « déracialisés », comme ont pu le revendiquer écrivains et artistes du monde noir. Ainsi, Aimé Césaire appelait à un « nouvel humanisme », qui tiendrait compte de toutes les personnes exclues d'une conception étroite de l'humanité.

Toutes ces questions sont d'actualité. L'objectif de nos rencontres consiste à mener une réflexion sur la manière de faire entrer dans le débat citoyen le vivre ensemble et le bien commun, malgré les ressentiments, les frustrations et les colères.

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