II. EN DÉPIT DE CERTAINS DÉFAUTS, UN SYSTÈME À CONSERVER POUR MAINTENIR L'ATTRACTIVITÉ ET PRÉVENIR LE VIEILLISSEMENT DE LA FONCTION PUBLIQUE
A. UN SYSTÈME À PERFECTIONNER POUR RÉPONDRE AUX PROBLÈMES DE PÉNIBILITÉ DANS LA FONCTION PUBLIQUE
1. Viser, à long terme, la définition d'un cadre commun de compensation et de prévention de la pénibilité
Comme indiqué précédemment, hormis le classement en catégorie active, il n'existe pas de dispositif de départ anticipé à la retraite ciblé sur la prise en compte de la pénibilité dans la fonction publique. En outre, le classement en catégorie active exclut par définition les agents non titulaires. Cette situation peut entraîner des différences de traitement, pour un même niveau de pénibilité voire des fonctions équivalentes, au sein de la fonction publique .
Citons par exemple le cas des aides-soignants contractuels de droit public (qui tendent à exercer durant une longue période en tant que non-titulaires) : ceux-ci ne sont éligibles ni au classement en catégorie active, ni au compte personnel de prévention de la pénibilité, dans la mesure où le compte ne concerne que les contrats de travail de droit privé. On peut également mentionner l'exemple des chefs de services éducatifs de la protection judiciaire de la jeunesse, qui relèvent de la catégorie « petit A » et ne sont pas classés en catégorie active, alors qu'ils exercent des fonctions identiques aux éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse relevant de la catégorie B et classés en catégorie active.
Les éventuelles iniquités entre les fonctionnaires bénéficiant de la catégorie active et les salariés du secteur privé exposés à des facteurs de pénibilité sont encore plus évidentes. Elles sont d'autant plus flagrantes pour les emplois classés qui existent également dans le secteur privé. Par exemple, les agents de salubrité de la fonction publique territoriale sont classés en catégorie active, tandis que, dans les collectivités ayant choisi de recourir à une délégation de service public pour l'enlèvement des ordures, les personnels sont sous contrat de droit privé et ne peuvent donc pas bénéficier des avantages liés au classement. La mise en place du compte personnel de prévention de la pénibilité comblera en partie cette différence de traitement . Mais le départ à la retraite ne pourra être anticipé que de deux ans tout au plus, en fonction du nombre de points acquis, alors que les agents en catégorie active peuvent en théorie liquider leur pension cinq ans plus tôt.
Afin d'atténuer graduellement ces différences de traitement, deux principes doivent guider les actions futures en matière de pénibilité :
- tout d'abord, dans la fonction publique, il convient de veiller à ce que la situation de tous les agents soit correctement prise en compte ;
- ensuite, il s'agit de viser, à terme, la définition d'un cadre commun au secteur public et au secteur privé en matière de compensation et de prévention de la pénibilité, tout en respectant les spécificités de chaque secteur. En principe, un socle commun existe déjà puisque les principaux textes législatifs et réglementaires 36 ( * ) en matière de prévention et de traçabilité des expositions aux risques professionnels sont également applicables dans la fonction publique. Néanmoins, très peu d'employeurs publics établissent les fiches individuelles de prévention des expositions (81 % d'entre eux ayant préféré mettre en place un document unique d'évaluation des risques professionnels) 37 ( * ) .
Afin de tendre vers un rapprochement des deux systèmes et, éventuellement, de compléter le dispositif applicable aux catégories actives par des mesures en faveur du reste de la fonction publique, la question d'une transposition du compte personnel de prévention de la pénibilité dans la fonction publique ne doit pas demeurer taboue . Les employeurs publics devront en effet déjà appliquer ce dispositif pour leurs agents contractuels de droit privé. Avant d'écarter totalement une application à l'ensemble de la fonction publique, la réalisation d'une étude approfondie sur les modalités possibles d'application du compte dans la fonction publique semble nécessaire.
Recommandation : réaliser une étude sur les modalités d'application et le coût de la transposition du compte personnel de prévention de la pénibilité dans la fonction publique. |
2. Améliorer la connaissance de la pénibilité dans la fonction publique
Dans l'immédiat, le principal obstacle à la mise en oeuvre des principes énoncés précédemment est le manque de connaissances précises sur la pénibilité et les risques professionnels dans la fonction publique .
La première étude sur ce sujet n'a été publiée qu'en février 2013, en application de l'accord sur la santé et la sécurité au travail dans la fonction publique de novembre 2009 38 ( * ) . Cette enquête relative à la surveillance médicale des expositions aux risques professionnels ( SUMER ) confirme que les expositions varient fortement d'un secteur à l'autre selon le risque considéré. Toutefois, cette étude ne couvre que 40 % des agents de l'État, excluant notamment les enseignants du ministère de l'Éducation nationale, et présente des résultats uniquement par grandes « familles » de métiers.
