CONCLUSION
Votre mission commune d'information est plus que jamais convaincue que l'Union européenne a un rôle, et même une mission à assumer aujourd'hui : proposer un nouveau modèle de gouvernance de l'Internet, capable de fédérer de nombreux États autour de valeurs qui trouvent leur source en Europe mais qui sont universelles, articulées autour de la liberté et du respect des droits de l'homme et de l'État de droit. Ceci implique de consigner dans un traité, d'abord négocié entre les deux rives de l'Atlantique mais ouvert à tous, les principes de gouvernance dégagés par l'ensemble des parties prenantes réunies pour le NETmundial le 24 avril 2014 à São Paulo. Pour assurer la mise en oeuvre de ces principes de gouvernance distribuée, transparente et responsable, votre mission propose de formaliser les relations entre les diverses instances de gouvernance et de mettre en place des mécanismes amenant ces instances à rendre compte de leur action devant l'ensemble des parties prenantes qui seraient représentées dans un Conseil mondial de l'Internet, issu de l' Internet governance forum rénové. Pour restaurer durablement la confiance, une refonte de l'ICANN est également indispensable : il s'agit d'en assurer la supervision par la communauté mondiale, de prévoir un vrai droit de recours à l'égard de ses décisions et de mettre fin aux conflits d'intérêts. De telles perspectives, seules à même d'asseoir une gouvernance légitime à long terme, impliquent de rendre la parole à l'ensemble des acteurs dans le débat ouvert par l'administration Obama et confié à la seule ICANN.
Pour être audible dans ce débat décisif, l'Europe doit parallèlement entreprendre de renforcer son assise industrielle numérique : une telle stratégie de construction économique prend du temps et doit devenir sans délai une priorité politique à haut niveau, ce que devrait soutenir M. Jean-Claude Juncker qui a annoncé vouloir « travailler sur ce projet dès le premier jour de son accession à la présidence de la Commission » 297 ( * ) . Les données sont la ressource de demain, et sont donc au coeur de la stratégie de tous les grands pays du monde qui se projettent comme puissance : est-ce le cas de l'Union européenne ? C'est cette question essentielle que soulève finalement l'avènement de l'ère numérique.
Les prochains mois, qui devraient voir se succéder d'importantes réunions internationales, dans le cadre de l'UIT, de l'ICANN ou de l'IGF, seront cruciaux. Le dixième anniversaire du SMSI, que votre mission recommande de célébrer l'an prochain sur le sol européen, peut offrir l'occasion de témoigner en acte de l'implication de l'Europe dans la gouvernance de l'Internet.
L'Internet appelle à repenser les relations entre le droit et la technique, pour les faire dialoguer en continu grâce au juge, afin d'éviter que les évolutions techniques de plus en plus rapides ne précipitent l'obsolescence de la règle de droit et la décrédibilisent. Il invite aussi à repenser la souveraineté sous une forme dynamique, non pas autour d'un territoire mais autour de communautés de valeurs. C'est un effort auquel travaille précisément l'Europe pour sa propre construction.
L'Internet conduit finalement à la mondialisation de la politique, comme le souligne le géographe M. Boris Beaude. L'espace national dans lequel s'inscrit le politique n'est plus à l'échelle des pratiques humaines qui se font de plus en plus en ligne. C'est la communauté mondiale qui doit se projeter dans l'avenir pour le transformer. Et l'Union européenne est bien placée pour contribuer à ce mouvement, voire même y imprimer sa marque, à condition de le vouloir.
* 297 Cf . http://juncker.epp.eu/node/152