III. LES ACTIVITÉS « EXTERNALISABLES » : UNE QUESTION PARTICULIÈREMENT AIGUË EN OPEX
Il n'existe pas de liste des activités « externalisables » par le ministère de la défense. Celui-ci se réfère à la notion de « coeur de métier » pour définir de manière négative les fonctions pouvant être confiées à un cocontractant.
Cette référence est inadéquate mais compréhensible. Le mouvement général d'externalisation qui a touché le secteur privé se fonde en effet sur l'idée que le recentrage sur le coeur de métier est une condition absolue de la performance d'une organisation : ce qui ne relève pas de ce coeur de métier doit être délégué à une autre organisation dont c'est la spécialité et qui fournira une prestation de meilleure qualité à un moindre coût.
Il est légitime d'appliquer ce modèle à la défense pour rechercher des économies et éviter que les forces armées épuisent leurs ressources limitées à investir dans des fonctions périphériques.
Les frontières ainsi dessinées résultent de la recherche d'une organisation optimale permettant aux forces armées de remplir les missions qui leur sont confiées de manière fiable, autonome et réactive mais au moindre coût.
Le « coeur de métier » ne reçoit pas aisément de définition positive. On pourrait même considérer qu'il se définit comme ce qui reste lorsqu'on a enlevé toutes les activités que l'on avait intérêt à externaliser.
Ceci étant posé, la question des limites de l'externalisation en matière de défense ne se résume pas à la recherche d'un optimum organisationnel correspondant à un « recentrage sur le coeur de métier ».
Les forces armées exercent en effet des fonctions régaliennes de l'État, consistant notamment à exercer le « monopole de la violence légitime » et ne pouvant faire l'objet d'une délégation à un prestataire privé.
Ce monopole a été rappelé par la loi n° 2003-340 du 14 avril 2003 relative à la répression de l'activité de mercenaire une définition du coeur de métier et une directive du ministère de la défense sur la politique d'externalisation précise que « l'activité régalienne des différentes structures de la Défense est exclue a priori du domaine externalisable ».
Les activités « externalisables » selon le ministère de la défense « Les opérations d'externalisation engagées par le ministère depuis la mise en oeuvre de la loi de programmation militaire pour les années 2009-2014, lui ont permis de concentrer ses efforts et ses moyens sur les missions relevant de son coeur de métier. La notion de ?coeur de métier? appliquée au ministère de la défense et des anciens combattants doit s'analyser au travers du critère de la ?participation directe aux hostilités?, mentionné dans la loi n° 2003-340 du 14 avril 2003 relative à la répression de l'activité de mercenaire, s'inspirant du protocole I du 8 juin 1977 additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949. En effet, bien que cette loi et ce protocole international n'aient pas pour vocation première d'apporter une définition à la notion de ?coeur de métier?, ils en font néanmoins apparaître clairement le périmètre en rappelant à plusieurs reprises que l'État doit seul exercer le monopole de la mise en oeuvre de la ?violence légitime? au moyen de ses forces militaires. Cette prérogative revêt un caractère régalien qui ne saurait, par conséquent, faire l'objet d'aucune externalisation. Elle correspond : aux missions impliquant l'usage de la force, en particulier des armes, en dehors du strict cadre de la légitime défense, même de manière implicite ; au soutien direct des phases d'une opération impliquant des affrontements directs ; au soutien de contact des formations tactiques engagées dans une zone hostile, y compris de leurs équipements et systèmes d'armes. Ainsi, la mission de combattre et celle d'assurer le soutien des forces déjà engagées dans les combats fondent le coeur de métier de nos forces armées. Elles ont pour objectif d'assurer en tout temps et en tout lieu la sécurité des Français, garantir l'indépendance de la Nation, et consolider la puissance militaire et diplomatique de notre pays. Par opposition, sont considérées comme potentiellement ?externalisables? toutes les activités menées par le ministère de la défense et des anciens combattants en périphérie du coeur de métier des forces armées, au cas par cas, selon les besoins, et sous certaines conditions. » Source : ministère de la défense |
Si la loi du 14 avril 2003 précitée ne définit pas le périmètre des fonctions liées à la défense pouvant être confiées à un prestataire privé, la Cour des comptes estime qu'elle fait tout de même « apparaître un noyau dur qui ne saurait être l'objet d'aucune externalisation et qui correspond :
- aux missions impliquant l'usage de la force, en particulier des armes, en dehors du strict cadre de la légitime défense, même de manière implicite ;
- au soutien direct des phases d'une opération impliquant des affrontements directs (entrée en premier, coercition) ;
- au soutien de contact des formations tactiques engagées dans une zone hostile, y compris de leurs équipements et systèmes d'armes. »
Ce noyau dur constitue lui-même une notion presque aussi floue que celle de « coeur de métier », avec laquelle il ne se confond pas.
La participation directe aux combats de sociétés privées est exclue, mais entre une telle extrémité et le pur soutien, il existe une zone d'un gris variable, qui semble de plus en plus investie par l'externalisation.
Les « cercles régaliens »
Source : Jean Marguin, « La privation des forces armées : une évolution inéluctable ? », Fondation pour la recherche stratégique
Le transport terrestre peut consister à un simple acheminement de fret, pour lesquels les moyens civils et militaires sont aisément substituables, souvent au net avantage des premiers, en termes de coût et de capacité. Dans un environnement hostile, les ravitaillements par voie routière deviennent pourtant de véritables opérations de combat qui n'ont plus rien à voir avec de simples convois logistiques. Dans le nord du Mali, les convois doivent ainsi rouler plusieurs jours en toute autonomie et bivouaquer dans des zones non sécurisées afin de ravitailler les postes avancés.
L'externalisation de la fonction ISR illustre également la difficulté à tracer une ligne nette entre ce qui relève du soutien externalisable et les fonctions opérationnelles ne pouvant être déléguées.