Les principaux résultats de l'enquête
SUMER 2009-2010
L'enquête relative à la surveillance médicale des risques professionnels (SUMER) a été réalisée pour la première fois dans les trois versants de la fonction publique en 2009-2010. Dans le cadre de cette étude, de grandes familles de métiers ont été identifiées et analysées sous l'angle des conditions de travail et des risques associés. Les principales conclusions sont les suivantes : - les agents des familles de métiers « Espaces verts et paysages », « Entretien et maintenance », « Services à la personne, restauration » et « Soins » font fréquemment face à des contraintes physiques intenses ; - dans les familles « Soins » et « Services à la personne, restauration », les agents sont particulièrement exposés aux produits chimiques et agents biologiques ; - les familles « Soins » et « Sécurité, défense » sont les plus concernées par les contraintes horaires et les contraintes de rythme ; - les tensions et agressions dans les rapports avec le public sont plus fréquentes dans la fonction publique que dans le secteur privé et touchent en particulier les familles de métiers « Sécurité, défense », « Soins » et « Action sociale ». Au total, 81 % des agents couverts par l'enquête déclarent un état de santé bon ou très bon, même si 21 % déclarent que le travail a une influence plutôt négative sur leur santé. Source : DGAFP (2013) |
Dans le cadre de l'Agenda social piloté par la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, une concertation a été lancée à l'automne 2013 sur la prévention et la prise en compte de la pénibilité dans la fonction publique . L'un des trois axes de cette concertation est l'amélioration de la connaissance de la pénibilité grâce à la réalisation d' une cartographie des métiers exposés aux dix facteurs de pénibilité définis dans le code du travail (cf. supra ) dans les trois versants de la fonction publique. Cette cartographie - située dans le champ de la concertation - concerne uniquement les catégories sédentaires 39 ( * ) . En principe, elle doit être complétée par des contributions des ministères employeurs, de la direction générale des collectivités locales (DGCL) et de la direction générale de l'offre de soins (DGOS) pour les emplois classés en catégories actives relevant des différents versants de la fonction publique.
Une cartographie complète de la fonction publique est nécessaire pour répondre aux questions d'équité soulevées précédemment. Les évolutions technologiques ou la disparition de certains métiers peuvent en effet mettre en cause la pertinence du classement en catégorie active de certains emplois. Par ailleurs, de nouvelles connaissances scientifiques pourraient justifier la création d'un dispositif de compensation et de prévention de la pénibilité complémentaire à celui des catégories actives. Un élargissement significatif du périmètre des emplois classés n'apparaît en revanche pas réaliste financièrement ; seuls des ajustements marginaux devraient être réalisés.
Recommandation : ajuster le périmètre des emplois classés en catégorie active sur la base des résultats de la cartographie des métiers exposés aux facteurs de pénibilité dans la fonction publique (notamment au vu des évolutions technologiques) . |
3. Développer les démarches de prévention
Le système des catégories actives présente le défaut de mettre uniquement l'accent sur la compensation de conditions de travail pénibles et de négliger la prévention. À l'inverse, le compte personnel de prévention de la pénibilité tente de concilier les deux approches en prévoyant des congés de formation, la possibilité de travailler à temps partiel avec un maintien de la rémunération ou de partir plus tôt à la retraite, en fonction de la durée d'exposition et de l'âge. Le rapport de la commission pour l'avenir des retraites, dont est issue cette mesure, avait en effet insisté sur la nécessité d' « agir pour limiter les situations de fin de carrière, où des salariés « usés » par certaines conditions de travail ne sont plus en mesure de travailler » 40 ( * ) , sans quoi le prolongement de la vie active ne serait pas possible.
Le Fonds national de prévention de la CNRACL Créé en 2001, le Fonds national de prévention est rattaché à la CNRACL et géré par la Caisse des dépôts et consignations. Il est financé par un prélèvement de 0,1 % sur le produit des contributions d'assurance retraite perçues par la CNRACL et dispose d'un budget d'environ 12 millions d'euros. Le fonds remplit trois missions : - établir, au plan national, les statistiques relatives aux accidents du travail et aux maladies professionnelles constatées dans les collectivités territoriales et les établissements publics de santé. La banque nationale de données gérée par le fonds couvre actuellement 33 % des fonctionnaires territoriaux (dont 87 % des sapeurs-pompiers professionnels et volontaires) et 22,5 % des fonctionnaires hospitaliers ; - participer au financement, sous la forme d'avances ou de subventions, de mesures de prévention décidées par les collectivités territoriales et les établissements publics de santé ; - élaborer des recommandations d'actions en matière de prévention grâce à la capitalisation des expériences et diffuser les bonnes pratiques. Sources : CNRACL et rapport d'activité 2012 du Fonds national de prévention |
La commission « Moreau » avait également souligné le retard en matière de prévention des risques et de la pénibilité dans la fonction publique , en particulier dans la fonction publique d'État. Les fonctions publiques territoriale et hospitalière sont quant à elles couvertes par le Fonds national de prévention (FNP) , qui dépend de la CNRACL. La commission pour l'avenir des retraites avait émis l'idée d'un élargissement des compétences du FNP à la fonction publique d'État. Il s'agit certainement d'une réflexion à mener, mais la priorité semble devoir être accordée à deux actions :
- le renforcement de la médecine de prévention , qui fait cruellement défaut dans les trois versants de la fonction publique. Par exemple, dans l'Éducation nationale, il n'y a qu'une centaine de médecins de prévention pour plus de 670 000 enseignants titulaires.
- le développement des dispositifs d'aménagement de fin de carrière . Cet enjeu est particulièrement important pour les emplois anciennement classés en catégorie active, comme les enseignants du premier degré et les infirmiers. Si la reconversion paraît difficilement envisageable pour ces métiers, il serait possible d'anticiper l' « usure » de certains fonctionnaires en proposant, à compter d'une certaine durée d'activité, des aménagements de fin de carrière comme le temps partiel, la réduction des heures d'enseignement ou de contact avec les malades ou encore la mise en place de tutorats entre agents en fin et en début de carrière.
Le cabinet de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique a indiqué que des travaux inter-administratifs sur la médecine de prévention étaient en cours et devraient aboutir sur des propositions. Les propositions qui seront formulées (par exemple pour mutualiser les médecins de prévention entre fonctions publiques) devraient être discutées dans le cadre de la concertation sur la prévention et la prise en compte de la pénibilité dans la fonction publique. En revanche, le chantier de la reconversion et des aménagements de fin de carrière des fonctionnaires en catégorie sédentaire ne serait ouvert qu'en 2015.
Recommandation : développer les dispositifs de prévention de la pénibilité dans la fonction publique, en particulier en renforçant la médecine de prévention et en facilitant les aménagements de fin de carrière pour les professeurs des écoles et les personnels de soins hospitaliers . |
Enfin, concernant les catégories actives , l'attention de votre rapporteur spécial a été attirée sur les problèmes récurrents liés au reclassement des agents actifs en fin de carrière dans les fonctions publiques territoriale et hospitalière . Afin de permettre aux agents occupant des emplois à forte pénibilité - notamment les infirmiers et les aides-soignants - de poursuivre leur activité professionnelle, il leur est couramment proposé d'être affectés en fin de carrière sur des emplois sédentaires dans des services administratifs. Or, pour les carrières dites « mixtes », la limite d'âge prise en compte lors de la liquidation de la pension est celle correspondant à la catégorie du dernier emploi exercé. Par conséquent, un agent remplissant la condition de durée de services pour bénéficier de la catégorie active mais terminant sa carrière dans un emploi sédentaire se voit appliquer la limite d'âge des sédentaires - soit 67 ans au lieu de 62 ans - pour le calcul de la décote 41 ( * ) . Sa pension sera donc amoindrie du fait de son reclassement sur un emploi sédentaire en fin de carrière. Cette règle apparaît inéquitable pour les agents actifs reclassés en fin de carrière. Elle peut les dissuader de demander un reclassement et donc les inciter à prolonger leur exposition à des facteurs de pénibilité, et mener in fine à un recours plus important aux arrêts maladie. Conformément à l'objectif de prévention de la pénibilité, il conviendrait donc de modifier cette règle, qui concerne un nombre limité d'agents.
Recommandation : dans un souci de prévention et d'équité, modifier la règle de limite d'âge utilisée pour le calcul de la pension des agents remplissant les conditions pour bénéficier de la catégorie active mais ayant une carrière « mixte » en raison d'un reclassement dans un emploi sédentaire en fin de carrière. |
* 36 En particulier l'article 60 de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites et ses mesures d'application.
* 37 DGAFP, « Prévention et prise en compte de la pénibilité dans la fonction publique : éléments de définition et de méthodologie », 2013.
* 38 Cf. action 10 de l'accord du 20 novembre 2009 sur la santé et la sécurité au travail dans la fonction publique.
* 39 La question des catégories actives a quant à elle été exclue du champ de la concertation avec les partenaires sociaux.
* 40 Commission pour l'avenir des retraites présidée par Yannick Moreau, Rapport au Premier ministre, op. cit., page 160 .
* 41 Lorsque le fonctionnaire part en retraite avant la limite d'âge sans justifier de la durée d'assurance requise pour bénéficier d'une pension à taux plein, le montant de sa pension est réduit en fonction du nombre de trimestres manquant, dans la limite de vingt trimestres. Un coefficient de minoration de la pension est appliqué, de l'ordre de 1,125 % en 2014, par trimestre manquant.